MATRI DARSHAN

En Compagnie de Ma Anandamayî

 par Bhaïji

 

 Copyright : la parution de cet ouvrage n'a pas donné lieu à un contrat écrit. Le copyright de la traduction reste donc avec la Shree Shree Ma Ânandamayee Shangha; Kankhal 249408 Hardwar UP Inde. Cette publication Internet est cependant faite en accord avec Terre du Ciel; édition chez laquelle on peut commander le livre; BP 2O50 69227 Lyon Cedex 02 France


 

 TABLE DES MATIÈRES

 

Introduction

I. Le darshan de Mâ

II. Le pouvoir des mantra

III. Le pouvoir des états émotionnels

IV. Le pouvoir du yoga

V. Samâdhi

VI. Mâ et son jeu (Iîlâ)

VII. Ashram

VIII. En route pour une vie nouvelle

IX. En expédition dans des contrées lointaines

X. Shrî Shrî Mâ

Glossaire

 


INTRODUCTION

du Traducteur à l'édition française

 Le titre original du livre de Bhaiji est Matri darshan, " Le darshan de la Mère ". Ce mot darshan nous met d'emblée au cœur de la culture hindoue et de la tradition qui guide les relations entre maître spirituel et disciple. Darshan signifie " le fait de voir ". Cela peut vouloir dire la vision de Dieu, événement ardemment recherché dans la voie dévotionnelle (bhakti). Un exemple célèbre en est la vision qu'Arjuna eut de Krishna sous sa forme cosmique, au chapitre XI de la Bhagavad Gîtâ. En fait, le vrai darshan ne consiste pas seulement à aller visiter un guru, il consiste à voir sa nature réelle; il n'est à la portée que d'un petit nombre.

Le principe qui sous-tend le darshan est le même que celui qui est à la base de la méditation: " On devient ce qu'on regarde ". Un échange verbal avec le maître spirituel n'est pas indispensable, comme il peut l'être avec le psychothérapeute par exemple. L'idéal du guru hindou est Dakshinâmûrti, le sage adolescent qui enseigne des vieillards disciples par le silence.

Ce livre est un document qui nous aide à nous représenter Mâ, à avoir son darshan. Nous lui avons donné comme sous-titre En compagnie de Mâ Ânanda Moyî, pour exprimer simplement ce qu'il contient, c'est-à-dire le témoignage de Bhaiji (1880-1937), un disciple très proche de Mâ (1896-1982). C'est lui qui lui a donné son nom d'Ânanda Moyî, " pénétrée deJoie ".

Du point de vue technique, pour la traduction je me suis simplement fondé sur l'édition anglaise, bien que j'aie lu l'édition hindi en entier et que je m'y sois référé en cas de doute, ou pour mieux comprendre certaines paroles de Mâ, parfois elliptiques. Avec l'aide d'un disciple de Mâ, j'ai même éclairci deux ou trois points d'après l'original bengali. En effet, le vocabulaire religieux est en général le même en sanskrit, en hindi et en bengali. Le texte intégral a été traduit, bien que j'aie été amené à transformer certaines phrases qui étaient dans un style trop lourdement hindou. Il est important de pouvoir présenter ainsi au public français un document de première main sur une relation authentique entre maître spirituel et disciple dans l'Inde de notre siècle; un tel contact direct entre les cultures favorise l'évolution des esprits.

Quel a été le rôle de Mâ Ânanda Moyî dans la spiritualité du XXe siècle ? Pour les hindous, et en particulier pour les brahmine bengalis qui l'avaient appelée de leurs prières, elle est une descente du Divin venue redonner de la vigueur au Dharma en des temps troublés. Krishna dit à ce propos dans la Bhagavad Gîtâ: " A chaque fois que le dharma (justice, religion) décline et que l'adharma s'accroît, pour la protection de celui qui est bon, la destruction du méchant, et pour l'établissement d'une justice stable, je renais cycle (yuga) après cycle. " (IV-7,8) Pour de nombreux Occidentaux, Mâ a représenté et représente une aide puissante sur le chemin spirituel.

Mâ parle d'elle-même en disant " ici ", ou " ce corps "; souvent, alors que " ce corps " était bien malade, elle disait qu'elle ne souffrait pas, qu'elle constatait juste des transformations dans l'organisme. Pour elle, contrairement à la vision matérialiste habituelle, ce n'est pas la conscience qui est un produit du corps, mais plutôt l'inverse. La Conscience fondamentale a choisi de s'incarner dans un corps qui n'était qu'un instrument, et que les gens, à commencer par Bhaïji, ont appelé Mâ Ânanda Moyî. Cet aspect non-personnel de Mâ est renforcé dans le texte anglais, et surtout hindi, par les tournures grammaticales courantes, qui utilisent des formes passives; à la place de dire " j'ai faim ", on dira " à moi la faim est associée "

(mujhé bhukh lagti hê). Souvent même, en langage courant, " à moi " sera omis.

Pour mieux apprécier l'ouvrage de Bhaïji, il faut connaître quelques bases de la religion au Bengale. La voie dévotionnelle y a été marquée par Chaitanya Mahâprabhu (1486-1533), qui s'est fait l'apôtre de l'amour divin entre Krishna et ses fidèles. Il a particulièrement insisté sur le madhura-bhâva où l'âme humaine est assimilée à Râdhâ, I' amante de Krishna. C'est le cinquième niveau du sentiment qui relie à Dieu, le premier étant celui de serviteur (dasa), le second celui de fils envers son père (apatya), le troisième celui d'ami (sakhya), et le quatrième celui d'une mère envers son enfant (vâtsalya). Ces sentiments s'expriment particulièrement au moment des chants religieux (kîrtan) accompagnés de danse et d'états émotionnels et spirituels intenses (bhâva). Ces états peuvent amener à une extase spontanée qui en général ne dure pas (bhâva-samâdhi). Le savikalpa et le nirvikalpa-samâdhi; étant provoqués par la pratique de la méditation sont en général plus durables. Les états intérieurs de la bhakti culminent dans le mahâ-bhâva, I'union complète avec le Divin. Mâ emploie souvent ce terme. Du point de vue technique, on indique, dans l'école de Chaitanya, une série de symptômes physiques et émotionnels permettant de discerner un mahâ-bhava authentique d'une simulation.

L'autre influence religieuse majeure au Bengale est le Shaktisme, le culte de la Mère divine. Cette Mère peut s'incarner sous forme humaine, et c'est ainsi que de nombreux Bengalis voyaient Mâ Ânanda Moyî. Bhaiji a composé une hymne en ce sens, qu'on trouvera en conclusion du chapitre VII, " Ashram ": " Gloire à toi, Shri Mâ Ânanda Moyî, hôte éternel et sacré de nos coeurs !... " Cette hymne est chantée matin et soir, au début des kîrtan, dans les âshram de Mâ. On trouvera aussi un hymne à Ma dans une autre partie du site (Jay Ma; no 47)

Mâ elle-même n'attachait pas une si grande importance à ses extases visibles pendant les kîrtan. Elle dit clairement (cf. chapitre III: " Le pouvoir des états émotionnels "): " C'est votre désir fort de voir ce corps en état de samâdhi qui fait que ces symptômes se manifestent de temps à autre. " Plus tard, quand Mâ a résidé en dehors du Bengale, ces états ont complètement disparu. Mâ voulait montrer le chemin de la libération, mais le public n'avait pas nécessairement cette demande de manière profonde; elle aurait pu dire, à la manière de Sai Baba de Shirdi quand il faisait des miracles: " Je leur donne ce qu'ils me demandent, en attendant qu'ils me demandent ce que je veux leur donner. "

Certains pourront penser que la dévotion à la Mère divine est trop sentimentale, " à l'eau de rose " comme on dit familièrement: mais quand on lit les textes qui se rapportent à son histoire (Shrîmad Devî Bhâgavatam, appelé aussi Devî Purâna), on s'aperçoit que cette Mère a également des aspects violents, et qu'elle est fort occupée, en particulier sous son aspect de Kâlî, à couper la tête des gens. Mâ elle-même savait faire peur aux gens quand il le fallait; même si elle ne sanctionnait personne directement, les gens autour d'elle qui s'écartaient du droit chemin savaient qu'ils pourraient rencontrer des difficultés, comme par exemple tomber malade.

En se concentrant sur une sage et en voyant en elle la Mère parfaite, ne risque-t-on pas d'augmenter une réaction de l'inconscient dans un sens négatif, par un phénomène qu'on appelle en Occident, à la suite de Jung, le phénomène de l'ombre, ou par la loi des dvandva, des paires d'opposés si l'on suit le vocabulaire indien ? Cela est évident au niveau de l'aspirant spirituel, et son rôle sera d'éclairer progressivement cet aspect " ombre " en lui-même par la méditation et l'habitude d'une vie pure. Le sage, quant à lui, est dvandvâtîta, " au-delà des contraires ". En un sens, on peut dire qu'il ne voit plus l'ombre, non pas par inconscience, mais par compassion. C'était le cas de Mâ, c'était aussi le cas d'un maître zen dans l'anecdote suivante: " Un maître attirait des foules de disciples par son enseignement. Un jour, on surprend dans l'assemblée quelqu'un en train de voler. On demande au maître l'expulser, mais celui-ci ne veut pas. Le voleur reste donc à écouter les discours. Une seconde fois, on le prend la main dans le sac. Cette fois-ci, tout le monde signe une pétition écrite au maître pour demander d'expulser le malfaiteur. Le maître refuse à nouveau et s'explique ainsi: "Vous tous, vous savez distinguer clairement le bien du mal; il a donc plus besoin de mon temps et de mon attention que vous; il peut rester ici, et vous, vous pouvez vous en aller."

Un autre aspect du témoignage de Bhaiji qui peut mettre un lecteur occidental mal à l'aise, c'est sa facilité à interpréter tout ce qui lui arrive comme venant de Mâ. Pour clarifier, il est utile de distinguer deux interprétations: I'interprétation pathologique, comme celle du paranoïaque interprétant tout dans un sens négatif; I'interprétation mystique, au contraire, qui voit tout dans un sens positif, comme une grâce de Dieu, ou ici, du guru. Les chrétiens ne manquent pas d'insister sur la nécessité pour le mystique de voir l'action de la Providence dans les moindres détails de la vie quotidienne. C'est aussi ce que fait Bhaiji; de plus, il sait par de nombreuses expériences qu'il décrit dans son livre que Mâ possède la faculté de voir et d'agir à distance, ce qui renforce ses possibilités d'interprétation.

Mâ a eu le pouvoir d'éveiller l'amour divin en Bhaïji, comme en bien d'autres par la suite, ce qui explique l'émerveillement de celui-ci. Cette relation intense entre maître et disciple n'est guère développée dans le christianisme habituel; on peut sans doute rapprocher ce fait de la fréquence avec laquelle les auteurs spirituels chrétiens parlent de la sécheresse de l'âme, des souffrances sur la voie intérieure, de la traversée du désert, etc. Les rapports avec une communauté, même s'ils atténuent la solitude du moine, sont en fin de compte décevants car fondés sur la somme des egos de ses membres et leurs rapports personnels. On ne peut rencontrer la perfection dans un groupe, alors qu'on peut la rencontrer dans une personne, rarement certes. Dans une relation, il faut que l'un des deux participants soit solidement établi dans l'impersonnel pouvoir élever l'autre à ce niveau.

Pour bénéficier de cette qualité d'amour du maître spirituel, une certaine capacité au silence et à la méditation est importante. Par contre, trop de paroles est nuisible. Certains intellectuels occidentaux ont ainsi " manqué " leur relation avec Mâ. Ils auraient voulu remuer avec elle de grandes idées sur la psychanalyse, etc. ou pouvoir s'asseoir et lui parler indéfiniment de leurs problèmes psychologiques comme on le fait avec un thérapeute. Bien que Mâ se soit engagée de temps en temps, par compassion, dans de longues conversations, ce n'était pas la bonne manière d'être en relation avec elle à long terme. D'autres sages, comme Râmana Mahârshi étaient encore plus silencieux que Mâ.

L'aspect émotionnel de la bhakti n'est pas si étranger à l'Occident moderne qu'il y paraît: dans le domaine religieux, il y a un réveil de l'utilisation des émotions au sein des mouvements pentecôtiste et charismatique. Dans le champ de la psychologie, les thérapies émotionnelles ont eu un certain succès, bien que leur volonté de faire ressortir la souffrance et les aspects négatifs de l'être à tout prix soit a priori étrangère à la bhakti. En tous les cas, de nombreuses personnes en Occident ressentent le besoin d'un retour des valeurs féminines, de l'anima disent certains, et ce livre pourra contribuer en profondeur à cette évolution.

Bien que j'aie dit qu'il ne s'agissait pas de parler de psychologie avec Mâ, il n'est pas inutile, pour un public occidental, de mentionner rapidement en termes de psychologie moderne certains mécanismes psychiques qui contribuent à l'efficacité de la bhakti - sans pour autant tomber dans un quelconque réductionnisme. Le mécanisme de base est le transfert, cet amour pour celui qui aide, qui met en branle les couches profondes de l'être. Un autre mécanisme est la réparation de la carence affective primaire: celle-ci était évidente chez Bhaïji, il le reconnaît lui-même d'emblée. Dès la première page de son introduction, il dit qu'il a perdu sa mère dans sa petite enfance et que le simple fait d'entendre un autre enfant appeler " maman " lui remplissait les yeux de larmes. Mâ s'est appuyée sur ce besoin intense de mère qu'il avait pour stimuler en lui un désir ardent pour le Divin. Bhaiji n'a pas manqué d'être critiqué par toute sa famille, à commencer par son épouse, pour cet attachement extrême envers Mâ, une femme de quinze ans de moins que lui. Pourtant, il disait que ce lien, pour lui, représentait la libération. De plus, la projection maternelle massive qu'il faisait sur elle engendrait un interdit œdipien qui bloquait à la base une possible expression amoureuse de sa relation avec Mâ. Cet interdit œdipien est en fait bien connu de la tradition indienne, qui conseille, pour ceux qui veulent transmuter la force sexuelle en énergie spirituelle, de voir en chaque femme la Mère divine. On peut aussi critiquer l'attachement de Bhaiji envers Mâ en disant qu'il s'agissait d'une régression. Mais, à considérer sa vie, on constate qu'elle n'était pas spécialement " régressive ": il était assistant du Directeur de l'Agriculture à Dacca, un Anglais; cela signifie qu'il occupait sans doute un des plus hauts postes qu'ait pu briguer un Indien dans le système colonial. De plus, il avait une situation matérielle aisée, qu'il savait gérer; malgré son conflit avec son épouse à propos de Mâ, il a gardé avec elle des relations de respect mutuel et il a assuré ses responsabilités familiales jusqu'à l'âge de la retraite environ, après quoi il partit avec Pitâjî et Mâ pour les quelques années qui lui restaient à vivre. Il parle de cela en toute simplicité dans une post-face à l'édition hindie.

A la veille de terminer la traduction de cet ouvrage, je me suis aperçu que l'anniversaire de la mort de Bhaiji se trouvait être le lendemain. J'ai donc terminé mon travail de traduction à cette occasion. Pour donner une idée de l'évolution de Bhaiji après la rédaction de son livre, je vais citer Mâ elle-même qui raconte comment, quelques semaines avant sa mort, il a été saisi par l'esprit de renoncement en parvenant avec elle et Pitâjî sur les bords du lac Mansarovar, au pied du Mont Kailâsh, le lieu de pèlerinage le plus prestigieux aux yeux des hindous (Gurupnyâ Devi, Shri Shri Mâ Ânandamayî, édition anglaise, vol. V, p. 93)/

" Bhaiji avait jeté ses vêtements dans le lac Mansarovar au moment de prendre son bain. Pitâjî, qui était avec lui, avait dit de ne pas faire cela et de les reprendre immédiatement. Quand j'arrivai, il vint se prosterner et me dit: "Mâ, je souhaiterais passer les quelques jours qui me restent à vivre dans une grotte. S'il vous plaît, dites à Pitâjî que je vais partir tout de suite. Laissez-moi m'en aller maintenant, donnez-moi votre autorisation." J'observai que l'esprit de renoncement (avadhûta bhâva) s'était manifesté en lui. Je pus aussi voir que son état intérieur (bhâva) était très beau et très intense. En percevant cet état élevé, je lui dis: "Maintenant, viens avec moi." Il resta silencieux.

" Il marcha à mes côtés et dit ensuite: "J'ai une demande à vous formuler: si vous acceptez, je vais observer le silence à partir de maintenant." Je répondis: "Non, il ne serait pas bon d'observer le silence au beau milieu du voyage." Comme nous continuions à cheminer, je lui dis: "A partir d'aujourd'hui, tu as acquis cet esprit de renoncement et tu désires aussi observer le silence: ton nom sera Maunânanda Parvat "."(maun signifie silence)"

Ce corps se mit à aller et venir en se promenant de long en large et en regardant les bords du lac Mansarovar. Comme d'autres mantra peuvent sortir spontanément, ce corps se mit à réciter de lui-même le mantra du sannyâs (renoncement) tout en étant immergé dans un état de conscience (bhâva) différent. Pendant ce temps-là, je remarquai que Bhaiji me suivait de près. Il courut pour rejoindre ce corps, tomba à ses pieds et dit: "Mâ, c'est le mantra du sannyâs: je l'ai atteint !" et il resta à mes pieds dans un état d'exaltation. Il offrit la cordelette sacrée (le signe distictif des brahmanes), ses rosaires et tout le reste aux pieds de ce corps et commença à réciter le montra; il se rendit au bord du lac, accomplit des rituel et offrit sept ou huit fois de l'eau à ce corps dans le creux de ses mains. Depuis ce jour, il récita continuellement, en japa, le mantra du sannyâs, et resta dans cette disposition d'esprit (bhâva) tout au long de sa maladie'. "

Quelques semaines plus tard, le groupe de pèlerins du Kailâsh est de retour à Almora. Bhaiji est de plus en plus faible, et finalement son dernier jour arrive; là encore, je fais appel aux carnets de Gurupriyâ Devî qui raconte le déroulement des événements dans un style simple et touchant:

" Le médecin essaya, en désespoir de cause, des injections de soluté de sels minéraux et de nombreux autres remèdes. Il finit par abandonner la partie et dit: "Le pouls est tout aussi faible qu'avant. Maintenant, Mâ est le seul espoir !" Je pleurais et fis appel à Mâ, Hariram pleurait également et pria Mâ, mais celle-ci fit un signe (elle observait le silence) pour dire: "Rien ne vient". Elle s'assit près du patient et essuya la transpiration de son front. Quand nous comprîmes les pensées de Mâ, nous abandonnâmes aussi nos espérances. Bhaiji murmura"Hari bol, Hari bol" (dis:'Seigneur!') deux ou trois fois, puis il demanda: "Où est Mâ ?" comme s'il ne pouvait voir correctement. Lorsque nous lui avons indiqué où elle était, il la regarda et se mit à répéter continuellement: "Mâ, Mâ, Mâ". Ensuite, il chanta "Mâ, Ma, Ma" également, d'une voix à peu près juste. Ma était calmement assise et essuyait son front. Nous pleurions, et Ma me dit: "Récite le Nom". J'essuyai mes larmes et chantai le nom de Ma.

" Un peu plus tard, Bhaiji dit: "Comme c'est beau !" De nouveau, il s'exclama: "Khakuni (Gurupriya Devi) comme c'est beau !" Quelques instants après, il leva un doigt et dit: "Tous sont Un, il n'y a rien d'autre que l'Un." Hariram se remit à pleurer et s'écria: "Bhaiji !" Celui-ci répondit: "Un, tous sont Un. Médite là-dessus, frère. Un; tous sont un.'` Je dis: 'Bhaiji, repose en sécurité sur les genoux de Mâ.`'Il répliqua: Mâ et moi sommes un: Baba et moi sommes un; nous tous, sommes un. Il n'y a rien d'autre que l'Un". Il se mit alors à réciter le mantra du .sannyass très distinctement... Progressivement' il commença à perdre conscience. Il était sous la protection du regard et de la grâce de Mâ. Il quitta son corps à l'âge de cinquante-sept ans. C'était un grand être (mahâ-purusha) Quelques minutes avant qu'il ne quitte son corps, je l'avais déposé sur le sol (c'est ainsi que souhaitent mourir certains renonçants). Mâ touchait sa tête; elle était immobile, en samâdhi. Je dis à toute l'assistance de réciter le nom de Mâ. Pendant le chant, Bhaiji rendit son dernier souffle.

" C'est ainsi que, paisiblement, le grand être s'en est allé. Belle mort ! Quelques minutes auparavant, Mâ nous avait fait signe de tous quitter la pièce. Au bout d'une minute, elle nous avait rappelés à l'intérieur. Quand nous étions sortis dans la pièce, Bhaiji nous avait dit: 'Mâ m'a donné le signal pour m'endormir; je vais m'endormir."

Nous sommes à une période où il y a une floraison de mouvements et d'enseignants spirituels. Il est nécessaire que celui qui veut se développer dans ce domaine acquière une culture lui permettant de connaître les qualités qui font un maître spirituel, les devoirs qu'il a envers son disciple et que le disciple a envers lui. Ce discernement n'est guère enseigné, et c'est à chacun de l'acquérir par ses lectures. C'est dans ce but que j'ai rédigé mon premier livre, Le Maître et le thérapeute, qui donne un panorama de la relation de guru à disciple dans la tradition indienne. Ce livre de Bhaiji est un document de première main sur une relation authentique, et en ce sens il est précieux pour le public trançais d'aujourd'hui.

Je tiens à remercier Vijayânanda qui m'a suggéré de traduire ce livre. Il est disciple de Mâ Ânanda Moyî, vit depuis plus de quarante ans en Inde et il a passé neuf ans de retraite à Almora, tout près de la tombe (samâdhi) de Bhaiji. Il a vécu également sept ans à Dhaulchina, un ermitage dont le site, avec un panorama de quatre cents kilomètres de neiges éternelles, avait séduit Bhaiji lors du pèlerinage au Mont Kailâsh, et qui a été loué plus tard à long terme pour que des disciples de Mâ puissent y faire retraite.

Comme disait un disciple de Mâ après sa mort: " Mâ donnait à ceux qui venaient la voir un "cadeau d'amour". " Chez elle, l'amour est inséparable de la connaissance. Témoin, cette phrase qu'elle aimait dire et qu'on pourrait appeler, à la manière des Upanishads, une " grande parole " (mahâ-vâkya):

" Le Soi éternel, le pèlerin éternel, c'est Lui, Lui seul "

Table des matières

Glossaire

 

Chapitre I

LE DARSHAN DE MÂ

 

 Le but de cet ouvrage n'est pas d'écrire une biographie de Mâ ou d'attirer les gens en faisant connaître son pouvoir (Shakti): ce dernier ne peut être rendu par les mots. Il n'y a dans ce livre que la description de certains événements montrant comment Mâ a transmis une énergie vitale (prâna) à mon esprit déprimé. Cet écrit a été inspiré directement par ce que j'ai vu et expérimenté; si, à ce propos, le langage ou les descriptions de ce livre ont des défauts et manquent de clarté, j'en demande sincèrement pardon à Mâ.

J'ai perdu ma mère dans ma petite enfance. On m'a dit qu'à cet âge, par le simple fait d'entendre un autre enfant appeler " maman ", mes yeux se remplissaient de larmes et je m'allongeais à plat ventre sur le sol pour calmer mon chagrin. Feu mon père était un personnage digne des rishi de l'ancien temps. Grâce à sa solide piété, j'ai reçu dès l'enfance la bonne semence en mon cœur et j'ai pris l'habitude d'entretenir des émotions purifiées. En 1908, je reçus l'initiation de notre guru de famille; il me donna le montra de la Mère divine (Shakti). Je me mis donc à invoquer " Mâ, Mâ " et à expérimenter une certaine paix de l'esprit, mais je ne pouvais vivre cette vérité selon laquelle Mâ est tout pour chaque être vivant. J'étais constamment travaillé par le désir d'avoir le darshan d'une représentation vivante de la Mère et d'avoir ma peine soulagée par son regard profond

J'allai parler avec des sâdhu et des hommes de Dieu, j'allai même rencontrer des astrologues pour leur demander: " Aurai-je la chance de la rencontrer ? " Aucun d'entre eux ne m'a découragé dans ma quête Avec cet objectif présent à l'esprit, j'ai fait Ie tour de bien des centres de pèlerinage, j'ai eu l'occasion de rencontrer bien des personnalités religieuses mais aucune d'entre elles ne m'a attiré. En 1918 je vins en poste a Dacca. A la fin de 1925, j'entendis dire qu'une Mâtajî habitait pres de la ville dans le jardin de Shahbag. Depuis longtemps, elle était silencieuse mais cependant de temps à autre, assise en posture de yoga elle engageait la conversation après avoir récité certains mantras et tracé un cercle autour d'elle.

Un beau matin, j'allai à Shahbag; je priai non sans quelque anxiété en mon for intérieur et demandai à pouvoir la rencontrer. Je pus avoir son darshan grâce à l'amabilité de son époux, Baba Bholonath. Je fus rempli d'étonnement en voyant en elle une alliance harrnonieuse de paix yogique et de cette manière d'être qui sied à une jeune mariée. J'ai aussi réalisé que je me trouvais en face de celle que j'attendais depuis si longtemps, de celle que j'avais cherchée par monts et par vaux. La joie (ânanda) m'inonda Ie coeur et l'esprit (manas et prâna), je tressaillis et eus envie de tomber à ses pieds et de lui dire: " Mâ, pourquoi êtes-vous restée si loin aussi longtemps? "

Un peu plus tard je demandai à Mâ: " Y a-t-il pour moi un espoir de progrès vers l'Absolu ? " Mâ répondit: " Il n'y a pas encore de faim. " J'étais venu avec l'esprit rempli de questions et de désir de réponses, mais je restais silencieux par je ne sais quelle expérience de grâce extraordinaire; j'étais comme quelqu`un envoûté par un mantra. Je vis que Mâtâji était également silencieuse. Peu après, je fis pranâm avec une confiance qui montait du fond du coeur et je pris congé. Bien que j'aie ressenti l'envie de lui toucher les pieds, je ne pus le faire. Ce n'était pas une question de peur ou d'appréhension; j'étais simplement entraîné loin de Mâ par une vague d'émotions non manifestées. Je ne retournai plus à Shabhag. Je pensais ne pourvoir lui rouvrir mon coeur tant qu'elle n'aurait pas retiré son voile de devant le visage comme le font les mères. J'oscillais entre d'un côté cet orgueil et de l'autre, le désir intense d'avoir son darshan. Pendant cette période, j'allai à deux reprises sur le terrain de la communauté (akhara) sikh voisine de Shahbag afin d'avoir le darshan de Mâ, incognito, dissimulé par le mur mitoyen. En voyant mon esprit prendre une direction si extraordinaire, je me demandais ce qui allait se passer, mais je ne pouvais distinguer le bon du mauvais dans ce qui m'arrivait. Je continuais constamment à prendre des nouvelles de Mâ et à être informé indirectement des différentes anecdotes (lîlâ) qui la concernait. Sept mois s'écoulèrent ainsi au sein des soucis de la vie de tous les jours.

L'occasion arriva enfin de recevoir Mâ chez moi. C'était une grande joie (ânanda) de la revoir après si longtemps, mais cela ne pouvait pas durer: au moment du départ, je m'inclinai pour toucher ses pieds, mais elle les retira. J'en fus vivement peiné. Je tentai alors d'atteindre plus de stabilité mentale en me plongeant dans l'étude des Ecritures. J'eus soudain l'idée de rédiger et de publier un livre sur la religion et les pratiques spirituelles. Rapidement, un ouvrage intitulé Sâdhanâ fut prêt et j'en fis parvenir un exemplaire à Mâ par l'intermédiaire de Bhupendra Narayan Das Gupta. Mâ lui déclara: " Il faut dire à l'auteur du livre de venir ici. " Heureux d'avoir reçu un appel de Mâ, j'arrivai un matin à Shahbag pour apprendre que ses trois ans de silence étaient achevés. Mâ s'assit très près de moi. Après avoir écouté la lecture de mon livre de bout en bout, elle dit: " Bien qu'après ce silence il me soit difficile de parler, aujourd'hui les mots sortent d'eux-mêmes. Le livre est beau. Il faut faire un effort pour accroître la pureté des émotions. "

Ce jour-là, après avoir bénéficié de la pure présence de Mâ, 'ai découvert le monde tant extérieur qu'intérieur avec des yeux neufs. Baba Bholanâth était là aussi, et en face d'eux il me semblait être assis comme un enfant en face de ses parents. Débordant d'énergie et de bonheur (ânanda), je pris congé et retournai à la maison. A partir de ce moment-là, je me mis à aller souvent à Shabbag. Je dis un jour à mon épouse de m'accompagner pour le darshan en apportant quelque cadeau. A cette époque, Mâ portait un ornement sur le côté du nez. Peut-être une semaine plus tard, ma femme eut la bonne fortune de venir s' incliner aux pieds de Mâ en lui offrant un petit diamant pour orner le nez, un plat en argent, du lait fermenté (dahi), des fleurs, etc.

J'ai appris par la suite que Mâ, quelques mois auparavant, s'était mise à manger à même le sol. Dégoûté, Pitaji lui avait dit: 'Tu ne prends pas tes repas dans des plats en métal ordinaire, les prendras-tu dans des plats en argent? " Mâ se mit à rire et à rire encore: " Eh bien justement, dit-elle, je vais manger dans un plat d'argent; mais n'en dit rien à personne d'ici trois mois et ne cherche pas à te procurer un plat d'argent par toi-même. " Cela s'est réalisé: au bout de trois mois, il y avait un plat d'argent auprès de Mâ, comme à la cour d'une reine.

Un jour, Mâ me dit: " Garde toujours présent à l'esprit que tu es un réel brahmine et qu'il y a un lien entre ce corps et toi: il est comme le fil extrêmement subtil d'un sentiment divin. " A partir de ce moment-là, je me mis à faire tout mon possible pour avoir une vie pure.

J'ai entendu dire que nombre de gens avaient eu la chance d'avoir la vision de la forme éthérique de Mâ soit directement, soit en rêve. J'avais déjà expérimenté en moi grâce à sa forme ordinaire la croissance sans précédent d'une noble énergie et ne me souciais donc guère d'avoir des visions extraordinaires de Mâ. J'estimais que ce serait déjà beaucoup si je pouvais me conformer à l'idéal pratique de patience et de paix qu'elle représentait. Cependant, à cause de la force de l'inertie, je restais instable et continuais à me disperser.

Un jour que nous étions seuls ensemble j'eus la curiosité de lui demander:"Mâ, faites-moi savoir ce que vous êtes en réalité. " Mâ se mit à rire aux éclats: " Comment cette question puérile a pu se poser ? Les êtres vivants ont la vision ( darshan) de telle ou telle divinité selon leurs conditionnements passés (prârabdha karma) Ce que j'étais auparavant, je le suis aujourd'hui et je le serai par la suite. Je suis juste ce que vous dites et ce que vous pensez à cet instant. Il faut savoir, il est vrai, que ce corps n'est pas né pour consommer le karma d'une vie antérieure (prârabdha karma). Il vous suffit de comprendre que ce corps est l'incarnation de votre état de demande intérieure; vous l'avez désiré et appelé, c'est pourquoi vous l'avez obtenu. C'est le moment du jeu (lîlâ) avec cette forme; que gagneriez-vous à en savoir plus ? " Je lui dis: " Votre réponse ne me satisfait pas. " Elle répondit: " Que veux-tu connaître de plus ? Dis-le, dis-le ! " A son regard et à l'expression de son visage, il était clair qu'elle était alors identifiée à la déesse. Saisi de crainte et d'émerveillement tout à la fois, je gardai le silence.

Deux semaines plus tard, je vins de bon matin à Shahbag et, arrivé devant la porte de Mâ, je la trouvai close. Je m'étais à peine assis en face, à une dizaine de mètres de distance, que la porte s'ouvrit soudain. Je vis la forme d'une déesse qui illuminait la chambre; elle était brillante comme le soleil à l'aurore. En un clin d'oeil, Mâ fit rentrer son éclat divin dans son corps et reprit son aspect normal.

En une seconde s'effaça ce qui avait ressemblé à un effet de magie. J'avais l'impression d'avoir été au pays des merveilles. Je réalisai alors que Mâ, en guise de réponse à la question que j'avais posée auparavant, s'était révélée et me disait: " Regarde qui je suis ! " Je récitai une hymne et me mis à prier ainsi: " En cet instant de grâce, puissé-je être enrichi de la faveur et de la bénédiction de la Mère, comme un enfant. " Peu après, Mâ s'avança vers moi, prit dans la prairie une fleur et quelques brins d'herbe (durba; une herbe utilisée pour les rituels et pour fabriquer les petits tapis de méditation) et me les disposa sur la tête au moment de nous quitter. Je débordais de joie. Les jours qui passent jamais ne reviennent, et pourtant combien j'ai pu souhaiter retourner à cette expérience !

Depuis cette époque s'est concrétisée dans mon esprit l'idée selon laquelle Mâ n'est pas seulement ma mère, mais la Mère de l'univers. Je revins chez moi. Aussitôt après avoir atteint une concentration soutenue, je fus bouleversé de voir à nouveau cette même image lumineuse de Mâ. Depuis lors, un tel changement s'opéra en moi et d'une manière si naturelle que la forme humaine de Mâ s'installa en mon coeur sans effort; elle prit la place de la divinité d'élection que j'avais constamment vénérée depuis dix-huit ans Je me demandais parfois au momcnt de ma méditation quotidienne " Que fais-tu ? " Cela était dû à la force du conditionnemerit antérieur et à la soudaineté du changement; mais il a suffi de quelques jours pour que Mâ s'installe fermernent au centre de mes pensées comme la statue au centre du temple

Shrî Mâ Ananda Mâyî (son nom était à l`origne Nirmalâ Sundari Devi) est née dans le village de Khéora (district de Tripura, Bangladesh) le 30 avril 1896 dans les premières heures du vendredi, exactement une heure et douze minutes avant le lever du soleil. On a acquis récemment l'endroit où elle est née (quand elle a été à Khéora le 17 mai 1917, elle indiqua, à la demande pressante de ses fidèles, I'endroit exact où son corps avait touché la terre pour la première fois (Mâ se souvenait clairement des circonstances de sa naissance). Son père, Bipin Bihari Bhattâcharya, était de la famille bien connue des brahmanes Kashyapa du village de Vidyakut, dans le même district. Il avait passé son enfance chez son oncle maternel. Le père de Mâ ainsi que sa mère. Mokshada Sundari Devi avaient une nature douce et remplie d'amour. Leur dévotion à Dieu, leur simplicité et leur type de vie sociale était presque idéal. La famille maternelle de Mâ, à Sultanpur près de Tipperah, jouissait d'un statut social élevé depuis des générations Elle comptait nombre de pandits érudits et de personnes suivant la voie spirituelle. Une des ancêtres de Mâ avait une réputation de sainte d'un dévouement exemplaire. On maria Shrî Mâ dès l'âge de douze ans et dix mois (comme le voulait la coutume de l'époque) à Ramani Mohan Chakravarti, originaire du village d`Atpara près de Vikrampur. Il appartenait à une famille de notables du groupe des brahmines Bharadvaj; sa vie était consacrée au bien des autres. Par la suite, on I'appella Bholonâth, Rama Pagla ('Ram fou', avec une nuance de folie divine) ou Pitâjî.

La jeunesse de Mâ s'est déroulée, discrète, dans les villages de Khéora et de Sultanpur. Après son mariage, elle passa quelque temps à Sripur et Narandi, où travaillait le frère aîné de Bholanâth; elle vécut aussi quelques mois dans sa belle-famille, à Atpara. Avant de venir à Dacca, elle demeura environ trois ans à Vidyakut et à peu près six ans (1918-1924) à Bajitpur avec Bholanâth.

C'est à Astagram que se manifesta clairement pour la première fois le goût de Mâtâjî pour la musique religieuse. A Bajitpur, ce penchant apparaissait de temps à autre, mais la tonalité dominante de son esprit pendant cette période était l'expression spontanée de mantra et de pratiques yogiques. Quand elle vint à Dacca en 1924, cet état de quiétude et de silence se poursuivit. La caractéristique fondamentale de sa vie devint alors la tranquillité et une paix intense. On ne peut rendre par les mots la profondeur de cet état. A cette époque se sont manifestées tant et tant d'extases (divya bhâv) et de paroles spirituelles !

Les fidèles commencèrent à se presser autour d'elle. Beaucoup parmi eux participaient à des cultes, des chants dévotionnels (kîrtan) et des sacrifices au feu (yajna). On peut difficilement décrire la félicité tranquille dans laquelle ils étaient immergés en sa présence. Tout le monde l'appelait " la Mère du jardin de Shahbag " et ils exprimaient leur joie profonde en disant qu'ils n'avaient jamais auparavant reçu une telle abondance de grâce.

Quand elle était à Bajitpur, l'image du temple de Kâlî Siddhesvari apparut dans l'esprit de Mâ et quand elle arriva à Dacca, elle fit restaurer cet endroit. A cette époque, feu Pran Gopal Mukherji était directeur général des postes à Dacca. Avec Baul Chandra Basak, ils aidèrent Mâ à protéger le site du temple de Siddhesvari.

Quand je rencontrai Mâ pour la première fois, elle me fit une suggestion en disant: " Votre soif de spirituel n'est pas assez vive. " Mais pour quelqu'un qui était ballotté par la tourmente des désirs mondains, une telle aspiration à une vie supérieure n'était pas possible, à moins d'apprendre à diriger toutes les vagues sans contrôle des émotions et des impulsions vers les pieds de Shrî Mâ. Je priais constamment ainsi dans le secret de mon coeur: "O Mère, tu te manifestes sous forme de faim en chaque être; éveille en moi cette faim. " Je vais décrire brièvement ci-dessous comment Mâtâjî a transformé mon aspiration incertaine en un vif attrait pour son pouvoir immense, et ce par un jeu subtil et secret, et par une grâce que je ne méritais pas.

1. Une nuit, je prenais l'air sur le balcon: les objets autour de moi étaient baignés par le clair de lune. Je perçus un mouvement sur le côté et je me retournai. A ma grande stupéfaction, je vis une représentation vivante de Shrî Mâ qui se déplaçait avec moi. Elle portait une chemise rouge et un sârî bordé d'une série de fines lignes rouges. Pourtant, je me souvenais que lorsque j'avais quitté l'ashram seulement deux heures auparavant, elle portait une chemise blanche et un sârî bordé d'une seule large bande rouge. Ceci me fit douter de l'exactitude de la vision. Néanmoins, quand j'allai la voir le Iendemain matin, je la trouvai habillée exactement comme dans ma vision de la nuit. On me dit qu'un fidèle était venu à l'ashram juste après que j'en sois parti et lui avait demandé de porter ces vêtements. Quand on parla à Mâtâjî de ma vision, elle me dit de la façon la plus naturelle du monde: " Je suis venu voir ce que tu faisais. "

2. Un jour, Shrî Mâ était venue chez, moi, et nous avions une conversation au premier étage; juste à ce moment-là, une voiture arriva pour l'emmener ailleurs. Je ne savais pas que cela avait été prévu auparavant. Mâtâji se prépara à partir, mais je sentis très durement le fait de la voir s'en aller après si peu de temps. Rempli de chagrin, je descendis pour la raccompagner. Elle monta dans la voiture, mais celle-ci refusa de démarrer. Elle me regardait, le visage animé par un rire plein de douceur. Quand toutes les tentatives du chauffeur eurent échoué, on alla chercher un attelage. Il était dommage de voir que Shrî Mâ devait utiliser une carriole de location alors qu'une voiture était là pour elle. Juste à ce moment-là, I'auto se mit à marcher, à ma grande surprise ainsi qu'à ma grande joie, et Mâ s'en alla.

3. La pression des foules à Shahbag augmentait de jour en jour, à mesure que les gens entendaient parler de Mâtâjî. Une fois, je ne pus la rencontrer pendant quatre jours. Le matin du cinquième jour, j'avais décidé d'aller chez elle, mais je changeai d'avis. J'étais assis dans ma chambre, désespéré. J'eus la surprise de voir une image complète de Mâ apparaître sur le mur d'en face, comme une image de film. Elle paraissait bien triste. En me retournant, je m'aperçus que Amulyaratan Chowdhury était là. Il dit: " Mâtâjî a envoyé un attelage pour vous emmener chez elle. " Quand j'arrivai à Shahbag, Mâ me dit: " J'ai remarqué ton agitation intérieure depuis quelques jours. La paix et la tranquillité ne peuvent survenir s'il n'y a pas au début quelque agitation dans l'esprit. On doit allumer le feu par n'importe quel moyen, que ce soit avec du beurre clarifié (ghî), du bois de santal ou même de la paille. Une fois allumé, le feu continue à brûler; tous les soucis, toute l'humeur sombre disparaissent peu à peu. Le feu réduira en cendre tous les obstacles. Songe qu'une seule étincelle peut déclencher l'incendie qui réduira en cendre des maisons qu'on a construites avec tant d'efforts ! "

4. A midi, au bureau, ou à minuit, dans ma chambre, quand j'étais agité par un fort désir de voir Shrî Mâ, je constatais souvent qu'elle m'apparaissait et me disait immédiatement: " Tu m'as appelée et je suis venue. "

5. Un après-midi, en rentrant du bureau, on me dit qu'un inconnu avait laissé un grand poisson chez moi, disant qu'il reviendrait sous peu; mais personne ne se présenta. Le poisson était là, sur le sol. A la tombée du jour, on décida de le découper et de l'envoyer chez Mâ, à Shahbag. Le matin suivant, quand je me rendis là-bas, Pitâjî me dit: " Ta mère m'a dit hier soir: "Regarde donc, Jyotish est mon sauveur !" " On m'expliqua que le matin quelques personnes reçurent le prasâd de Mâ, mais que le soir, quand un grand nombre de gens vinrent au kîrtan ils réclamèrent tous du prâsad, il n'y avait plus rien d'avance. Juste au moment où Mâtâjî préparait les épices et les condiments pour cuire quelque chose, Khagen, mon serviteur, vint avec le poisson et ce qu'il fallait pour l'accommoder. D'où la réflexion de Mâ. Pitâjî ajouta: " J'étais stupéfait d`apprendre la manière dont un inconnu avait déposé ce poisson chez toi et comment aussi tu l'avais envoyé ici avec tout ce qui était nécessaire pour le préparer, afin de satisfaire la demande intense pour du prasâd de Mâ. "

De tels incidents étaient nombreux. Un jour, à Shabbag, quelqu'un demandait du prasâd à Mâ, mais elle n'avait rien à donner à ce moment-là. En même temps, je ressentis chez moi le désir d'envoyer quelques fruits ou friandises au lait. Quand mon serviteur arriva là-bas avec ce cadeau, Mâ semblait l'attendre.

6. Une nuit, à environ trois heures du matin, j'étais assis sur mon lit complètement réveillé. Il me passa rapidement par l`esprit le fait que Mâ dormait avec la tête dans une direction opposée à celle qui était la sienne d'habitude. Le matin, quand je vins la voir, je la trouvai dans cette position même. Quand je demandai, on m'expliqua que Mâ était sortie vers trois heures du matin, et qu'en revenant elle avait changé sa position de sommeil.

Il arrivait souvent que, de ma chambre ou de mon bureau de travail je puisse voir distinctement ce que Mâ était en train de faire chez elle. Cela se produisait sans aucun effort de ma part: de telles images me traversaient parfois l'esprit, et ce sans même que je le veuille. Bhupen allait à Shahbag tous Ies jours et par lui je pouvais vérifier l'exactitude de ce que je voyais. Il y avait pratiquemerit toujours concordance. Mâtâjî me disait souvent:"Ta véritable maison est ici; tu retournes chez toi juste pour faire une petite promenade."

7. Un jour que je travaillais au bureau, Bhupen vint et me dit: << Mâtâjî te demande à Shabhag. Je l'ai informée que le directeur de l`Agriculture reprenait ses fonctions aujourd`hui après un congé; mais Mâ a répondu: "Tu dois transmettre le message à Jyotish. Qu'il fasse ce qui lui semble juste." "

Sans un instant d'hésitation, je laissai tous mes papiers en désordre sur le bureau, et je me mis en route pour Shahbag sans informer personne. Quand j'arrivai là-bas, Shri Mâ dit: " Allons à l'âshram de Siddhesvari. " J'accompagnai Mâtâjî et Pitâjî. Il y avait une sorte d'excavation à l'endroit où se trouve actuellement un petit pilier et un Shiva-lingam. Mâ s'y assit. Un sourire illuminait son visage, qui semblait l'incarnation même de la joie (ânanda). Je m'exclamai, en m'adressant à Pitâjî: " A partir d'aujourd'hui, nous allons appeler Mâ du nom d'Ânandamoyî (constituée, pénétrée de joie) " Il acquiesça de suite. Elle me regarda longuement sans ajouter un mot.

Au moment de revenir, à cinq heures et demie, elle me demanda: " Tu étais si joyeux tout du long, comment se fait-il que maintenant tu sois si pâle ? " Je lui dis que la perspective de revenir à la maison m'avait fait aussi penser au travail que j'avais laissé en plan au bureau. Elle dit: " Ne te fais pas de soucis à ce sujet. " Le lendemain, quand je me rendis au bureau, le Directeur ne fit pas de remarque sur mon absence de la veille.

Je demandai à Mâtâjî pourquoi elle m'avait appelé de façon si inattendue, la veille. Elle me répondit: " Pour évaluer tes progrès pendant ces derniers mois. " Elle ajouta en riant et avec bonne humeur: " Si tu n'étais pas venu, qui d'autre aurait donné un nom à ce corps ? "

. Une autre fois, le gouverneur du Bengale vint à Dacca. Le Directeur me demanda d'être présent au bureau à neuf heures et demie, afin qu'il puisse rendre visite au gouverneur. Je lui promis que je viendrais. Le lendemain, j'étais en retard au retour de Shahbag et, quand j'arrivai au bureau à neuf heures cinquante, j'avais quelque appréhension à la perspective de ma rencontre avec mon patron. Pendant que je pensais à cela, il me téléphona de son bungalow pour me dire que sa voiture était en panne, qu'il était désolé de m'avoir ennuyé pour rien, et qu'il irait chez le gouverneur seulement à onze heures Quand Shrî Mâ entendit cette histoire, elle dit en riant: " Pour toi, il n'y a rien de vraiment nouveau ! La dernière fois, tu as tait tomber en panne l'auto avec laquelle je devais m'en aller !"

9. Un jour, Mâ vint chez nous. Je dis, en passant, durant notre conversation: " Mâ, il me semble que pour vous le chaud et le froid sont équivalents. Si un morceau de braise vous tombait sur le pied, ne ressentiriez-vous pas la souffrance? " Elle répliqua: " Tu n'as qu'à essayer. " Je n'insistai pas.

Quelques jours plus tard, Shrî Mâ reprit le fil de notre conversation et se mit un morceau de braise sur le pied, ce qui provoqua une brûlure profonde. Au bout d'un mois, il n'y avait toujours pas eu de cicatrisation. J'étais perturbé et honteux de lui avoir fait une suggestion aussi stupide. Un jour, je la trouvai assise dans la véranda, les jambes allongées. Il y avait du pus sur la plaie Je m'inclinai à ses pieds et léchai le pus. Dès le lendemain, la brulûre commença à cicatriser.

Je demandai à Mâtâjî ce qu'elle avait ressenti quand la braise lui brûlait le pied. Elle répondit: " Je n'étais consciente d'aucune douleur. Cela ne me semblait qu'une bonne plaisanterie; c'est avec une grande joie que j'ai observé ce que cette pauvre braise faisait sur mon pied; je remarquai que d'abord quelques poils et ensuite la peau commençaient à brûler. Cela s'est mis à sentir le brûlé et la braise s'est éteinte, une fois sa mission accomplie. Quand par la suite une plaie s'est formée, elle a suivi son cours naturel, mais aussitôt que s'éveilla en toi un fort désir que cette blessure guérisse, elle s'est mise à aller mieux. "

10. Nous étions fin décembre ou mi-janvier, au cours de l'hiver, et le froid était rigoureux. A l'aube, je marchais pieds nus, avec Shrî Mâ, sur les champs de Ramna couverts d'herbe trempée par la rosée. Je vis de loin un groupe de dames qui venaient vers nous. Je pensais qu'aussitôt arrivées' elles emmèneraient Mâ à l'ashram. Pendant que j'étais occupé par ce genre d'idée, un brouillard très épais recouvrit le champ entier et on ne pouvait plus voir les dames. Après environ trois heures, quand nous sommes revenus à l'âshram, nous avons appris que les dames avaient abandonné leur recherche et étaient reparties déçues. De fait, les champs étaient très grands. Quand Shrî Mâ apprit ce que j'avais pensé, elle dit: " Ton désir intense a été accompli. "

11. Un jour, Mâ avait eu un fort refroidissement; elle était secouée par la toux. La trouvant vraiment mal, je la priai, d'une voix tremblante d'émotion: " Mâ, puissiez-vous guérir au plus vite ! " Elle me regarda longuement et me dit en souriant: " A partir de demain, j'irai bien " Et il en fut ainsi.

12. Un matin, je trouvai Mâtâjî avec la fièvre. Je revins chez moi et, durant la nuit, je priai avec ferveur que sa fièvre puisse passer dans mon corps. Vers le matin, la fièvre monta, accompagnée de maux de tête. Quand j'allai, comme d'habitude le matin, chez Mâ, elle me dit immédiatement: " Je vais bien, mais tu as la fièvre. Retourne chez toi, prends un bain et mange normalement. " Ce que je fis; l'après-midi, j'étais rétabli. Shrî Mâ dit toujours: " Par la force d'une pensée pure et concentrée, tout est possible. "

13. J'eus entre les mains un livre du nom de Sâdhu Jîvani (La vie des moines errants). J'y avais lu cette phrase: " Un sâdhu conseillait à ses fidèles de toujours donner de la nourriture aux pauvres. " J'écrivis en note dans la marge: " Ne donner que de la nourriture ne satisfait pas l'âme humaine. " Ce livre se retrouva à Shahbag, et l'un des fidèles lut ma remarque à Mâ. Elle ne dit rien. Quelques jours plus tard, je revins à Shahbag très tôt le matin. Juste à ce moment-là, un homme arriva, comme pris d'un accès de folie; il dit: " Donnez-moi à manger, ou je meurs de faim. " Mâtâjî alla fouiller les réserves de la cuisine et lui donna ce qu'elle put trouver à ce moment-là. Il voulait aussi de l'eau à boire et Mâ me demanda de lui en apporter. J'appris alors que l'homme était un musulman, qu'il était à jeûn depuis trois jours et qu'il s'était introduit dans l'âshram en escaladant l'enceinte. Mâtâjî dit qu'il était venu là pour m'enseigner l`efficacité de donner le boire et le manger à celui qui en a besoin. Chaque chose à sa place et en son temps. Rien n'est perdu dans la divine économie du monde.

14. Un jour, je dis à Shrî Mâ: " Mâ, tous ces jours-ci, des sons de mantras me viennent en flots continus. Pendant la journée aussi bien qu'au cœur de la nuit, les sons jaillissent de mon cœur comme les jets d'une fontaine. " Quand je prononçai ces mots, j'avais une trace de satisfaction personnelle qui était perceptible au fond du coeur. Mâ me regarda silencieusement. Quand je revins à la maison, le son cessa et, malgré tous mes efforts je ne pouvais le faire revivre. La journée s'écoula, puis la nuit, mais je ne pouvais rétablir le courant joyeux de la mélodie des mantras. Le matin suivant, je demandai à Bhupen d'informer Mâ de mon triste état. Bhupen la rencontra en chemin alors qu'elle allait chez un de ses fidèles (bhakta) en voiture à cheval. Elle se mit à rire. Il était dix heures du matin. Juste à ce rrornent-là, je réalisai que le courant qui avait été stoppé se remettait à couler aussi facilement qu'avant. Bhupen m`indiqua par la suite à quelle heure il avait rencontré Shrî Mâ. A ce propos, elle faisait remarquer que même la moindre trace de sens du 'je' retarde le progrès spirituel.

15. Je donne ci-dessous un autre exemple de l`efficacité et de la rapidité avec laquelle la compassion de Shrî Mâ influe et aide notre vie intérieure. Il est dommage que nous ne réussissions pas à en reconnaître la valeur et que nous ne l'utilisions pas pour notre progrès spirituel. Après une première vague d'enthousiasme nous retombons dans notre état habituel. Un jour, Shrî Mâ dit en riant: " Quand vous chantez. les noms divins ou les mantra, votre esprit est progressivement purifié; I`amour et la vénération pour l'Etre suprême est éveillé et vos pensées deviennent pures et subtiles. Alors vous vous mettez à avoir des aperçus de plans supérieurs d'existence et à travailler pour votre progrès spirituel. "

Le jour où j'ai entendu ces mots, je me suis assis dans un coin de ma chambre pour les prières du soir et je fus surpris d'éprouver une joie nouvelle à la récitation des noms divins. Ils continuaient sans arrêt; le sommeil survint et, aussitôt que je me suis réveillé, de nouveau ces joyeuses vibrations firent tressaillir tout mon être. Le lendemain, le même épisode joyeux se poursuivit en toile de tond, malgré la pression du travail au bureau. Au crépuscule, quand je me préparai à prier, la félicité du soir précédent me remplit le cœur, si bien que je n'avais aucune envie de dormir; au milieu de la nuit, le flux était si intense que je me mis à penser que j'aurais quelque soulagement s'il pouvait s'arrêter pour un moment; mais il continua de lui-même, comme en suivant son élan propre.

Je n'ai jamais pratiqué la position assise de méditation qu'on appelle 'gomukhâsana'. Aux premières heures du jour, je me suis surpris dans cette posture. Mon esprit était alors immergé dans une mer de joie ineffable. Des flots de larmes coulaient de mes yeux sans s'arrêter. Pendant une séance de méditation, je passais tout le temps sans le moindre mouvement, et complètement absorbé.

16. Un certain matin, je commençais à m'abandonner véritablement au Suprême et j'étais assis en silence. Mon coeur était plein d'émotion profonde pour la grâce divine de Mâ. Un chant en bengali prit alors forme, dont la traduction est donnée ci-dessous:

 Que ton culte, que les pratiques qui mènent à Toi
soient mon point d'ancrage dans l'existence.

 

 Que Ta louange chantée en état d'extase
soit la lumière éclatante qui rayonne de mon coeur.

 

 A Ta recherche, je scruterai le ciel
avec des yeux qui ne cillent pas.

 

Je ne demanderai rien, je ne dirai rien;
je tomberai à tes pieds tout en larmes.

 

 J'irai, je viendrai dans Ton infinité;
Je chanterai seulement tes louanges.

 

 Dans Ton bonheur je demeurerai, à jamais heureux.
Ton nom que je récite est comme une vague.

 

 Tout mon travail dans le monde et sur la voie spirituelle
Ne sont que des façons de T'adorer.

 

 Oh Mère! Donne-moi la confiance, et une dévotion pure.
Je prends refuge humblement en Ta beauté.

 Je donnai à ce chant le nom de "Chant de l'intoxiqué" (Paglar gân) et j'en envoyai un exemplaire imprimé à Shrî Mâ. J'ai entendu dire par la suite que quand on le lui a donné elle était en train d'éplucher une dourge avec un couteau arrondi dans la cuisine. Pendant qu'on lui lisait le chant, la courge lui tomba des mains et elle resta quelques temps complètement immobile.

Ensuite, quand je la rencontrai, elle dit :"Le monde est l'incarnation du sentiment de l'amour divin (bhâva). Toute la création en est l'expression matérielle. Si, par ce type de sentiment, vous vous éveiilez et vous progressez, vous vous apercevrez que tout l'univers n'est que le jeu de l'Un. En l'absence de ce sentiment (bhav ké abhav mén), on ne peut connaître l'essence de la réalité."

Quelques jours plus tard, nous étions tous à l'ashram de Siddhesvari, quand Shrî Mâ dit :"Chante ce que tu as composé, le 'Chant de l'Intoxiqué'." J'avais abandonné depuis longtemps la pratique du chant; en plus, il y avait beaucoup de monde; et j'hésitai. Matâjî se mit à rire et dit :"L'intoxiqué semble ne l'être que dans le texte; tu l'es moins quand il s'agit d'être critiqué par les gens." Ces mots me pénétrèrent profondément; et avec une voix et un coeur tremblant je me mis à chanter.

J'ai composé de nombreux chants de ce genre que j'ai offerts respectueusement à Mâ. Elle exprimait une joie intense à l'écoute de certains, et elle approuvait les autres en silence. A de nombreuses reprises, lorsque Shrî Mâ était loin de Dacca, des chants me jaillissaient du coeur pendant mes prières du soir ou durant de longues méditations au milieu de la nuit. Je pensais voir la silhouette de Mâtâjî, debout devant moi, en train d'écouter, immobile, mon chant extatique. Quand elle revenait à Dacca après avoir visité différents endroits, elle me demandait de répéter certains chants que j'avais pu composer dans ma chambre. C'était réellement étrange qu'elle puisse donner même le titre de ces chants, qu'elle n'avait pas eu la possibilité de connaître auparavant.

Mon désir intense d'être auprès d'elle me transportait vers l'éternité. Les chants que j'ai composés pendant cette pèriode ont été publiés en un volume sous le titre de: A Tes pieds sacrés. En plus de ce livre, j'ai écrit d'innombrables chants, poèmes ou courts textes sur Shri Mâ, mais je les ai détruits plus tard. Quand elle apprit cela, elle me dit: " Non seulement durant cette vie, mais pendant de nombreuses vies précédentes, Dieu seul sait combien d'hymnes tu as ainsi composées puis détruites; mais tu peux être certain que, quel que soit le nombre de papiers que tu aies déchirés, c'est maintenant ta dernière existence ici-bas."

Inspiré par l'amour universel de Mâtâjî, une désir intense pour la vie divine était éveillé en moi; malgré cela, mes sens recherchaient des plaisirs primaires plutôt qu'une nourriture plus haute, plus raffinée et plus dynamisante. Dans certains traités vishnouites, on lit: " Celui qui court après les objets des sens pour satisfaire les plaisirs de la langue, du ventre et du sexe ne peut trouver Krishna." Tel était mon cas. La grâce et l'affection sans bornes de Mâ ne pouvaient me tenir attaché à elle à tous les instants de mon existence et dans toutes mes pensées. C'est, de fait, difficile pour quelqu'un de piégé dans les filets de l'ignorance (avidyâ) de trouver un refuge stable et paisible dans le Divin.

Un jour, je dis à Mâtâjî: " Par un contact aussi sacré que le vôtre, même une pierre aurait été changée en or, mais ma vie s'est avérée être un échec complet. " Elle répondit: " Ce qui prend un temps long à se développer manifeste une beauté durable une fois mûr. Pourquoi tant te soucier? Tiens bien la main qui te guide, sois comme un petit enfant. " J'écoutais avec un désir intense ces paroles profondes, mais ma soif n'était toujours pas étanchée. Je mentionne ci-dessous un exemple illustrant la manière dont Mâ me protégeait de son regard pendant la traversée de ces épreuves.

 Je m'étais mis à chercher la présence de Mâ chaque jour, poussé par une dévotion profonde. Cela ne manqua pas d'attirer les calomnies d'un grand nombre. Ebranlé par ces critiques, je me mis à penser que toujours courir chez Mâ n'était que le signe d'une faiblesse de caractère.

J'entamai la lecture du Yoga Vashishta (un texte médiéval d'inspiration non-dualiste), pensant progresser en suivant la voie de l'intellect. Je me consacrai à cela pendant une bonne semaine.

Un après-midi, alors que je me reposais chez moi, mon serviteur m'informa qu'un brahmane âgé souhaitait me voir seulement cinq minutes. Je le rencontrai. Il me dit qu'il avait été chez mon ami Niranjan Roy et chez le Dr Sasanka Mohan Mukherji (le père de Gurupriya Devi, "Didi" qui a été l'asistante de Ma pendant pratiquement toute sa vie). mais qu'il n'avait pas pu les rencontrer. C'est pour cela qu'il était venu me déranger. Il ajouta: " J'ai entendu dire que vous aviez une grande dévotion pour Shrî Mâ Ânanda Moyî. Pourriez-vous me dire quelque chose sur elle? Quelles sont ses qualités principales ? " En entendant cette question, je restai assis bouche bée; j'avais les yeux remplis de larmes. Il reprit la parole: " J'ai reçu une réponse à ma demande; mais auriez-vous la bonté de me préciser la cause de ces larmes? "

"Je me suis occupé l'esprit ces derniers jours avec d'autres sujets, ai-je répondu, et vous avez choisi de venir aujourd'hui me demander des renseignements sur Mâ. Je dois baisser la tête de honte. Comme les voies de Mâ sont merveilleuses! C'est son influence qui vous a conduit ici juste à temps pour me faire revenir à ma vraie nature. De ce fait, je vous dois une grande reconnaissance." Il me dit:"S'il vous plaît. accompagnez-moi chez Shrî Mâ." Après l'avoir rencontrée, il dit: " Moi aussi, j'ai perdu ma mère il y a bien longteinps, mais quand j'ai vu Mâtâjî, mon chagrin s'est totalement évanoui. "

Je racontai à Mâ tout ce qui m'avait traversé l'esprit, et je me mis à pleurer en sa présence. Elle rit et me dit: " De nos jours, si l'on n'est pas forcé d'aller suivant une voie donnée, on ne progresse pas. "

Table des matières

Glossaire

Chapitre II

LE POUVOIR DES MANTRA

 

 Mâ Ânanda Moyî n'a pas reçu à notre connaissance d'initiation d'un guru, et en cela elle n'a pas suivi la coutume habituelle. Sa connaissance élevée n'est pas non plus le produit de l'étude des Ecritures sacrées. Nombreux sont ceux qui considèrent qu'elle est une descente du Divin pour le bien des êtres de notre époque ( yuga).

Encore petite fille, elle manifesta en son corps une variété de phénomènes étranges, mais son entourage ne les remarqua guère. Déjà, dans les jeux de l'enfance, elle semblait si détachée et non concernée que beaucoup de gens se mirent à considérer qu'elle était atteinte de déficience mentale. Même ses parents avaient des doutes sur son avenir; il arrivait parfois qu'elle ne sache pas où elle se trouvait, ou qu'elle ne puisse pas se souvenir de ce qu'elle avait dit ou fait quelques minutes auparavant.

On raconte que, durant son enfance, en se promenant elle parlait aux arbres, aux plantes et aux êtres invisibles. Elle communiquait aussi avec eux par des gestes. Parfois, elle tombait dans un état d'absorption et elle se retirait de toute conversation.

Entre dix-sept et vingt-cinq ans, elle commença à manifester toutes sortes de phénomènes extraordinaires. A certains moments, elle devenait muette et immobile après le chant des noms divins. Pendant le kîrtan, son corps se raidissait et se figeait. Après avoir entendu un discours religieux ou visité un temple, son comportement ne semblait plus normal.

A l'âge de vingt-deux ans, elle alla avec Bholanâth à Bajitpur et y demeura pendant cinq ou six ans. A la fin de cette période, elle se mit a émettre spontanément des mantras. Ses membres se mettaient automatiquement dans des postures de yoga. Pendant que le Divin se manifestait dans son corps de cette façon à Bajitptur, elle cessa de parler pendant environ un an et trois mois. et quand elle vint à Dacca elle poursuivit son silence pendant un an et neuf mois, arrivant ainsi à un total de trois ans. A la fin de cette période. on pouvait percevoir en elle une paix immaculée (nirmala) et un sentiment d'immensité. Il était clair que les mouvements extérieurs comme intérieurs ne l'affectaient plus, et qu'elle était stable dans le Soi.

Pendant tous ces événements hors de l'ordinaire, Pitâjî exprimait souvent une grande anxiété quant à leur évolution. Pourtant, en dépit des critiques et des commentaires. il n`empêcha jamais Mâ de suivre son chemin. On recourut à l'aide de sâdhu et d'exorcistes , craignant qu'elle ne fût possédée par quelqu'esprit malfaisant. Cela ne servit à rien; qui plus est. quand ces personnes tentaient de la traiter, elles étaient obligées de battre en retraite, stupéfaites et apeurées. Ce n'est qu'en implorant sa miséricorde qu'elles pouvaient retrouver leur équilibre. Divers dieux et déesses se manifestèrent par l'intermédiare de son corps pendant cinq mois et demi. Elle les voyait en vision et leur rendait un culte, après quoi ils ou elles s`évanouissaient complètement. Quand elle avait fini le culte d`une des divinités une autre prenait la place. Pendant le rituel elle ressentait souvent qu'elle était à la fois l'adoratrice, l'adoré et l'acte d'adoration, qu'elle était également les mantra. les offrandes et chaque objet nécessaire au culte.

En fait, durant ces rituels, il n'y avait pas d'objets matériels en cause: il n'y avait pas non plus de désir de sa part d'accomplir une cérémonie. Dès qu'elle s'asseyait dans un endroit solitaire, toutes les activités physiques et mentales nécessaires au culte se manifestaient mystérieusement d'elles-mêmes. On eut plus tard, venant de la part de spécialistes des rituels et des Ecritures, Ia confirmation que sa manière d' accomplir les differents cultes des divinités était en accord avec les règles données dans Ies textes. Quant on lui demandait comment il lui était possible d'accomplir si parfaitement ces rituels, elle répondait: " Ne me demandez rien aujourd'hui, vous le saurez quand le moment sera venu".

Le 10 avril 1924, Mâ arriva à Dacca et. une semaine plus tard. elle s'installait à Shahbag. De nombreux fidèles commencèrent .à se rassembler pour pouvoir la voir. En 1925, certains d'entre eux lui demandèrent de célébrer Kâli Pûjâ, car ils avaient entendu dire qu'elle le faisait de manière merveilleuse. Elle leur répondit: " Je ne connais guère les rituels décrits dans Ies Shâstras: il serait préférable que vous fassiez intervenir un prêtre de métier. " Cependant. elle accepta par la suite de célébrer la Durgâ Pûjâ à la demande instante de Bholanâth.

C'était une grande joie pour les fidèles de Mâ de faire une pûjâ pour I'honorer: mais quand celle-ci, pour les enseigner, accomplissait elle-même les rites pour rendre un culte à la divinité, leur joie ne connaissait plus de limite.

On apporta une statue de Kâlî. Shrî Mâ s'assit sur le sol, en posture de méditation, absolument silencieuse. Ensuite, elle commença la Pûjâ comme si elle était submergée de dévotion; elle chantait des mantra et plaçait des fleurs sur sa propre tête au lieu de Ie faire sur celle de la statue. Tous ses gestes semblaient être ceux d'une poupée, comme si une main invisible l'utilisait à la façon d'un instrument docile pour pouvoir manifester Ie Divin. De temps à autre, quelques fleurs étaient jetées sur la statue de Kâlî. Ainsi se déroula la Pûjâ.

On allait sacrifier un bouc. On le baigna. Quand on l'apporta; Ma elle-même Ie prit sur ses genoux et tapota son corps doucement avec les mains. Ensuite, elle récita quelques mantra en touchant certaines parties du corps de l'animal et lui chuchota quelque chose à l'oreiIIe. Puis elle rendit un culte au grand couteau avec lequel on allait sacrifiér l'animal. Elle se prosterna sur le sol et plaça le couteau sur sa propre nuque: Trois sons, comme des bêlements, sortirent de ses lèvres: Ensuite, quand l'animal fut sacrifié, il ne bouga pas, resta silencieux et l'on ne trouva pas trace de sang sur la tête coupée ou du côté du corps. Ce n'est qu'avec grande difficulté qu'on réussit à en extraire une goutte du cadavre de l'animal. Pendant tout ce temps, une beauté intense et hors de l'ordinaire émanait du visage de Mâ, et durant la cérémonie tous les gens présents étaient profondément absorbés comme envoûtés par la grandeur sacrée du moment.

En 1926, les fidèles prièrent Mâ de célébrer à nouveau la Pûjâ. Elle ne dit rien. Plus tard, alors qu'on la menait chez un de ses fidèles, elle leva la main gauche. sourit et resta silencieuse. Quand Pitâjî lui demanda la signification de son geste, elle ne répondit pas. De nouveau, quand elle prit son repas dans cette maison. elle refit le même geste de la main gauche. Quelques jours plus tard. Mâ expliqua qu'en allant chez le fidèle elle avait vu la déesse Kâlî, tout à fait vivante à cent cinquante mètres de là; elle flottait à une dizaine de mètres au dessus du sol, tendant les bras vers Mâ comme si elle désirait s'asseoir sur ses genoux. En prenant Ic repas ce jour-là, la même représentation s'était retrouvée en face d'elle comme une petite fille. C'était pourquoi elle avait levé sa main gauche.

La veille de Kâlî-Pûjâ, quand les fidèles renouvelèrent leur prières à Mâ, elle demanda à Pitâjî: "Faites l'officiant vous-même, puisqu'ils ont tellement envie de célébrer la Pûjâ." Il leur dit: "Mâ me demande de célébrer la Pûjâ. Je le ferai donc. Pourriez-vous préparer tout ce qu'il faut `? " Ils demandèrent quelle devait être la taille de la statue, et Pitâjî suggéra qu'elle devait avoir la taille que Mâ avait indiquée en levant la main gauche à deux reprises.

A ce moment-là, Mâ était allongée sur le sol, sans mouvement, dans un état inerte. Il était onze heures du soir. On prit des mesures approximatives. Il y eut une grande discussion pour savoir comment il serait possible d'obtenir en si peu de temps une statue de la taille indiquée. Sans trop y croire Shrî Surendra Lal Banerjee alla de Shahbag en ville, et il trouva dans une boutitque en ville une statue aux bonnes dimensions. Il y avait douze statues en tout; onze avaient déjà été commandées par des clients; celle qui restait avait été faite par l'artiste de sa propre initiative.

On apporta la statue suffisamment à temps. Shrî Mâ s'assit pour accomplir la pûjâ.Il y avait une atmosphère divine autour d'elle Au bout de quelque temps, elle se leva soudain et dit à Pitajî " Je vais à ma place maintenant, continue la Pûjâ ". En disant cela elle alla à côté de la statue et s'assit sur le sol avec un rire étrange On ne peut décrire avec des mots à quel point la vibration du Divin était palpable dans la salle où se déroulait la Pûjâ. Mâ dit :" Fermez tous les yeux et récitez le nom de Dieu".

La salle était pleine à craquer; un homme qui était debout dehors jetai un coup d'oeil à l'intérieur sans se faire voir. Pourtant Shrî Mâ l'appela par son nom et lui ordonna de fermer les yeux. Personne ne savait à ce moment-là ce qui était arrivé, mais quand tout le monde ouvrit les yeux, on s'aperçut qu'un avocat, Brindaban Chandra Basak, gisait sur le sol, inconscient. Il déclara ensuite:"Quand je regardai à l'intérieur un bref instant, je vis une lumière éclatante émanant du visage de Mâ. C'était si puissant que j'ai perdu connaissance. Je ne sais ce qui est arrivé ensuite."

La pûjâ se termina à l'aube. Il n'était pas prévu de sacrifice. Quand vint le moment de la dernière offrande, Shrî Mâ dit:"Que rien ne soit offert et que le feu sacrificiel soit préservé." Ce feu continue de brûler jusqu'à ce jour (et brûle encore en 1998 dans les ashrams de Bénarès; Kankhal et Naimisharanya).

Le lendemain était le jour où la statue devait être plongée dans les eaux. La femme de Niranjan arriva avec tout ce qu'il fallait pour la cérémonie. Quand elle regarda la statue, elle dit à Mâ avec émotion:" Mâ. je ne peux me résoudre a mettre à l'eau cette statue". Mâtajî répondit " Ces mots qui sortant de tes lèvres indiquent probablement que la Déesse ne veut pas être immergée. Très bien, qu'on s'organise pour la conserver et lui rendre un culte".

Malgré tous les changements de circonstances, on a réussi à garder cette statue d'argile debout, dans la même position, depuis douze ans. A ce propos, on peut mentionner deux incidents. Le premier se déroula en septembre 1927. Mâtâjî partait de Chunar pour Jaipur. J'étais là-bas à ce moment-là. en convalescence, et j'allai à la gare lui dire au revoir. Shrî Mâ m'indiqua un certain endroit, près de la colline sur laquelle le fort était construit et me dit de m'y rendre sur le chemin du retour. J'y trouverais une guirlande de fleurs d'hibiscus que je devrais prendre et conserver précieusement. J'ai fait comme elle m'avait dit. Lorsqu'elle revint à Chunar, elle vit cette guirlande. Par la suite, lorsqu'elle retourna à Dacca, on s'aperçut que ce jour, exactement; où j'avais trouvé la guirlande à Chunar, on avait omis de disposer la guirlande autour du cou de la déesse Kâli à Ramna, bien que le prêtre eût l'habitude d'en offrir une.

Le second incident se passa lorsque Shrî Mâ était au bord de la mer à Cox's Bazar. Elle se promenait sur la plage, quand elle dit tout avec un sourire: " Regardez mon poignet, n'est-il n est pas cassé? Examinez-le de près, peut-être y a-t-il une fracture. " La nuit même, un voleur s'était introduit dans le temple de Kâli à Ramna, et avait dérobé ses ornements, en brisant aussi le poignet de la statue.

Une fois, pour la célébration de Vasanti-Pûjâ a l'ashram de Siddeshwari, Shri Mâ était présente lors du rituel où l'on donne vie à la statue. Pendant qu'elle la regardait, les yeux de celle-ci se mirent à briller comme ceux d'un être vivant. Shri Ma dit::"Les formes des dieux et des déesses sont aussi réelles que votre corps et le mien. On peut les percevoir en s'ouvrant à la vision intérieure par la pureté, Ia vénération et l'amour."

Table des matières

Glossaire

 

Chapitre III

LE POUVOIR DES ÉTATS EMOTIONNELS

 

 Chacun des états (bhâva) de Mâ est pénétré de joie (ânandamayi); c'est la joie qui est à leur origine, c'est la joie qui les fait durer. Il était naturel qu'elle joue le jeu du devenir pour le bien des êtres, elle qui a assumé l'incarnation de la joie même pour jouer dans le monde son jeu de joie. Mâ se manifeste de deux façons, extérieure et intérieure et ces deux aspects sont en harmonie constante : à l'intérieur, elle est en relation avec les forces et les pouvoirs du monde invisible qui aident ou gênent l`évolution humaine.

Pendant sa jeunesse, ainsi que durant son séjour à Dacca, Shrî Mâ passait beaucoup de temps allongée sur le sol complètement immobile. On nous a raconté qu'elle était dans un état d'absorption extatique (mahâbhâva) qu'on ne peut décrire par des mots. Elle passait parfois une journée complète dans cet état, et pendant le kîrtan son corps prenait différentes positions indiquant un état de joie suprême.

En janvier 1926, il y eut une séance de kîrtan dans les jardins Shahbag a l'occasion d'Uttarâyan Sankranti (c'est à dire l'entrée dans les six mois de janvier à juillet considérés comme favorables). C'était la première séance publique de kîrtan en présence de Mâ. C'est à cette époque que Shrî Shashibhushan Das Gupta vint de Chittagong. Dès qu'il vit Mâ, son coeur fut rempli d'une dévotion profonde.Il y avait foule à ce moment-là. Les larmes aux yeux, il regardait fixement le visage de Mâ. Il me dit: 'Je

vois devant moi ce que je n'ai jamais vu de ma vie entière: elle semble être l'incarnation de la Mère de l'univers "

Le kîrtan débuta à dix heures du soir. Shrî Mâ mit de la poudre rouge sur le front des dames. Soudain la boîte de poudre lui glissa des mains. Son corps s'effondra sur le sol et se mit à rouler sur lui même. Ensuite elle se redressa lentement et tint debout sur ses deux gros orteils; ses mains étaient tendues vers le ciel, sa tête légèrement inclinée de côté et en arrière; ses paupières ne clignaient pas et elles regardaient vers Ie ciel

Peu après, elle se mit à se déplacer dans cette posture. Son corps semblait rempli d'une divine présence. Elle ne faisait pas attention à ses vêtements qui étaient un peu défaits. Personne n'avait le pouvoir ou l' envie de l'arrêter Son corps dansait rythmiquement avec une grande délicatesse; il atteignit l'endroit du kîrtan, et là pour ainsi dire se fondit sur le sol. Poussé par quelque pouvoir mystérieux il se mit à rouler comme Ies feuillles mortes sous l'effet d une brise légère.

Un peu plus tard, pendant qu'elle était toujours allongée sur Ie sol, des sons doux et mélodieux s'échappèrent de ses lèvres: Hare murare madhukeitabare (murare le joueur de flûte, un des noms de Krishna). Les larmes lui inondaient Ie visage. Ce n'est qu'au au bout de quelques heures qu'elle recouvrit un état normal.

Après avoir vu son visage merveilleux et son état comme intoxiqué de joie tous les assistants se mirent à dire: " Ce que nous avions lu dans les livres à propos des extases de Chaitanya Mahâprabhu nous l'avons vu directement chez Mâ aujourd'hui."

Au crépuscule. quand Mâ revint dans la salle du kîrtan tous les symptômes de la matinée réapparurent. Après quelques temps elle prononça certaines paroles d'une voix si claire et si pleine d`émotion spirituelle que toute l'assistance fut plongée dans un état de félicité.

Après la fin de la cérémonie Mâ elle-même fit la distribution du prasâd de kicheri (un mélange de riz et de lentilles)avec une telle grâce, une telle vivacilé el tant d'amour maternel qu'on aurait dit la déesse Mâ Lakhmî elle-même descendue sur notre terre. Plusieurs assistants eurent une expérience spirituelle profonde en voyant ce jour-Ià dans le jeu de Mâ une concrétisation d'une divinité difficile à percevoir par ailleurs dans notre monde.

A cette époque, Niranjan vint à Dacca comme sous-directeur des impôts. Un soir j'allai avec lui à Shahbag où l'on chantait des kîrtans à l'occasion de la nouvelle lune.Tandis le kîrtan progressait, de nombreuses modifications se produisirent chez Mâ. Elle se redressa complètement tout en restant assise, puis sa tête fléchit progressivement vers l'arrière au point d'aller toucher le dos; les mains et les pieds se tournèrent et le corps tomba doucement sur le sol. il était animé de mouvements rythmiques en vagues, liés à la respiration; les membres étirés, elle se roulait sur le sol en suivant la musique. Ses mouvements étaient aussi légers et délicats que ceux des feuilles que le vent emporte. Aucun être humain, malgré tout ses efforts, n'aurait pu Ies imiter. Tous les assistants sentaient que Shrî Mâ dansait sous l'impact des forces d'en-haut. Beaucoup essayèrent de l'arrêter; mais sans succès. Enfin, ses mouvements cessèrent et elle resta immobile comme une motte de terre. Elle semblait établie dans l`expérience d'un bonheur ininterrompu. De son visage émanait une lumière divine, et son corps débordait d'une joie totale (pûrnânanda). Niranjan était là, debout: il voyait un tel état pour la première fois de sa vie. Il se mit il réciter une hymne à la déesse et me dit: " Aujourd'hui, j'ai vu une véritable déesse!"

Une autre fois il y avait une grande foule à Shahbag. Shrî Mâ rentra dans un état similaire à celui que je viens de décrire; mais cette fois-ci, elle s`inclina sur le sol à partir de la position assise. Sa respiration était pratiquement suspendue. Elle étira les bras et les jambes et s`allongea à plat ventre sur le sol, puis se roula avec légèreté en faisant un mouvemant de vague. Au bout de quelques temps comme quelqu'un de littéralement aspiré vers le haut elle se releva lentement sans aucun soutien et se tint sur les deux gros orteils: elle touchait à peine le sol. Sa respiration semblait s'être arrêtée complètement, ses mains étaient levées vers le ciel. Son corps n'avait qu'un contact très léger avec le sol, sa tête était fléchie en arrière au point de toucher le dos, ses yeux étaient dirigés vers le ciel avec un regard lumineux. Elle marchait pas à pas comme une marrionnette de bois mûs par l'effet des fils que tient celui qui est derrière Ie rideau. Ses yeux avaient un rayonnement divin, son visage un sourire d'une douceur qui n'est pas de ce monde et ses lèvres expimaient le rire et la joie. Après quelque temps, se tenant toujours sur ses gros orteils et en suivant le rythme du kîrtan elle avait les yeux fixés vers le haut comme si tout le poids de son corps était tiré par une force venant d'en haut. Elle resta dans cette posture longtemps, puis ses yeux se fermèrent et elle s'allongea sur te sol comme une masse la tête fléchie vers l'arrière. Le lendemain matin vers dix heures elle revint à son état normal.

Un jour il y avait un kîrtan chez Niranjan. Toute la famille et en particulier sa vieille mère, avaient le vif désir de voir Shrî Mâ dans un état d'extase (bhâvâvesh) La vieille dame pria dans Ie secret de son coeur pour recevoir cette grâce. Shri Mâ était allongée sur le sol dans la pièce d'à côté. Soudain, elle se précipita dans la salle du kîrtan et commença à danser avec le groupe, tout en chantant dans un autre état de conscience. Après quelque temps elle tomba au sol de nouveau; cette fois, elle retourna plus rapidement à un état normal mais elle demeura en silence.

En plus des signes mentionnés ci-dessus son corps était saisi d'une telle variété d'états (bhâva) qu'on ne peut les décrire. Quand il tombait sur le sol, il s'étirait parfois de façon inhabituelle, parfois devenait petit ou rond comme une boule. D'autres fois, il semblait qu'il était dépourvu d'os, et il rebondissait par terre pendant la danse comme une balle de cahoutchouc. Ses mouvements étaient vifs comme l'éclair, on ne pouvait guère les suivre du regard en détail même avec une grande attention.

Dans ces moments-là, il semblait qu'il ne s'agissait pas de Shrî Mâ. mais que son état extatique venait d'en haut et habitait son corps. Elle se mettait à tressaillir au point d'en avoir la chair de poule, elle rougissait et son visage était rempli de lumière. Ces signes spontanés de manifestation d'un état d'être divin permettaient de voir en un corps limité la douceur merveilleuse de l'illimité.

Quand on l'observait pendant ces moments-là, on pouvait sentir qu'elle était bien au-dessus de toutes ces manifestalions et que ces états (bhâva) naissaient spontanément à l'intérieur d'elle-même en lien avec quelque impulsion invisible.

Un jour je demandai à Mâtâjî: " Quand votre corps est saisi par un état d'extase (bhâvâvesh) voyez-vous apparaître devant vous des dieux ou des déesses '? " Mâ répondit: " Ici, il n'y pas de notion de résultat pour moi. Je n'ai pas besoin de ces visions. Vous voulez voir les signes de l'extase, c'est pour cela qu'ils se manifestent de temps en temps dans ce corps. Quand on souhaite quelque chose avec une pleine intensité, sa réalisation ne manqe pas de s'ensuivre. Ce n'est qu'en s'immergeant dans le nom divin qu'on peut se mettre à plonger dans l'océan des formes. Quand on ne sépare plus le Nom et Celui qui est nommé, le sentiment du monde extérieur disparaît et l'énergie lumineuse propre au Nom s'épanouit d'elle-même."

Pendant les kîrtan un état qui n'est pas de ce monde venait dans le corps de Mâ. Elle nous dit elle-même qu'il y avait une période où lorsqu'elle voyait le feu, I`eau. le ciel ou quelque scène particulière, elle devenait celte forme ou cet cet élément. Lorsque par exemple arrivait une bourrasque, elle sentait le désir de se laisser aller comme un vêtement agité par le vent. Ou encore, quand elle entendait un son grave comme celui d'une pierre, son corps devenait aussi immobile qu'une pierre.

Quand un état d'être passait dans l'esprit de Mâ, son corps suivait et l`exprimait sous une forme visible.

Un jour, elle se mit à rire en jouant avec des enfant, tant et si bien qu'o ne put l'arrêter, même après une heure d'efforts. Elle ne cessait de rire une ou deux minutes que pour recommencer de plus belle. Elle était dans la même posture. rnais on pouvait voir à son regard et à son visage qu'elle n'était pas dans un état ordinaire. Beaucoup de ceux qui étaient présents furent fortement impressionés. Ce n'est qu'au bout de quelque temps qu' elle recouvra progressivemerlt son état normal.

Une fois qu`elle partait de Calcutta pour Dacca, de nombreux fidèles, des adultes comme des enfants vinrent l'accompagner à la gare. Ils pleuraient tous à la perspective de la séparation. Shrî Mâ également se joignit à eux et se mit à pleurer si fort qu'on ne pouvait plus l'arrêter. Un attroupement se forma; les gens disaient: "Ce doit être une jeune fille à marier qu'on emmène de sa famille pour aller vivre dans sa belle-famille." Cette impulsion à pleurer dura de midi jusqu'au soir.

Un jour Mâ me demanda:"Où est le centre du rire et des larmes?" Je répondis."Bien que toutes les stimulations viennent du cerveau, le centre réel est le coeur." Shrî Mâ dit::"Quand il y a un sentiment réel derrière ton rire et tes larmes, il cherche à s'exprimer par tous les pores de la peau." Je ne pouvais percevoir le sens de ces paroles et je restai silencieux. Quelques jours plus tard, j'allai à l'ashram tôt le matin. Je rencontrai Shrî Mâ et allai me promener avec elle. Je lui demandai:"Mâ, comment allez-vous aujourd'hui?" Elle répondit avec une grande conviction:"Vraiment très bien!" Cette simple répoonse fit battre mon coeur si fort que je fus obligé de m'arrêter. J'étais saisi par un état extraordinaire que je ressentais de la tête aux pieds. Mâ remarqua ce qui se passait et me dit:"Réalises-tu maintenant où se trouve le centre du rire et des larmes? Quand un sentiment n'est exprimé que par une partie du corps, il n'a pas toute sa force."

J'ai entendu dire par Shri Mâ que quand un aspirant (sâdhaka) médite avec une conscience bien centrée sur le divin, il ressent douloureusement les vibrations du monde extérieur avec lequel il est en contradiction. Lorsqu'à ce moment-là, quelqu'un fait du mal à un animal, ou même à une plante et que l'aspirant le perçoit, il en ressent une vive douleur à l'intérieur.. Les vibrations de colère et de sensualité vont à l'encontre de son absorption dans le yoga et dans le Divin. Aussi longtemps qu'un sâdhaka est relié au monde extérieur, ce qu'il perçoit l'est à travers le filtre de son égo. C'est pour cela que la chute d'une simple feuille d'arbre se ressent sous forme d'un léger ébranlement dans la conscience. Pendant la première partie de la vie de Mâ, tout ce qui arrivait à l'extérieur trouvait une réponse en elle.

Après une extase profonde, (maha-bhava), aussitot que Shrî Mâ revenait à un état plus normal, de nombreux processus yogiques se manifestaient automatiquement. A ce moment-là, on pouvait entendre qu'elle émettait une sorte de bourdonnement indistinct, puis des grondements qui rappelaient le son des vagues dans la tempête, ensuite ce pouvait être un flux extrêmement mélodieux de vérités divines sous la forme de nombreuses hymnes sanskrites. Il semblait que les vérités d'En-haut prenaient directement forme dans ce que Shrî Mâ disait. Une prononciation si parfaite, une mélodie si libre et si profondément touchante avait sur l'auditoire un effet quasi-magique, d'autant plus qu'elle était accompagnée par la lumière du visage de Mâ. Même les pandit spécialiste des Védas auraient eu du mal à acquérir une élocution aussi claire et facile en dépit de leur apprentissage et de leur pratique. La richesse en signification de ces dits spontanés de Mâ est une surprise pour les savants. On n'a pas pu comprendre facilement la langue dans laquelle ces versets étaient énoncés, et on n'a donc pas pu les noter avec une exactitude complète. Nous donnons ci-dessous néanmoins la traduction de certaines hymnes qu'on a pu quand même transcrire en partie. Nous avons essayé de les faire vérifier et corriger par Shrî Mâ. Elle répondit:'Si cela doit se faire, ce sera spontanément. En ce moment, je n'en ai pas l'impulsion intérieure (khyal)." La traduction de ces hymnes est donnée ci-dessous:

" Tu es la lumière de l'Univers, l'Esprit qui le dirige et le guide. Viens parmi nous! Les mondes sont issus de Toi à chaque instant comme le fil de la toile sort de l'araignée. Tu dissipes toutes les peurs. Viens, que nous puissions Te voir! Tu es la semence de l'Univers, Tu es l'Ere dans lequel je réside. Tu es présent dans le coeur de tous ces fidèles. O Toi (Shiva) dont je perçois la présence devant Moi (Shakti), bannis les peurs de tous les êtres crées. Tu es l'incarnation de tous les dieux et beaucoup plus encore. Tu es venu de Moi et je suis le résumé de tout le monde créé. Contemplons le fondement même de l'univers, fondement par lequel le monde cherche sa libération. Tu te tiens sur Ta nature essentielle, éternelle. Tu es issu du Pranava (le son Om à l'origine du monde), la parole-germe, la base et la vérité de toute existence. Les Védas ne sont que l'étincelle de ta lumière éternelle. Tu symbolises le couple divin Kâma et Kâmeshvari (le dieu et la déesse du désir) qui ensemble se sont dissous dans la joie omniprésente. Tu les sépares de nouveau sous forme de nâda (son intérieur) et bindu (point de concentration) pour pouvoir continuer ton jeu (lîlâ). Dissipe les peurs du monde!"

" Je prends refuge en Toi. Tu es mon abri, le lieu de mon repos. Attire mon être entier en Toi. En tant que Libérateur, Tu as en fait deux formes: celui qui libère et celui qui cherche la libération. C'est par Moi seulement que tous sont créés à ma propre image. C'est par Moi que tous sont envoyés dans le monde et c'est en Moi que tous trouvent leur refuge final. Je suis la cause première indiquée dans les Védas par le Pranava, je suis tout à la fois l'ignorance fondamentale (mahamâyâ, qui est en fait un nom de la déesse) et l'état suprême (maha-bhâva). La dévotion qu'on a envers moi est la cause de la Libération. Tous sont en Moi. C'est à Moi que Rudra doit son pouvoir. Je chante la gloire de Rudra qui se manifeste dans toutes les actions et se trouve également à leur origine. (l'hymne de ce dernier paragraphe représente ce qu'on a pu noter des paroles spontanées de Mâ quand elle quitta Shahbag impromptu en 1929 le lendemain de la fondation de son premier ashram).

D'après le sens de ces hymnes, il semble que Shrî Mâ s'est incarnée dans un corps, a eu ses états intérieurs et les as exprimés verbalement pour la paix, le bien et le progrès du monde. Son amour et sa compassion sans limite se répandent sur tous les êtres et elle prend pour eux la forme de la Mère de l'univers.

Shrî Mâ dit un jour à propos de ces hymnes:' La Parole est à l'origine du monde; la création se développe progressivement et se transforme grâce au développement et à la transformation de cette Parole à la fois initiale et éternelle."

Pendant cette pèriode de la vie de Mataji, lorsque de nombreuses hymnes se révélaient, sa voix devenait parfois aussi pointue qu'une épée, à d'autres moments, elle était aussi apaisante que le zéphyr du soir, d'autre fois encore, elle respirait une puissance paisible, profondément heureuse et mettait dans un état analogue à celui induit par une nuit de pleine lune. Les expressions de son visage suivaient les variations de la mélodie.

Parfois, les hymnes sortaient de sa bouche accompagnées par un flot de larmes; un sourire lumineux, merveilleusement apaisant, l'alternance de rires et de larmes, évoquant celle du soleil et de la pluie, conféraient à son visage plein de joie une sérénité et un charme qui n'étaient pas de ce monde. Quand elle avait fini de chanter ces hymnes, soit elle restait silencieuse, soit elle s'allongeait sur le sol dans une posture évoquant une absorption au plus profond d'elle-même.

Les hymnes qui sont sortis spontanément de la bouche de Shrî Mâ ne sont ni en sanskrit ni en aucune langue qui nous soit connue. Elles contiennent certaines paroles ou expressions qui sont néanmoins en sanskrit et, dans l'ensemble, elles paraissent être des prières. On doit les considérer comme des mantra où chaque syllabe a sa signification et ne peut ëtre remplacé par des synonymes. La traduction donnée ci-dessus ne doit donc pas être considére comme littérale. De plus, la transcription des paroles de Shrî Ma n'a sans doute pas toujours été exacte.

Table des matières

Glossaire

 

Chapitre IV

LE POUVOIR DU YOGA

 

 Shrî Mâ a dit que pendant quelque temps, son corps traversa une phase où les diverses posture yogiques se manifestèrent naturellement. Elles apparurent aussi souvent quand elle était en solitude, loin du regard des autres. A ce propos Mâ a dit un jour:"De même qu'une graine a besoin de l'obscurité dans le sol pour pouvoir germer et donner une plante, de même, dans le cours de la sâdhana, les pratiques effectuées entraînent des transformations d'une façon indirecte." Parfois ses mains, ses pieds, sa nuque étaient tellement pliées qu'on ne voyait pas comment ils pourraient revenir à la normale.

Un jour, Shrî Mâ déclara:"Il y avait une lumière si brillante qui sortait de ce corps que tout l'espace environnant en était illuminé. Cette lumière semblait se répandre progressivement et envahir tout l'univers. Dans cet état, elle se couvrait d'un voile supplémentaire et se retirait longtemps dans un coin isolé de la maison.

Pendant cette pèriode, son corps rayonnait d'un pouvoir divin tellement intense qu'elle pouvait d'un regard plonger les gens dans un état d'oubli d'eux-mêmes. Certains, en lui touchant le pied, tombaient inconscients. Les endroits sur lesquels elle s'allongeait ou s'asseyait devenaient presque brûlants.

A Dacca, j`ai moi-même été témoin de divers processus yogiques qui se déroulaient chez Mâ. Parfois, son souffle était soit complètement arrêté pendant une longue durée, soit si fluctuant qu'on craignait qu'elle ne meure d'asphyxie.

Un jour, quand je lui montrai un livre décrivant certaines postures de yoga, elle en indiqua les défauts quant à la position de la tête, des pieds, des cuisses ou d'autres parties du corps. Ceux qui ont eu la chance de passer quelques temps auprès d'elle ont dû remarquer qu'elle restait dans une posture donnée plusieurs heures d'affilée, sans le moindre mouvement, ou qu'elle redevenait complètement silencieuse au beau milieu d'une conversation. Dans cette état, son corps était inerte comme une statue, ses yeux ne cillaient pas, son regard était paisible, stable et plein de charme. Durant ces états (avasthâ), il était évident qu'elle était remplie à l'intérieur d'une immense félicité. Elle accomplissait les gestes quotidiens d'une façon mécanique. Dans ces pèriodes, elle ne ressentait ni le chaud ni le froid, ni l'envie de manger ou de boire, à moins qu'on ne lui rappelle. Même quand elle revenait à la conscience du corps, il lui fallait beaucoup de temps pour retrouver son état normal.

Nous avons aussi remarqué à plusieurs reprises que si on la laissait à elle-même pendant quelques jours d'affilée dans ces états d'auto-absorption, elle semblait avoir oublié comment parler ou rire, et même comment distinguer entre différents aliments ou boissons.

Bien des gens souhaiteraient être témoin d'une manifestation de ses pouvoirs surnaturels. Je leur suggère de venir passer quelques temps auprès de Mâ et d'expérimenter la merveilleuse influence qui émane d'elle à chaque instant et par laquelle même les coeurs desséchés retrouveront une vie épanouie. Sa compassion gratuite les amènera à s'engager sur la voie de la recherche intérieure.

Un après-midi, j'allai à Shabag avec Niranjan. Shrî Mâ et Bholanâth étaient assis là. Il y avait des dessins sur le sol. Bholanâth dit:"Ta Mère a dessiné les chakras" En entendant cela, elle dit:"En me promenant à l'heure de midi, je me suis assise en posture de yoga et j'ai vu des chakras en forme de lotus, du centre supérieur de la tête jusqu'en bas de la colonne vertébrale, à quelques centimètres les uns des autres. J'ai pu observer qu'il y a une succession de centres ascendants de plus en plus subtils (sûkshma), dont je n'ai dessiné ici que les six principaux. Je ne les ai pas représentés de mon propre chef, c'est la main qui s'est mise à se déplacer sur le sol. Voilà comment ces dessins ont vu le jour.

A travers ces centres se manifestent les différents types de fonctions sensorielles; les conditionnement s de cette vie et des vies antérieures (samskaras) les différentes émotions et les besoins. Les actions ou les états émotionnels des gens sont basés sur les mouvements rapides ou lent d'e l'énergie (prâna ou vayu) dans les canaux. Ces centres, bien qu'étant séparés, agissent de concert et sont interpénétrés à la manière des cinq éléments de la nature. Avec un peu de réflexion, vous comprendrez que lorsqu' état d'esprit de quelqu'un est pur et rempli de joie, l'énergie est dirigée vers le haut. De même que c'est par le fond du puits que l'eau y pénètre, que c'est par les racines de l'arbre que la sève se constirue, de même il y a à la partie inférieure de la colonne vertébrale la grande énergie (mahâ-Shakti), forme primordiale de l'énergie vitale (jîvan-Shakti) Quand vous purifiez patiemment la vibration qui en résulte frappe des centres de plus en plus élevés. Les forces piégées au niveaux inférieurs cherchent leur voie vers le haut. Toute la léthargie due aux instincts et aux conditionnements passés (samskâra) se dissipe comme brume au soleil. Par la percée (bheda) dans ces centres, l'habitude de l'attachement aux objets des sens s'atténue.

"Quand l'énergier (Shakti) qui se dirige vers le haut atteint le centre qui se trouve entre les deux yeux, le passage du 'vent' (vayu, une des formes de l'énergie) se libère et devient facile dans tout le corps. Le pratiquant se met alors à avoir une certaine expérience de l'essence des choses et à pénétrer la signification des questions "qui suis-je?" "qu'est-ce que le monde?" "qu'est-ce que lq création?" En continuant dans ce sens, les conditionnements passés sont déracinés et la méditation atteint des niveaux de plus en plus élevés; le pratiquant se dissout dans 'la grande expérience (maha-bhâva), c'est à dire qu'il atteint le samâdhi, l'état de félicité éternelle. Quand les différents centres (granthi lit.'les noeuds') commencent à s'ouvrir, le pratiquant commence à entendre différents sons, comme celui des cloches, des conques, des flûtes, etc. Ceux-ci par la suite se dissoudront dans la 'mer du grand son' (maha-dhvani) qui s'étend jusqu'aux confins de l'univers. A ce stade, aucun objet ou émotion venant de l'extérieur ne peut distraire l'attention du pratiquant. Plus ce dernier progresse, plus il pénètre le courant d'immortalité lié au 'grand son'; enfin, la conscience atteint l'état de non-séparation dans la profondeur insondable de ce 'grand son'".

Deux ou trois ans après ces propos de Mâtaji, je lui montrai la représentation des six centres vitaux publiés dans La Puissance du serpent du juge Woodroffe. Shrî Mâ n'y jeta même pas un coup d'oeuil et dit en riant de bon coeur:"Ecoute ce que je t'explique'. Elle décrivit alors chaque centre, la nature des lotus, leur couleur et leur nombre de pétales, avec leur mantra et yantra. J'ai pu vérifier que les représentations du livre correspondaient exactement à ce que Shrî Mâ décrivait.

Elle ajouta:"Je n'ai rien lu sur ces centres auparavant, je n'ai pas non plus entendu dire quoi que ce soit sur eux. La description que j'en donne découle de ma propres expérience." Quand on lui demanda plus de précisions, elle répliqua:'Les couleurs que vous trouvez dans les livres ne sont que des ornements extérieurs. La même substance qui forme le cerveau constitue aussi ces plexus, mais leurs formes, leur structures et leurs fonctions varient. Chacun a sa constitution spécifique à l'intérieur, de même qu'à l'extérieur les yeux, les oreilles, le nombril ou les lignes de la main sont différents. Ils sont caractérisés par des couleurs, des mantras-semences et des sons variés à cause des courants de diverses formes d'énergie (prânâ et vayu). Au début, quand toutes sortes de mantras sont sortis de ma bouche en lien avec des modifications de la respiration, je me suis demandé ce que tout cela signifiait. La réponse vint de l'intérieur et j'ai pu voir directement ce qu'il y avait dans chaque centre, ce qui est décrit dans les représentations que vous m'avez montrées. Tous ces centres s'ouvrent quand il y a purification de la mémoire inconsciente (chitta) et des émotions (bhâv) par la pratique des rituels, le chant sacré, par la méditation, le discernement à propos de ce qui est réel et de ce qui ne l'est pas (tattva-vichâra) et les excercices de yoga pratiqués avec persévérance et concentration. Sinon, l'être humain ne pourra sortir de l'orbite (chakra) des émotions perturbatrices comme le désir, la colère, etc..."

Un jour, Mâ se rendit à l'ashram de Siddeshvari avec tous ceux qui étaient présents. L'endroit était quasiment abandonné. Il y avait là un petit autel. Mâ s'assit dessus; tous les fidèles l'entouraient, plongés dans leurs propres pensées. Son corps se rétrécit tant et si bien que nous avions l'impression qu'il ne restait que le sari sur l'autel. Personne ne pouvait la voir. On se demandait ce qui allait pouvoir se passer. Petit à petit, un mouvement se fit sous les vêtements, un corps reprit doucement forme et elle apparut, très droite. Pendant une demi-heure, elle regarda fixement vers le haut puis dit tout d'un coup:"Ce n'est que pour votre travail que vous avez amené ce corps ici."

Shrî Mâ dit.' De même que le cerf-volant peut voler très haut en étant attaché à un fil léger, de même le yogi qui est attaché à sa respiration et à un fil de samskara peut flotter dans les airs, rétrécir son corps aux dimensions d'un grain de poussière, devenir très grand ou même disparaître complètement."

Nous avons entendu dire que beaucoup de gens reçoivent l'initiation de Shrî Mâ en rêve, tandis que d'autres obtiennent des fleurs avec un mantra, et trouvent effectivement ces fleurs quand il se réveillent: mais nous n'avons jamais rencontré quelqu'un qui ait été concrètement initié par Mâ.

Nous avons également entendu dire que de nombreuses personnes qui habitent loin de Shri Mâ ont eu la stupéfaction de voir sa silhouette en face d'eux pendant quelques instants. Quand j'étais à Dacca, gravement malade avec un accès de tuberculose aigüe, Shrî Mâ voyageait en Inde du Nord-Ouest. Quand elle fut de retour à Dacca, elle me dit." A deux dates précises, ce corps est venu dans ta chambre en rentrant dans la maison par telle porte ou en sortant par telle autrre; ces deux jours-là, ton état était très critique.''

En se référant au livre de comptes où les dépenses quotidiennes étaient reportées, y compris les frais de consultation médicale, on s'aperçut qu'à ces deux dates on avait effectivement appelé le médecin la nuit.

Il y avait aussi des cas où Mâ passait près d'un groupe de personnes dont une ou deux seulement pouvait la voir. Elle dit."Je suis toujours présente auprès de vous tous, mais vous avez peu de désir de me voir. Qu'y puis-je? Tenez cependant pour certain que j'ai les yeux fixés sur ce que vous faites ou ne réussissez pas à faire."

Un jour, Shri Ma devait monter dans le train à Goalundo. Le marchepied du train était très au-dessus du quai. Mâ avait une douleur rhumatismale dans le bras droit. Quand, à sa demande, Gurupriya Didi lui saisi la main gauche et la tira dans le compartiment, le corps de Shrî Mâ parut être aussi léger que celui d'un bébé. Par contre, en d'autres circonstances, il pouvait être extrêmement lourd.

Shrî Mâ nous dit que rien n'entraîne de changement en elle, qu'elle se déplace où qu'elle se repose. Elle est toujours éveillée. Parfois, après s'être levée, elle dit qu'elle a vu certains incidents avoir lieu à un endroit donné. Ces incidents pouvaient être vérifiés.

Je voyais d'habitude Shrî Mâ à mes côtés, soit comme un éclair, soit comme une silhouette stable, mais aux contours vagues. Parfois, elle se condensait pour de bon et se déplaçait, opérant des changements dans mon environnement qui demeuraient même après sa disparition.

Vers la fin de l'année 1930, Shrî Mâ était à Cox's Bazar, à environ 500 km de Dacca. Quant à moi, j'étais assis sur mon lit au petit matin et je pensais à elle. Je l'entendis me murmurer.'Bâtis un temple dans le jardin de l'ashram'.

J'étais surpris d'entendre cela. Je savais que Shrî Mâ ne commandait jamais à personne de faire quoi que ce soit. Je retournais ces idées en tous sens dans ma tête. Je présumais que de tels chuchotements devaient provenir de Shrî Mâ, mais j'avais un doute dans l'esprit: pourquoi ces murmures étaient-ils si indistincts? Sa voix normale était claire, bien timbrée; distincte et vivante. Mais quand j'écrivis une lettre à Cox's Bazar, j'appris qu'elle avait observé le silence pendant plusieurs jours et ce matin précis, à huit heures, elle avait recommencé à parler. Quand Shrî Mâ revint à Dacca, j'ai appris également qu'elle avait murmuré quelques mots plus tôt dans la matinée, mais que personne n'avait pu en saisir le sens. Après avoir entendu cet ordre de Shrî Mâ, nous nous sommes mis à la construction pour de bon.

Elle dit toujours qu'elle peut voir les corps subtils de saints morts il y a déjà très longtemps. Un jour, elle fit la remarque suivante:"De même que vous êtes tous assis auprès de moi, de même il y a toute sorte d'esprits désincarnés qui sont rassemblés là-bas. Ils sont aussi réels que vous l'êtes." Elle dit aussi qu'on peut voir les différentes formes des maladies!. Quand elles demandent à pénétrer son corps, elle leur donne carte blanche. "Puisqu'il n'y a qu'une seule source de vie dans l'univers, les maladies ne sont ni qppelées ni renvoyées. De même que vous êtes tous une source de joie pour moi, de même les maladies me donnent une joie équivalente."

En mai 1929, Shrî Mâ quitta Dacca, mais pour différentes raisons elle ne put poursuivre son voyage. Quand elle revint à Dacca au mois d'août, elle était fébrile. De nombreux symptômes extraordinaires se manifestèrent dans son corps. Elle demanda qu'on le laisse prendre les postures diverses qu'il épousait spontanément que ce soit allongé ou assis. Cela se poursuivit pendant une heure complète. Shrî Mâ dit ensuite que toutes ces postures étaient du yoga. En voyant ces phénomènes, les gens eurent peur qu'elle ne quitte son corps. On s'aperçut ensuite que ses membres manquaient de cohésion, que ce soit en position assise ou debout, ils étaient flasques et ne pouvaient bouger à moins qu'on ne les soutienne. En plus de cela, elle avait une forte fièvre, une dysenterie sanglante et du sang dans les urines avec en plus touts les signes de l'oedème. Quatre ou cinq jours s'écoulèrent ainsi jusqu'à ce que Gurupriya Didi l'implore:"Mâ, nous n'en pouvons plus de soigner votre corps. Ayez de la compassion à notre égard!" Après cette prière, la faiblesse du corps de Mâ disparut, mais touts les symptômes continuèrent comme avant. Pendant encore cinq ou six jours, on versa entre soixante et soixante-dix seaux d'eau sur sa tête entre onze heures du matin et cinq heures de l'après-midi, mais la température ne redescendait pas. Elle ne voulait toujours pas prendre de médicaments. On fit venir un médecin ayur-védique qui l'examina et dit:"Nous pouvons traiter des êtres humains ordinaires, mais les voies de Mâ sont différentes." Les fidèles qui la voyaient prostrée sur son lit se mirent à être angoissés et la prièrent pour qu'elle guérisse son corps.

Le matin suivant, Mâ dit:"Préparez un plat de riz pour ce corps" Elle qui avait souffert de forte fièvre et d'oedème, et qui était restée prostrée presque sans bouger pendant dix-sept ou dix-huit jours, s'auto-prescrivait un régime normal de riz, de lentilles et de légumes! Tout le monde était stupéfait.

Néanmoins, on prépara suivant ses instructions ces aliments. On eut besoin de trois ou quatre personnes pour soutenir son corps et lui mettre la nourriture dans la bouche. Elle mangeait un peu de chaque plat. Beaucoup s'attendaient à des complications comme conséquence d'un tel régime après une longue fièvre: mais son état s'améliora petit à petit.

En évoquant le trouble physique dont nous venons de parler, Shrî Ma dit une fois: " Ce corps vit en harmonie avec la nature, son cours naturel doit avoir été perturbé d'une manière ou d'une autre. Pour vous faire réaliser les conséquences fâcheuses qu'il y a à déranger ses besoins spontanés, un déséquilibre de toutes les fonctions s'est manifesté. S'il y avait eu une maladie réelle, soit ce corps aurait péri, soit il en serait resté handicapé

"Pendant que j'étais alitée, je ne ressentais ni malaise ni maladie. Je me sentais saine. Au beau milieu de votre agitation et de votre anxiété, ainsi que des modifications qui s'opéraient dans ce corps, je vivais une symphonie de musique tout à fait agréable. "

En observant toutes ses actions, on s'aperçoit que la Nature obéit à la volonté de Mâ pour ainsi dire et aide son corps à fonctionner. Ma conviction c'est que si nous faisons attention comme il faut à l'expression naturelle de sa volonté, si nous nous abstenons de perturber l'atmosphère autour d'elle avec les vibrations de nos envies et de nos rejets et si nous mettons en pratique implicitement ce qu'elle nous suggère, nous pouvons atteindre un bonheur sans borne en étant témoin du fonctionnement harmonieux de sa volonté. En même temps nous aurons la chance d'avoir bien des occasions de développement intérieur.

Dans notre enfance nous jouons avec des poupées en suivant nos caprices; nous bâtissons des maisons de sable et de terre pour satisfaire nos désirs éphémères et puis nous nous intéressons à de nouveaux jouets. Et maintenant aussi, nous continuons à jouer ce jeu avec autant de stupidité et d'impuisivilté. Quand je pense à cela mon esprit est rempli d'appréhension.

A l'âshram de Vindyachal au cours d'une conversation, Mâtaji dit à Brahmachari Kamalakantji: " Après tant d'années, il y a toujours très peu de gens pour réaliser ce que je souhaite. Si c'était le cas, on ne me poserait pas des questions aussi stupides que: ' Que désirez-vous ' 'Quel est votre souhait '?" On doit essayer sincèrement de me comprendre dans la limite de ses capacités. Afin de saisir ce que je veux, on doit libérer son esprit des chaînes de I'orgueil, du désir de notoriété, de la colère et du chagrin, de l'amour-propre, finalement de la volonté personnelle qui fait croire à quelqu'un qu'il jouit du libre arbitre dans toutes ses actions."

Si nous nous purifiions sans cesse sous son influence profonde en suivant silencieusement ce qu'elle nous demande de faire, nous aurions réalisé notre mission qui est de voir dans nos vies l'occasion de voir la gloire de sa maternité universelle.

Un jour je me promenais avec Mâ dans les prairies de Ramna. Elle ne parlait pas. Je réalisai que l'esprit de silence absolu était descendu en elle. Elle revint après avoir erré pendant quelque temps. Durant huit ou dix jours, elle resta complètement muette: aucun signe aucune suggestion, pas même un sourire n'émanait d'elle. Elle demeurait assise tranquillement, absorbée dans le Soi. Si quelqu'un lui parlait, elle n'y faisait pas attention et ne tournait même pas les yeux vers lui. Durant les repas, ses lèvres s`entrouvraient à peine pour se refermer après avoir pris un tout petit morceau de nourriture. Elle était assise, stable en elle-même comme une statue de Bouddha. Pendant cette période, il semblait que son lien avec Ie monde extérieur était complètement coupé. Au bout de huit ou dix jours elle recommencça à murmurer quelques paroles. Nous avions l`impression qu'elle réapprenait à utiliser sa fonction vocale et qu'elle retrouvait le pouvoir de la parole. Trois jours s`écoulèrent ainsi pendant lesquels elle récupéra petit à petit sa manière habituelle de parler. J`ai eu la chance de voir Shrî Mâ deux ou trois fois dans cet état.

Pendant ces phases de silence, son aspect paisible, son expression forte mais sereine, son regard gracieux et son visage rayonnant, tout contribuait à éveiller notre amour et notre vénération. Plus on la fixait d'un regard sans ciller, plus augmentait le désir de voir son visage. Au début, quand Shrî Mâ garda le silence pendant trois ans, beaucoup exprimèrent leur chagrin pensant qu'elle était complètement muette; ils disaient::" Hélas, quel dommage! Quelle injustice de la part de Dieu! Il a rendu muette cette belle jeune femme alors qu'elle a par ailleurs toutes les qualités de la féminité." Shî Mâ dit: "Si vous voulez observer Ie réel silence votre coeur et votre esprit doivent se fondre intimement dans une contemplation unique de façon à ce que votre nature entière, intérieure et extérieure, en arrive pour ainsi dire à geler et à devenir comme une pierre; mais si vous voulez simplement vous abstenir de parler, cela n'a rien à voir."

Table des matières

Glossaire

 

Chapitre V

SAMÂDHI

 

Quand on priait Ma de nous faire connaître les différents stades de la sâdhanâ, elle indiquait quatre niveaux:

1) La concentration de l'intellect sur un point focal: c'est comme mettre le feu à un combustible qui a été séché. Quand du bois a été en contact avec la chaleur du feu, les flammes qui s'en élèvent sont brillantes. De même, quand par la force de la contemplation du Divin, notre esprit commence à se libérer de son goût pour les désirs (kâmana) et des conditionnements subconscients (vâsana), il devient lumière. On est baigné dans une pureté mentale qui induit dans certains cas une immersion silencieuse dans une humeur particulière, ou dans un excès d'émotion et d'agitation qui ne peut être maîtrisé. Tous ces états émotionnels sont des émanations particulières d'une même existence suprême.

2) La concentration des pouvoirs émotionnels: elle induit un état d'inertie physique, d'absorption dans un sentiment sacré issu d'un état supramental et indivisible. A ce niveau, on peut comparer le corps à un morceau de charbon brûlé dont le feu s'est apparemment retiré. A ce stade, le pratiquant passe des heures dans un état d'inertie aux yeux du monde extérieur, mais du fond de son cœur surgit sans cesse un courant d'émotion sublime. Quand cet état mûrit, un tel sentiment attire les grands pouvoirs de l'Atmâ (Ame) omniprésent, et de même qu'un vase déborde quand on y verse trop d'eau, de même ce sentiment se répand sur le monde entier en un mouvement puissant provoqué par la pression intense d'un désir d'expansion.

3) La fusion de la vie intérieure et extérieure: c'est l'état du charbon ardent. Le feu pénètre chacune des enveloppes intérieures et extérieures et toutes se mettent à rayonner doucement, d'une lumière divine unique. Le pratiquant vit, évolue et existe dans un océan de Lumière et de Bonheur.

4) La concentration complète, dans laquelle le pratiquant perd toute conscience de la dualité, du fonctionnement des trois guna: c'est le charbon réduit en cendre. Il n'y a plus de distinction entre l'intérieur et l'extérieur, entre ici et là-bas; c'est un état de Totalité-Unité, d'absorption dans le Suprême. Les vibrations de pensée, sentiment et volonté s'évanouissent complètement. C'est la tranquillité parfaite d'un lac dormant sous le ciel bleu.

 Le samâdhi de Shrî Mâ est quelque chose de merveilleux à voir: j'ai eu la très grande chance d'en être plusieurs fois le témoin. Je note ci-dessous quelques-unes de mes expériences:

Certains jours, pendant qu'elle marchait, ou qu'elle s'asseyait dans une pièce après y être entrée par hasard, ou après avoir ri ou dit quelques mots, son regard devenait fixe, ses yeux restaient grands ouverts et tous ses membres se relaxaient d'une manière tellement extraordinaire que son corps semblait tomber, pour ainsi dire en fusion, sur le sol.

Nous pouvions observer que son éclat habituel s'effaçait petit à petit de son visage, comme s'il allait s'enfoncer dans des profondeurs mystérieuses, tel le disque doucement doré du soleil couchant. Peu de temps après, sa respiration se ralentissait, et parfois s'arrêtait complètement. Mâ devenait muette, ses yeux restaient clos, son corps se refroidissait. Parfois ses mains et ses pieds se raidissaient comme des morceaux de bois, d'autres fois ils pendaient, flasques comme des bouts de corde, retombant inertes dans quelque direction qu'on les mette.

Son visage était empourpré d'une lumière douce, dégagée par un bonheur intérieur intense. Ses joues avaient un éclat céleste, et son front une sérénité, un calme divin. Il y avait suspension de toutes les activités physiques habituelles, et pourtant chacun des pores de sa peau irradiait une lumière peu ordinaire.

C'était un discours intérieur muet - I'éloquence du silence. Tous les assistants sentaient que Shrî Ma était en train de sombrer dans les profondeurs de la communion divine. Dix à douze heures s'écoulaient ainsi, puis on s'efforçait de la ramener sur le plan physique par des kîrtan ou autres, mais cela ne servait à rien.

Moi-même, je ne réussissais pas à la faire émerger de son état d'auto-absorption. Il n'y avait absolument aucune réponse quand je frottais énergiquement ses mains et ses pieds, ou même quand je les piquais avec des pointes acérées. La conscience réapparaissait chez elle en son temps, et cela ne dépendait d'aucun stimulus extérieur.

Quand Shrî Ma revenait à la conscience physique, sa respiration reprenait, s'approfondissait. Certains jours, après un court moment d'un réveil de ce genre, elle avait le corps qui retombait encore une fois dans le même état et tendait pour ainsi dire à " se geler en samâdhi ". Quand on lui ouvrait les paupières du bout des doigts, il y avait dans ses yeux un regard vide, insensible à la stimulation, et bientôt ses paupières se refermaient automatiquement.

Quand se manifestaient une série de symptômes allant dans le sens du réveil, on l'aidait à s'asseoir en l'appelant fortement, on essayait de la ramener au monde des sens et de la faire parler. Dans cet état crépusculaire de conscience, elle ne répondait à l'appel du monde extérieur que pour un bref moment, et sombrait à nouveau dans les zones les plus profondes de son être. Dans ces circonstances, elle avait besoin de beaucoup de temps pour recouvrer son état normal. Une fois, après une période de samâdhi, on la fit marcher avec grande difficulté; mais, après avoir pris une bouchée de nourriture, son corps rechuta dans un état inconscient, inerte pendant plusieurs heures.

Toutefois, quand elle recouvrait un état normal, après le samâdhi, la joie paraissait infuser son corps entier. Au seuil du réveil, elle riait parfois, ou riait et pleurait en même temps.

Pendant le samâdhi, son visage perdait toute la fraîcheur de la vie: le corps paraissait très fragile, faible, il n'exprimait par son aspect général ni joie ni souffrance. Dans ces conditions, elle avait besoin de beaucoup plus de temps pour recouvrer un état normal. En 1930, quand elle vint à Ramna âshram, elle semblait avoir perdu tout signe de vie durant ses samâdhi et passait quatre ou cinq jours sans répondre aux stimuli extérieurs, quels qu'ils soient. Pendant toute cette phase, du début du samâdhi à sa fin, il n'y avait aucune indication qu'elle soit vivante, ou qu'elle puisse jamais revenir à la vie. Son corps était de glace, et restait froid longtemps après que la conscience normale soit revenue.

Quand on lui demandait ce qu'elle avait ressenti pendant le samâdhi, elle disait simplement: " C'est un état au-delà des plans conscient et supra-conscient, un état d'immobilisation complète de toutes les pensées, émotions et activités à la fois physiques et mentales, un état qui transcende tous les stades de la vie ici-bas. Ce que vous appelez savikalpa samâdhi est aussi un moyen d'atteindre cet objectif final, mais ce n'est qu'un stade transitoire de votre sâdhanâ.

 " Une concentration profonde sur l'un des cinq sens - I'ouïe, le toucher, I'odorat, le goût et la vue, qui sont reliés principalement à l'air, la terre, I'eau, etc. - mène le sujet à fondre son identité dans un de ces sens, et, quand la concentration s'approfondit, le corps pour ainsi dire " gèle " petit à petit. Alors, I'objet relié à un sens particulier envahit le corps entier et l'ego se dissout peu à peu dans cet objet et se fond dans une entité universelle. Quand cet état se confirme, la conscience du Soi un et universel se fond à son tour, disparaît et ce qui reste est au- delà des mots, de l'expression et de l'expérience. "

 Parfois, sans aucune cause identifiable, on pouvait observer chez elle nombre de phénomènes anormaux. Elle avait une respiration qui s'approfondissait et s'allongeait, le corps qui se tordait de droite et de gauche avec une expression de langueur et de fatigue. Elle s'allongeait alors sur le sol ou se roulait en boule sur elle-même. Elle conservait sa conscience physique durant ces périodes et, quand on lui posait des questions, elle y répondait en un ou deux mots, d'une voix faible et douce.

Plus tard, en l'interrogeant, nous avons appris que, quand elle était dans cet état, elle sentait un courant ascendant, fin comme un fil, qui s'étendait de l'extrémité inférieure de la colonne vertébrale jusqu'au sommet de la tête, et avec lui, il y avait un frisson de joie qui parcourait chaque fibre de son corps, et même de ses cheveux et de tous les pores de sa peau. Elle sentait à ce moment-là que chaque enveloppe de son corps dansait pour ainsi dire comme l'auraient fait d'infinies vaguelettes de félicité. Tout ce qu'elle touchait ou voyait lui semblait être une partie vitale d'elle-même. Son corps physique cessait progressivement de fonctionner.

A ce moment-là, si l'on massait sa colonne vertébrale ou si l'on frottait pendant longtemps ses articulations, elle restait tranquille un moment et recouvrait son état normal. C'était à ce stade qu'on la trouvait débordante de joie céleste et elle manifestait tous les signes de quelqu'un de perdu dans l'amour universel.

Au sein même des activités quotidiennes, quand Mâ était allongée, souriait et parlait aux visiteurs, on s'apercevait parfois que ses membres étaient glacés et ses doigts bleuis. Même par des massages vigoureux, on ne pouvait en diminuer la raideur, si bien que les mains de ceux qui lui massaient les membres étaient engourdis par le froid. Un jour, il lui fallut pratiquement douze heures pour récupérer une chaleur normale.

Un soir, au crépuscule, Shrî Mâ reposait allongée, en samâdhi. Didimâ, sa mère, était auprès d'elle sur le lit. Pitâjî était aussi présent dans la chambre. A deux heures du matin, j'étais assis dans la véranda en train de méditer sur les pieds de lotus de Mâ. Je sentis comme un frisson dans le cœur en entendant des bruits de pas, mais, en ouvrant les yeux, je ne pus rien distinguer. Je perçus un faible son à l'intérieur de la chambre et, quand je quittai mon siège, je remarquai deux petites traces,

celles des pieds mouillés de Mâ. En entrant dans sa chambre, je la trouvai sur son lit. Je demandai à Didimâ si elle était sortie. Elle répondit que non. La nuit s'écoula. Le matin suivant, elle revint sur le plan de la conscience physique pour un bref moment. Bien qu'elle ait repris ses sens le jour d'après, il lui fallut trois ou quatre jours de plus pour retrouver son style de vie habituel.

Quelques jours plus tard, je dis à Mâtâjî: " J'ai entendu dire que personne ne peut, en état de samâdhi, se déplacer sous sa forme physique. Comment cela se fait-il que j'ai remarqué vos traces de pas sur le sol cette nuit-là ? " Shrî Ma dit: " Est-il possible à l'homme de tout expliquer en ce monde ? ", et elle redevint silencieuse. Une autre fois, comme je lui avais demandé: " Quelles sont les caractéristiques d'un sâdhaka ? " elle répondit: " Quand un pratiquant atteint un certain niveau de pureté mentale, il peut se comporter comme un enfant, ou devenir insensible aux stimuli du monde extérieur, telle une motte de terre inerte, ou violer les canons de la vie sociale, comme un malade mental, ou parfois être emporté par des éclairs d'émotions ou de pensées élevées et passer pour un saint. Mais à travers toutes ces expressions de son être, son objectif reste dirigé vers le centre de la cible. Si, à ce stade, il oublie son but final, il cessera de progresser.

Mais si avec un effort intense il lutte sans cesse pour atteindre le but, toutes ses activités se focaliseront sur son objectif suprême. Vous vous apercevrez toujours que, bien qu'il semble une masse de matière inerte indifférente aux stimuli extérieurs, il est plein de gaîté et de félicité dès qu'il retrouve la conscience physique. Peu à peu, tandis que son humeur joyeuse se calme au-dedans, ses relations avec les humains et les choses se remplissent, s'imbibent d'un esprit de joie, de bonheur qui le rend aimable, adorable aux yeux de tous. Sa vie intérieure et extérieure devient une expression de la Félicité suprême.

" Au stade suivant, le pratiquant atteint un niveau où même le concept d'existence universelle s'évanouit. Son mode de vie ne peut alors être expliqué par les normes habituelles de la raison humaine. Dans cet état, toutes les vibrations du corps-esprit sont suspendues et il y a toute probabilité que l'âme se détache de son assise mortelle. Mais s'il y a un résidu de samskâra puissant orienté vers le bien des êtres humains, il peut continuer à vivre pendant un certain temps. Pourtant, il demeure inchangé quelles que soient les circonstances de la vie, bien que nous croyions qu'il soit sujet au changement du seul fait qu'il soit encore incarné.

La seule différence entre un tel pratiquant et un yogi qui abandonne son corps, c'est que ce dernier quitte son corps de sa propre volonté. Même au moment de sortir du physique, il garde présent à l'esprit qu'il a un corps et qu'il est en train de le quitter. Au contraire, celui qui abandonne son enveloppe physique en samâdhi absolu n'est ni conscient du corps individuel, ni d'aucun effort pour l'abandonner. Les samskâra de la vie et de la mort cessent de fonctionner en lui et aussitôt qu'il a épuisé le karma des vies précédentes, son corps tombe naturellement. "

Une autre fois, Shrî Mâ dit au cours d'une conversation:

1) "La pureté du cœur et de l'esprit vient à travers la concentration sur un objet qui correspond à ses dispositions individuelles particulières. "

2) " Petit à petit, quand on progresse, toutes les idées et les ambitions dispersées en arrivent à être unies à l'objet de concentration. "

3) " Ensuite, quand les divers flux de pensées s'écoulent dans le même canal, le pratiquant paraît immobile et inerte. "

4) " A partir de là, il trouve son repos dans l'Etre unique et universel et il est engouffré dans l'existence unitaire. "

D'habitude, Shrî Mâ ne dit pas cela à tout le monde. Parfois, elle s'arrête tout à coup dans le cours de la conversation. Elle est en général entourée de nombreux bhakta; on ne peut toujours noter ce qu'elle dit pour leur bien et tout le monde ne peut comprendre ses paroles. Bien que ses instructions soient d'un type universel et destinées à tous, les gens comme nous ne comprennent pas toujours leur portée réelle. Pourtant, quand une de ses paroles illumine l'esprit d'une personne particulière, ce qu'elle réalise par sa connaissance limitée peut s'exprimer dans sa vie selon sa capacité à progresser. Ce n'est pas facile d'imaginer la variété infinie des cours d'eau s'écoulant des Himalayas vers les plaines de l'Inde, par les glaciers, les chutes, les rivières, les ruisseaux et les sources, enrichissant et fécondant tant de terres stériles. Bien que les Himalayas ne perdent rien en produisant perpétuellement ces fleuves, le bien du monde s'en trouve assuré. Le cas de Shrî Mâ par rapport à ses fidèles est analogue.

Nous trouvons à peine les mots suffisants pour exprimer les transformations qui nous arrivent progressivement à chaque instant de notre existence par le contact avec Mâ, par ses suggestions, ses paroles ou ses sourires. Certains d'entre nous ont parfois l'impression erronée qu'exprimer la manière dont sa bénédiction a modelé de nombreux incidents de notre vie quotidienne serait amoindrir sa grâce ou son influence. Mais je tends à penser que, par de tels efforts, nous ne ferions que chanter des hymnes à sa gloire et contribuerions fortement à assurer notre propre élévation spirituelle. Ce serait aussi une manière de faire bénéficier nos âmes reconnaissantes de sa grâce en chaque instant de notre existence.

Table des matières

Glossaire

 

Chapitre Vl

MÂ ET SON JEU (LÎLÂ)

 

Ceux qui ont observé le visage resplendissant de Ma, avec son sourire toujours radieux, sa simplicité enfantine, son humeur joueuse et ses plaisanteries s'écoulant d'un cœur débordant de joie ont dû être fascinés. Toutes ses paroles et expressions, chacun de ses regards et de ses gestes sont pénétrés d'une douceur (madhura) sans égale. Un parfum divin émane de son corps, de chacune de ses respirations, de ses habits et de sa literie même. Quand elle chante, le cœur est empli de pensées et d'idées qui proviennent de la source la plus intime.

Complètement libre de tous les liens, elle vit une vie de détachement parfait. Comme le ciel serein, qui demeure loin au-dessus du monde et qui pourtant répand sa paix sur les choses d'ici- bas et se réfléchit aussi bien sur les lacs et les étangs que sur un bol rempli d'eau, Mâ enveloppe toutes les choses créées et les rapproche de plus en plus de son cœur. Elle reconnaît le jeu d'une vie absolue chez les gens de toutes les races et de toutes les croyances, en chaque animal et en chaque plante. Elle voit tous les êtres comme la manifestation d'une seule joie (ânanda) et elle les traite avec le même amour, le même respect et la même vénération. Sa vision n'est pas teintée par des différences entre supérieur et inférieur ou entre riche et pauvre.

Mâtâjî dit toujours: " Je n'ai rien de nouveau à voir, entendre ou dire. " Pourtant, nous remarquons que même les détails les plus banals semblent absorber son attention à un degré qui nous pousse à la comparer à une enfant fascinée par une jolie poupée.

Il n'y a pas de fin à ses lîlâ avec ses fidèles. Une fois, tout le monde voulait la voir habillée en Krishna enfant, puis adolescent. Ses fidèles se réunirent pour l'habiller. Il existe deux photos qui montrent les deux rôles différents. Il est frappant de voir les expressions de Mâ dans ces deux différents rôles. La beauté de son visage montre le charme de Krishna enfant et celui de jeune adolescent. Il est vraiment difficile de savoir de quelle source cachée provient cet éclat divin qui donne à son regard une telle tendresse, à son front une si grande paix, à son visage une douceur si pure et à ses membres une telle souplesse. C'est non seulement peu habituel, c'est vraiment extraordinaire: il s'agit d'une vision qui n'est pas de ce monde.

Il semblait que chaque cellule, chaque atome de son corps participait à son rire. Ceux qui étaient présents à ce moment-là pouvaient voir l'éclat d'une lumière sacrée qui illuminait son visage. On pourrait difficilement trouver chez un être humain un rire si pur et si sincère. Les photographies ne montrent qu'une petite partie de ces expressions, et encore bien imparfaitement.

En présence de Mâ, un sentiment de douceur sans précédent envahit le cœur des fidèles rassemblés. Quel que soit leur état émotionnel, ils expérimentent une joie (ânanda) et une pureté (nirmalta) hors de l'ordinaire. La vue de Krishna éveillait une affection maternelle chez Yashoda, des sentiments amicaux chez Sridama et Sudâmâ, et de l'amour (madhura-bhâva) dans le cœur des gopî. De même, les fidèles ont un darshan de Shrî Mâ qui dépend de leurs dispositions mentales.

Dès l'enfance, le jeu de Mâ débordait de vitalité (prânâ) et d'esprit. Si elle ne faisait pas partie du groupe, ses compagnes n'y trouvaient pas de joie. Tous ceux qui entrent en contact avec elle, que ce soient les enfants, les jeunes gens ou les personnes âgées, sont tellement sous le charme qu'ils demandent en partant: " Quand nous reverrons-nous ? " Où que soit Mâ, on dirait que se trouve aussi " le bazar de la joie " (ânand ka bazar). Une émotion (bhâva) nouvelle s'éveille chez des milliers de gens, qui se mettent comme à danser, saisis par ce sentiment divin; et puis, quand Mâ s'en va, l'endroit paraît complètement vide. On pouvait aussi voir des gens choqués par les cheveux défaits, les habits et les attitudes négligés de Mâ à cette époque. Bien qu'ils aient eu peur d'elle comme d'une folle, ils ne pouvaient dégager leurs regards de son aspect plein de douceur (madhur mûrti).

Dans son rire et sa conversation de tous les jours, on pouvait voir le déploiement d'une force extraordinaire et sans limite. Quand on lui posait des questions sur elle-même, elle disait: " Ce corps est toujours dans le même état, sans aucun changement. Ce n'est que votre attitude qui vous pousse à considérer un aspect particulier comme étant ordinaire ou extraordinaire. " Elle ajoutait: " L'univers est un jeu divin, vous avez le désir de jouer et donc vous êtes attirés par le rire et le côté joueur de ce corps. S'il avait pris une pose grave et immobile, vous ne seriez pas venus vers lui. Apprenez à jouer d'une manière très belle le jeu de la joie (ânanda ka khel); ainsi, dans le jeu même, vous atteindrez le sommet du jeu. Comprenez-vous ? " On appelle extraordinaire ce qui est au-delà de l'expérience d'une personne ordinaire. Celui qui a rassemblé toutes les pensées et émotions dans la joie de l'Atman non-duel, et s'y est dissous, voit cet Atman sous la forme de l'individu, de Dieu (Ishvara) qui régit l'univers, ou de l'absolu impersonnel (Parabrahman). Que peut-on dire en dehors de ces jeux de manifestation qui ont jaillis spontanément de son esprit ? Dans le corps de Mâ, il n'y a pas de trace de préférence ou de rejet. Parfois, certaines manifestations surnaturelles jouent leur rôle pour éveiller une intelligence réelle et des émotions pures chez les fidèles; parfois leur désir concentré, plein de foi, évoque l'attitude correspondante chez Mâ. Celle-ci répète souvent: " Ce corps est un instrument de musique; le son qui en sort dépend du rythme avec lequel vous en jouez. Je trouve que, dans tout l'univers, il n'y a qu'un seul jeu qui se joue. "

 Le jour avant son départ de Ramna âshram, à Dacca, en juin 1932, à cinq heures de l'après-midi, Mâ était assise avec de nombreux fidèles dans le jardin pour partager le prasâd. Soudain, de sombres nuages envahirent le ciel et un orage commença avec des éclairs et des coups de tonnerre. Tous les assistants craignaient l'arrivée imminente de la pluie. Juste à ce moment-là, un autre groupe arriva et il s'assit également pour avoir le prasâd. Mâ demanda à ceux qui avaient fini de manger de s'en aller, mais elle-même resta sur place. Quand ils eurent tous terminé, elle se leva et dit: " Maintenant, je vais prendre un bain gratuit. " Beaucoup essayèrent de la dissuader de prendre un bain si tard dans l'après-midi, mais elle ne broncha pas quand il se mit à pleuvoir des cordes. Le jardin entier était inondé. Plongée dans un état de conscience extraordinaire (bhâva), Ma se mit à courir de-ci de-là dans toute cette boue et cette pluie. De nombreuses personnes âgées, des enfants et des jeunes gens s'assemblèrent sans se soucier de leurs vêtements et se mirent à chanter des kîrtan jusqu'à neuf heures du soir. Parmi eux se trouvaient des malades, qui n'eurent pas d'aggravation de leur état pour autant.

On voyait souvent Mâ arrêter d'un seul regard une averse, ou une dispute. Shrî Mâ, par tempérament, prend peu de nourriture, si peu qu'on a du mal à le concevoir. Dans la première phase de son existence, quand beaucoup de processus yogiques se manifestaient en elle, elle passait de nombreux jours à jeûner. Elle ne ressentait pas l'envie de manger tant que le processus yogique ne s'était pas arrêté. Pendant ces journées de jeûne complet ou partiel, elle avait un aspect gai, resplendissant, son corps était débordant de santé, et son esprit de gaîté.

Très tôt déjà, elle s'était mise à un régime léger. Une fois, elle passa cinq mois à ne prendre qu'une poignée de nourriture, et encore seulement vers la fin de la nuit. Pendant huit ou neuf mois, elle n'a pris que trois bouchées de riz durant la journée et trois pendant la nuit. Durant cinq à six mois, elle vécut d'un peu d'eau et de quelques fruits pris deux fois par jour. Il y avait des occasions où elle passait cinq à six mois en ne prenant qu'une petite quantité de riz, seulement deux fois par semaine; les autres jours, quelques fruits étaient suffisants.

Depuis 1926, elle ne pouvait plus manger de ses propres mains. A chaque fois qu'elle essayait de porter de la nourriture à sa bouche, elle lui échappait en lui glissant entre les doigts. Cela n'était pas dû à une maladie quelconque. A ce moment-là, on décida que la personne qui la nourrissait ne lui donnerait que la quantité de nourriture que l'on peut prendre entre deux doigts, une fois pendant la journée et une autre fois durant la nuit. Cinq ou six mois s'écoulèrent de cette manière. Tous les deux jours, elle buvait aussi une petite quantité d'eau. Pendant cinq ou six mois, elle prit trois grains de riz bouilli le matin et trois grains dans la soirée; elle ajoutait deux ou trois fruits mûrs qui étaient tombés des arbres naturellement. Parfois il arrivait que la nourriture puisse juste toucher ses lèvres avant de retomber. Pendant deux ou trois mois elle mangea autant de nourriture qu'on pouvait lui en mettre dans la bouche en l'espace d'une respiration. Pendant huit ou neuf mois elle n'a pris que cinquante grammes de riz et de lentilles mélangés et bouillis dans un petit bol, sur le feu sacrificiel, ou un peu de soupe de légumes avec une petite quantité de riz bouilli. Pendant plusieurs jours d'affilée, elle vivait d'une petite quantité de lait ou d'un ou deux morceaux de chapati. On peut aussi ajouter que de nombreux jours de suite elle restait sans aucune nourriture.

Après avoir abandonné complètement la consommation de riz, elle ne pouvait même pas le reconnaître. Il y avait une servante de basse caste à Shahbag, qui mangeait du riz. Quand Shrî Ma vit cela, elle dit en souriant: " Que mange-t-elle ? Moi aussi, je vais manger avec elle ! " Un jour, elle trouva un chien en train de manger du riz; elle se mit à dire plaintivement: " Je veux manger, je veux manger ! " Quand on empêchait de telles impulsions, elle s'allongeait sur le sol comme une enfant qui boude. Une fois Shfi Ma dit d'elle-même: " Les gens essaient d'abandonner de vieilles habitudes. Mais ma manière de faire est à l'opposé: je trouve des moyens de revenir à mes vieilles habitudes. Vous devez me nourrir avec trois grains de riz bouilli tous les jours, sinon je perdrai l'habitude de manger du riz, de même que j'ai oublié l'usage de mes mains pour prendre la nourriture. "

Ceux qui la nourrissaient avaient à faire bien attention de ne pas lui donner une particule de nourriture en plus de ce qu'elle voulait. Ils avaient à mener une vie pure et contrôlée; ils devaient garder rigoureusement propres les ustensiles de cuisine et les plats. Sinon, elle ne pouvait avaler la nourriture, et soit son visage se détournait, soit elle quittait son siège automatiquement. Elle disait: " Il n'y a pas de différence entre ce corps et une motte d'argile. Je peux manger de la nourriture placée sur le sol ou n'importe où ailleurs de la manière que vous voulez; mais en ce qui concerne l'hygiène, I'observation de la propreté ainsi que des autres règles ou obligations sociales sont nécessaires pour votre éducation, c'est pourquoi ce corps les suit automatiquement. "

Pendant ces longues périodes où Mâ s'abstenait de prendre des quantités normales de nourriture, elle ne fuyait pas ses devoirs ménagers, et son corps ne perdait pas son charme naturel. Par la suite, peu à peu, toutes les activités de sa vie de famille se mirent à se relâcher. A chaque fois qu'elle tentait d'accomplir une tâche ménagère, son corps cessait de fonctionner et elle restait allongée sur le sol, complètement figée. Parfois, elle se brûlait les mains et les pieds au foyer de la cuisine, ou elle était blessée pour une raison ou une autre, mais elle ne se rendait pas compte de ces accidents.

Shrî Mâ dit: " Personne ne peut abandonner son travail par la force de sa volonté. Quand son karma est épuisé, tout travail cesse automatiquement. "

Depuis mai 1926, Mâ atténua petit à petit la rigueur des règles concernant son régime; mais la quantité qu'elle absorbait restait malgré tout extrêmement faible; on aurait dit une ration de petit enfant ! Quatre ou cinq ans après qu'elle ait arrêté de prendre de la nourriture de ses propres mains, certains fidèles exprimèrent leur vif désir de la voir recommencer à manger normalement. Suite à leur demande, elle accepta d'essayer et s'assit avec les plats devant elle: mais après avoir mis une pincée de nourriture dans sa bouche, elle en donna un peu aux autres et étala le reste sur le sol. Elle ne pouvait absolument pas manger. Après cela, personne ne lui demanda plus de manger de ses propres mains. Elle disait: " Je considère toutes les mains comme miennes; en fait, je mange toujours de mes propres mains. "

Dès sa prime jeunesse, tout le monde avait remarqué son habileté pour exécuter proprement les tâches ménagères, son art pour cuisiner et sa manière délicate de recevoir les hôtes. Quoi qu'elle ait pu faire, cela était fait à la perfection. Elle savait fort bien filer et tisser, ses travaux de couture, de broderie et de vannerie montraient un degré extraordinaire d'intelligence et de savoir-faire. Quand elle trouvait que les autres étaient bloqués à un stade de leur travail, elle venait à leur aide et se tirait d'affaire, à leur grande surprise, sans difficulté.Les plats qu'elle préparait étaient délicieux; c'est pour cela qu'on lui demandait de diriger la cuisine à chaque fois qu'une fête avait lieu.

Mâ prenait grand plaisir à distribuer de la nourriture à tout le monde, les grands comme les petits. Elle oubliait de s'alimenter elle-même et de se reposer pour satisfaire les autres. Une fois un sâdhu vint du Gujarât à Shahbag (Dacca). Avec le bord de son sâri, elle nettoya son siège et s'occupa de lui avec son humilité et sa douceur habituelles. Les plats qu'elle avait préparés étaient servis avec un soin si minutieux qu'ils semblaient être sanctifiés, pour ainsi dire, par son grand amour et son esprit de service pur de tout égoïsme. En partant, le sâdhu dit: "Aujourd'hui, j'ai été nourri par la Mère de l'Univers. Jamais de ma vie je n'ai été servi avec autant d'attention et de pureté. "

 Aussi longtemps qu'elle l'a pu, elle a continué à faire la cuisine pour ses enfants -fidèles et à leur servir la nourriture avec une affection maternelle. Le prasâd reçu de ses mains éveillait une joie sans précédent dans leur cœur. Bien des incidents mystérieux se produisirent lors de la distribution du prasâd.Un jour, l'épouse de feu Niranjan Roy apporta des oranges à Shrî Mâ. Elle les distribua elle-même, car tous les gens présents s'exclamaient: " Je veux du prasâd des mains de Mâtâjî ! " Il y avait trop de monde pour trop peu d'oranges; mais les voies de Shrî Mâ sont insondables et chacun eut son orange sans qu'il en restât une seule. Une autre fois, il y avait un groupe de kîrtan chez Niranjan, à Dacca. On avait préparé de la nourriture pour environ cinquante ou soixante personnes, mais le nombre d'hôtes s'éleva à cent-vingt environ. Shri Mâ le remarqua et, jusqu'à la fin de la distribution, se tint dans la coin de la pièce où l'on gardait la nourriture. Quand tous eurent mangé, on trouva qu'il en restait encore.

Il ne manquait pas d'aliments et de vêtements qui soient offerts à Shrî Mâ et à l'âshram. Après avoir pris une petite partie de la nourriture offerte, ou avoir porté pendant une brève durée le vêtement ou la pièce de tissu qui venait d'être donné, elle distribuait tout dans l'assistance. Sur ce, elle se mettait à rire gaiement. Les gens lui offraient de précieux ornements d'or et d'argent, des bracelets en coquillage ou en verre, et bien d'autres choses. Parfois, ces ornements s'accumulaient sur ses avant-bras. Elle recevait tout objet, grand ou petit, précieux ou banal, avec une grâce égale; mais elle ne se souciait jamais de demander qui les avait offerts ou ce qu'ils devenaient par la suite. Beaucoup d'ornements étaient redistribués, et ce qui restait, d'une valeur de mille roupies environ, fut fondu et utilisé pour fabriquer des ornements pour les divinités de l'âshram.

Elle n'avait jamais plus d'un sârî de rechange; elle le donnait souvent, mais les circonstances faisaient qu'aussitôt après on lui en offrait un nouveau.

Quand j'allais à Calcutta, depuis Dacca, je descendais chez Shrî Jnadendra Nath Sen. Il était plus qu'un grand frère pour moi. Son épouse, Mme Hiranmayi Devî, me considérait comme son propre petit frère. On trouve rarement une simplicité si extraordinaire, tant de pureté, de dévotion au mari et un tact d'une telle délicatesse qu'il la rend chère aux visiteurs comme aux membres de la maisonnée. Attirée par sa bonté, Shrî Mâ allait la voir de temps à autre.

Un jour, j'allai voir Shrî Mâ quand elle logeait à Kalighat. Un fidèle la revêtit d'un sari de Dacca de premier choix. On était convenu que Shrî Mâ irait chez Jnan Babu. Je me rendis là-bas en avance, comme je savais que Mâtâjî devait s'arrêter chez quelqu'un en route. J'achetai un sari de qualité moyenne en espérant que, quand Shri Mâ arriverait chez Jnan Babu, on lui en offrirait un autre et qu'elle laisserait spontanément celui qui était de meilleure qualité et plus coûteux à l'épouse de Jnan Babu. Je ne confiai à personne mes motivations.

Shrî Mâ arriva chez Jnan Babu. Mais, à ma consternation, je réalisai qu'elle ne portait qu'un sârî très ordinaire, l'autre sârî de meilleure qualité ayant été laissé chez les gens auxquels elle venait de rendre visite en chemin. J'étais surpris, mais Shrî Mâ riait à chaque fois qu'elle me regardait. Aucun des assistants ne pouvait comprendre la signification de son rire. Je lui avouai plus tard avec quelles motivations stupides j'avais acheté le sarl.

J'ai donné ci-dessus quelques exemples du régime alimentaire extraordinairement restreint de Mâ. On peut aussi citer quelques exemples pour montrer qu'elle consommait parfois des quantités de nourriture anormalement grandes.

Après qu'elle eût quotidiennement mangé, pendant cinq ou six mois, cinquante ou soixante grammes de riz mêlé de lentilles et bouilli dans un petit récipient sur le feu sacrificiel, on décida un jour qu'elle aurait une quantité normale de nourriture. En fait, tout le monde la poussa à manger plus, et elle demanda qu'on lui apporte toute la nourriture préparée, suffisante pour huit ou neuf personnes. Elle avala le tout. Une autre fois, elle prit en souriant soixante ou soixante-dix puri, (beignets gonflés d'air) et une quantité correspondante de lentilles et de légumes, puis un grand bol de riz cuit dans du lait épais. Il y a eu aussi un exemple où elle prit du khîr, (riz bouilli dans du lait, avec du sucre et souvent de la cardamome; un des desserts favoris des Indiens) préparé à partir de quinze ou vingt litres de lait et où, après l'avoir complètement fini, elle s'exclama: " Je veux en manger plus, s'il vous plaît, donnez-moi plus de gâteau ! " Par respect d'une coutume populaire, pour éviter que le mauvais œil des gens témoins de l'événement ne cause une maladie à Mâ, on jeta quelques gouttes de ce dessert sur le sârî qui couvrait la tête. On découvrit plus tard que les gouttes, en tombant, avaient comme brûlé le tissu.

Quelques minutes après avoir pris de la nourriture en quantité anormalement importante, il y avait une expression extraordinaire sur le visage de Mâ. Elle disait alors: " Au moment de manger, je ne savais pas que j'avalais tant de nourriture; ce n'est que grâce à vous que je m'en suis aperçu. A ce momentlà, tout ce que vous auriez pu m'offrir, bon ou mauvais, même de l'herbe ou des feuilles, tout aurait été avalé. " Mais on n'observait pas de malaise physique après une telle alimentation. En outre, elle accomplissait souvent des actes étranges, comme cela lui passait par la tête, sans en subir de conséquences fâcheuses, quelque extraordinaires qu'ils aient pu sembler.

De même que des offrandes à Dieu, quand elles sont sanctifiées par des mantra, des fleurs, de la pâte de santal, etc. et consacrées avec une conviction profonde, remplissent le cœur d'un plaisir serein, de même les présents à Shrî Mâ apportent au fidèle une satisfaction, une joie immense quand ils sont offerts avec une sincérité complète. Nous avons vu qu'elle acceptait des choses aussi communes et banales que du riz gonflé ou non décortiqué, des fruits ordinaires, tout ceci comme s'il s'agissait de grands trésors. Des currys de légumes sans rien d'extraordinaire, même non salés, du riz au lait sans sucre, elle avalait tout cela avec une satisfaction intense; et d'un cœur débordant, elle invitait les gens présents à partager avec elle le plaisir de manger ces aliments. D'autre part, bien des fois, quand on portait à ses lèvres des aliments rares, précieux, difficiles à se procurer, sa bouche se fermait au premier contact.

Feu Tarak Bandhu Chakravarty, inspecteur général en retraite de l'enseignement, qui vivait à Gandaria (Dacca), fit un jour huit kilomètres à pied pour apporter à Mâ des friandises préparées à la maison à partir du lait de sa propre vache. Il arriva avant l'aube. Shri Mâ était toujours au lit. Comme un enfant impatient, le vieil homme appela: " Mâ, Mâ, je vous ai apporté des friandises préparées avec une attention toute spéciale; ne les mangerez-vous pas ? "

Mâtâjî s'assit sur son lit et, sans même s'être lavée le visage, la bouche ou les mains, elle commença immédiatement à manger les friandises des mains mêmes du vieillard. Elle en avait un tel plaisir qu'elle en battait des mains. Le visage de Tarak Bandhu était rempli de larmes de joie et de gratitude.

Un autre jour, Baby (Mme Sailabala Basu) était venue voir Mâtâjî avec des friandises qu'elle avait préparées elle-même. Alors qu'elle était encore à un kilomètre, Mâ éclata de rire et dit: " Des friandises sont en train de m'arriver. " Elle s'assit comme une enfant avide de les manger. Parfois elle s'exclamait quand quelqu'un arrivait: " Sortez ce que vous avez apporté ! " Elle exprimait son grand plaisir à recevoir les cadeaux avec nombre de plaisanteries gaies et espiègles. Par contre, les cas n'étaient pas rares où des gens avaient à attendre longtemps avec leurs offrandes sans que Mâ se souciât même de les regarder.

Une fois, j'étais alité avec une maladie sérieuse. Sans que je m'y attende, le désir passa dans mon esprit d'offrir du khîr. Quand il fut prêt, j'en goûtai quelques gouttes pour savoir s'il avait été préparé correctement. Ma sœur aînée, qui était présente, dit: " Ce qui a été goûté auparavant par des hommes ne peut être offert aux dieux. " Je répondis: "Envoyez-le lui, s'il vous plaît ". J'appris plus tard que Shri Mâ l'avait mangé en entier.

Une autre fois, je dis à mon épouse: " Voudrais-tu préparer du sati (un plat particulièrement commun) pour Mâ ? " Elle le fit, mais de mauvaise grâce, et l'envoya à Mâ. Nous avons appris par la suite que celle-ci ne l'avait même pas touché. Il est arrivé souvent que des gens perçoivent la bénédiction de Mâ au fond de leur cœur lorsqu'ils lui offraient tous leurs sentiments d'amour et de dévotion, même si c'était en silence et de loin. Par contre, il y en avait d'autres qui apportaient des masses d'offrandes, priaient et versaient des larmes pour obtenir sa grâce, et qui ne recevaient ni ses instructions ni son attention. Chacun reçoit une réponse d'elle selon la sincérité et l'intensité de sa dévotion. Ses bénédictions ne dépendent pas de quelque offrande matérielle que ce soit.

Tous les gens, religieux aussi bien qu'athées, riches ou pauvres, hommes ou femmes, même les petits enfants peuvent l'approcher librement. On l'entend souvent dire en riant: " Pourquoi vous tracassez-vous à propos des moments ou des occasions de me voir ? Ne voyez-vous pas que ma porte est toujours ouverte ? (Durant ses dernières annces, Mâ consacrant beaucoup de temps à régler les affaires de ses nombreux âshram, à donner des entretiens privés, à répondre au courrier, etc., on a été obliger de fixer des heures pour le darshan.) Bien que vous oubliiez souvent votre petite fille, à cause des attractions illusoires du monde, vous pouvez être assurés que vos soucis et vos épreuves sont toujours devant mes yeux. "

Rien n'apparaissait étrange à Shrî Mâ, qui observe toute chose sans l'aide du regard physique, qui peut lire toutes les pensées sans l'aide de ce qui est dit, qui voit et entend tout mais en même temps plane loin au-dessus, totalement détachée des affaires de ce monde et pourtant en contact vivant avec elles. Jour et nuit, sans se soucier de son état de fatigue ou de son confort, elle semble accueillir tout un chacun, qu'il soit en crise ou qu'il mène une vie sans problèmes, comme si elle l'attendait. Les gens se pressent autour d'elle depuis tôt le matin jusque tard dans la nuit. Certains lui mettent de la poudre rouge (sindur) sur le front, d'autres la peignent tandis que d'autres lui proposent de lui donner son bain, de lui laver le visage ou la bouche, ou de lui brosser les dents. Certains peuvent lui demander la permission de changer son sârî, d'autres de lui mettre dans la bouche une friandise au lait ou une tranche de fruit, d'autres encore chuchotent des prières secrètes à son oreille ou lui demandent une entrevue privée. Certains ont même l'audace de disperser la foule qui l'entoure en disant: " Je vous en prie, allez-vous en, n'importunez pas Mâ de cette façon ! "

Mais pensez à Shrî Mâ ! Elle reste assise, heure après heure, jour après jour, au beau milieu de ce chahut et de ce vacarme, avec sa manière d'être exquise et paisible. Elle reste stable et ferme, le visage débordant de gaieté, faisant face à toutes les prières et demandes diverses avec une telle bonne grâce que l'atmosphère entière semble saturée d'une joie et d'un bonheur célestes. Les cœurs des assistants ne sont pas tous attirés avec la même intensité par sa dignité, mais son regard plein de douceur et de compassion enveloppe tous les êtres humains d'une même tendresse comme les rayons dorés du soleil à l'aube. On n'a pas encore vu quelqu'un se retirer de sa présence avec un sentiment d'abattement ou de désespoir.

Shrî Mâ dit: " Ce monde créé par Dieu est constitué de deux sortes de gens, ceux qui comprennent sa nature et ceux qui ne la comprennent pas. Ceux-ci doivent se contenter des jouets qu'ils désirent. " Personne n'a été encore capable de dire: " Mâ est à moi, et pas à vous ! " Tous ceux qui ont eu la chance d'être en contact intime avec Mâ ont dû ressentir ceci: " Mâ est à moi, et à moi seulement. " Les gens lui ont ouvert le fond de leur cœur et, de ce fait, ont retrouvé une espérance et une paix nouvelles.

Comprendre le jeu (lîlâ) de Mâ est au-delà de notre pouvoir de compréhension. Il se pouvait qu'elle réponde avec une égale chaleur aux deux émotions contraires de joie à la naissance d'un fils, et de chagrin au décès d'un enfant. Nous l'avons vue ainsi pleurer avec une mère en deuil et rire joyeusement avec une personne heureuse. Elle réussissait merveilleusement la synthèse de telles émotions contradictoires. Nous l'avons vue prodiguer des paroles de consolation douces et apaisantes à ceux qui étaient dans la peine et qui imploraient ses bénédictions, tout en évitant qu'ils ne lui touchent le pied. Elle pouvait sembler tout à fait indifférente à quelqu'un qui restait un long moment prosterné à ses pieds. Un jour, une femme qui avait perdu son fils tomba aux pieds de Mâ en se lamentant tant qu'elle pouvait. Mâtâjî commença à gémir et à verser des larmes si abondantes avec la mère en deuil, à l'embrasser si étroitement que celle-ci en vint à oublier tous ses malheurs. Qui plus est, elle se sentit si concernée par les larmes de Mâ qu'elle s'exclama: " Mâ, remettez-vous, maintenant je cesserai de pleurer la mort de mon fils. "

Beaucoup parmi nous ont pu faire l'expérience d'une joie intense rien qu'à la regarder ou à toucher la poussière de ses pieds, ou bien encore à écouter la douceur de ses paroles qui provoquent un influx de pensées et de sentiments purs dans les cœurs.

Un jour, un de mes amis vint voir Shrî Mâ à ma demande; il était revenu récemment d'Angleterre avec l'esprit saturé d'idées occidentales. Il dit qu'à la vue même de Mâ lui revint en mémoire le montra qu'il avait reçu de son guru très longtemps auparavant et qu'il avait presque oublié. Il y a de très nombreux exemples qui montrent comment des gens, par le simple fait de s'asseoir à ses pieds, développent un pouvoir de concentration et de dévotion qui les rend capables d'adorer Dieu et de contempler le Divin.

Beaucoup de gens ont progressé sur le chemin spirituel en voyant en Mâ un idéal à suivre de tout leur cœur. Un jour, Mâ eut un bhâv (état spirituel) au temple de Siddhesvari. Une jeune fille de seize ou dix-sept ans fut tellement saisie de joie et d'émerveillement qu'elle embrassa Mâtâjî. Par ce contact, la jeune fille tomba en extase et roula sur le sol en répétant: " Hari, Hari! " Cet état de félicité se poursuivit pendant trois ou quatre jours. Nous avons aussi entendu dire que, par le regard de Shri Mâ ou par le simple contact de sa main, beaucoup de gens se repentaient de fautes passées et progressaient dans la vie spirituelle. Dans une grande ville de l'Uttar Pradesh, une dame très respectable, femme d'un haut dignitaire du gouvernement, vint voir Mâtâjî. Après être restée assise quelque temps à ses côtés, elle se repentit si profondément de certains péchés passés que, de retour à la maison, elle confessa tout à son mari en lui demandant de l'abattre d'un coup de feu et de mettre ainsi fin à sa conduite vicieuse. Mâ apprit cela, fit venir en même temps le mari et la femme et trouva le moyen de restaurer des relations normales dans le foyer. C'est aussi un fait bien connu que des gens qui étaient rejetés par tous comme des êtres pécheurs et méprisables pouvaient avoir un contact facile avec Mâ, et étaient amenés à abandonner leur mauvais comportement. Mâtâjî dit toujours: " Je désire tout particulièrement ces personnes qui n'ont rien pour les soutenir dans leur itinéraire vers le bien. " On connaît de multiples exemples de gens qui ont pu ressentir un appel intense vers le haut en s'abandonnant à Mâ. D'autre part, on voyait de nombreux pândit ou adeptes de la pratique des rituels qui venaient à elle pour quelques jours et qui s'en retournaient toujours aussi imbus d'eux-mêmes. Shrî Mâ dit: " Rien n'arrive avant son heure; chacun obtient ce qu'il mérite. "

Pendant les kîrtan, on a pu voir des animaux, comme des chiens ou des chèvres, se serrer tout contre le corps de Mâ, plaçant leur tête sur ses genoux ou tournant autour d'elle et mangeant le reste des friandises dispersées sur le sol après la fin du kîrtan, en les recherchant comme l'auraient fait des êtres humains. On voyait même des serpents venimeux venir ramper autour d'elle. Un jour, Girijiprasanna Sarkar remarqua un serpent dressant sa tête au-dessus de la tête de Mâ, alors qu'elle était assise au pied d'un arbre dans le parc de Siddhesvari, bien que l'espace tout autour ait été propre. Dans la maison de Niranjan Roy, un serpent a suivi Mâ dans une chambre du premier étage, malgré l'éclairage électrique de celle-ci.

Ce que dit Mâ est si universel et si attirant qu'on sent ses désirs les plus élevés exprimés dans ses paroles. Chacune des paroles qui sortent de sa bouche illumine naturellement un horizon nouveau, éternel et glorieux. Elle ne se lance pas dans des raisonnements ou des discussions élaborées; elle ne donne pas non plus d'elle-même des instructions ou des commandements à qui que ce soit. Un être obtient d'elle autant que le réclame l'intensité de son amour et de sa dévotion.

On a vu bien des fois des gens l'approcher avec leurs problèmes et, à leur grand étonnement, trouver des réponses à leurs doutes ou à leurs difficultés pendant la conversation de Mâ avec d'autres personnes. Un jour, Mâ alla à Baidyanath Dham; BrahmacHari Balânandaji lui dit: " Mâ, ouvrez-nous votre caisse au trésor. " Elle répondit: " Elle est toujours ouverte, et ce pour tout le monde. "

On a publié certaines de ses paroles dans Sad Vani ( traduit en français par jean Herbert sous le titre Aux sources de la joie, Gap, Ophrys, 1943 et Albin Michel, Spiritualités vivantes, 1996).

Durant ses entretiens quotidiens, sous forme de suggestions souriantes ou de paraboles, elle exprime des idées et des pensées la vie et la religion qui feraient un merveilleux volume de trésors spirituels si elles étaient rassemblées. Shrî Mâ utilise les petits incidents de la vie quotidienne comme moyen pour exprimer des vérités élevées et des principes du comportement humain. Diverses vérités trouvent leur expression à travers ses paroles, ses sourires, ses chants et ses hymnes, aussi bien que dans son style de vie d'une si grande douceur: par exemple, le fait que notre petite unité sociale est partie intégrante d'une grande famille de mondes puissants, que tous les êtres qui demeurent ici-bas se dirigent, à travers les tempêtes et les stress de la vie, vers le Maître infini de la création. Ce qu'elle dit est rempli d'allusions servant à nous guider dans notre vie du monde comme dans notre vie religieuse. Si nous faisons d'une seule de ses vertus l'idéal de notre existence, ce sera suffisant pour nous mener à la Réalisation du Soi. Elle semble avoir pris son corps pour le bien de l'homme, pour ceux qui ont un vif désir de progrès spirituel, pour les aider à se libérer des misères et de la détresse qui les enchaînent depuis la nuit des temps.

Le thème central de ses conversations et de ses paroles est le suivant: la vie et la religion ne font qu'un. Tout ce que vous faites pour vivre, pour votre travail, pour votre jeu quotidien, tous vos efforts pour gagner votre pain doivent être accomplis avec sincérité, amour et dévotion, avec la conviction ferme que la vie véritable consiste à se perfectionner pour s'harmoniser avec l'univers. Pour instaurer cette synthèse, la vie religieuse doit être rendue aussi aisée et naturelle que le fait de se nourrir ou de boire quand on a faim ou soif.

Mâ dit: " Acquittez-vous de vos tâches quotidiennes avec sérieux et bonne volonté, et essayez de monter sur le chemin pas à pas. Dans toutes les activités humaines, qu'il y ait un contact vivant avec le Divin et vous n'aurez pas à abandonner quoi que ce soit. De cette façon, votre travail sera accompli correctement et vous serez sur la voie pour trouver le Maître. De même qu'une mère nourrit son enfant avec tout le soin et toute l'affection possibles et lui permet de grandir et de devenir un garçon en bonne santé puis un beau jeune homme, de même vous vous rendrez compte que les touches subtiles de la Mère Divine façonnent votre vie intérieure et lui font atteindre sa pleine stature. Quel que soit le travail que vous devez exécuter, accomplissez-le avec un esprit concentré, avec toute la simplicité, le contentement et la joie dont vous êtes capables. Ainsi pourrez-vous tirer le meilleur parti de votre travail. Quand l'heure sera venue, les feuilles mortes tomberont naturellement et de nouvelles apparaîtront. "

Nous avons souvent entendu dire par Shrî Ma qu'elle était entièrement absorbée par son travail quand elle s'acquittait de ses tâches ménagères. Elle n'accordait pas la moindre attention à ses vêtements, à sa nourriture et même à son corps pendant ces périodes. Elle se consacrait totalement aux tâches qu'on lui assignait et suivait les ordres de ses aînés dans la famille avec un soin scrupuleux. Ses voisins disaient souvent: " Cette jeune mariée est complètement dépourvue de bon sens. "

Shrî Ma dit:" De même qu'il y a un horaire défini pour travailler à l'école, au bureau ou à la boutique, de même nous devons réserver pour la contemplation divine quelques minutes des vingt-quatre heures qui forment la journée, de préférence le matin ou le soir. On doit prendre la ferme résolution de consacrer sa vie durant cette petite période à Dieu. A ce moment-là, nulle activité du monde ne devrait pouvoir empiéter sur la contemplation de Dieu. On doit permettre un temps de méditation fixé à tous les membres de la famille, y compris les serviteurs. Si l'on poursuit cette pratique pendant longtemps, la contemplation divine deviendra une partie de notre nature. Une fois qu'on aura pris cette habitude, notre vie future deviendra facile. Vous ressentirez le flot de la mystérieuse Grâce divine qui nourrit toutes vos pensées et qui vous donne une force neuve... Vous bénéficiez d'une retraite ou d'une récompense après avoir travaillé dur pendant des années, et ainsi vous n'avez plus à gagner votre vie. Dans le royaume spirituel, la récompense pour un bon travail, fait sincèrement et sans trace d'ego, est bien plus grande et on peut l'obtenir plus facilement.

" Votre retraite se termine à la mort, mais la "retraite divine" continue très longtemps après celle-ci. Ceux qui accumulent de l'argent l'entassent chez eux, dans une chambre cachée, et ajoutent à cette réserve ce qu'ils peuvent mettre de côté de temps en temps; ils surveillent constamment leur trésor. De même, réservez un petit coin de votre esprit et de votre cœur pour Dieu et dérobez toujours une occasion d'ajouter à votre "réserve", sous forme de temps consacré au japa, à un travail spirituel ou à la pensée divine. "

Un jour, Shrî Mâ expliqua les diverses manières de faire pranâm à Dieu et dit: " Perdez-vous complètement quand vous vous inclinez devant Dieu avec une dévotion unifiée, et vous obtiendrez une joie et un pouvoir en proportion. Si vous ne pouvez faire autre chose, au moins, au moment réservé pour cela matin et soir, déposez votre corps, votre esprit et votre vie devant Lui avec révérence et abandon, et pensez juste un petit peu à Lui. " Elle ajoutait à ce propos: " Il y a deux sortes de pranâm: l'une est de s'offrir à lui avec son corps entier, avec son esprit et toutes ses pensées, désirs, impressions des sens, amour, affection, dévotion; c'est exactement comme vider le contenu d'une cruche qui était pleine, jusqu'à la dernière goutte. L'autre manière consiste à verser du talc par les petits trous de la boîte à poudre: la majeure partie de vos pensées et de vos désirs est retenue dans la chambre secrète de votre esprit, et vous ne laissez échapper qu'un peu de poussière. "

A l'occasion de son transfert de Dacca comme directeur général des postes, Pramatha Babu alla faire ses adieux à Shrî Mâ. Elle lui dit: " Qui salue qui? Vous vous inclinez devant votre propre Soi. " Il tressaillit de joie et d'admiration en entendant une telle remarque.

Un jour, le Pr Atal BeHari BhattacHariji tomba malade durant les vacances de Durgâ-pûjâ. Il eut le vif désir que Shrî Mâ vienne lui masser la tête, comme si elle était sa propre mère. Mâtâjî vint et lui passa les mains sur tout le corps, de la tête aux pieds. Une fois guéri, il retourna à Rajshahi, son lieu de travail. Quelques jours plus tard, on discuta de cet incident à Shahbag. J'émis l'avis que cette personne manquait de bon sens et n'était guère intelligente: " Je ne vois pas pourquoi il a demandé à Shrî Mâ de venir s'occuper de lui ainsi pendant sa maladie. " Mâtâjî n'avait pas fini d'entendre ma remarque, que son visage changea de couleur. Elle dit: " Dois-e te masser les pieds ? " Sur ces mots, elle s'avança vers moi. Je m'enfuis alors, et Mâ me poursuivit. Pitâjî intervint et la stoppa. Je me rappelle encore le visage enfantin de Shrî Mâ, rayonnant de chaleur maternelle, toujours désireuse de soigner, servir et atténuer les peines de tous ses enfants. A ce moment-là, Shashanka Mohan Mukherji s'écria: " Mâ, Mâ ! " et tomba à ses pieds.

A ce propos, Mâ a dit: " De même qu'un corps humain a différentes parties, comme la tête, les mains, les cuisses, les pieds et les doigts, je vous considère tous comme mes différentes parties. Vous appartenez tous au même corps, et chacun d'entre vous doit faire un travail d'égale importance. "

Une autre fois, feu Nirmal Chandra Chatterji, de Bénarès, offrait des fleurs aux pieds de Shrî Mâ. Juste à ce moment-là, passa un homme portant un panier de fleurs, qui allait accomplir le rituel de sa divinité d'élection dans un autre endroit. Mâtâjî ramassa les fleurs qu'on avait déposées à ses pieds et les mit dans le panier. Nirmal Babu lui ayant demandé les raisons de ce comportement, sa réponse fut: " Tout le monde n'adore qu'un seul Etre, toutes les mains et les pieds appartiennent à un seul Corps. "

Une autre fois, alors qu'elle frappait le sol avec un bâton de bambou, une mouche fut accidentellement tuée par l'un des coups. Avec beaucoup d'attention et de soin, Mâ la recueillit et la garda dans son poing fermé. Ceci se passait en présence de nombreuses personnes et la conversation se poursuivit pendant quatre ou cinq heures. Puis Shrî Mâ ouvrit le poing et me dit: " Peux-tu faire quelque chose pour le bien de cette mouche qui est passée dans l'au-delà ? " Je répondis: " J'ai entendu dire ceci: "A l'intérieur du corps de l'homme il y a un paradis." Et, disant cela, j'avalai la mouche. "

Mâtâjî se mit à rire: " Qu'as-tu fait ? Ne tombe-t-on pas malade quand on a mangé une mouche ? " Je répliquai: " Si vous le souhaitez, la mouche obtiendra une meilleur existence, et rien de fâcheux ne m'arrivera. " De fait, je ne suis pas tombé malade.

 En parlant de cet incident, Shrî Mâ dit: " Les insectes, les mouches, les araignées et les êtres humains, tous appartiennent à la même famille. Personne ne peut dire qui ils étaient, ils sont ou ils seront, ni comment ils sont reliés les uns aux autres. "

J'avais un ami, musulman très pieux, feu Mavlavi Jainuddi Hossain.Il consacrait presque tout son temps à la contemplation divine. Un jeudi soir, j'allai à Shahbag en sa compagnie, ainsi qu'avec Niranjan. Le kîrtan battait son plein dans le Nâtmandap (mandap "pavillon", nom donné à des édifices religieux à colonnes, soit accolés à un sanctuaire, soit indépendants dans l'enceinte des bâtiments cultuels d'un temple).

  Nous restâmes à distance sous un arbre afin de ne pas être vus de l'endroit des kîrtan. Après une demi-heure environ, nous eûmes la surprise de voir que Shrî Mâ sortait subitement de la salle avec les fidèles, qui la suivaient munis d'une lanterne. Elle s'approcha de nous à grands pas, toucha de sa main droite mon ami et continua son chemin. Nous la suivîmes. Il y avait, dans un coin de Shahbag, la tombe très bien conservée d'un saint musulman. Shrî Mâ s'y rendit et prit les postures habituelles des musulmans durant leurs prières, prononçant en même temps toutes les formules qu'ils utilisent. Mon ami musulman se joignit à elle. En revenant de là-bas, on reprit le kîrtan, et mon ami chanta aussi avec le groupe, frappa des mains et tourna répétitivement en rond. Il se trouvait que le responsable de la tombe était absent ce soir-là, et qu'il n'avait pas allumé les bougies ni offert les petits gâteaux comme d'habitude. Sur les conseils de Mâtâjî, mon ami offrit quelques batasha (sorte de bonbon préparé à partir de sucre bouilli et contenant des bulles d'air) sur la tombe et il alluma les bougies. Ayant éprouvé le désir de voir Shrî Mâ manger quelques-uns des bonbons, quand il les lui apporta sur une assiette, elle ouvrit la bouche et il en déposa quelques-uns dedans. Lui-même prit sa part de prasâd offert à la fin du kîrtan. C'était un musulman orthodoxe, mais il avait une haute notion de Shrî Mâ, et après cela il en vint à avoir un respect inébranlable pour elle.

Pour répondre à l'affectueuse demande de la veuve d'un riche musulman, Shrî Mâ dit la prière (namaz) sur cette même tombe. La veuve étant une dame instruite, elle dit qu'il y avait eu une merveilleuse correspondance entre ce que Mâtâjî avait dit et les textes sacrés utilisés durant la prière musulmane. Mâtâjî dit: " Il y a quatre ou cinq ans environ, quand j'étais à Bajitpur, je vis le corps éthérique du fakir dont la tombe était là. Après notre arrivée à Shahbag, je l'ai rencontré avec quelques uns de ses disciples. C'était un personnage robuste, d'origine arabe. " Ces affirmations ont pu être vérifiées.

Un jour, Mâ se rendit chez Rai Bahadur Jogesh Chandra Ghosh, où il y avait un kîrtan. Soudain, on la vit changer d'expression. Un jeune musulman, habillé comme un hindou, était assis à peut- être une cinquantaine de mètres de là. Mâ se fraya un passage vers lui à travers la foule et se mit à réciter: " Allah, Alla-ho-Akbar ". Le jeune homme fut ému jusqu'aux larmes et s'associa à Shrî Mâ dans la récitation des prières habituelles. Il dit par la suite: " La facilité et la clarté avec lesquelles Shrî Mâ invoque le nom d'Allan dépasse ce que nous pouvons faire de mieux. Jamais auparavant je n'ai eu autant de joie qu'en récitant le nom de Dieu en compagnie de Mâ. "

Shrî Mâ introduisit le nom du Seigneur Vishnu (Hari) dans une famille musulmane très respectable. Pendant qu'ils récitaient le nom, ils étaient émus jusqu'aux larmes. Ils avaient un grand respect pour Shrî Mâ. A ce propos, elle disait: " Hindous, musulmans et toutes les autres communautés du monde sont unes. Elles adorent toutes un Etre suprême unique et implorent sa grâce. Kîrtan et namaz (la prière musulmane) sont un et identiques. "

Shrî Kali Prasanna KusHari et son épouse, Srimati Mokshada Sundari Devi, la sœur de Pitâjî, aimaient beaucoup Mâ. Ils trouvaient grand plaisir en sa compagnie. Une fois, Shrî KusHari vint à Dacca, mais il habitait ailleurs. Il avait discuté de questions religieuses avec Shrî Mâ et était sur le point du départ. Il dit en riant: " On vous attribue un grand pouvoir; si tel est le cas, vous n'avez qu'à me brûler et me réduire en cendres. " En disant cela, il alluma quelques bâtons d'encens et partit chez lui avec les bâtons en main. Pitâjî et Mâtâjî devant aller ailleurs, tous partirent de concert. Le soleil était impitoyable. ShriîKusHari abritait Mâ de son ombrelle; ils allaient en avant. Soudain, KusHari s'exclama: " Mais d'où diable me vient cette pluie de feu sur la tête ? Me brûlez-vous pour de bon ? Je vous en prie, arrêtez ce feu ! J'ai eu une preuve amplement suffisante de votre pouvoir. " Il fut consterné de s'apercevoir qu'une partie de son ombrelle était effectivement brûlée.

Une autre fois, un monsieur déposa des fleurs aux pieds de Mâ. Elle en prit une et, en montrant ses pétales, son pollen et en faisant allusion à son parfum, elle illustra les aspects physique, astral et spirituel de la vie, et fit saisir aux gens le jeu éternel du Divin.

 

Shrî Mâ est toujours en déplacement d'un endroit à l'autre. Elle a dit à ce propos: " Je trouve un vaste jardin qui s'étend à l'univers entier. Toutes les plantes et les animaux, tous les êtres humains, toutes les entités supérieures jouent dans ce jardin de façons variées, chacun à son caractère unique et sa beauté. Cette présence et cette variété me procurent une grande joie. Chacun d'entre vous ajoute, avec ses caractéristiques propres, à la splendeur du jardin. Je me déplace d'un lieu à un autre à l'intérieur du même jardin. Qu'est-ce qui vous fait ressentir mon absence si durement quand je quitte votre partie du jardin pour une autre, afin d'aller réjouir vos frères qui sont là-bas ? "

Vers le milieu de l'année 1931, alors qu'elle marchait dans les prés de Ramna, Shrî Mâ dit: " La prière est une part essentielle de la pratique de la religion. Son pouvoir est irrésistible; la prière sauve la vie des êtres humains. Il est bon d'offrir à Dieu toutes les pensées et les émotions qui remontent dans votre cœur. Priez pour son aide avec beaucoup de sérieux et un esprit d'abandon. "

 

A cette même époque, je lus dans les journaux que Lord Irwin demanda à son père son opinion avant de venir en Inde en tant que vice-roi et gouverneur général. Le père répondit: " Ne t'inquiète pas de la suite des événements; nous n'avons pas de prise sur eux. Prie Dieu, et il se peut que tu aies quelque intuition du futur. " Le père et le fils se rendirent ensemble à l'église pour prier. Sur le chemin du retour, le père dit: " Tu devras partir en Inde. " Le fils ajouta: " Je ressens aussi la même chose. "

Lorsque Shrî Mâ entendit cela, elle dit: " C'est un bon exemple de l'efficacité de la prière. Mais on doit avoir une fois profonde, comme un enfant. Par une pratique constante, la fondation de la foi s'affermit dans le cœur, et une prière sincère en jaillit. Grâce à la dévotion, l'esprit réel de la prière s'éveille dans une âme quand la Divine Grâce se manifeste dans le résultat désiré. "

Une autre fois, Mâ a dit: " Quand vous parlez de la grâce divine (kripâ), cela sous-entend que quelque chose descend sur l'homme sans raison perceptible. Cela vient de soi-même, en son temps. Un enfant, par exemple, peut oublier sa mère parce qu'il est absorbé dans son propre jeu; mais la mère se penche vers lui avec amour et le prend sur ses genoux. C'est ainsi que la grâce divine touche quelqu'un. L'affection d'une mère se révèle avant que l'enfant ait le temps d'y penser. Vous allez certainement dire que les bénédictions sous forme de grâces divines sont les résultats des bonnes actions dans des vies antérieures. Cela peut être vrai d'un certain point de vue, mais d'un autre on peut dire qu'il ne faut pas chercher à sonder les intentions de Dieu, dans la mesure où celui-ci est absolument libre de l'enchaînement des causes et des effets. Bien que nous nous troublions souvent l'esprit pour essayer de trouver des raisons à la grâce, sa miséricorde s'étend également sur tous les êtres. Mais lorsqu'on développe une vision plus haute, on commence à sentir le contact divin. Prenez refuge en cela, et tâchez d'être toujours en contact avec Lui; vous ressentirez le libre flot de ses bénédictions sur votre âme, de même qu'un seau d'eau sort d'un puits seulement lorsqu'on tire la corde à laquelle il est attaché. "

A ce propos, on demanda à Mâ: " Une personne qui a vu Dieu peut-elle Le faire voir aux autres ? " Elle répliqua qu'on ne pouvait avoir Sa vision que quand le temps était venu. Celui qui a lui-même cette vision peut aider les autres dans ce sens seulement jusqu'à un certain point. La vision elle-même n'est possible que par la grâce de Dieu.

Une autre fois, on s'était mis à débattre à propos des vies antérieures. Shrî Mâ dit: " La renaissance est un fait. Il n'y a pas de doutes là-dessus. Quand on retire la cataracte par une intervention, la vue est rétablie. De même, par une concentration profonde sur le Divin, quand le voile qui obscurcissait la vision est ôté et l'esprit purifié et centré sur le Soi, à ce moment- là nous apparaît la signification des mantras et des divinités dont ils sont les formes sonores. De même qu'en étant à Dacca, vous pouvez avoir une représentation mentale de ce que vous avez vu à Calcutta, de même vous pouvez projeter sur votre écran mental actuel une image bien vivante de vos vies antérieures. Quand je vous vois, je peux observer en vision une série d'images de vos naissances précédentes. " Un jour, à Calcutta, Mâ reçut la visite de parents accompagnés de leur fils qui avait sept ou huit ans. En voyant l'enfant, Mâ fit remarquer: " Ce garçon a été le frère de ce corps dans sa vie précédente. " Un des frères de Mâ décéda très jeune. ll avait eu un trauma important du bras qui lui avait laissé une déformation. Le garçon dont il est question avait aussi un bras déformé.

En certaines occasions, Mâ manifeste un courage merveilleux et un tempérament impétueux. Il n'y a pas trace de peur en elle. Ce qu'elle veut ou dit doit être mis à exécution. Si on permet à ses pensées ou à ses actions de se concrétiser, sans faire obstacle ou émettre de protestations, le résultat est positif pour les gens; sinon, il est négatif. Dans ses années de jeunesse, on pouvait trouver des exemples de cette règle de manière courante.

Quand elle avait quatre ou cinq ans, elle avait l'habitude d'aller chez son arrière-grand-mère avec un pot pour rapporter du yaourt. Un jour, elle remplit le pot presque à ras bord. Cela irrita la vieille dame qui dit: " Vous mangez tellement de yaourt chaque jour ! Aujourd'hui, vous n'en aurez pas du tout ! " La vieille dame n'avait pas fini de proférer cette menace qu'elle s'aperçut, à sa grande consternation, que le pot s'était percé et que tout le yaourt se vidait par le trou. Stupéfaite, elle regarda le visage de Nirmalâ. Après cet incident, elle l'appela pour venir chercher le yaourt, même s'il se trouvait qu'elle arrivât tard.

Nous avons vu parfois la sévérité de Shrî Ma frapper les gens comme la foudre, bien qu'elle soit d'une nature aussi douce et tendre que la fleur. Un jour, elle a été si stricte envers moi, car j'avais parlé de manière irréfléchie, qu'elle me dit, comme un ordre: " Va-t-en, je ne veux plus te voir ! " Une autre fois, je lui avais désobéi et il en résulta qu'elle observa le silence pendant quelques jours. Il y eut de nombreuses occasions où j'ai eu la chance qu'elle me réprimande vivement. Si quelqu'un fait une erreur et manifeste son repentir, son regard doux et rempli de compassion répand une grâce tellement indicible que l'esprit du fautif en est bouleversé et qu'il devient pur et heureux; mais si son esprit, du fait de l'orgueil et de la colère, se cabre en entendant ses paroles, il ressent une angoisse terrible tant qu'il ne s'est pas repenti.

Une fois, Pitâjî prit ma défense, mais Ma dit: " On réprimande sévèrement ceux qui sont capables de le supporter. Si vous voulez abattre un arbre, vous devez utiliser d'abord la hache; après, on peut employer une hachette ou un couteau pour couper les rameaux et les petites branches. De même, une réprimande peut être sévère ou modérée selon les cas. "

Pour ce qui est de venir en aide à ceux qui sont malades ou en état de détresse, sa bonté se manifeste de diverses manières. Elle a dit de nombreuses fois: " Je ne fais ou ne dis rien de manière calculée, ou par un effort de volonté. Ce sont vos pensées et vos désirs qui poussent ce corps à dire ou faire certaines choses pour votre bien. Je vois souvent ce qui arrivera ou non dans l'avenir, mais les mots ne trouvent pas toujours le chemin de l'expression. "

Trop nombreux pour qu'on puisse les énumérer sont les cas où des garçons ou des filles, des hommes et des femmes ont obtenu une aide, un soulagement directement ou indirectement, dans des cas de maladie, dans leur commerce ou leur profession, dans leur examen ou leur concours, dans leur mariage, etc. Pour débarrasser les gens des maux de l'existence, Mâ s'est fait des blessures dans son propre corps, ou elle a pris sur elle les souffrances des malades. De tels cas sont innombrables. Il était également fréquent que des appels à l'aide d'étrangers, qui lui étaient transmis par des tiers, induisaient une représentation de leurs souffrances dans son esprit et ils étaient soulagés de leurs maux. Nous avons entendu Shri Mâ dire que lorsqu'elle entend une prière sincère pour transformer les malheurs de quelqu'un, celui-ci recevra de l'aide d'une manière ou d'une autre. Beaucoup de gens l'ont vue dans leur rêve et ont senti sa bénédiction dans leurs deuils ou leurs maladies.

Les parents d'une jeune fille atteinte de paralysie vinrent voir Mâ dans l'espoir d'une guérison. Elle demanda à la jeune fille de rouler sur le sol. Celle-ci ne put même pas bouger, ni se retourner. Shrî Mâ coupait en petits morceaux des noix de bétel pour le culte d'une divinité. On jeta quelques morceaux à la jeune fille en lui demandant d'étendre la main pour les attraper. Elle réussit à se saisir de quelques-uns d'entre eux avec grande difficulté. Là-dessus, la famille s'en alla. A la maison, la jeune fille était au lit. L'après-midi suivant, elle entendit le vacarme d'une voiture qui passait; tout d'un coup, elle sauta du lit et courut après. Ensuite, progressivement, elle retrouva l'usage de ses jambes.

Un jour, un coche passait sur la route de l'autre côté du terrain de Ramna. Shri Mâ me demanda de l'arrêter. Elle y monta. Le cocher, qui était un musulman, lui demanda: " Où allez-vous ? " Elle répondit immédiatement: " Chez vous. " Sans dire un mot, il la conduisit chez lui. En arrivant là-bas, on y trouva un vieil homme à l'article de la mort; la famille pleurait à son chevet. Shrî Mâ me demanda d'apporter quelques friandises qu'on distribua parmi les assistants, et elle s'en alla. Nous apprîmes par la suite que le vieil homme avait retrouvé la santé.

Shrî Mâ avait d'autres manières de soulager ceux qui souffraient. Elle demandait à un malade de fermer les yeux et d'utiliser la première chose sur laquelle il pouvait mettre la main. On s'apercevait qu'il guérissait en suivant ses instructions. Parfois, elle demandait à un patient de manger la nourriture qu'on avait préparée pour elle, tandis qu'elle mangeait le régime particulier qui lui avait été destiné. Dans des cas de fièvre ou de maladie intestinale sévère, les patients, suivant les conseils de Mâ, mangeaient des aliments considérés comme impropres par les médecins, et pourtant ils retrouvaient leur état de santé habituel en un rien de temps.

Lorsque mon fils avait quinze ou seize ans, il fut atteint de dysenterie pendant dix ou douze jours. Shrî Mâ vint le voir un soir. A partir de ce soir-là, il entra en convalescence, mais Shrî Mâ eut la dysenterie pendant quelques jours. On a aussi observé que si tel ou tel patient n'était pas destiné à se remettre, soit il enfreignait les instructions de Mâ consciemment, soit il ne réussissait pas, du fait des circonstances, à les suivre. Dans de tels cas on pouvait deviner le résultat final d'après le comportement de Mâ. D'après les Ecritures hindoues, les résultats de nos actions passées, durant cette vie ou durant des vies antérieures, ne peuvent être annulés que par un travail soutenu pendant cette existence même, avec l'aide de la grâce divine. Mais attirer cette grâce seulement par nos bonnes actions est difficile. La grâce d'un saint, inspirée par sa compassion, aide nos efforts.

Shrî Mâ dit: " Aussi longtemps que votre regard (drishti) sur la création (srishti) lui confire une objectivité, elle en aura une. Il y a conflit entre les paires d'opposés (dvandva) tant que prévalent les notions de moi et de toi, de plaisir et de douleur (sukha, dukha) ainsi que de lumière et de ténèbres. Donnez la priorité aux actions inspirées par votre vraie nature et par votre devoir essentiel (svadharma), délaissez ces actions inspirées par le sentiment de manque ou les sens: de cette manière, le Soi qui réside au dedans (antar-âtman) s'éveillera. Votre regard se fixera sur le Suprême et l'opposition entre vous et le monde sera résolue. "

Dans sa jeunesse, Shrî Mâ n'eut pas l'occasion de recevoir beaucoup d'instruction, et elle ne s'en est pas préoccupée outre mesure. Mais ce qui est étonnant, c'est que les examinateurs lui posaient des questions sur les sujets mêmes qu'elle venait de réviser. Pour cette raison, on la considérait dans la classe comme une élève brillante. Elle reconnaît elle-même que depuis son enfance, elle n'a lu aucun livre; elle n'a pas écrit non plus. Cependant, elle avait une solide base de connaissances. Elle pouvait posséder à fond ce qu'elle étudiait.

Un jour, elle s'informa: " Qu'est-ce que c'est que l'Italie ? " Peu de temps après, un professeur italien nommé Tucci (connu en France en particulier par la traduction de son livre sur les Mandalas chez Fayard) vint la voir à Shahbag. Il était venu visiter l'université de Dacca. Il une question en anglais et l'on voulut la lui traduire, mais avant qu'on l'ait fait, elle donna la réponse qu'il fallait en sanskrit.

Nous l'avons priée plusieurs fois de nous donner un spécimen de son écriture en bengali. Elle dit: " Je n'écris rien avec un but précis. Quand le moment viendra, peut-être en aurez-vous un. " Heureusement, en 193O, nous pûmes obtenir d'elle un spécimen. Le sens du texte écrit par Mâ est le suivant: " O Toi, Etre Supréme, Tu Te manifestes sous toutes les formes - I'univers avec tout ce qui est créé, I'épouse et l'époux, le père, la mère et les enfants; tout cela est un. L'esprit de l'homme est obscurci par les nuages des liens du monde, mais que cela ne soit pas une raison de désespérer: allez de l'avant avec pureté, foi inébranlable et désir ardent, et vous réaliserez votre Soi véritable. "

Il y a de nombreuses photographies de Shrî Mâ, peut-être plusieurs milliers. Le fait surprenant, c'est qu'il n'y en ait pas deux de pareilles. Parmi de nombreux autres photographes, Subodh Chandra Dasgupta, de Dacca, et Shashi Bushan Dasgupta, de Chittagong, ont pris beaucoup de clichés. En octobre 1926, Shashi Bushan vint à Dacca pendant les fêtes de Durgâ-pûja et nous allâmes avec un petit groupe prendre une photo de Mâ, un matin de bonne heure.

En arrivant là-bas, nous nous aperçûmes que personne ne savait où elle était. Nous découvrîmes enfin qu'elle était allongée dans une chambre sombre en état de samâdhi. Shashi Bushan devait quitter Dacca l'après-midi même, et il désirait donc prendre des photos de Mâ dès le matin. On fit une requête spéciale à Pitaji afin qu'il lui demande la persmission.

Avec mon aide, il prit Shrî Mâ et l'assit pour prendre la photo, pendant que nous nous retirions du champ de l'appareil. Elle était toujours dans un état d'absorption intérieure, avec une relaxation des membres et de tout le corps. Shashi Bushan pensait qu'elle avait pu bouger pendant les prises, il fit donc dix-huit clichés. Ensuite, il partit pour Chittagong. Il écrivit après cela que, parmi les dix-huit clichés, seul le dernier avait donné un bon portrait qui contenait une sorte de boule, un peu comme la lune, sur le front de Mâ; et, fait encore plus étrange, mon visage apparaissait derrière elle. Voici un extrait de la lettre que Shashi Bushan m'écrivit longtemps après:

"Au moment de prendre la photo de Mâ, je chargeais six plaques à la fois, ce qui fait qu'en trois tours j'avais utilisé dix-huit plaques. Les premières plaques ne montrèrent rien qu'une boule de lumière occupant l'espace. Les plaques suivantes firent apparaître quelques contours incertains: ce n'est que dans la dernière plaque que la forme de Mâ ressortit complètement. Vous étiez loin du champ de l'appareil, de côté, et c'est de là que vous m'avez donné le signal pour prendre la photo. Depuis le début, j'étais inquiet en prenant les clichés: j'avais le sentiment obscur que quelque chose ne tournait pas rond, ce qui me mettait très mal à l'aise: mais à la dernière plaque, je sentis la joie m'inonder le coeur. A ce moment-là, je me mis à prendre mon seul refuge aux pieds de Mâ. A l'époque, j'ai été boulversé par cet évènement."

Quand on reçut la photo à Dacca, les gens suspectèrent un truquage pendant le développement. Mais quand on parla à Ma, elle s'exprima ainsi:

" Quand ce corps était allongé, presque gelé, dans la chambre obscure, celle-ci était inondée de lumière. Quand vous avez transporté ce corps au soleil, le rayonnement était toujours là, mais il se réduisit progressivement en une boule de lumière au niveau du front. Il y avait à ce moment-là dans mon esprit l'impression que Jyotish (BhaÏji) était debout derrière moi. Maintenant, c'est à vous de juger ce qui a produit une telle photo. "

Table des matières

Glossaire

 

Chapitre VII

ÂSHRAM

 

Tout le monde ressentait le besoin d'un âshram à Dacca. Un jour où j'avais été à Shahbag, par une nuit au clair de lune, Shrî Mâ nous dit: " Allons nous promener dans la propriété. " Pitâjî, Mâtâjî et moi-même sortirent. Nous nous assîmes tout près d'un endroit où il y avait les ruines d'un vieux bâtiment (le site actuel de l'âshram de Dacca). Je dis en toute humilité à Mâ que Shahbag était la propriété du nawâb de Dacca, et qu'il ne serait guère possible d'y avoir des kîrtan et des pûjâ à long terme; il était donc nécessaire d'ouvrir un nouvel âshram. Shrî Mâ répliqua: " Le monde entier est plein d'âshram, qu'allez-vous faire avec un de plus ? " Je lui dis: " Nous n'avons pas besoin d'un grand projet:, nous souhaitons seulement un petit endroit où nous puissions nous rassembler autour de vous et chanter des kîrtan. " Pitâjî me soutenait. Mâ dit: " Si vous voulez construire un bâtiment ici, le site de cette vieille bâtisse que vous voyez là- bas sera le meilleur. C'est votre ancienne maison. "

Elle rit, puis garda le silence. A l'époque, les ruines d'un temple de Shiva se trouvaient là, entourées de déchets, de briques, de pierres et d'une forêt clairsemée. C'était un endroit infesté de serpents. On en a vu de nombreux, et de taille, après la construction de l'âshram. A cette époque, Mâ offrait à certaines occasions du lait et des bananes dans ce temple de Shiva désaffecté.

Un certain lundi, on avait offert six ou sept bananes, ainsi que du lait cru dans un nouveau pot en terre. Au bout de sept jours, vers neuf ou dix heures du soir, Shrî Mâ se rendit là-bas et trouva le lait et les bananes intacts. Pas une seule fourmi n'avait touché le pot. Mâ dit qu'elle voulait boire une gorgée de lait. Beaucoup de gens essayèrent de l'en dissuader, pensant que le lait devait être infesté de microbes; mais Mâ doit faire ce qu'elle a décidé. Elle en but un petit peu et de nombreuses personnes prirent de ce qu'elle avait laissé (prasâd). Le reste demeura sur place. Le matin suivant, on découvrit que tout le contenu du pot avait été nettoyé et qu'il n'en restait pas une seule goutte.

Après nous être renseignés, nous avons appris que le temple de Shiva et le terrain adjacent appartenaient à la propriété de Ramna Kali. Quand on prit contact avec le prêtre, Shrî Nityânanda Giri, il dit qu'il ne céderait pas l'ensemble à moins de 6 000 roupies.

Quand Niranjan obtint son transfert à Dacca, quelques mois plus tard, nous essayâmes de réunir les fonds, mais sans succès. Vers le début de 1927, j'étais au lit, sérieusement malade. Un jour, Niranjan vint me voir et me dit qu'un grand propriétaire terrien de Gouripur, Brojendra Kishore Roy Chowdhury, avait envoyé mille roupies. Niranjan ajouta: " D'abord, essaie de guérir vite; ensuite, nous ferons un effort pour réunir des fonds plus importants. " Ce qu'il fit, petit à petit. Cependant Nityânanda Giri insistait pour vendre la propriété à 6 000 roupies, et pas moins. Après avoir été malade pendant plus d'un an et demi, je repris mes fonctions dans le département de l'Agriculture, à Dacca. Nous visitâmes de nombreux endroits pour y construire un âshram, mais aucun ne semblait mieux convenir que celui que Mâ avait suggéré.

Nous ne savions que faire. Vers le début de l'année 1929, Mâ était à Calcutta. Sriman Benoy Bhashan Banerji y alla et lui parla de la fondation de l'âshram de Dacca. Lorsqu'il me raconta sa conversation avec Mâtâjî à son retour, mes espérances furent ravivées. Je décidai un jour d'aller voir le prêtre de Ramna Kali et d'effectuer au moins l'achat du terrain. Juste au moment où je sortais de la maison, je vis l'image de Mâ flotter au-dessus de ma tête, ce qui me convainquit que notre projet allait aboutir. Le prêtre dit: " Comme vous ne pouvez payer la somme importante requise pour une vente directe, nous pouvons décider d'une vente à crédit, avec un premier paiement de 5 000 roupies et ensuite un loyer annuel de 3 000 roupies. Le temple de Kâlî sera aussi votre propriété. Nous pouvons prendre une décision permanente par la suite. " Après de nombreuses discussions, on décida finalement d'acheter le terrain à crédit.

Naturellement, beaucoup n'apprécièrent pas une telle solution; mais si l'on devait établir un âshram, c'est cet endroit qui semblait le plus adapté. L'âshram était pour Mâ et nous croyions qu'elle ferait tout le nécessaire pour sa fondation. Point n'était besoin de faire de spéculations sur le futur. Dans cet état d'esprit, nous avons acquis le terrain à crédit, suivant les conditions offertes. Shrî Mathura Nath Basu, Nishikanta Mitra, Brindaban Chandra Basak menèrent l'affaire. Le 13 avril 1929, on demanda à Shrî Mâ de poser le pied dans le site en ruines. Niranjan était alors endeuillé par la perte prématurée de son épouse, mais il s'arrangea pour être présent à cette occasion. Deux mois plus tard, il nous quittait à son tour. On put commencer la fondation de l'âshram grâce à l'argent qu'il avait réuni. Même si lui et son épouse sont maintenant passés dans l'autre monde, je crois fermement que leur lien avec Mâ continue jusqu'à aujoud'hui.

En ce qui concerne l'âshram, Mâtâjî a dit: " Un âshram est un lieu sacré qui éveille en l'homme la pensée du Divin. Tous ceux qui y résident doivent faire de grands efforts pour y garder l'atmosphère pure par une prière continue, la méditation et les discours religieux. Dans un tel endroit, il suffit de quelques huttes au toit de chaume pour que les résidents puissent y vivre dans la simplicité. " C'est pour cela qu'on commença à construire une petite hutte pour Mâ.

Les mouvements de Shrî Mâ et le jeu de ses différents états d'être (bhâv) sont au-delà de la compréhension humaine. Il est vain d'essayer d'empêcher ce qu'elle a l'intention de faire, ou de chercher à savoir pourquoi elle agit d'une certaine manière. Le 2 mai 1929, Shri Mâ pénétra dans le nouvel ashram de Ramna. Il y avait des cris de joie tout autour. Baul Chandra Basak apporta des guirlandes et des bracelets de fleurs, et il habilla Mâ comme Krishna. Elle aussi paraissait être d'une humeur enjouée; mais je restais à distance et observais ses mouvements. Il me semblait voir chez elle, mystérieusement, l'ombre d'un nuage. Le sourire de Mâ et son regard semblaient flotter à des lieues de toute cette cérémonie. Je revins chez moi à deux heures du matin. Le jour suivant, dans la soirée, Pitâjî se rendit dans notre quartier. Quelqu'un apporta un message selon lequel Pitâjî devait rentrer à l'âshram immédiatement. Il était environ dix heures ou dix heures et demie du soir. Je l'accompagnai. Nous trouvâmes que tout le monde dans l'âshram était triste et déprimé. Chaque visage était marqué par l'anxiété. Shrî Mâ était assise en plein air, en dehors des limites de l'âshram. On nous expliqua qu'elle en était sortie très tôt le matin, et que jusqu'à dix heures trente du soir, elle avait passé tout son temps à se promener sans but dans les champs.

 En voyant Pitâjî, Mâtâjî dit: " Il faut que ce corps puisse partir en voyage avec son père; toi, de ton côté, reste à l'âshram. " Pitâjî, après bien des protestations, finit par donner son consentement, laissant échapper tout d'un coup: " Eh bien, qu'il en soit fait comme tu le souhaites. " De nombreuses personnes accompagnèrent Mâ à la gare. Pitâjî et moi restâmes sur place, mais après quelque temps nous allâmes également là-bas. Pitâjî fit de son mieux pour dissuader Mâ de son projet, mais elle resta décidée.

Le train de Mymensingh était prêt à partir. Shrî Mâ y monta. Pitâjî me dit de l'accompagner et que, au cas où celle-ci refuserait, de monter dans un autre compartiment. Je partis donc, pour suivre ses instructions.

Après être parti pour Mymensingh à minuit environ, avec seulement une pièce de tissu autour des reins (koupinam) et sans informer qui que ce soit de ma famille de mon départ inopiné, il y eut une grande tempête en moi-même. C'est à peine si je trouve des mots pour la décrire. On dit que le soleil est la source de toute vie et activité, et, quand la nuit s'acheva, en même temps que les premiers rayons du soleil me revint en mémoire une liste infinie de choses à faire pour le bureau ou la famille. Comme nous sommes esclaves des habitudes routinières ! Les chaînes monde sont à la fois trop rigides et trop subtiles pour être brisées. Il était étrange de voir que mon mental était assombri par les pensées de tous les travaux que je devais faire ce jour-là, alors que j'avais la chance unique d'être aux pieds de Shrî Mâ. Depuis des années, j'avais aspiré à toucher ces pieds, et elle m'avait pratiquement arraché des griffes de la mort. Il me semblait que notre respect, notre vénération et notre amour n'étaient que des impulsions émotionnelles passagères; en fait, nous adorons en secret nos désirs égoïstes. Shrî Mâ dit aussi: " Vos manifestations d'amour et de vénération glissent autour de votre corps et de votre mental comme des coups de vent. Tant que vous ne laisserez pas passer un libre courant de dévotion authentique dans la chambre la plus intérieure de votre âme, comment pouvez-vous offrir la chose réelle au lieu de juste faire semblant ? "

En arrivant à Mymensingh, je demandai à Shrî Mâ: " Où voulez-vous aller maintenant ? " Elle répondit: " Dans les contreforts de l'Himalaya. " Je dis: " Est-ce bien raisonnable d'aller dans ces collines avec votre vieux père, alors que la saison des pluies approche ? Si vous souhaitez rester en solitude, allons plutôt à Cox's Bazar, au bord de la mer. " Shrî Mâ resta silencieuse.

Nous avons constaté que, d'habitude, elle ne donne qu'une fois une instruction ou une suggestion. Si nous la mettons complètement en pratique, sans aucune hésitation, tout va pour le mieux; sinon, soit nous sommes déçus, soit nous avons des problèmes inattendus.

Nous discutâmes ensemble de notre prochaine destination, et nous décidâmes de partir pour Cox's Bazar par le train de nuit. Quand nous arrivâmes à la gare d'Ashugunj, il y avait un gros orage. Shrî Mâ dit: " La fureur de cette tempête n'est rien à côté de ce que vous allez voir demain. " A Chittagong, nous prîmes le bateau pour Cox's Bazar. Quand nous atteignîmes la mer, à l'embouchure de la Karnafuly, nous fûmes pris par une violente tempête. Nous étions ballottés en tous sens et des vagues se mirent à balayer le pont. Les passagers hurlaient de peur, mais la joie de Shrî Mâ à la vue de la mer déchaînée ne connaissait pas de limites.

Shrî Mâ regardait le jeu de la tempête et des vagues; elle dit: " Ecoutez le kîrtan ininterrompu qui se passe là-bas ! Si l'homme désire pouvoir s'élever spirituellement, il doit se souvenir constamment du Nom de Dieu, chanter Sa gloire et essayer d'écouter Sa voix puissante au sein de toutes les tourmentes de l'existence en ce monde. "

De Cox's Bazar, nous nous rendîmes à Adinath (un temple au sommet d'une colline. sur l'île de Mash Kali). Shrî Mâ resta là-bas. Je retournai à Dacca. Quelques jours plus tard, Pitâjî alla à Adinath et accompagna Mâtâjî à Calcutta. De là, elle continua vers Hardwar, avec son père.

Après cela, elle fit le voyage de Sahasra DHara (Dheradun), Ayodhya, Varanasi, Vindyachal et Nawadwip. De là, elle retourna à Calcutta avec Pitâjî et continua vers Chandpur. Je la rencontrai alors qu'elle venait de Nawadwip et passait par Calcutta. J'appris que, depuis plusieurs jours, elle ne se nourrissait que de quelques fruits et de limonade et qu'elle restait allongée sur le sol, complètement absorbée dans ses méditations. Je remarquai aussi qu'elle bougeait d'une façon mécanique, comme une poupée qui aurait eu à traîner un corps en argile. En la trouvant dans un tel état, j'en vins à la conclusion que le Divin, lorsqu'il revêt un corps véhicule sur terre, doit se plier aux lois de ce monde matériel illusoire comme un mortel ordinaire.

Quelques jours plus tard, Pitâjî et Mâtâjî vinrent ensemble de Chandpur à Dacca et s'installèrent à l'âshram de Siddhesvari. Pitâjî tomba gravement malade. Après de nombreuses souffrances, il n'avait pas commencé sa convalescence qu'aussitôt, Mâ dut s'aliter; on a parlé de cet épisode auparavant.

En octobre 1929, on transporta la statue de Kâlî sous un abri au toit en tôle ondulée construit à cet effet à Ramna âshram. En 1930, des voleurs emportèrent tous les ornements en or de la déesse et en plus lui brisèrent un poignet.

On commença à se demander si l'on pouvait ou non rendre un culte à la statue brisée. On consulta à ce sujet de nombreux pândit. Mahâmahopadhyâya Panchanan Tarkaratna dit: " Puisqu'on n'a pas mis dans le fleuve l'image de Kâlî, à cause des conseils d'une sainte, qu'elle donne ses instructions pour ce cas particulier, bien que d'habitude on ne doive pas adorer une statue qui a été brisée. " Mâ conseilla de restaurer la statue et de poursuivre son culte.

Longtemps avant, je faisais remarquer à Shrî Mâ que la construction du temple serait nécessaire pour abriter la statue de Kâlî; elle me dit: " Attends une année encore. " Durant l'année qui a suivi cette réponse, vers le début de l'année 1931, grâce aux efforts infatigables de Bhupati Nath Mitra et de Nagendra Nath Roy, on posa la première pierre du temple. Quand on creusa une tranchée pour établir les fondations, on découvrit quatre ou cinq tombes, petites ou grandes, qui contenaient un squelette chacune, certains en position assise et d'autre allongée.

 Shrî Mâ me dit à leur propos: " Tout le site est particulièrement sacré, car il a été jadis le lieu de résidence de quelques sannyâsin. Tu étais l'un d'entre eux. J'en ai vu certains se déplacer dans la propriété de Ramna. Ces sâdhu désirent qu'on construise un temple sur leurs tombes afin que les gens puissent venir s'y recueillir, et ainsi maintenir la pureté de l'endroit pour le bien de tous. C'est la raison pour laquelle tu as été disposé à installer un âshram ici. Ceux qui ont pris part à ce projet ont dû avoir des liens avec ces saints décédés. "

Je demandai à Mâ: " Si j'étais un sannyâsin, pourquoi dois-je peiner autant à présent ? " Elle répliqua: " Aussi longtemps qu'on n'a pas épuisé le fruit de son karma,on doit continuer le travail qui n'est pas terminé. "

Pendant que Mâ était à Shahbag, avant le début de l'âshram de Dacca, on chantait le kîrtan presque quotidiennement; on le prolongeait tard dans la nuit à l'occasion des pleines et nouvelles lunes. Une nuit de pleine lune, j'étais dans mon lit; il était onze heures du soir, et j'étais tout à fait réveillé. Pendant longtemps, une douce mélodie revenait de manière lancinante et flottait pour ainsi dire dans mes oreilles, en répétant ces deux lignes:

Hare Murâre Madhukeitabhâre
Gopâla, Govinda, Mukanda Saure.

Il me passa par l'esprit que Mâ devait être en train de chanter cette mélodie à Shahbag. Cela ressemblait à sa voix. Le matin suivant, j'appris que Mâ avait effectivement chanté ces lignes à ce moment-là, et qu'elle avait repris sans cesse ces deux lignes.

Je n'avais vraiment pas de chance. Bien que Shrî Mâ ait essayé de m'attirer vers la divine beauté des kîrtan, je ne l'appréciais guère. Un soir, j'allai à Shahbag avec Niranjan. Il y avait du kîrtan. Mâ dit: " Ceux d'entre vous qui n'ont pas pris part au kîrtan, qu'ils chantent le nom de Dieu tous ensemble ! " Niranjan et moi chantâmes à voix basse, de façon presque inaudible à cause de notre timidité naturelle; mais j'ai simplement regretté de ne pas avoir pu suivre complètement les ordres de Mâ.

Tout d'un coup elle dit: " Nous sommes samedi aujourd'hui; demain, c'est dimanche; pourquoi ne resteriez-vous pas ensemble et ne passeriez-vous pas quelques heures de la nuit à chanter des kîrtan ? " Niranjan retourna chez lui. Je passai toute la nuit à Shahbag, à chanter des kîrtan. A l'aube, Mâ se mit à chanter sur un ton du matin:

Hari, Hari, Hari, Hari, Hari, Hari, Hari bol (dis 'Seigneur')

Cela éveilla en moi une inspiration nouvelle. A partir de ce jour, j'ai pu sentir que dans la culture spirituelle, les kîrtan avaient une place bien plus élevée que les autres rituels ou coutumes. La pratique actuelle de chanter des kîrtan à l'âshram chaque samedi soir débuta en novembre 1926. Ce jour-là, on ajouta au mot " Hari " le mot " Mâ " pour la première fois. Au bout de quelques jours, on fit des tours de kîrtan chaque jour de la semaine chez un fidèle de Mâ différent.

Pendant les kîrtan à Shahbag, les mots Hari bol étaient à la première place. Je ressentis alors que, puisque Shrî Mâ était l'objet suprême de nos pensées et de notre adoration, toutes les prières de notre âme étaient dirigées vers elle, le mot " Mâ " devrait être l'élément de base de notre kîrtan. J'exprimai cette idée à quelques personnes, mais elles n'accordèrent aucune attention à ce que je leur disais. Moi-même, je ne pouvais pas bien chanter. J'ai donc dû mettre cette question de côté pour quelque temps.

Quand Sriman Anathbandhu et BramacHari Kamala Kanta rentrèrent à l'âshram de Dacca, je leur demandai d'introduire le mot " Mâ " peu à peu dans le kîrtan. A cette époque, Kulada Kanta Banerji vint à Shahbag. Il avait un profond respect pour la pratique des rites hindous, qu'il connaissait bien. Lui aussi hésita à introduire une telle innovation dans les kîrtan. Néanmoins, il y eut une combinaison des noms " Hari " et " Mâ " dans certains chants. Il est vraiment difficilede changer les habitudes établies, les structures mentales et les modes d'expression - tout particulièrement dans le domaine religieux -, les gens préférant suivre les conditionnements anciens. En outre, secouer les chaînes de la tradition demande une force de volonté considérable.

A cette époque, je faisais le raisonnement suivant. Nous essayons de nous concentrer sur la forme de Shrî Mâ, tous nos désirs nous poussent à toucher la poussière de ses pieds sacrés. Une représentation de son visage flotte devant l'œil de notre esprit, nos oreilles font de leur mieux pour saisir toute syllabe qui sort de ses lèvres, tout notre amour, toute notre vénération s'écoule vers sa Grâce en un courant ininterrompu. Dans cet état, si nous chantons: " Prâna Gaûranga, (Gaûranga, alias Chaitanya Mahâprabhu (1486-1533), est le fondateur au Bengale d'un mouvement dévotionnel vishnouite important), Nityânanda est ma vie-même. Viens, Gaûranga, siéger dans la chambre de mon cœur " et si nous roulons sur le sol, submergés par l'émotion, peut-il y avoir une quelconque harmonie entre notre chant et le sens vers lequel se dirige le flot de notre amour et de notre vénération ?

Le but de tous les cultes, ainsi que de la concentration, est de donner à nos tendances multiples une direction unifiée, de canaliser tous nos désirs faibles, dispersés, vers l' Etre Divin que nous adorons. Dans ces conditions, si nous ne laissons pas nos pensées dans le passé lointain à propos des images évoquées par le sujet et les mélodies des chants traditionnels, mais si au contraire nous essayons de nous concentrer sur la présence vivante de Mâ grâce à des pensées et des chants qui font intervenir directement son nom et les images personnelles qui ont pour nous un attrait constant, une inspiration nouvelle sera insufflée à notre culte et à nos kîrtan. Nous parviendrons à la concentration et à l'obtention de sa grâce.

 Si nous sommes sérieux dans notre dévotion à Mâ, nous devons être capables de faire revivre dans nos kîrtan, avec le seul nom de Mâ, l'ardeur et la force des compositeurs vishnouites d'antan. Le mot " Mâ " est un mot qui se forme spontanément sur les lèvres de l'enfant depuis la naissance. C'est un dérivé naturel de OM, et il représente le souffle même de la vie. Le premier cri de l'enfant, lorsqu'il sort du sein de sa mère, est " OM-Mâ ", ce qui revient à " OM ". C'est le symbole de base, dans toute l'humanité, pour attirer l'attention de la mère vers son enfant.

Si nous décidons vraiment de considérer Mâ comme manifestation de la Mère de l'univers (jagat-janani), le chant du nom de Mâ sera notre pratique (sâdhanâ) la plus naturelle.

A cette époque environ, j'ai composé le chant suivant en ajoutant "Mâ" au kîrtan habituel. J'en donne ci-dessous la traduction:

Dans la joie ou dans la peine, dans le bonheur ou le malheur,

Appelle "Mâ, Mâ; Mâ; Mâ..."

Quand l'enfant sort du sein de sa mère / elle le met sur ses genoux / et l'initie au mantra 'Om' / Il apprend à balbutiier "Mâ, Mâ; Mâ..."

Tu apprends à te tenir sur tes deux jambes / et tu en viens progressivement à oublier / le premier mot avec lequel tu as commencé ton existence. / c'est pourquoi tu cherches dans les Védas et le Tantras pour trouver / les limites de 'Mâ' sans limite./ Si tu désires connaître le fond de ton coeur / Immerge tous les noms et les formes dans le mantra "Mâ'/ Répète sans cesse "Mâ" "Mâ", et que tes yeux soient baignés de larmes; / Découvre en Shrî Mâ Ânandamayî le refuge final de ton existence.

Vers le début de 1925, j'étais à Giridih. Un matin, Pitâjî et Mâtâjî passèrent ensemble. Je leur fis valoir que l'ashram devait avoir une manière de prier spécifique, centrée sur un nom sacré, de même que tous les ashrams ont leurs formes spécifiques de kîrtan. Il y aurait plus d'énergie dans les efforts spirituels si la personne qui est au centre des pensées, des émotions (bhav) et des actions de l'âshram avait également son nom au centre des kîrtan. On composa plusieurs chants avec une combinaison de " Hari " et de " Mâ ", et on décida d'envoyer l'un d'eux à Kulada Dada, à Dacca. Après le départ de Shrî Mâ, j'étais sur le point de lui envoyer un chant quand je ressentis en moi-même un vif besoin d'essayer une nouvelle mélodie, seulement avec le nom de Mâ. Elle vint comme une sorte de chœur:

" Mâ, Mâ, Mâ, Mâ, Mâ, Mâ, Mâ,
Appelle (dako) Mâ... Dis (bolo) Mâ.... Chante (gao) Mâ... Vénère (bhajo) Mâ... Répète (japo) Mâ...
Appelle, dis, chante, vénère, répète Mâ, Mâ, Mâ. "

Quand on envoya cela à Kulada Dada, à Dacca, il écrivit pour dire que cette composition avait fait grande impression et qu'on l'avait introduite dans le kîrtan de l'âshram.

Ceci a été le point de départ d'une nouvelle forme de kîrtan avec le nom " Mâ ". On ne pouvait les chanter réellement si l'on ne ressentait pas vivement l'absence de Mâ. Quand on a composé ces chants, Shrî Mâ était partie de Dacca pendant plusieurs mois. Ses fidèles vivaient cette séparation de manière difficile. C'est ce désir tellement intense de voir revenir Mâ parmi eux qui rendu ces chants si doux et si touchants !

Après la fondation de l'âshram de Ramna, on a chanté chaque jour les hymnes sanskrites qui étaient sorties de la bouche de Mâ (cf fin du chapitre III). Vers la fin de l'année 1931, Mâ m'appela auprès d'elle et me dit: " Les hymnes que vous chantez quotidiennement sont incomplètes à cause de l'incapacité dans laquelle vous étiez de noter toutes les paroles qui sont sorties de ma bouche. Ne peux-tu pas essayer de composer quelque chose d'autre ? "

Je pris sa suggestion au vol et j'en vins à la conclusion qu'un chant en bengali parlerait plus à une communauté bengalie que des hymnes en sanskrit. Inspiré par elle, le chant ci-dessous prit forme une nuit, vers trois heures; on peut le traduire ainsi:

Gloire à toi, Shrî Ma Ânanda Moyî, hôte éternel et sacré de nos cœurs !
Ta splendeur, Mère Immaculée (nirmala le premier nom de Mâ), illumine l'univers, et tu rayonnes des vertus célestes, ô Mère.
Tu est divinement gracieuse, tu es la Réalité absolue, suprêment belle et parfaite, ô Mère.
Tu es la splendeur des richesses du monde, la douceur incarnée, tu es radieuse, ô Mère.
Tu as le charme de Lakshmî pour Vishnu, tu es la paix, la tranquillité et la miséricorde: tous les dieux et les déesses émanent de toi, ô Mère.
Toi, qui octroies le bonheur, toi qui bénis et répands l'amour, tu es la sagesse et la libération, ô Mère.
Après avoir engendré le monde, c'est toi qui le nourris, qui le préserves et finalement le reprends en ton sein, ô Mère.
Tu es la vie même de tes fidèles, la Grâce incarnée, celle qui sauve les trois mondes, ô Mère.
Toi qui es la fascination de ceux qui connaissent, qui charmes les yogî, tu dissipes par ta présence les terreurs de l'existence, ô Mère
Tu es l'âme de tous les montra, celle qui révèle les Véda et qui pénètre tout l'univers, ô Mère.
Tu possèdes des formes et des qualités, et pourtant tu en es dépourvue; sur ton visage rayonne doucement l'amour et la félicité, ô Mère.
L'univers entier, animé et inanimé, tressaille à ton contact et chante ta louange à tout jamais, douce Mère.
Puissions-nous tous nous unir et du fond du cœur nous incliner devant toi; gloire, gloire et gloire encore à toi, ô Mère.

(Cette hymne, désignée par ses premiers mots hridaya vasini; est toujours chantées quotidiennement dans les ashrams de Mâ avant le kîrtan du soir)

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Glossaire

 

Chapitre VIII

EN ROUTE VERS UNE VIE NOUVELLE

 

Depuis ma première rencontre avec Shrî Mâ, son aspect rayonnant, empreint du bonheur éternel (nityânandamayi), et en même temps simple et charmeur, me fascinait alors même que je vivais au sein des problèmes et des difficultés du monde. Je n'avais qu'un ardent désir: obtenir sa grâce. Comme les vagues qui s'élancent de l'océan vers le ciel, de même montait jour et nuit de mon cœur un cri vers Mâ. Parfois j'obtenais un certain soulagement en appelant d'une voix forte " Mâ, Mâ ", mais j'avais rarement la chance de pouvoir le faire librement à la maison.

Comme j'avais vu le corps de Shrî Mâ manifester de multiples états (bhâva) pour le moins extraordinaires, j'étais saisi de joie et d'émerveillement en sa présence. Devant elle, je me sentais comme un enfant en bas-âge ou comme un mendiant pauvre, presque entièrement délaissé, incapable de m'asseoir à ses pieds. En fait, de toute ma vie, je ne me suis jamais assis en sa présence. Je restais toujours debout, à distance. Chaque matin, j'avais la chance de la voir en premier, parce que la plupart des gens ne pouvaient venir à l'âshram de si bonne heure. Certains matins, je trouvais Mâ assise paresseusement sur le bord de son lit, avec les paupières encore lourdes de sommeil. Parfois, ses yeux éclatants et son doux visage semblaient rayonner généreusement une affection maternelle et de la grâce pour tout un chacun; d'autres fois, son regard à l'aurore avait la sérénité et le charme de ces matins d'automne, infiniment lumineux et pourtant au-delà des choses de ce monde. Son expression changeait constamment selon l'évolution de ses pensées et de ses émotions. Parfois, elle ressemblait à une vieille dame. Parfois encore, au milieu même des farces et des éclats de rire d'une fille débordante de joie, elle se mettait soudain à avoir un regard si déterminé, sérieux et profond que nous en étions saisis d'une crainte révérencielle. Son corps se grandissait de façon surprenante, son visage prenait une expression solennelle, et nous avions l'impression que Rudranî Mâ (Rudrani Mâ, forme féminine de Rudra, lui-même aspect terrible de Shiva) était venue l'habiter tout entière. En de telles occasions, son rire sauvage, le roulement de ses yeux et la manière dont elle bougeait, tout contribuait à provoquer la terreur dans nos cœurs. Pourtant, peu de temps après, elle retrouvait son expression habituelle de joie et de douceur.

A tout moment, je me sentais attiré vers elle d'une façon tellement irrésistible que j'étais mal à l'aise si je ne pouvais aller la voir ne serait-ce qu'un seul jour, et je cherchais dans mon esprit la première occasion de venir me reposer à ses pieds. Il me semblait qu'elle m'appelait constamment, au dedans: " Viens, viens à moi " et me regardait sans cesse, ayant toujours en perspective mon bien véritable.

Bien des fois, j'ai fait des efforts de volonté considérables pour m'extirper de l'esprit toute pensée à son sujet, mais elle déjouait en un rien de temps ce genre de tentatives perverses et capturait d'autant plus mon esprit et ma raison. J'étais épuisé par une telle lutte, et j'en restais sans force, aussi inerte qu'une motte de terre. Je ne pouvais trouver aucun moyen de calmer ma soif d'affection pour Mâ. Je m'affaiblissais progressivement et mon corps lui-même en vint à entrer en crise.

 Je finis par tomber malade; c'était le 4 janvier 1927. Le symptôme initial fut une douleur aiguë dans la région cardiaque, qui ne cédait à aucune médication. Un jour, Shrî Mâ vint me voir et plaça ses mains pleines de douceur sur ma poitrine. Par ce contact, la douleur disparut complètement, mais la maladie continua à s'aggraver. Le docteur dit que j'avais contracté la tuberculose. Quelques jours plus tard, Mâ vint me voir un soir, s'assit à mon chevet et murmura quelque chose.

Longtemps après, elle m'a raconté qu'elle avait parlé ainsi à l'entité de la maladie: " Tu as fait ce que tu pouvais; maintenant, il est temps de t'arrêter. (Mâ disait qu'elle pouvait voir la forme de chaque maladie.) Depuis cet épisode-là, Mâ cessa de venir me voir. Pendant les derniers mois de souffrance aiguë, je n'ai pas eu la chance de la voir.

Cela m'était nécessaire. Le désir ardent d'avoir son darshan me faisait oublier la douleur de la maladie. Mon esprit, à cette époque, tournait constamment autour d'elle. Elle pénétrait mon corps entier, à la fois en dedans et en dehors. Plus tard, on m'a raconté qu'un jour Mâ avait dit à Shahbag qu'elle voyait du sang sur les lèvres de tout le monde. En entendant cette remarque, Pitâjî vint me voir le soir même. Je vomissais le sang et j'étais presque totalement épuisé. En de nombreuses occasions, Mâ m'a suggéré d'avance des remèdes, bien avant qu'elle soit informée verbalement de mes changements de symptômes.

Une nuit survint une crise suraiguë. Les médecins appelés à mon chevet me déclarèrent perdu. Il était deux heures du matin. Des pluies torrentielles faisaient un bruit assourdissant. Pour rendre l'ambiance encore plus sinistre, les chiens ne cessaient d'aboyer. Je me mis à avoir des visions effrayantes qui me donnaient la chair de poule. A ce moment-là je vis, aussi clairement qu'en plein jour, Shrî Mâ assise sur le côté droit de mon oreiller. Avant que le premier moment de cette agréable surprise se soit écoulé, je m'aperçus qu'elle me passait la main sur la tête. Quelle douceur, quel calme ! L'instant d'après, je dormais.

Depuis ce jour, et pendant les huit ou dix mois suivants où j'ai dû garder le lit, j'ai toujours senti que Mâ était assise sur mon lit, près de l'oreiller et qu'elle ne me laisserait pas emporter par la mort.

Parfois, je ne pouvais supporter la douleur de tousser pendant des heures, puis de cracher le sang; à ce moment-là, je répétais le nom de Mâ et la douleur ne tardait pas à diminuer d'intensité. Pendant ma maladie, Shrî Mâ demanda à Brahmachari Jogesh de partir pour l'Inde de l'Ouest et de vivre sans lieu d'habitation fixe, et seulement d'aumônes. Peut-être que cela était destiné à diminuer certaines de mes souffrances.

Après quelques mois de maladie, alors que je résidais dans un logement de fonction du Gouvernement, près de Shahbag, Mâtâjî partit pour Hardwar pour la Kumbha-Mélâ. J'eus une sérieuse rechute, dont on avertit Mâ par un télégramme envoyé à Rishikesh; mais elle ne vint pas. J'ai appris plus tard que quand Pitâjî s'était inquiété à mon propos, elle lui avait dit: " Il m'apparaît à l'instant que Jyotish (Bhaïji) repose sur mes genoux et qu'il est en paix. "

 Après environ cinq mois de traitement, je voulus me rendre compte de la qualité d'amélioration que j'avais acquise grâce à la science médicale. J'essayai de marcher quelques pas en m'appuyant sur le mur de la chambre. Le soir même, j'eus d'abondants vomissements de sang à cause de l'effort que j'avais fourni. Quand on en informa le médecin, il ordonna à ma famille que je reste alité continuellement, sans même m'asseoir.

Quatre ou cinq jours plus tard, Shrî Mâ était de retour à Dacca et vint me voir. Elle me demanda: " Comment te sens-tu maintenant ? " Je dis: " Je ne ressens plus trop la douleur, mais je suis très gêné par le fait de ne pas avoir pu prendre un bain froid depuis longtemps. " Nous étions en mai et la chaleur était écrasante. Mâ resta quelque temps puis s'en alla. Le lendemain, elle revint avec Pitâjî. Il était une heure de l'après-midi et tout le monde dormait dans la maison, y compris ma fille de onze à douze ans qui devait me veiller. Shrî Mâ dit: " Tu voulais prendre un bain; si tel est vraiment le cas, il y a un bassin là-bas, vas-y et prends ton bain. "

Ce bassin était à cinquante ou soixante mètres de la maison. Aussitôt que j'entendis les paroles de Mâ, je reçus en moi une nouvelle force inspirée par mon amour et ma vénération à son égard. Mon corps n'était alors qu'un squelette. L'avertissement du médecin et son interdiction de quitter le lit me passèrent rapidement par l'esprit, puis s'évanouirent. Dans cet état, j'essayai de me lever en chancelant pour prendre un vêtement sec à mettre après le bain; Pitâjî me prit avec lui et m'emmena au bassin. Le sol de ma maison était à plus d'un mètre du niveau du sol. Je descendis les escaliers et allai à pied sur toute la longueur. Le bassin était une réserve sur les bords de laquelle il y avait la Cité universitaire musulmane. Il y avait aussi un écriteau de l'administration des Eaux interdisant de laver des vêtements et de se baigner dans le bassin, mais ce jour-là, on ne pouvait voir personne de la Cité; chez moi aussi, tout le monde dormait. De retour à la maison, je pendis mon vêtement mouillé sur la corde à sécher le linge et je m'allongeai pour me reposer.

Aussitôt après m'être étendu, ma fille se réveilla. Elle trouva Mâ assise à ses côtés. Pendant que je traversais la pelouse pour aller prendre mon bain, de nombreuses graines d'une herbe particulière s'étaient collées à mon vêtement. Quand mon serviteur, Khagen,vit ces graines, il en déduisit naturellement que j'avais traversé la pelouse pendant la sieste. Il en informa ma femme, qui montra le vêtement à Mâ et se plaignit que j'avais été sur la pelouse, à midi, malgré l'interdiction formelle du docteur.

Shrî Mâ rit, mais ne dit pas un mot. J'étais vraiment stupéfait d'avoir pu traverser la pelouse en plein jour pour aller prendre un bain, sans que personne ne me voit, et d'avoir eu la force d'accomplir cet effort. Cela dépassait mes capacités de compréhension. Trois ou quatre mois plus tard, lorsque je quittai Dacca pour bénéficier d'un climat meilleur, j'en parlai à Niranjan. Plus tard, quand je repris mes fonctions au bureau, j'en parlai à mes médecins, qui ne voulurent pas me croire. Ma femme non plus ne voulut pas me croire au début. Lorsque je leur ai raconté l'histoire complète, ils finirent par ajouter foi à mes propos.

Quand la maladie était au plus fort, j'avais développé un désir intense de manger du riz, qui était exclu du régime que m'avaient prescrit les médecins. Niranjan en référa à Mâ en disant: " Mâ, Jyotish veut avoir du riz; les docteurs ne le lui permettent pas. S'il meurt, nous aurons un grand chagrin, celui de ne pas avoir satisfait ce désir avant sa mort. " Shrî Mâ se mit à rire et dit: " Puisque Jyotish a un grand désir de riz, qu'on lui en donne ! " Quelques jours plus tard, Pitâjî m'apporta du riz cuit à Shahbag et m'en fit manger, mais personne ne le remarqua.

Durant cette période, Shrî Mâ venait me voir quotidiennement. Un matin, elle vint de très bonne heure; après son départ, Brahmachari Kamalakanta m'apporta des fleurs de champa.En regardant les fleurs, je regrettais de ne pas être capable d'en offrir à Mâ de mes propres mains. L'après-midi, Kulada Dada m'apporta une jolie rose. Le même genre de pensée douloureuse m'envahit. On avait disposé la rose sur la table, près des fleurs de champa. J'étais vraiment désolé de ne pouvoir offrir de si jolies fleurs à Mâ. Juste à ce moment-là, elle entra soudain dans ma chambre, alla vers la table et resta là, debout, inclinée vers la gauche. Elle me regarda distraitement pendant trois ou quatre minutes puis s'en alla. Je pensais qu'elle avait pris les fleurs, car elles avaient disparu. Le lendemain, quand je la revis, je m'informai à ce sujet. Elle dit: " Je ne sais pas vraiment ce que j'ai pris, mais je pense que j'ai pris quelque chose. Je suis allée chez le zamîndâr (grand propriétaire terrien) de Dhankora et j'ai donné quelque chose à une femme. Ensuite je suis allée chez le deputy magistrate (une sorte de sous-préfet), où une femme était malade, et j'ai également laissé quelque chose là-bas. " Par la suite, j'ai entendu dire qu'elle avait laissé dans la première maison la rose, et dans la seconde les fleurs de champa. La dame malade avait guéri rapidement.

Dans cet ordre d'idée, Mâ disait: " Un désir intense est comme le souffle (prâna) de la prière et des rituels. C'est dans notre cœur que se trouve la source de la grande énergie (mahâshakti) et l'on peut trouver à la racine de chaque effort le pouvoir de création, conservation et destruction. "

Je me souviens aussi d'un autre incident. Pendant ma maladie, Pitâjî me faisait envoyer quotidiennement du prasâd de riz de Shahbag; mais on ne l'offrait au temple qu'à deux heures de l'après-midi, et il n'arrivait à la maison que bien plus tard. Personne chez moi n'aimait me voir attendre le prasâd si tard. Un jour, les critiques de ce système se firent particulièrement acerbes. Cela me chagrina tant que je me mis à penser que mieux valait cesser de m'apporter du prasâd si cela causait une opposition si violente de la part de ma famille. La journée s'écoula et, à deux heures du matin, le prasâd n'était toujours pas arrivé. Je me mis à pleurer toutes les larmes de mes yeux et, au bout d'une demi-heure, on l'apporta. J'appris par la suite que Shrî Mâ s'était contentée de se lever et avait dit: " Vite, allez donner du prasâd à Jyotish. " Par contre, on m'a laissé entendre qu'elle avait dit non quand on lui avait demandé en début d'après- midi la permission de m'apporter le prasâd. C'est pour cela qu'on ne me l'avait pas envoyé. Shn Mâ a dit à ce sujet: " Je ne fais rien de mon propre chef; vous riez ou pleurez selon les impulsions qui vous viennent et vos désirs sont accomplis. "

Pendant ma maladie, je me rendis à Vindyachal (ville près de Bénarés où se trouve un grand temple particulièrement consacré à la Mère Divine) pour un changement d'air. Il se trouva que je rencontrai Mâ à Calcutta, en chemin, et je lui demandai de m'accompagner. Elle n'accepta pas. En arrivant à Vindyachal, je passai une nuit entière à pleurer en pensant à elle. La journée d'après, Mâtâjî et Pitâjî arrivèrent.

Shrî Mâ a fait à ce propos la réflexion suivante: " Le but de toutes les pratiques religieuses est de sublimer chaque désir de l'ego et de le diriger de manière unifiée vers le Divin. Aussitôt que l'ego s'arrête de fonctionner, le 'moi éternel" prend sa place. "

De Vindyachal, j'allai à Chunars,(colline avec un vieux fort en amont de Bénarès sur le Gange) et Shrî Mâ s'y rendit également. Un jour elle me dit: " Jamais tu ne sors te promener ? " Je lui répondis: " Je suis trop faible pour me déplacer, comment serait-ce possible ? " Le lendemain, elle me prit avec elle pour aller marcher. Nous fîmes huit à dix kilomètres à pied, en terrain plat ainsi que dans des collines basses, et nous étions sur le chemin du retour vers onze heures du matin. En redescendant d'une colline, je fus pris de faiblesse et je ne pouvais pratiquement plus marcher. Mâ se retourna et dit: " La maison n'est pas loin. " Au bout de dix minutes, une carriole apparut de façon tout à fait inattendue au coin d'une ruelle; sinon, nous aurions eu à faire un bon kilomètre de plus avant d'arriver à une station. Je craignais que l'effort d'une telle marche n'aggrave ma maladie, mais cela ne se produisit pas. Shrî Mâ dit un peu plus tard: " Dans le monde de l'action comme dans le domaine spirituel, c'est la patience qui représente le soutien principal. "

Nous nous étions assis sur l'herbe, près de chez moi, avec Pitâjî et Mâtâjî. Celle-ci dit qu'elle aimerait bien se baigner avec de l'eau tirée du puits à proximité du fort. Elle se mit à insister comme une petite enfant. Je lui dis: " Laissez-moi appeler mon serviteur. " Elle répliqua: " Non, ne fais pas cela ! " J'étais déconcerté. En effet, dans ces régions-là, les gens ne vont pas tirer l'eau au puits après le coucher du soleil. Pourtant, à ma grande surprise, quelqu'un muni d'une lanterne apparut près du puits et tira de l'eau. Nous le convainquîmes de donner de l'eau pour le bain de Mâ. Shrî Mâ a déjà dit à ce propos: " Vous pouvez obtenir tout ce que vous cherchez, pourvu que la soif de l'objet de vos désirs pénètre toutes les fibres de votre être. "

Pendant ma maladie, j'ai passé quelques jours à Giridih. A un moment donné, j'aspirais à voir Mâ; à ma grande surprise, elle arriva avec un groupe dès le lendemain matin.

Après ce changement de climat, je retournai à Calcutta, mais même alors, je crachais du sang quand je toussais. Mon médecin me conseilla d'aller passer le restant de mes jours dans un endroit plus sain que Dacca.

Shrî Mâ me donna l'ordre de retourner au bureau et de reprendre mes fonctions. J'allai donc à Dacca. Pitâjî et Mâtâjî m'accompagnèrent tous les deux à mon bureau et ne s'en allèrent qu'après m'avoir fait asseoir sur ma chaise.

A cet époque, Mr Finlow, le directeur du département de l'Agriculture, était mon patron. Il m'aimait et avait une grande estime pour moi. Il me dit: " Faites autant de travail que vous pouvez à votre bureau et envoyez-moi le reste. " Il s'informa de la manière dont j'avais guéri de cette maladie grave. Je lui répondis: " C'est par la grâce de Mâtâjî qui vit à l'âshram de Ramna. Elle ne m'a donné aucun médicament. Bien que j'aie suivi les prescriptions du docteur, sa compassion a été mon seul salut. " Il dit: " Chez nous aussi, on entend de tels témoignages; je crois ce que vous me dites. "

Un soir, un de mes voisins, un homme de quatre-vingts ans du nom de Shyama CHaran Mukherji, vint chez moi. Quand nous nous sommes mis à parler de Mâ, je lui ai dit: " Ce n'est que par sa grâce que je me trouve toujours en vie. " Il laissa échapper la réflexion suivante: " Peut-on vivre plus longtemps que la durée qui nous a été destinée ? " Au cours de cette discussion, il devint tout d'un coup silencieux et s'en alla quelques secondes plus tard. Il revint, le lendemain matin, me dire: " Savez-vous pourquoi je vous ai quitté de façon si abrupte ? Lorsque nous parlions de Shrî Mâ, j'ai vu sur le dossier de votre chaise une lumière ovale, éclatante comme un soleil. A ce moment-là, il faisait sombre à l'extérieur et il n'y avait pas de lumière à l'intérieur. Je regardais tout autour et je ne pus repérer l'origine d'une telle lumière à cette heure-là; aussi ai-je décidé de réfléchir à ce phénomène avant de vous en parler. Après une méditation approfondie, j'en suis arrivé à la conviction que tout est possible par la grâce d'un grand Etre. Réellement, c'est elle qui vous a protégé tout du long. "

Quelques mois après sa première rencontre avec Mâ, Niranjan lui dit, à Shahbag: " Mâ, nous pensons très souvent avec Jyotish que lorsque votre âshram sera fondé, nous viendrons y vivre lors de nos prochaines naissances, comme brahmachârin. " Mâ me regarda et demanda: " Pourquoi es-tu silencieux ? Ne seras-tu pas capable de le faire même dans ce corps ? "

Trois ou quatre jours plus tard, quand je repris mes fonctions après ma convalescence, Shrî Mâ me rappela cette conversation et dit: " N'est-il pas vrai que tu as eu ta nouvelle naissance? " Elle prit alors une chaîne d'or qu'elle avait autour du cou et la plaça autour du mien en disant: " Depuis aujourd'hui, sois certain que tu es brahmachârin et que tu as eu ta renaissance. "

La petite hutte de deux mètres et demi sur un mètre et demi, avec des vérandas de tous les côtés, était utilisée par Mâ. Je l'avais construite en suivant mon intuition. Mâ s'allongeait dans les vérandas latérales. Elle me dit que j'avais été l'un des sannyâsin qui avaient habité ici, et que l'endroit que j'avais inconsciemment choisi pour construire sa hutte était le lieu même où j'avais passé ma vie durant mon incarnation précédente.

Je ressens que j'ai eu une chance inouie de voir Shrî Mâ incarnée dans un corps se reposer à l'endroit même où j'avais fait ma sâdhanâ lors de mon existence précédente. C'était probablement le résultat de mon karma. En effet, la première fois que j'avais vu Shrî Mâ, elle m'avait semblé incarner en sa personne tous les dieux et toutes les déesses, et, à travers la série de mes naissances précédentes, j'avais senti qu'elle avait été la Déesse à laquelle j'avais régulièrement rendu un culte.

Depuis fin 1929, pendant trois ans, j'allais à Ramna de très bonne heure avec le désir d'être le premier à voir Mâ. Dans ce but, je me levais à deux heures du matin, finissais mes prières et rituels quotidiens à quatre heures trente et sortais. Certains jours, il arrivait que je confonde les deux aiguilles de ma montre, me trompe d'heure et parte bien trop tôt. En entendant sonner une pendule dans quelque maison sur le bord de la route, je réalisais mon erreur. Ces jours-là, je marchais dans les champs de Ramna ou m'asseyais à la porte de Ramna Kalibari (bari signiefie 'temple' en bengali) en attendant les premières lueurs de l'aube. Je pénétrais dans l'âshram à cinq heures, et je marchais dans les champs avec Shrî Mâ; je revenais à la maison à dix heures et demi ou onze heures, certaines fois à midi ou même une heure.

Je ne m'asseyais jamais en présence de Mâ. Mon corps entier se redressait avec un tressaillement de joie intérieure. Quand quelqu'un me demandait de m'asseoir, j'étais bien embarrassé. Shrî Mâ gardait d'habitude le silence pendant nos promenades matinales. Elle ne le rompait que dans des circonstances exceptionnelles. Je la suivais sans un mot.

Un jour un vieil avocat, du nom d'Ashwini Kumar Guha Thakurta, nous accompagna pour la promenade matinale et dit à Mâ: " Je ne suis pas venu pour vous voir, Mâ, mais pour rencontrer votre enfant préféré et observer comment il vient à vous de si bonne heure, tous les jours, sans se soucier du froid, de la chaleur ou de la pluie, et comment il vous suit pas à pas dans un silence complet. Le simple fait de voir cela me réjouit fort. " Je lui dis: " Donnez-moi votre bénédiction afin que je puisse passer le reste de mon existence de cette manière ! " Le vieillard me serra sur sa poitrine et me dit: " Vous êtes déjà béni. "

Parfois, il y avait une grosse averse très tôt le matin mais je remarquai plusieurs fois que quand je partais avec le nom de Mâ sur les lèvres, la pluie cessait pour quelque temps et j'arrivais chez elle assez facilement. Que ce soit pendant la saison des pluies ou lors des brouillards épais de l'hiver, il n'y a jamais eu d'obstacle qui m'ait empêché de faire une marche matinale avec Mâ, pendant trois années complètes.

A une époque, les émeutes opposant les communautés hindoue et musulmane sévissaient à Dacca. Avant l'explosion, Shrî Mâ s'exclama un jour: " Que c'est terrible ! monstrueux ! " Quand je lui demandai ce que de telles expressions pouvaient signifier, elle dit: " Dans toute la ville j'entends des cris féroces, des lamentations et des gémissements ". Mais même quand la violence entre les communautés était à son comble, je ne stoppai pas mes promenades matinales. Mon voisin, Srijut Bhawani Prasad Neogi, me considérait comme son petit frère. Il me donna un jour l'avertissement suivant: " Je suis très angoissé à votre sujet pendant toute la matinée, jusqu'à ce que vous reveniez: les coups de poignard, les meurtres, les attaques sont à l'ordre du jour dans toute la ville. Est-il bon pour vous de vous déplacer à pied, seul, dans une telle ambiance ? "

Je savais que Ma n'avait rien dit contre ces promenades matinales; je n'avais donc pas peur, et je continuai cet emploi du temps.

Soudain, sorti de l'obscurité, un homme se mit à me suivre. Je lui demandai où il allait; il me répondit qu'il voulait m'accompagner. Je lui fis savoir que je me rendais à Ramna âshram. Il dit que lui aussi voulait aller là-bas. Il me paraissait suspect, et j'avais très peur. Soudain, je hurlai: " Non, vous ne viendrez pas avec moi ! " et j'avançai à grands pas sans regarder de côté ou par derrière. Après m'être éloigné d'une bonne distance, je me retournai et je vis l'homme qui était resté figé sur place comme un morceau de bois. Lorsque j'arrivai à l'âshram, je vis Mâ debout près du portail. Elle avait dans ma direction un long regard plein d'amour. Je lui fis pranâm et lui rapportai ce qui s'était passé. Elle ne dit pas un seul mot. J'appris par la suite qu'il y avait eu un meurtre dans le quartier même où j'étais passé.

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Glossaire

 

Chapitre IX

EN EXPÉDITION DANS DES CONTRÉES LOINTAINES

 

 On peut observer dans tous les domaines de l'existence que trois choses sont nécessaires dans le combat de la vie: un but noble, une ferme détermination et un dévouement complet à ce qu'on doit faire. Bien que dans certains cas, ces vertus ne mènent pas à un succès tangible, on développe au moins la capacité de faire un bon travail substantiel qui porte ses fruits à la première occasion.

Après être revenu dans mes fonctions au bureau, je repris le collier pour trois ans. Un jour, à l'âshram, Shrî Mâ cueillit une fleur et me dit en lui ôtant les pétales: " Beaucoup de tes conditionnements passés (samskâra) sont tombés, et beaucoup plus encore vont tomber comme les pétales de cette fleur, jusqu'à ce que je demeure ton soutien essentiel, comme cette tige. Est- ce que tu comprends ? " En disant cela, elle se mit à rire. Je demandai: " Mâ, comment puis-je atteindre cet état ? " Elle répondit: " Chaque jour, souviens-toi de cela une fois. Tu n'as pas besoin de faire autre chose. "

Pour dire vrai, cette idée s'enfonça profondément dans mon esprit et m'accompagna régulièrement dans ma vie quotidienne. Toutes les pensées dispersées étaient progressivement dirigées vers un but unique. Bien que des idées diverses me distraient souvent, j'avais un désir ardent de garder mon esprit fixé sur la pensée centrale que Shrî Mâ était là, en moi, comme ma colonne vertébrale. A partir de là, j'eus la conviction que ce qu'on pouvait obtenir par des pratiques religieuses constantes, par un isolement intérieur des objets des sens pouvait être également obtenu par le pouvoir d'une seule parole d'un mahâtmâ.

 Un jour, après six ou sept mois, Shfi Mâ me dit pendant notre marche matinale: " Ta vie active touche à sa fin. " Je l'entendis, mais cela n'évoqua pas en moi une réponse profonde. A cette époque également, Bhagawan Chandra BrahmacHari me disait aussi très souvent: " Préparez-vous, un saint est en train de descendre des Himalayas pour vous emmener. " Il avait une nature d'enfant et je pensais qu'il plaisantait.

Quelque temps plus tard, je pris quatre mois de congé. Je recherchai une station estivale sur les contreforts de l'Himalaya pour me changer d'air. Dans l'intervalle, le 2 juin 1932, à environ deux heures et demie du soir, Shrî Mâ m'envoya chercher par BrahmacHari Jogesh et me demanda si je voulais l'accompagner. Je souhaitais savoir où elle désirait aller. Sa réponse fut: " Où il me plaira. " Je gardai le silence. Elle ajouta: " Pourquoi es-tu silencieux ? " J'étais préoccupé par le fait que je ne pouvais informer personne à ce sujet. Ainsi donc, cédant à l'attrait du monde, je dis: " Je vais devoir prendre de l'argent à la maison. " Mâ me dit: "Prends là-bas ce que tu dois prendre." Je répondis: " C'est bon " du bout des lèvres, mais je sentais mon fils et ma femme qui émergeaient des profondeurs de mon cœur en me demandant: " Où t'en vas-tu ainsi, en nous abandonnant ? "

Quoi qu'il en soit, j'emportai une couverture, un petit matelas, une sorte de tapis de sol et un dhotî (une sorte de pagne), et je partis avec Mâtâjî et Pitâjî. En arrivant à la gare, Shrî Mâ me dit: " Prends des tickets jusqu'au terminus de cette ligne." Nous en avons achetés pour Jagannathgunge. En arrivant là-bas, le lendemain, Shrî Mâ dit: " Traversons la rivière. " De là, nous sommes partis pour Katihar. Je n'avais plus que quelques roupies mais, de façon tout à fait inattendue, je rencontrai un vieil ami qui nous donna cent roupies et une grande quantité de fruits et de friandises au lait. Nous allâmes à Gorakhpur où nous visitâmes le temple de Gorakshnath (un des 84 mahasiddhas, et d'après la tradition, celui qui a codifié le hatha-yoga), puis nous continuâmes vers Lucknow où nous avons pris le Dehradan Express. Le lendemain nous sommes arrivés à Dehradun et nous nous sommes installés dans un gîte pour pèlerins (dharmashâlâ). C'était un endroit qui nous était inconnu, tous les gens étaient étrangers et chaque chose me paraissait nouvelle.

Shrî Mâ dit au contraire: " Ici, tout me semble ancien. " Nous ne savions pas où nous allions nous rendre par la suite. L'après-midi, Pitâjî et moi-même sommes sortis nous promener, et nous avons entendu parler d'un temple de Kâlî à proximité. Nous nous sommes rendus là-bas et on nous y indiqua un temple de Shiva dans le village de Raipur, à cinq ou six kilomètres de là. C'était un endroit solitaire et propice à une vie de retraite. Les choses firent qu'un pândit de Raipur vint nous visiter. Nous avons eu une discussion avec lui et l'avons accompagné le lendemain matin à Raipur. L'endroit plut à Pitâjî. Quand nous avons demandé son avis à Mâ, elle nous dit: " Réglez cette question entre vous. Pour moi, tous les lieux sont les mêmes. " A partir du mercredi matin, 8 juin 1932, Mâtâjî et Pitâjî vécurent dans le temple.

 Les événements qui ont suivi seront publiés par la suite, si telle est la volonté de Mâ.

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Glossaire

 

Chapitre X

SHRI SHRÎ MÂ

 

Comprendre ce que Shrî Mâ représente et ce qu'elle est en réalité est au-delà de nos capacités ordinaires d'intelligence. Bien qu'elle dise toujours: " Je ne suis que votre petite fille un peu folle ", tous les pouvoirs du Divin trouvent leur expression sous forme tangible dans sa manière de vivre et son jeu (lîlâ) si subtil parmi nous.

Nous trouvons en Shrî Mâ une fontaine éternelle de joie et de douceur, bien qu'elle soit environnée jour et nuit par de l'agitation et les mille demandes de gens de toute sorte. Son aspect calme et serein, ses réponses gracieuses et toujours souriantes à chaque question, son sens de l'humour délicieux rendent heureux tout un chacun. Sa manière d'être est si universelle qu'il n'est pas déplacé de l'appeler la manifestation de la Mère de l'Univers.

Certains voient en elle une incarnation (avatâra) de la Mère divine. D'autres disent qu'elle est une pratiquante spirituelle qui a atteint la libération dès cette vie (jîvanmukta). Il nous semble qu'elle est " ce que vous considérez que je suis (manière dont Mâ s est elle-même définie, en réponse à une question de Bhaiji) ". Dès qu'on la voit pour la première fois, on est rempli de ferveur religieuse même s'il se trouve qu'on est presque imperméable aux idées religieuses. En sa présence, le rayonnement de l'expérience du Divin s'éveille dans les cœurs, fussent-ils durs comme la pierre, et l'intérieur de l'être est animé par les pulsations d'un pouvoir immense surgissant des profondeurs comme les vagues de l'océan.

Quand un jour on lui a demandé qui était son guru, et de qui elle avait reçu l'initiation, elle fit la réflexion suivante: " Dans mon enfance, mes parents ont été mes guru; ensuite, mon mari; et maintenant, dans toutes les circonstances de l'existence, chaque être vivant, chaque objet est mon guru; mais une chose est certaine, I' Etre suprême est le seul Guru pour tous. "

Du point de vue des gens du monde, Shrî Mâ est une fille, une épouse et une mère modèle. Pour un aspirant spirituel, ses paroles et ses comportements ont une signification profonde; ils indiquent les divers processus du Râja-Yoga, les différentes voies de sâdhanâ, les vérités fondamentales du dualisme, du non-dualisme et des autres écoles. Les signes de transformation physique qu'elle manifeste à certains moments peuvent faire penser qu'elle est une adepte confirmée de Vishnu; pour ce qui est des rituels tantriques,dans le culte de Shiva, Kâlî, Durga et autres dieux ou déesses et également de l'accomplissement des rites védiques, elle a provoqué l'admiration de spécialistes éminents. La seule différence que nous voyons entre Shrî Mâ et les grands maîtres qui ont atteint la perfection grâce à la Bhakti, au Jnana ou Karrna-Yoga, c'est que, dans le cas de Mâ, tous les chemins de sâdhanâ ont atteint une synthèse merveilleuse. C'est à cause de cette harmonie entre les différentes façons d'approcher le Divin que toutes sortes de personnes sont inspirées par sa présence.

Son aspect rempli de beauté et de douceur, sa patience, son endurance peu ordinaire, son esprit de sacrifice et de simplicité, sa manière gaie et pleine d'humour d'être en rapport avec les adultes comme les enfants, sa compassion pure pour tous les êtres vivants, son dépassement des paires de contraires (plaisir/souffrance, etc.) en font une figure unique de notre temps. On ne peut dire qu'elle ait atteint la perfection par ses efforts, car ceux qui l'ont observée depuis l'enfance affirment qu'elle a été la même dans ses pensées et ses actions pendant toute sa vie. Personne jusque là ne l'a vue accomplir des pratiques spirituelles ou religieuses, quelles qu'elles soient.

Les phénomènes naturels ou surnaturels qui se sont manifestés dans son corps sont apparus spontanément pour le bien de l'humanité. Ces manifestations ne dépendaient pas de sa volonté; elles n'étaient pas non plus en opposition avec elle, elles ne représentaient pas le résultat d'efforts dévotionnels de sa part. Quand on offre du beurre clarifié (ghî) dans le feu de l'autel, la flamme augmente et un parfum se dégage qui purifie et rend vivant l'atmosphère tout autour. Après quelque temps, il n'y a plus trace de l'offrande, mais la flamme continue de brûler, éclatante et pure. C'est de cette manière que, quand les fidèles de Shrî Mâ apportent leurs offrandes à ses pieds avec la vénération et l'amour les plus profonds, le contact même de ces offrandes fait jaillir la fontaine de son cœur. De la même façon aussi, le lait jaillit du sein de la mère au contact de la bouche du bébé. Dans le cas de Ma, son amour pour ses enfants s'exprime par son aspect, son visage et ses paroles. Une flamme divine illumine sa face pour quelque temps, puis il y a un retour à la normale.

Il n'y a pas de conflit en elle; la sérénité de sa volonté n'est pas troublée par des désirs d'action ou d'inaction. Elle repose complètement dans cette lumière qui forme la base inamovible de tous les principes et des pratiques religieuses, ainsi que des codes de moralité qui ont été révélés à l'humanité à différentes époques pour le bien de l'univers. Un reflet, une suggestion de cette Vérité resplendit dans toutes ses actions, paroles et chants. Sa vie illustre le fait important que l'homme peut progresser sur le chemin spirituel même en accomplissant ses devoirs quotidiens et en maintenant des relations sociales, s'il le fait à la fois avec modestie et joie.

Le temps est venu pour nous d'évaluer le bien fait à notre société par la foule de gens qui enflent les rangs des sannyâsin et des sâdhu. Il n'est pas facile, quand on est sorti du monde, des familles et de la société de leur conseiller quelque voie qui leur soit facile pour leur progrès spirituel. Il y a des personnes qui ont atteint un niveau spirituel élevé en se retirant du monde et en menant une vie de solitude dans des âshram isolés ou dans des grottes de la montagne. Leur grandeur individuelle ne fait pas monter de manière appréciable le niveau moyen de culture et de comportement des masses. Grâce à leur inspiration, de nombreux ashrams sont fondés dans diverses parties du pays, les sommets des temples qu'on y érige peuvent s'élever très haut dans le ciel, les échos bruyants des hymnes et des chants dévotionnels qu'on y pratique matin et soir peuvent entraîner un afflux de donations de plus en plus important, des distributions gratuites de nourriture (prasâd) peuvent attirer comme des mouches les foules de gens affamés qui vivent alentour, mais l'influence de telles institutions, construites avec un si grand investissement de travail et d'argent, ne contribue guère à rendre notre vie sociale meilleure et plus saine, que ce soit en répandant une meilleure connaissance, ou même simplement en enseignant à lire et à écrire, ou en inspirant un plus grand amour pour l'homme et un plus grand désir pour la vie divine. Notre société est de plus en plus paralysée par les jalousies mutuelles, les rivalités et les petites disputes au sujet de broutilles. Ceux qui ont un cœur fort ainsi qu'un sens de responsabilité réel et de service social désintéressé peuvent à peine trouver l'occasion de travailler de manière efficace, tellement ils sont paralysés par les idées sociales rétrogrades de cloisonnement entre castes héritées des temps anciens. D'autre part, on rencontre tout le temps des oppositions à une volonté de réforme. La culture, qui assure une santé physique et mentale, qui rend l'homme fort et audacieux dans tous les domaines de l'existence par la réalisation de la grâce de Dieu, qui transforme et affine nos impulsions étroites et égoïstes en un esprit de service désintéressé sans se soucier de questions de caste ou de religion, cette culture disparaît rapidement de notre pays, et sa portée parmi nous se réduit de jour en jour.

Il est temps de nous demander sérieusement quelles sont les causes d'une telle situation. Nous sommes tombés dans l'ornière étroite de groupes sectaires et de préjugés usés par le temps. Les idées, les idéaux de jadis et ceux de la période moderne se sont heurtés de front et ont créé un marasme dans notre vie sociale et religieuse. Mâ se trouve à la croisée des chemins.

Nous observons toujours dans sa vie et dans toutes ses activités un ardent désir d'assurer le bien du monde, en allant même pour cela jusqu'à se libérer du fardeau de s'occuper de son propre corps et de son confort, et en en remettant la responsabilité à d'autres. Elle s'est ainsi rendue absolument libre de faire avancer la cause du pauvre et de l'opprimé, du malade et du marginal, ainsi que d'aider les gens riches et puissants qui souffrent toujours des maladies physiques et mentales liées à leur mode de vie artificiel et amollissant.

Sa vie nous ouvre les yeux à tous. Elle montre par ses activités quotidiennes comment on peut relier chaque détail infime de la vie courante à l'Infini et comment nous pouvons développer un nouveau regard dans nos relations avec les autres pour faire de ce monde un lieu de joie, d'espérance et de paix nouvelles.

Du point de vue du monde, elle ne possède rien qu'elle puisse appeler sien. Tous les endroits fréquentés par les gens ordinaires, les temples, les dharmashâlâ, les âshrams publics et les cabanes sont maintenant ses lieux de résidence, où les gens de tous niveaux peuvent se presser autour d'elle sans obstacle aucun. Elle s'est consacrée complètement et entièrement au bien du monde. Tous les êtres vivants sont sa famille. Comme nous l'avons mentionné plus haut, elle dit: " Je trouve que le monde entier est un vaste jardin où, vous tous, vous êtes des fleurs vous y épanouissant avec votre beauté et votre grâce individuelle. Je me déplace d'un coin à l'autre de ce jardin. Qu'est-ce qui vous rend si tristes si je ne vous quitte que pour être au milieu de vos frères là-bas ? "

Elle a dit une autre fois: " Je n'ai aucun besoin de dire ou faire quoi que ce soit; il n'y a jamais eu aucun besoin, il n'y en a pas maintenant et il n'y en aura pas non plus à l'avenir. Ce que vous avez vu manifesté en moi dans le passé, ce que vous voyez maintenant et ce que vous verrez à l'avenir n'est que pour le bien de vous tous. Si vous pensez qu'il y a quelque chose qui soit mon bien propre, je dois vous dire que c'est le monde entier. "

La splendeur des activités créatrices de la Mère divine que nous trouvons révélée partout en ce monde peut être perçue dans toutes les paroles de Shrî Ma, ses actions et ses relations avec des gens de toutes origines et de tous niveaux sociaux. Pour ceux qui ont de la dévotion envers elle, elle est comme une petite enfant demandant des marques d'affection; pour d'autres qui sont dans l'épreuve à cause de la maladie ou d'autres difficultés de la vie dans le monde, son vif désir de mère de les soulager se manifeste concrètement de diverses façons. Tous ces comportements proviennent d'un réservoir de pouvoir spirituel puissant toujours en activité à l'arrière-plan.

Elle respecte et révère toutes les religions, lois et institutions sociales ainsi que chaque système d'éducation. Ceci illustre la vérité selon laquelle tout en ce monde est l'incarnation du même Etre suprême. Elle dit: « Toutes les idées religieuses s'écoulent dans une même direction, de même que tous les fleuves coulent vers l'océan; nous sommes tous un. » Si quelqu'un lui demande: « A quelle caste appartenez-vous ? D'où venez-vous ? » Elle répond immédiatement en riant: « De votre point de vue de gens du monde, ce corps est originaire du Bengale de l'Est et est de caste brahmine; mais si vous détachez votre pensée de ces distinctions artificielles, vous comprendrez que ce corps est un membre de la famille humaine unique. »

Parfois, on l'a entendue dire: « Ayez foi en ce corps. Votre foi profonde et entière vous ouvrira les yeux. » Elle dit aussi de temps en temps: « Je ne sais rien; je dis ce que vous mettez dans mes oreilles. » Et aussi: « Ce corps n'est qu'une poupée; ce n'est que parce que vous désirez jouer avec lui qu'il continue à jouer. »

Il ressort à l'évidence de ces réflexions et d'autres paroles, que le pouvoir qui se trouve derrière le monde phénoménal a pris forme en sa personne. Ses activités proviennent d'une source unique et y retournent. Elle n'a pas le sens de la dualité. Elle dit souvent soit: « Il n'y a que Toi, et Toi seulement », soit: « Je suis l'Unique,et tout est contenu en Moi. »

Un jour, Ma a dit: « Y a-t-il une différence essentielle entre vous et moi ? C'est seulement parce qu'II est qu'il y a aussi moi et vous. Si, avec une foi inébranlable, une dévotion intense et un cœur débordant d'amour quelqu'un parmi vous s'exclame: "Mère, viens, viens à moi, Mère, je ne peux passer mes journées sans Toi", soyez assurés que la Mère universelle étendra les bras vers vous et vous serrera sur son sein. » Ne la considérez pas que comme une sorte de refuge mystérieux à l'heure de l'épreuve. Souvenez-vous qu'elle se trouve toujours aussi proche de vous que votre propre souffle (prâna-shakti). Elle soutient les êtres comme la tige supporte la fleur. En vous mettant dans cet état d'esprit, vous n'aurez rien à faire, elle rendra votre fardeau léger.

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Glossaire

 


GLOSSAIRE

 

(Les a finaux brefs sont prononcés en sanskrit, mais pas en hindi actuel.)

 

Ânanda. Joie sans objet, félicité qui est au-delà de la dualité bonheur-malheur. Une des qualités fondamentales de l'Absolu, avec l'être (sat) et la conscience (chit). Mâ rayonnait tellement l'ânanda que Bhaiji lui a donné le nom de « pénétrée d'ânanda », Ânanda Moyî.

âsana. Posture de yoga.

Atmâ (ou Atman). Le Soi, en général transcrit par une majuscule, bien qu'il n'y ait pas de majuscule en sanskrit. Selon le contexte, peut aussi signifier « soi-même ».

avidyâ. L'ignorance fondamentale par laquelle le monde existe, incluant aussi toute connaissance qui n'est pas la connaissance du Soi.

 

Bhakti. Dévotion, amour pour Dieu et le guru.

Bhakti-Yoga. Correspond à la voie de la dévotion, incluant le plus souvent la récitation du mantra; elle se distingue de la voie de la Connaissance, le Jnâna-Yoga, faisant intervenir l'observation du mental. Le Karma-Yoga correspond au service désintéressé. En pratique, il est souvent associé à la Bhakti .

bhajan. Chant religieux.

bhâva. De la racine sanskrite signifiant « être, devenir ». Etat d'être, état émotionnel qui laisse transparaître à l'extérieur un peu de l'expérience spirituelle.

brahma-chârin. Litt. « celui qui se déplace dans l'Absolu »; plus couramment, celui qui observe le célibat, qu'il soit étudiant non encore marié ou moine novice.

brahmane. (Souvent traduit par brahmine, pour le distinguer du Brahman, I'Absolu.) Membre de la caste indienne chargée de la tradition religieuse.

 

Chakra. Centre d'énergie vitale; on en décrit en général sept, correspondant de façon ascendante à la sublimation par le yogi de l'énergie vitale en énergie spirituelle.

Chaitanya Mahaprabhu (1486-1533). Réformateur du culte de Krishna au Bengale, un des saints bhakta les plus célèbres de l'Inde, appelé aussi Gaûranga. Il a diffusé la coutume du chant extatique, en procession dans les rues. Il a réagi contre la décadence des tantriques et sahajika de l'époque, en insistant sur la nécessité de la pureté de vie. Le premier groupe de disciples bengalis autour de Ma s'attendait certainement à ce qu'elle ait des extases comme Chaitanya.

 

Darshan. Signifie à la fois vision d'un Dieu (cf. la vision de la forme cosmique de Krishna par Arjuna au chap. XI de la Bhagavad-Gîtâ) ou le fait de voir un sage, qu'on s'entretienne ou non avec lui.

dharmashâlâ. Gîte pour pèlerins, une institution courante en Inde.

 

Fakir (de l'arabe). Littéralement « pauvre »; désigne aussi un religieux mendiant musulman.

 

Guru. Enseignant spirituel; s'il a atteint la Réalisation, on l'appelle sad-guru.

 

Hara. Un nom de Shiva.

Hari. Un nom de Vishnu, qui s'est incarné en Rama et Krishna, entre autres.

 

Ishvara. Le Dieu créateur et personnel, équivalent au saguna-Brahman (I'Absolu avec qualités), qui est en-dessous du nirguna-Brahman (I'Absolu sans qualités).

 

Kalî. Un aspect de la Mère divine particulièrement honoré au Bengale; elle est à la fois protectrice et terrifiante.

karma. Action, ou résultat des actions antérieures. Les événements qui arrivent à quelqu'un sont dus à son karma; son libre arbitre lui permet de choisir la façon, positive ou négative, avec laquelle il va réagir. Mâ a dit qu'elle n'était pas venue en ce monde par l'effet d'un karma de vies antérieures.

khîr. Riz bouilli dans du lait, avec du sucre et souvent de la cardamome; un des desserts favoris des Indiens.

kîrtan. Chant religieux. Mâ avait composé des kîrtan, et en a chanté également jusqu'à un âge avancé.

 

Iîlâ. Le jeu, en particulier de Dieu qui agit d'une façon qui échappe souvent à notre raison, et du guru qui joue le jeu de la dualité avec son disciple, alors qu'il sait que, fondamentalement, il est un avec lui.

Lakshmi. Epouse de Vishnu, déesse de la richesse et de la maison.

 

Mahâ-bhâva. L'union à Dieu, dans la voie de la bhakti , I'expérience d'extase la plus haute, qui se traduit par un certain nombre de symptômes physiques. Mâ emploie ce terme dans un sens assez large « d'expérience du Suprême ».

mahâ-mâyâ. La Grande Illusion, à l'origine du monde manifesté; également, un des noms de Kâlî.

mahâtma. Personnalité religieuse éminente

mantra. Sons sacrés transmis par les sages (rishi) des temps anciens. Dans la bhakti , on se concentre sur le Nom de la divinité qu'on adore, afin de réussir à ce que le Nom et Celui qui est nommé ne fasse plus qu'un.

mudrâ. Geste symbolique relié à une divinité ou à un état d'être particulier; chez Mâ, des mudras venaient spontanément.

namaz (arabe). Prière musulmane.

Pandit. Savant spécialiste de sanskrit et des Ecritures. Ils sont en général mariés, contrairement aux sannyâsin.

Parabrahman. La Suprême Réalité.

pranâm. Prosternation devant ses parents, un sage ou une statue de dieu.

pranava. Le son OM, qui est la vibration primordiale à la base de l'univers manifesté.

prasâd. Nourriture acceptée par un sage ou par le prêtre au nom de la divinité, et redistribuée ensuite aux fidèles.

pûjâ. Prière rituelle, en principe matin et soir dans une famille religieuse ou dans un temple en activité.

 

Rudra. Aspect terrifiant de Shiva.

 

Sâdhaka. Celui qui pratique une sadhanâ.

sâdhanâ. Pratique spirituelle à long terme.

sâdhu. Littéralement « homme bon », moine, souvent errant. En pratique, on trouve parmi les sâdhu un mélange d'aspirants sincères et de mendiants qui prennent l'habit orange simplement pour améliorer le revenu de leurs quêtes.

Shakti. Energie divine, épouse de Shiva, au centre d'une forme religieuse courante au Bengale, le Shaktisme.

samâdhi. Enstase. En général, le yogi en samâdhi n'est pas conscient du monde extérieur, sauf s'il s'agit de l'état suprême, très rare, de sahaja-samâdhi, où l'expérience d'unité complète peut être maintenue également dans la vie courante. Le nirvikalpa ('sans alternative' ou 'sans associations d'idées' est supérieur au savikalpa samâdhi)

samskâra. Conditionnements fondamentaux venant des vies antérieures ou de cette vie-ci; ils sont comme des germes qui se développent dès que les circonstances sont favorables. Seule la Connaissance complète peut stériliser ces germes.

sannyasin. Moine; également sujet qui a atteint le quatrième et dernier stade de l'existence, où il quitte le monde pour aller vivre en solitude.

 

Shastra. Ecritures sacrées hindoues.

 

Yantra. Diagramme géométrique correspondant à un mantra. Le centre, appelé bindu, correspond au divin, le carré extérieur à l'aspirant spirituel, et les portes à la possibilité de passage de l'un à l'autre.

 

 

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Rédactrice: Nathalie MASIA