Jay Ma n°73    été 2004

 

 

Paroles de Ma

 

extraites de « 100 réponses de Mâ » choisies par B.Mukherji

dans son livre In Your Heart Is My Abode à paraître avec d’autres textes d’elle aux Editions Agamat, Paris, sous le titre  En compagnie de Mâ Anandamayi

 

  1. Dites-vous toujours : Oui, Sa grâce est partout. Je suis inondé par elle, et vous verrez alors qu'il en est bien ainsi.
  2. Etre dénué de tout souci, voilà vraiment la méditation suprême !
  3. La souffrance ? La souffrance de qui ? Qui cause de la souffrance à qui ? Il demeure en Lui-même. Quand il vous arrive de vous mordre la langue avec vos propres dents, est-ce que c'est remarquable ? Tout est en Lui seul.
  4. La manière de fonctionner du monde, c'est ce que vous êtes en train d'expérimenter : Etre né dans celui-ci, c'est souffrir et être heureux. Si vous voulez aller au-delà de cette paire d'opposés, prenez refuge à Ses pieds !
  5. Les décrets divins sont pour votre bien. Est-ce que le docteur ne vous fait pas mal afin de vous guérir ? Dieu aussi vous purifie avant de vous prendre dans ses bras. Il dit : "Donne-moi tes impuretés - et prend en retour cette vie immortelle et sans souillure. Certes, Il vous envoie de la souffrance, mais simplement pour éveiller en vous l'aspiration, c'est Lui-même qui accepte votre fardeau de souffrance, les larmes de vos yeux.
  6. La souffrance est inévitable jusqu'à ce que vous trouviez refuge aux pieds de Dieu.
  7. Il est l'antidote de la peine. Essayez de l'appeler constamment, de méditer sur lui, de le prier. Il est le bien, la paix et la félicité, la vie de votre vie, l'âtman.
  8. Dans le monde de l'action aussi bien de l'effort spirituel, le point principal, c'est la patience.
  9. Il n'y a que l'homme pour souffrir des épreuves tragiques. Soyez braves, faites-y face avec courage et détermination. "C’est Lui qui agit", en croyant ceci, prenez refuge sous sa protection.
  10. Je comprends votre sentiment de découragement profond : vous êtes entouré par les nuages sombres de malheurs imminents. Il est naturel que votre mental soit saisi par la tension et la peur. Comment s'en sortir ? Pour ceux qui sont désespérés, la seule source de soulagement est Dieu. Ne perdez pas espoir. Ayez une confiance complète en Lui, malgré tout. Si vous êtes tombé au sol, utilisez-le comme une planche à ressort pour vous relever ; en effet, c'est le devoir de l'être humain de faire effort quoi qu'il arrive. On ne doit pas considérer la malchance comme un désastre. Ce serait un péché de faire ainsi, car qui est Celui qui envoie la malchance ? Tout ce qu'Il fait est pour votre bien, c'est une loi infaillible. En aucune circonstance, même les plus difficiles, l'être humain ne doit accepter la défaite.
  11. Priez pour avoir la capacité d'endurer les épreuves. Rien n'arrive qui ne soit une expression de la grâce de Dieu : vraiment, tout est Sa grâce. Soyez ancrés dans la patience, supportez tout, demeurez en contact avec son Nom et vivez joyeusement.
  12. C'est la volonté du Tout-puissant qui prévaut à tout moment, elle est en réalité la loi de la création. La notion de "monde" signifie qu’il y a une ronde incessante de souffrances, un peu de bonheur, et des chagrins de nouveau ; c'est pour expérimenter ceci que l'homme est né. Ne voyez-vous pas que le monde n'est rien d’autre que cela sous des formes infiniment variées ?
  13. Ainsi est la nature du monde. En vous ceignant de courage, comme un héros, vous devez essayer de vous calmer vous-même. Il n'y a tout simplement aucun espoir de paix, si ce n'est dans la contemplation de Dieu. Que ce soit votre conviction ferme. C'est le devoir de l'être humain, en toutes circonstances, de chercher refuge en Lui, dont les lois régissent toutes choses.
  14. Mettez votre confiance en lui. Vous ne savez pas si, en vous imposant un malheur que vous pouvez supporter, il ne vous dégage pas la route d'un désastre plus grand.
  15. Le monde est le lieu de la dualité et donc une source de douleur. Si l'on recherche la réussite  mondaine, la souffrance est inévitable. Savez-vous à quoi cela ressemble ? C'est comme frapper volontairement une blessure déjà ouverte afin d'en redoubler la douleur. Se diriger vers Dieu par contre, c'est mettre une pommade adoucissante sur la plaie. Il n'y a pas d'autre manière d'apaiser la souffrance.
  16. Un couple qui venait de perdre d'un enfant :


Shrî Mâ : tout arrive selon son karma. C'était votre karma de servir votre enfant pendant quelques années et son karma  d'accepter vos services. Parfois, de grands saints doivent renaître pour quelque temps afin d'épuiser dans une atmosphère propice les karmas qu'il leur reste. Quand le processus est terminé, Dieu les reprend. C'est la lîlâ divine. Certaines fleurs tombent  sans porter de fruits. C’est la voie du monde. Il y a obligatoirement perte et deuil.
Le père inconsolable demanda :  "Où peut-on trouver la force de supporter de telles pertes ?"
Shrî Mâ : souvenez-vous que l’âtman de l'enfant et votre âtman sont un. L’âtman n'est jamais né,  ni il ne meurt, il est éternellement,  il n'y a que le corps qui se détache et tombe. Faites effort pour ne pas être attaché au corps et ne pas pleurer pour lui. Pleurez pour Dieu seul, si vous devez vraiment pleurer. Souvenez-vous de Lui, répétez son nom sacré. Plongez-vous dans la lecture des Ecritures, cela vous réconfortera, votre chagrin deviendra bien plus léger. Que votre vie soit une vie de consécration ! Votre maison elle-même peut être un ashram. Les souffrances viennent afin de vous rappeler d’orienter votre esprit vers la recherche des bénédictions divines.

  1. Une dame qui passait par une période de deuil : Mâ, pendant que vous étiez ici, j'ai oublié la perte de ma fille. Maintenant que vous en allez, je serai submergé par le chagrin comme avant.

Shrî Mâ posa ses mains sur le cœur de la dame et dit avec une grande compassion : "Non, cela ne vous submergera pas de nouveau si vous pensez à Dieu ; répétez son Nom sacré constamment."

  1. A une dame dont le mari était en prison pour des raisons politiques durant la période de domination britannique :

Shrî Mâ : A présent, vous vous souciez de votre mari jour et nuit parce que vous êtes sa femme. Avant de l’épouser, il était pour vous un étranger et vous n'aviez pas d'occasions de penser à lui. De même, on doit tout d'abord établir une relation avec Dieu en adorant une de Ses formes qui puisse captiver votre cœur. Ce lien de familiarité accroîtra votre intensité et vous remplira avec des pensées à propos de Dieu lui-même. A travers ce mari, pati, le bonheur vient à vous tout comme le malheur. Mais la félicité vient seulement de ce Seigneur, Pati. Néanmoins, votre mari est aussi est une forme de cet Un suprême, si donc vous pouvez penser à  lui en tant que tel, vous penserez constamment à Dieu lui-même. Tout et tous sont Ses formes, Lui seul est.

  1. Il est naturel d'être bouleversé par le deuil. Parfois, il nous semble que Celui qui est le Bien-aimé suprême de tous est  notre ennemi. Néanmoins, nous avons à nous soumettre à Sa volonté quelle qu'elle soit. Chère mère, écoutez la requête de votre petite fille  qui parle en ce moment : en ces jours de malheur et de détresse, appelez Dieu et pleurez pour lui. C'est seulement Lui qui vient à l'être humain sous forme de frère ou de mari. Il n'y a qu'en L’invoquant qu’on peut trouver la paix.
  2. Essayer de faire revenir l'esprit du disparu n'est pas bon. Très souvent, ce sont d'autres entités qui répondent  et l'individu ordinaire n'est pas en position de distinguer entre une manifestation authentique et un faux. Donc, c'est nuisible. Ne laissez pas votre mental être occupés par de tels propos. Au niveau du Soi, vous êtes uni avec votre fils. En ce monde, le bonheur  alterne invariablement avec le malheur. Gardez présent à l'esprit  qu'elle est en vous sous forme de l’âtman - à l'intérieur de vous. C'est la vérité, ce n'est pas de l'imagination. La naissance et la mort arrivent pour accomplir la volonté divine. Sous toutes les formes et en toute circonstance, il n'y a que Lui seul.
  3. Question :. Les gens disent que tout est décidé par sa destinée. Est-ce qu'il est possible de détourner ce sort par des actions convenables ?

Shrî Mâ : Tout est possible avec la miséricorde divine. S'il donne Sa grâce, qu'est-ce qui ne peut  être accompli en un instant ?

  1. Une visiteuse : Mâ, je désire la réalisation du Soi, et qui plus est rapidement. J'ai été en recherche depuis si longtemps et maintenant,  les années s'accumulent.
    Shrî Mâ : La réalisation du Soi n'est pas dans le temps.

Question : De toutes façons, avant que je meure, je dois l'atteindre ! S'il vous plaît, dites-moi comment.

Shrî Mâ : Vous devez être immobile autant que possible et méditer dans la solitude. Au lieu de cela, vous vous êtes mis sur le dos tellement de travail qui vous oblige à donner votre attention aux affaires du monde !

Question : mais je ne veux pas me retirer du monde. Pourquoi ne puis-je pas avoir la Réalisation ici et maintenant, au milieu de mes activités du monde ?
Shrî Mâ hocha la tête en disant : Cela ne peut pas être. Considérez cela sous cet angle : quand vous souhaitez écrire une lettre, vous ne le faites pas en public. Vous prenez votre stylo et votre papier et vous asseyez toute seule. Une fois écrite, vous pouvez la lire aux autres. Une fois que le Soi est réalisé, la question de vivre dans le monde ou en solitude et ne se pose pas. Mais tant que vous luttez pour cela, vous devez être vivre à l’écart.

  1. Question d'une maîtresse de maison : Mâ, il est difficile de m'adonner au nâma-japa ou à la méditation pendant suffisamment longtemps. Aussitôt que je m'asseois et que je m'immobilise, il y a une douzaine de choses qui arrivent et qui demandent mon attention.
    Shrî Mâ sourit, pleine de compréhension. Elle dit : "Supposez que vous êtes au bord de la mer et souhaitez entrer dans l'eau. Pouvez-vous attendre que toutes les vagues  se soit calmées ?"
  2. A un ascète : "demeurez tranquillement en un seul endroit et pratiquez la sâdhanâ comme un aspirant sincère et sérieux. Remplissez d'abord votre vide intérieur ; alors le trésor que vous avez accumulé débordera de lui-même et se communiquera ainsi aux autres."
  3. On peut se demander : quel mal y a-t-il à faire du kîrtan, du japa, de la méditation etc. avec d'autres ? Mais ressentir l'attraction du groupe constitue un obstacle. Cela provoquera naturellement de l’instabilité. De plus, s'il y a une trace de désir ou surtout un vrai désir  d'être le chef et le dirigeant de l'assemblée, c'est aussi nuisible. Cela vaut à la fois pour les hommes et pour les femmes.

Question : Mâ, l'autre jour, vous m'avez demandé de faire le japa de Gayatrî. Pourquoi?
Shrî Mâ : J'ai vu qu'il y a avez une cordelette sacrée sur votre épaule. Si on vous demande de décliner votre identité, vous direz : "Je suis un brahmine". Ainsi, vous devez effectuer les pratiques d'un brahmine. Vous n'avez pas à vous demander pourquoi ou à cause de quoi. Comme vous arrosez les racines d'une plante, pratiquez un petit peu de japa tous les jours. Qui sait, la plante peut revivre, vous pourrez ressentir un vrai besoin de faire vos pratiques avec un grand sérieux.
Question : Mais je ne peux pas suivre les règles de régime, etc.
Shrî Mâ : Vous n'avez pas besoin. Souvenez-vous simplement du mantra. C'est ce que je dis, maintenant la balle est dans votre camp.

 

 

 

Conversations  récentes

avec Swami Vijayananda

 

 

Q. - Vaut-il mieux suivre la voie de la dévotion, ou celle de la connaissance?

R. - Toutes les deux sont nécessaires, comme les deux ailes d'un oiseau lui sont indispensables pour voler. Mais chez certains la dévotion prédomine, alors que chez d'autres c'est la voie de la connaissance qui prend plus d'importance. Ma disait que connaître le Soi c'est connaître Dieu, et connaître Dieu c'est connaître le Soi: à la fin les deux voies se réunissent, quelle que soit celle à laquelle on s'est consacre en priorité.

L'idéal est en réalité de combiner toutes les voies: connaissance (méditation, discrimination - discernement, lecture des Ecritures sacrées), dévotion, karma-yoga, japa.

Pour les personnes qui suivent le Vedanta, la dévotion est dirigée vers le Guru, en qui l'on voit - au-delà de sa forme physique - le Divin suprême; en effet, en réalité le seul Guru est l'Absolu, qui se manifeste à travers des sages fonctionnant comme un canal. Ils sont des conducteurs plus ou moins efficaces de cette énergie divine en fonction de leur niveau, et seul un Sadguru (qui a atteint la Libération complète) est un super-conducteur, qui transmet le pouvoir divin totalement et sans l'altérer.

 

Q. - Est-ce que le renoncement (au confort matériel, aux plaisirs mondains etc.) est une étape importante dans la sadhana?

R. - Oui, si c'est définitif. Mais les renonçants véritables sont rares, et quoi qu'il en soit on peut aussi suivre une discipline spirituelle tout en vivant dans le monde. C'est une question de maturité et d'intensité de l'aspiration spirituelle. Prenez le cas de deux enfants qui sortent de l'école et rentrent chez eux: l'un souhaite si ardemment retrouver sa mère qu'il court la rejoindre, alors que l'autre s'arrête en chemin, flâne, bavarde et rentre plus tard.

 

Q. - Est-ce que le renoncement total a été difficile pour vous?

R. - Non, parce que la joie d'être près de Ma rendait toute autre chose insignifiante. A propos de détachement, Ma racontait volontiers l'histoire suivante:

Un roi très religieux souhaitait ardemment poser à un grand Sage quatre questions à propos de Dieu. Il offrit publiquement une forte récompense à qui lui donnerait des réponses satisfaisantes. De nombreux savants et sages tentèrent leur chance, mais le Roi n'était jamais satisfait. Un mendiant, qui demandait depuis un long moment à pouvoir offrir ses réponses, fut enfin - en désespoir de cause - admis auprès du Roi. Celui-ci lui posa sa première question: "Où Dieu vit-il?" La réponse fut "Où ne vit-il pas?". Le Roi, enchanté, poursuivit: "Qu'est-ce que Dieu mange?" "Il mange des égos."

"Quand Dieu rit-il?" À cette troisième question, le mendiant répondit: "En deux occasions: Dieu rit quand un père meurt et ses deux fils divisent en deux le terrain qu'il leur laisse en disant: ceci est à moi, cela est à toi, puisque tout appartient à Dieu. Dieu rit aussi lorsqu'un bébé encore dans le ventre de sa mère et souffrant d'être à l'étroit, demande à Dieu de le laisser sortir, en promettant de faire ensuite beaucoup de japa, de méditation etc. - et ensuite, quand celui-ci accède à sa demande, il oublie ses promesses".

Alors le Roi, très heureux, posa sa dernière question. " Que fait Dieu?" Le mendiant répliqua: "C'est une atiprashna (question transcendantale), donc pour y répondre, il faut que je sois assis sur votre trône et vous à ma place". Le Roi accepta. Une fois assis sur le trône, le mendiant resta silencieux. Alors le Roi lui demanda de donner sa réponse, qui fut: "C'est cela même la réponse! Dieu fait que les rois deviennent mendiants et les mendiants deviennent rois".

 

Q. - Parliez-vous avec Ma de questions personnelles, mises à part celles concernant la sadhana?

R. - Ce n'était pas nécessaire, puisque je communiquais mentalement avec Elle.

 

Q. - Vous êtes-vous totalement abandonné à Sa volonté?

R. - Je suivais précisément les conseils de Ma concernant tout ce qui est physique; si Elle m'avait dit de me jeter dans le Gange, je l'aurais fait sans hésitation. Mais concernant le mental et les émotions, je voulais maintenir un parfait contrôle.

 

Q. - Est-ce que Ma était parfois dure avec les disciples?

R. - Elle pouvait prendre une expression sévère quand nécessaire, mais c'était par Amour.

 

Q. - Comment peut-on se débarrasser des doutes?

R. - Il ne s'agit pas de les éliminer, mais d'y faire face, car c'est une étape nécessaire pour acquérir une foi profonde et solide.

Si vous avez des doutes à propos de l'utilité de votre pratique spirituelle, rappelez-vous que la conquête de soi-même est la plus grande qui soit. Elle mène à n'avoir plus besoin de quoi que ce soit venant de l'extérieur.

En outre, l'Union mystique (intérieure) est la seule qui soit satisfaisante, qui amène à une paix totale accompagnée d'une Joie infinie.

 

Q. - Comment se protéger quand l'on devient très sensible pendant la sadhana?

R. - En répétant constamment le mantra, en respectant le Dharma en toutes choses même pour les plus petits détails, et en gardant un mental calme.

 

Q. - Et comment calmer le mental quand il est très agité?

R. - En l'observant avec diligence; en le considérant comme un cheval à dresser de manière à la fois ferme et douce. Il s'agit de cesser de s'identifier avec le mental et les pensées, et bien sur avec le corps. La méditation est une grande aide pour cela.

 

Q. - Comment considérer la peur de mourir?

R. - L'instinct de conservation (de survie) existe pour protéger le corps, et crée une peur de la mort qui est à la base de toutes les peurs. Cela crée en même temps une conscience de l'impermanence, qui nous réveille en nous rappelant qu'il ne faut pas perdre de temps: nous devrions faire tout notre possible pour éliminer les obstacles et les voiles qui nous séparent de notre réelle Nature, le Soi éternel.

 

Q. - Et comment conquérir la peur?

R. - Quand une peur ou une autre émotion arrive, il importe de s'arrêter et de faire face à la sensation physique - généralement déplaisante - qui en est à la base. Il s'agit d'observer les sensations subtiles du corps qui créent les émotions, sans laisser le mental les interpréter ni s'agiter. On peut conquérir la peur en allant à sa source, qui est en nous et non dans son objet.

 

Q. - De nombreuses personnes en Occident parlent de "jouir de l'instant présent". Qu'en dites-vous?

R. - Le moment présent est conscience, et non jouissance. Etre conscient de tout ce qui est maintenant mène pas à pas à la réelle Joie de l'Unité, alors que jouir des plaisirs mondains apporte nécessairement de la souffrance, puisque cela fait partie de la dualité, où l'on est la proie des paires d'opposés.

 

Q. - Est-ce que la capacité à supporter la souffrance physique aide au contrôle du mental?

R. - Oui, parce que la douleur est généralement seulement 10% physique, alors que 90% vient du mental qui ajoute des interprétations, associations d'idées, souvenirs etc. En tentant d'éviter la douleur, de la fuir en se réfugiant dans le mental, on ne fait que rendre la douleur plus forte. En revanche, si on la regarde en face, calmement, en silence, la douleur revient à ses proportions réelles, souvent très supportables, et parfois même elle disparaît! Le contrôle du mental et la capacité à supporter la souffrance vont de pair et aident à acquérir une stabilité intérieure.

 

Q. - Pourquoi est-ce qu'il est nécessaire d'appendre à se restreindre et à maîtriser ses désirs dans la pratique spirituelle?

R. - La maîtrise de soi est ce qui rend un être humain différent des animaux, et c'est indispensable à toute vie sociale. C'est spécialement important en sadhana (pratique spirituelle), parce que la capacité de contrôler ses propres émotions - c'est la base – ainsi que les actions et pensées est ce qui permet au sadhaka de tourner son attention vers l'intérieur, au lieu de laisser le mental être attiré par toutes sortes d'intérêts et plaisirs extérieurs, qui ne sont que la réflexion du bonheur du Soi.

Le fait de regarder en soi et de se connaître soi-même est l'essence de la sadhana, et c'est possible seulement avec un bon self-control. En effet, sans cela l'attention et l'énergie vont dans la "mauvaise" direction, vers les plaisirs des sens etc. Ce n'est qu'en maîtrisant son mental et en sachant renoncer à la satisfaction de certains désirs que l'on peut se concentrer sur la sadhana. Il est important d'éviter les extrêmes et la rigidité: pendant la période de prohibition de l'alcool aux Etats-Unis, il y a eu beaucoup plus de consommation d'alcool et de gangsters qu'avant! De même, si vous vous interdisez quelque chose de manière absolue, votre mental risque ensuite de chercher à se rattraper voire de se venger! Le mieux est de céder un petit peu; par exemple si vous avez envie de chocolat prenez-en régulièrement une petite quantité, plutôt que de vous en priver puis d'en manger une plaque entière! Ne luttez pas contre le mental comme s'il s'agissait d'un ennemi; expliquez-lui gentiment, comme à un enfant, que ce qu'il cherche est tout à fait légitime, puisque le bonheur et la paix sont notre vraie nature, mais qu'il les cherche dans la mauvaise direction, vers l'extérieur, là où tout est transitoire et tôt ou tard décevant. Une paix durable et le vrai bonheur ne peuvent se trouver qu'à l'intérieur. Le désir (l'attraction vers les choses extérieures) est dû à un effet de miroir: on croit voir dans les objets le bonheur qui est en réalité en nous, et on court après une image de miroir.

 

Q. - Que faire lorsqu'on se sent découragé?

R. - Pensez à l'histoire que racontait Ramdas: quand vous voulez casser une grosse pierre, il faut frapper de nombreuses fois; pendant un long moment cela ne semblera produire aucun effet, mais en réalité, chaque fois que vous frappez, les molécules de la pierre sont modifiées, et cela prépare le coup final: soudain, quand on ne s'y attend pas, cela explose. C'est pareil en matière de sadhana; chaque effort compte, même lorsque cela semble inutile. Et un jour vos efforts porteront leurs fruits. Patience et persévérance sont essentielles. À ce propos, vous avez peut-être remarqué que lorsque vous avez de la difficulté à vous endormir, il vaut mieux ne pas chercher à dormir car faire des efforts accroît la tension qui empêche de dormir; en vous relaxant cela viendra tôt ou tard naturellement. À un certain stade de la sadhana, il faut aussi adopter cette attitude à propos de la Réalisation. Au début des efforts et un intense désir de Réalisation sont indispensables, mais vers la fin il faut lâcher tous les désirs y compris celui-ci, et l'état sans effort pourra s'installer.

 

Q. - Pourquoi est-ce que certaines personnes ont obtenu la Réalisation du Soi alors que beaucoup d'autres ont encore tant de chemin à parcourir avant d'arriver à la Libération?

R. - Du point de vue d'un grand sage, nous sommes tous déjà au stade de la Réalisation. Un jour, j'ai demandé à Ma de me donner la Libération. Elle m'a répondu "Mais tu ES libre!"… C'est seulement le voile de l'ignorance qui fait que les gens pensent qu'ils sont loin de la Réalisation et qui les fait agir en conséquence. C'est pourquoi la sadhana consiste principalement à enlever progressivement ces voiles (constitués des émotions négatives, des croyances etc.), et à agir conformément à de solides principes moraux et au Dharma.

 

Q. - La Grâce divine est toujours présente, mais souvent nous ne savons pas être réceptifs. Que faire pour s'ouvrir à la Grâce?

R. - En récitant constamment votre mantra avec amour, en pensant à sa signification (donc si possible pas mécaniquement). Et en vivant une vie pure, notamment en évitant de faire du mal à quiconque, en étant parfaitement honnête etc.

Q. - Est-il vrai que si je pense être une personne qui commet beaucoup de "péchés", alors je le deviens?

R. - Oui, vous devenez ce que vous pensez, alors ne vous identifiez pas avec votre mental, mais avec votre vrai Soi, qui est pur! Et pensez à Ma (ou à toute autre manifestation du Divin suprême) aussi souvent et intensément que vous le pouvez. Quand vos pensées s'échappent en direction de ce que vous appelez un "péché", observez ces pensées sans faire ce qu'elles vous suggèrent de faire. Regardez-les simplement, sans jugement, et laissez-les passer, en vous souvenant qu'elles ne sont pas vous, c'est juste votre mental, alors que vous êtes le Soi.

 

 

 

Pensées de l’Himalaya

 

par Swami Nirgunananda

 

Quel est le rôle de la poûjâ (culte) dans la voie de la dévotion ?

Essayons d'abord de comprendre ce qu'on veut dire par poûjâ. La poûjâ est un ensemble d'actions  effectuées avec amour,  pas simplement un rituel. Cela me rappelle une des expériences que j'ai eues avec Mâ. Elle m'a demandé d'effectuer la poûjâ de la déesse Kali dans le temple qui lui est dédié à notre ashram de Delhi à l’occasion de chaque nuit de nouvelle lune pendant un an. À cette époque, j'ignorais tout à fait les rituels des poûjâs. Trois jours avant la première poujâ, Mâ m'a appelé sur la terrasse de l'ashram de Vrindâvan et m’a dit qu’un prêtre de Bénarès devait venir m’enseigner les détails de la poûjâ. Elle me donna en fait toutes les instructions possibles précisément,  y compris  comment cuire  la nourriture pour offrir à la déesse et les aliments qu’on devait préparer.

Elle se mit ensuite à me montrer comment peler et couper les pommes de terre, les aubergines et d'autres légumes. C'était l’heure du darshan du soir de Mâ (son apparition devant les fidèles) et ceux-ci attendaient  Mâ en dehors du bâtiment, ils étaient des centaines à être là. Je pensais en mon for intérieur : "Quelle perte de temps pour un sujet aussi insignifiant ! Elle pourrait facilement me dire quoi faire à la place de le montrer ! Je suis assez intelligent pour faire comme elle dit." Mais bien sûr, voir Mâ faire tout ceci en pleine attention et avec une perfection méticuleuse  était en soi une scène digne d'être contemplée. Après avoir fini, elle dit : "Ta poujâ  a  commencé dès maintenant. Tout ce que tu fais, si c’est fait avec amour pour le divin, cela s'appelle poûjâ."  Tout ce qui est fait avec amour est la clé de la perfection.

Quelle est le rapport entre perfection et bonheur ?

Une histoire : un jour un grand violoncelliste va jouer en concert. Il accorde son instrument dans sa loge, il joue. C’est parfait. Tout d’un coup, il a soif. Il n’y a pas d’eau dans sa loge. Il descend un instant au bar du théâtre. À ce moment-là, un petit garçon entre dans la loge. Il joue du violoncelle. Pour de bons musiciens, c’est de la très mauvaise musique mais pour l'enfant, c'est un plaisir immense. Il y a mis tout son cœur et il trouve la musique qu’il extrait des cordes très belle. Pour le maître, ces sons seraient pénibles, mais l'enfant est très heureux. Il est très difficile de généraliser la notion de perfection. Tout est parfait en son genre. Notre vie est une magnifique composition. La vie de Mâ était la plus belle composition qui soit. Il y avait de la beauté dans tous ses gestes, comportements et paroles.

Quel est le sens de votre nom Nirgunânanda, et qui l’a choisi pour vous?

Ni signifie  « non » et gun signifie  « attribut » ou « qualité ». Nirgunânanda signifie donc « la félicité de la non-attribution ». Quant au choix du nom, j'ai entendu l’histoire suivante de la bouche même de Swâmî Bhaskarânanda quand il m'a initié au sannyâs. Brahmacharis Bharatjî, Kusumjî et Tapapanjî étaient trois ascètes, des aînés de notre ashram. Après avoir achevé trois années de disciplines et pratiques  intenses et austères, ils devaient recevoir une initiation dans une catégorie particulière d’ascètes, avec de nouveaux noms. Ils souhaitaient que la première partie du nom de Mâ soit aussi la première partie de leur nouveau nom. Le nom de Mâ était Nirmalâ. On décida ainsi que tous les trois nouveaux noms devraient contenir nir en tant que première partie. Mâ elle-même a sélectionné les noms Nirmalânanda pour Tapan,  Nirvanânanda pour Kusum et Nirgunânanda pour Bharat.. C'est une tradition répandue et aussi une directive scripturaire que la première syllabe du nom d’origine doit être aussi la première syllabe du nouveau nom. Or, le pandit qui menait la cérémonie était très méticuleux dans l'observance des instructions de s Ecritures. Il émit une objection à propos de ces nouveaux noms. Deux brahmachâris ont refusé catégoriquement de changer leur nom. Mâ était embarrassée, elle essaya de trouver un compromis. Elle demanda au pandit si cela conviendrait que seul un des noms soit modifié pour être en accord avec les instructions scripturaires. Le pandit accepta. Mâ a demandé à Bharat, le futur Bhaskarananda s’il serait d’accord d’abandonner le  nom qui avait été prévu. Comme c’était  Mâ elle-même qui demandait, il a accepté.

Quand j'ai souhaité prendre le sannyâs, j’avais sélectionné le nom Shanmbhavânanda. Cela va bien avec la tradition. Je m’appelais Shantivrat, j'ai donc choisi un nom qui commençait par un « Sh », en fait c’était un nom qui n'était pas commun, c'était un nom "moderne". Il faisait référence à une épithète de Shiva, Shambu [être paisible] et de sa parèdre Shambavî. Dans la pratique quotidienne, je rend un culte au Shrî Yantra qui est associé à Shambhavî. De plus, c'est une référence au Shambhavi moudra dans la voie du Yoga où les yeux sont ouverts, mais l'attention est dirigée à l'intérieur. Ceci représente une pratique de l'unité entre le monde extérieur et intérieur, ce qui est signifiant pour moi. Swâmî Bhaskarânanda était celui qui devait me donner l’initiation au sannyâs et le nouveau nom. Au début, j'étais réticent à prendre le nom qu'il me proposait, mais quand il m'a  raconté l'histoire, je l’ai accepté : c’était un grand honneur pour moi de recevoir ce nom même qui avait été choisi par Mâ et que mon dikshâ âchârya me l’ait offert.

Est-ce que le chagrin qui vient du passé est inévitable ?

Le chagrin et les souffrances sont toujours des choses du passé. Toutes les religions nous enseignent des manières d'échapper aux souffrances et d'être dans un bonheur perpétuel. Il me faut vous raconter une des expériences grâce auxquelles j'ai appris la manière d'échapper au chagrin.
À Calcutta il y a un endroit appelé Dhapa qui a toujours été utilisé comme une déchetterie. Il y a quelque temps, je passai en voiture avec un ami près d'une ville nouvelle  proche de Calcutta. Je remarquai une cité neuve, propre avec des routes larges, une architecture moderne, des parcs et des jardins. Avant d'embrasser la vie ascétique, j'avais résidé à Calcutta pendant pratiquement vingt-cinq ans et j'étais tout à fait familier avec les endroits dans et autour de la ville. Je me renseignais sur ce lieu, et mon ami m’a dit que cette ville nouvelle avait été construit sur la déchetterie de Dhapa. Ce fut une révélation pour moi. Si je creuse profondément dans le sol de cette belle cité toute neuve, des couches entières d'ordures qui y ont été jetées depuis deux cent ans  en ressortiront. Mais pourquoi donc devrais-je le faire, quand je peux profiter de la beauté d'une ville moderne et propre, en laissant les déchets par-dessous ? Nous ne serons pas capables d'effacer les souvenirs du passé, mais nous pouvons nous construire  une vie belle et heureuse en laissant de côté la tristesse du passé, là où elle est. Notre vie doit être comme une cité moderne construite sur des dépôts d'ordures.

Comment prenez-vous le décès de Marol ?

[Claire était une amie de Marol, et réfléchissait sur sa mort précoce de cancer survenu six mois auparavant sa venue à Dhaulchina, c'est-à-dire en octobre 2001. Marol a été un fidèle de Mâ en France pendant des années. Il était écrivain et a publié à Paris trois livres rassemblant des paroles de Mâ ; il avait rencontré Nirgunânanda près de Paris il y a quelques années, et depuis cette époque, communiquait régulièrement avec lui]. La première fois, je l'ai rencontré quinze minutes seulement. J'avais entendu dire que Marol était un écrivain, un poète, un dessinateur d’humour  spirituel et plein d’esprit, quelqu'un qui avait du génie. Je désirais le rencontrer. Nous avons parlé de nos points de vue respectifs sur Mâ. Il soutenait une manière de voir qui était tout à fait différente de la mienne, mais je l'écoutais. Je n'ai pas émis d'objections à son point de vue parce que je crois que chacun est dans la vérité à partir de la où il en est. Il en fit de même quand j’exprimais ce que j'avais à dire. Je ne sais pas pourquoi, mais Marol s'est mis à m'aimer. Il avait l'habitude de dire que j'étais son frère, son ami, son enseignant et son fils. Moi aussi, j'ai trouvé quelque chose de très attirant chez lui, il m'a donné beaucoup plus que ce que j'attendais. La dernière fois que je l'ai vu à Paris, il était très malade et je savais qu'il ne survivrait pas, mais on ne peut pas  lancer ce fait à la figure de quelqu'un. Depuis ce moment-là, il a pris l'habitude de m’appeler une ou deux  fois par jour, où que je sois, cela pouvait être  en Suisse, en Italie, en Angleterre, à Dehli ou à Almora. Malheureusement, pendant les derniers jours, il ne pouvait communiquer avec moi. Les lignes téléphoniques étaient trop mauvaises. J'ai été informé de son décès par Jacques Vigne qui enfin a pu me joindre.

Ma vieille mère âgée de quatre-vingt-seize ans est aussi décédée en juillet 2001. Cela a été également un choc momentané pour moi. Mais j'ai pu le gérer de la même manière. À chaque fois que je sentais leur absence, j'ai essayé de me souvenir des bons moments passés avec eux. À la fois ma mère et Marol sont vivant dans ma mémoire et je peux être avec eux dès que je le souhaite.

Ce qui nous rend heureux, c'est d'avoir une relation avec nous-mêmes ; mais tout seul, nous ne sommes pas capables d'avoir cette relation ; nous ne pouvons faire l'expérience de cet amour que nous avons en nous-mêmes sans aimer quelqu'un d'autre. Ainsi, nous avons des relations et nous existons dans les autres comme dans des miroirs. Ce miroir que Marol a été  semble avoir été brisé dans le monde extérieur, mais le miroir intérieur est toujours intact.

Comment avez-vous ressenti le départ de Mâ ?

Lorsque je l'ai appris, cela a été le plus grand choc de ma vie.  C’était quand je revenais  du pèlerinage du Mont Kailash, nous venions de traverser la frontière chinoise et étions entrés dans le territoire indien, un militaire qui escortait les pèlerins nous a annoncé la nouvelle. Au début, je ne pouvais y croire. Le militaire me dit que cela avait été  diffusé à la Radio nationale indienne le 27 août 1982 dans la soirée. Il m’a semblé que le ciel m'était tombé sur la tête. J'avais le mental paralysé, en état de choc. Une chose dont je me souviens, c'est que j'ai désiré me suicider en sautant d'une falaise dans les hautes montagnes. Un des moines plus âgé de notre ashram qui venait par-derrière m’a vu et m'a sauvé de ce suicide

Comment vous êtes réconcilié avec ce fait du départ de Mâ ?

Cela m'a pris longtemps, mais maintenant,  je sens que j'aime Mâ de la même manière que lorsqu'elles étaient dans sa forme physique. Si je prétends aimer Mâ, je dois aimer ses paroles également. Elle a dit : "Souvenez, où que vous soyez,  à chaque instant, ce corps vous regarde constamment ; mais vous ne voulez pas me voir, qu’y puis-je?" Cette parole de Mâ m'a apporté une grande consolation et j'ai été pénétré de la conviction que Mâ était toujours avec moi.

Les souvenirs de Marol me rendent triste. Comment puis-je dépasser cela ?

C'est tout à fait naturel de ressentir de la tristesse lors d’un deuil. Y a-t-il un moyen de le ramener la vie ? Vous ne pouvez défaire ce qui est inévitable et destiné. La mort peut être la fin de la vie physique de celui que vous aimez, mais pas de votre vie. Vos souvenirs sont des parties intégrantes de votre vie. Ils resteront vivant tant que vous le serez. Celui que vous aimez est mort mais non pas votre amour pour lui. Souvenez-vous, vous aimez quelqu’un parce que vous aimez l’aimer. C’est l'amour pour vous-même qui vous fait aimer les autres. Ramenez dans le présent les souvenirs du passé et soyez avec eux.

 Qu’est-ce que fait Marol ?

,Marol ne fait plus aucune action avec son corps. Vous pouvez imaginer qu'avec son corps subtil il est avec Mâ et qu’avec Mâ il est heureux. Vous aimez Mâ ? Oui, alors vous aimez son corps, son esprit et aussi ses paroles. Mâ disait qu’elle est partout. Elle est donc aussi avec Marol.

Qu’est-ce que pense Marol à présent?

Quand Marol était là, vous ne saviez pas non plus ce qu’il pensait. Vous saviez juste ce qu’il en exprimait, et ce n’était pas le tout de son monde intérieur.

Comment avoir des échanges avec Marol ?

L’amour, dans son essence véritable, n’attend rien. D'abord, demandez-vous pourquoi vous désirez échanger avec lui ? C'est l'évidence que vous ne pouvez revenir sur sa mort. Mais votre amour pour lui vous fait désirer échanger avec lui. Vous avez ses souvenirs à l'intérieur, avec leur aide, ramenez-le à la vie dans votre imagination. C’est quelque chose que l'on fait souvent pendant la vie quotidienne quand celui qu'on aime n'est pas physiquement présent auprès de soi.

Mâ a dit que nous devrions être comme des enfants, le mais la réalité, c'est que nous avons grandi. Comment est-ce possible ?

Il est vrai qu’en passant à travers l'enfance et adolescence, nous avons atteint  l'état adulte.. Mais les souvenirs de notre enfance et de son innocence sont toujours en nous. Essayez d'emprunter de nouveau les chemins de la mémoire, de récupérer ces souvenirs et soyez avec. Si vous ne pouvez vous reconvertir en un enfant, vous pouvez tout de même essayer de sentir ce que ça fait d'être un enfant.

Les émotions créent des problèmes dans la vie comment les gérer ?

Toutes les émotions ne sont pas en problématiques. Avant d'aborder ce sujet, essayons de trouver la place des émotions dans notre vie. Les émotions sont des états mentaux qui proviennent des interactions que nous avons avec le monde des objets. Ce monde des objets n'est pas seulement en dehors de nous, nous l'avons aussi à l'intérieur. Or, la question se pose de savoir si nous pouvons effacer ces émotions qui sont à la racine de nos problèmes ? Est-ce que nous avons même besoin de les effacer ? La réponse à ces deux questions est simplement "non". Examinons à présent quelques émotions l'une après l'autre :

Le désir : Les désirs sont des signaux en retour de notre vie même, celle-ci serait paralysée sans désirs et semblerait dépourvue de sens. En tant que tel, les désirs ne peuvent être appelés la racine du malheur. L'accomplissement de désirs nous procure le bonheur. On dit qu'il faut mériter avant de désirer [first deserve, then desire]. Mais la plupart du temps, nous désirons quelque chose que nous ne méritons pas, voilà la racine de nos problèmes ! Ce qui est nécessaire, c'est de poser les limites à nos désirs. Et la culmination de tous nos désirs, c’est Dieu.
La colère : L’envie non satisfaite est la mère de la colère. En d'autres termes, on peut dire que quand notre attente rencontre un obstacle, la colère vient. Nous avons besoin d'un objet contre lequel nous mettre en colère. Que Dieu soit l’objet de notre colère,  de cette manière, nous pourrons avoir un souvenir constant de Lui.

L'avidité : Il y a une différence entre l'avidité et les désirs. Nous sommes poussés à posséder plus que ce que nous avons déjà. En tant que tel, et il n'y a rien de mauvais là-dedans tant que cela ne s’opère pas aux dépens du bonheur des autres. Soyez avides de la grâce de Dieu.
Egoïsme : projeter son propre moi devant les autres afin d'établir son existence même est inhérent à la nature humaine. Mais des fois, nous nous projetons afin de prouver notre supériorité sur les autres. Quant la personne en face agit de même, c'est là que commence le choc des egos. Souvent, on dit qu'il faut se débarrasser de l'ego et que ce sera la fin de tous les problèmes. Il se peut que ce soit une notion savante, mais est-ce praticable ? Mon existence même dépend de ce sens de l’ego, d’un soi fonctionnel. Comment serait-il possible de se débarrasser de ce soi par ce même soi ? L’ego ne causera pas de problèmes tant que je ne cherche pas à prouver ma supériorité sur les autres. Défiez en combat singulier l'ego de Dieu et voyez comme vous vous amuserez !

La jalousie : c'est une expression de complexe d’infériorité, un état mental de frustration. Ceux qui ne possèdent pas sont toujours jaloux de ceux qui possèdent. On n'est jamais content de ce qu’on a et on devient fou de ce qu’ont les autres. Soyons satisfaits avec ce qui a été offert par Dieu.

   Ces états émotionnels ne sont rien  que le résultat des interactions de nos sens avec le monde des objets et sont transitoires. Ils viennent comme des tempêtes et s'en vont. Si l'on essaie de considérer ceci du point de vue du témoin, on sera moins malheureux.

Est-ce que des changements de voies  sont à conseiller dans la pratique spirituelle ?

Si on a commencé sur une voie juste, la question de la changer ne se pose pas, même jusqu'à la fin. Il n'y a pas de voie spirituelle qui soit mauvaise en elle-même. Il y a une chose qu'on doit toujours garder présent à l’esprit, c'est que le but spirituel n'est pas limité par le temps. Une fois que j'ai commencé à suivre une voie,  je dois continuer à essayer d'avancer dans sa direction avec une attention imperturbable et de la sincérité. La vie est trop brève pour tester au hasard des chemins spirituels les uns après les autres.

Quelle est la signification des mots sâdhanâ et tapasyâ ?

Ce sont des mots sanskrits. Le sens littéral du mot sâdhanâ est pratique spirituelle, celui du mot tapasyâ pénitence. Mâ les définissait à sa façon ; elle disait, comme nous l'avons mentionné : swa dhan praptir holo sadhana, cad « la manière de retrouver son propre trésor, voilà ce qu'on appelle sâdhanâ ». Pour tapasya,  elle disait :tapasya holo tap saha, cad « endurer,  s’adapter à la ‘chaleur’ du monde, voilà la tapasyâ ». En sanskrit, swa signifie soi-même et dhan richesse ou trésor. Tap veut dire chaleur et saha endurer ou s’adapter. Le plus grand des trésors, celui auquel on aspire à tout jamais,  c’est la félicité ou la paix qui réside au-dedans de nous. Nous les oublions pour les rechercher dans le monde ; la sâdhanâ montre la voie vers l'intérieur à un aspirant spirituel et le rend capable de reconnaître son propre trésor.

 En général, les gens font du mot tapasyâ un synonyme de souffrance durant le travail spirituel.  Si le but ultime de la spiritualité, c'est un état de félicité et de bonheur perpétuel mais qu’on l’associe avec la  souffrance, on ne pourra expérimenter la félicité pure.  On doit comprendre clairement la différence entre tapasyâ et souffrance. Prenons par exemple une comparaison :

Deux personnes travaillent à casser des cailloux pour gagner leur vie au jour le jour. L’un d’eux est un moine qui désirait acheter une guirlande de fleurs pour son dieu bien-aimé : comme il n’avait pas d'argent, il s’est mis au travail. L’autre est un ouvrier ordinaire payé à la journée. Le moine, tout en accomplissant son labeur, imagine son dieu avec la guirlande autour du cou et prend plaisir à son travail tandis que l'autre pense seulement à ce que la nuit  tombe pour que s’achève son labeur. Tous les deux font le même travail, y dépensent la même énergie et en retireront le même salaire. Pour le moine, le travail est de la tapasya, pour l'autre, le même labeur est de la souffrance.

 

 

propos recueillis par Claire Landais

et révisés par Swamiji en janvier 2004

 

 

 

 

Védanta et modernité

 

 

Vers une compréhension de l'ontologie de la félicité  dans le contexte de la modernité.


Comment doit-on  connaître la Félicité suprême et indicible qu'on réalise directement en tant que "Ceci" ? Brille-t-elle de sa propre fulgurance - ou la voit-on  resplendir de façon distincte ?
                                                                        Kata-Upanishad  II. 2-14

 

 

 

 

 

 

 

    Nous avons vu dans la première partie que Bithikâ Mukerjî était allé étudier au Canada. Elle y a réfléchi sur le lien entre tradition et modernité, en particulier à propos du védanta. Il se trouve que les éditions Agamât, de par leur nom même "qui provient de la tradition" ont pour vocation de mettre  en évidence les sources traditionnelles dans leur authenticité. Dans ce contexte, il m'a paru intéressant de résumer le livre Neo-védanta and modernity qui rassemble les recherches de Bithika sur le sujet. La plus grande partie du texte ci-dessous est constituée de citations directes de celle-ci que j’ai reliées par de brefs  résumés ; si j’ai dû ajouter des idées pour éclaircir ou pour avancer une opinion différente de la sienne, je l’ai fait en note. Bithikâ commence à rappeler son expérience d’un an de session œcuménique en 1972 de Genève, dont  elle a parlé à la fin de la partie précédente :

 

    "Pour la première fois, j'ai pris conscience des dimensions  multiples qui constituent l'Occident. Les étudiants venaient de nombreux pays et de multiples confessions, et tous avaient une bonne formation en théologie. Cela a été pour moi une tâche très exigeante de comprendre leurs problèmes et de les aborder d'une façon signifiante. Un discours philosophique sur "la réalité Une" semblait déplacé car le problème qui hantait ce rassemblement depuis le début  était d'entrer en dialogue avec "l'autre". J'écris tout cela car j'ai trouvé là une occasion de vivre et de travailler avec des gens dévoués, qui m'accueillirent à bras ouverts, bien que ma présence remit en question chez beaucoup d'entre eux ce qu'ils représentaient."

 

    Bithika a été en contact au Canada avec un des philosophes les plus connus du pays durant les années soixante-dix, le professeur Grant, de l’Université d’Halifax ; laissons la parole à celui-ci pour présenter le contexte des études de Bithika au Canada et l'intérêt de son ouvrage pour des Occidentaux qui réfléchissent sur eux-mêmes :

     "Bithika Mukerji a acquis une qualification  énorme pour écrire sur un tel sujet. Elle a enseigné la vérité du védanta durant de nombreuses années en Inde. Elle est venue ensuite pour quelque temps en Occident. Elle n’a pas étudié la pensée occidentale à partir d'Inde, avec une distance de sécurité pour ainsi dire, ou de l'enclos limité d'un collège d'Oxford, comme l'a fait Radhakrishnan [ce dernier, après avoir écrit de nombreux livres qui rapprochent la philosophie  de l'Inde de celle de l'Occident, est devenu président de l'Inde]. Elle est venue d'abord à Genève, et ensuite dans le cœur même de la modernité, la région des Grands lacs en Amérique du nord. Elle s'est installée dans une ville d'acier et a travaillé dans une université dominée par l'informatique. L’acier et les ordinateurs sont après tout les deux substances centrales de la modernité ; l'acier dans une ère précoce, et les ordinateurs dans le règne le plus récent de la cybernétique. Elle a étudié de grands artisans de la modernité comme Hobbes et Kant, Nietzsche et Heidegger. Cela revient à dire qu'elle a vécu la modernité au quotidien dans sa chair et ses os, et qu'elle l'a pensé dans ses études. Elle a donc le droit d'en parler non pas d'une façon abstraite, mais comme elle est en réalité. Elle est grandement qualifiée pour comprendre ce que la modernité signifie dans le contexte de l'ontologie védantique de la félicité…

     Platon a été le penseur occidental qui a eu le plus de points communs avec le védanta ; pour lui, la distinction "idéale - réel" serait une distorsion. L’ "idée" est elle-même la véritable réalité ; l'idée n'est pas idéale. Surtout, ce qu’il y a de particulièrement merveilleux dans le livre de Bithikâ Mukerjî, c’est sa mise en évidence de l'ontologie de la félicité, ânanda[1]. Cela est suffocant pour tout lecteur occidental. Comme il est juste de traduire le terme ânanda par félicité ! Le mot "joie" serait trop subjectif et nous ferait perdre de vue que ce dont on parle ici concerne l'être. Le point auquel on en est arrivé dans la civilisation dynamique de l'Amérique du nord – et en fait dans toutes ces sociétés qui expriment en elle les pensées de Locke et Marx, Rousseau ou Darwin ou Hume - c'est une recherche fébrile pour la félicité qui nous échappe car on ne peut pas la connaître en tant qu'être même. La vie moderne est devenue une poursuite sans joie de la joie. Une des nouvelles réellement grandes du monde anglophone s'appelle "Félicité " (elle est aussi écrite par une femme). Cette nouvelle met superbement en évidence le besoin pressant que la félicité soit plus que la subjectivité des sentiments mais qu'elle se soit enracinée dans l’Etre des êtres. Qu'y a-t-il de plus urgent, pour nous Occidentaux, que la compréhension qu'il y a une ontologie de la Félicité ? Le fait que cela soit impensable est peut être le plus grand prix que nous ayons à payer pour la modernité. Pour ceux d'entre nous qui sont chrétiens, c'est l'élimination de la compréhension de la Trinité en tant que félicité qui laisse le christianisme chancelant, avançant à tâtons au milieu de la modernité qu'il a tant contribué à constituer. Ce qu'il y a de triste dans le monde occidental, c'est un désir profond de participer à la félicité, par exemple à travers une poursuite détachée de l'orgasme ; cependant, comme cela est effectué en dehors de toute compréhension ontologique de la Félicité, cela a pour conséquence que le bon côté de cette poursuite est dénigré d'une façon plutôt noire.

   On a écrit beaucoup de bêtises dans le monde moderne à propos de la rencontre de l'Orient et de l'Occident, et aussi bien des Occidentaux que des Orientaux  ont contribué à cela. Une telle rencontre ne doit pas sacrifier la grandeur de chacun des deux côtés - le livre de Bithika Mukerjî fait comprendre que le védanta véritable et authentique ne doit pas être mis sous le boisseau, même de façon temporaire, pour rendre possible cette rencontre. Les Occidentaux aussi bien que les Orientaux doivent lire ce livre avec grande attention." (p.iv, v)

 

 

Les bases du védanta

 

      "On dit souvent que la philosophie de l'advaïta reflète l'humeur générale du peuple indien. Et même ceux qui ne soutiennent pas intellectuellement cette école de pensée ont un attrait envers sa terminologie car ils sentent que c'est elle qui leur permettra d'exprimer le mieux les croyances qui leur sont chères. Il en va ainsi parce que la base de toute la compréhension de la vie dans le monde est formulée à la lumière de la dichotomie qui existe entre ce qui est simplement agréable, preyas, et ce qui est réellement bon, shreyas.

     Cette distinction est répandue à travers tous les modes de pensée du sous-continent, qu'ils soient monistes, monothéistes ou dualistes. Ce sens de la séparation entre ce qui est agréable et ce qu'on doit préférer imbibe l'ethos de l'Inde et on peut le reconnaître immédiatement dans l'ambiance de détachement, de retrait, ou de renoncement qui la caractérise. On peut facilement comprendre que la demande de discernement implique de façon sous-entendue qu'on doit abandonner une sphère pour s'approprier l'autre.

     L'idéal de renoncement en tant que forme de connaissance a été étudié en tant que tel seulement dans la philosophie advaïta de Shankarâchârya, le penseur, ascète et écrivain bien connu du VIIIe - IXe siècle après JC. Toutes les autres écoles de pensée soutiennent cela comme un idéal élevé, mais n'en font pas une partie intégrante de leur philosophie. Shankarâchârya, par contre, l'a placé au cœur même de ses écrits sur l'unité du Soi, âtman, avec la réalité ultime, Brahman…

   Le discernement suprême entre ce qui est le domaine du non-Soi et ce qui mène vers la véritable connaissance, la réalisation du Soi, s'appelle renoncement. On ne doit pas le confondre de façon erronée avec un acte de retrait physique du monde, qui de toute façon n'est peut-être pas la meilleure manière de le dénier. La demande même du monde qu'on le considère comme réel et final s'appelle mâyâ dans la philosophie  advaïta, cette dimension de non-réalité, mâyâ, peut être écartée seulement par un processus également puissant d’annulation métaphysique, un renoncement des couches de fausses identifications afin que le voile puisse être anéanti. L'inspiration pour cette méthode trans-naturelle de compréhension de la condition humaine  vient des Upanishads qui parle dans un langage poétique afin de raviver l'attention de l'être humain dispersée dans le monde à la recherche du bonheur, et de le ramener à la quête de la source même de la félicité. C'est la manière dont Shankarâchârya a développé son exégèse des Upanishads et celle des Brahma-soutras, ( appelés aussi Védanta - soutras),  cette dernière représentant son oeuvre majeure.

   Dans le néo-védanta, c'est-à-dire dans l’interprétation contemporaine de la pensée de Shankarâchârya, nous nous trouvons en face d’une compréhension très différente de mâyâ aussi bien que des bases philosophiques des textes des Upanishads. Il ne sera peut-être pas déplacé d'expliquer au moins un peu la théorie de mâyâ puisse que je vais développer l'idée que ce concept a subi une transformation presque totale dans les écrits des penseurs modernes. 

    La théorie qu'on connaît d'habitude à propos de mâyâ est présentée par Shankarâchârya dans un préambule bref de son commentaire des Brahma-soutras. Il commence par séparer clairement deux sphères bien différentes : la conscience et l'objet de conscience. On sait bien, écrit-il, que  celui qui connaît et ce qui est connu – qui contiennent respectivement la notion de "je" et ce qui lui est offert de l'extérieur, comme "toi" pourrait-on dire, en tant qu'autre, sont totalement opposés l’un à  l'autre, comme la lumière aux ténèbres. Pourtant, dans un usage commun, on parle des deux constamment ensemble, comme par exemple dans les affirmations : "c'est moi" ou bien de "cela est à moi". Le fait que cette association soit intelligible est due à l'opération inconsciente d'une sorte de surimposition de l'un sur l'autre qui efface complètement la discontinuité entre les deux, au moins en apparence. Le corps et la conscience du je deviennent un et il y a même une identification avec des personnes du monde, comme les fils etc. Dans un exemple classique de surimposition, un bout de corde est pris par erreur pour un serpent, et déclenche une peur dans le cœur de celui qui observe. Cette illusion, qu'on reconnaît comme erreur simplement quand elle est annulée, est un cas de surimposition d'une chose sur l'autre. C'est le Soi caché sous les identités et  la conscience du je. Cet obscurcissement n'est pas apparent mais l'identification de la conscience du je avec le corps ("c'est moi") ou avec les choses du monde ("ceci est à moi") sont des sujets d'expérience courante. C'est une erreur qui  imbibe toutes les expériences humaines. Dans la définition de Shankarâchârya qu'on pourrait résumer ainsi, l'erreur consiste "en la connaissance d'un objet comme quelque chose de différent et qui est de la nature de quelque chose d'autre qu’on a vu ailleurs." 
  En d'autres termes, l'objet  est "faussement" connue en termes de quelque chose qu'on a vu auparavant ; cette connaissance est par la suite annulée quand la reconnaissance de l'objet réel a lieu. La nature de cette erreur est donc indéterminable en ce sens qu'on ne peut l'appeler réelle (à cause de la possibilité d'annulation) ni irréelle (car il y a quand même connaissance de quelque chose en tant que tel).

   La caractéristique de la surimposition, c’est qu’elle est naturelle, mais sujette à annulation. D’après Shankarâchârya, le Soi ou âtman est la réalité fondamentale, auto-lumineuse qui s'oppose à des catégories relationnelles telles que connaître, expérimenter, etc. La surimposition est la fausse attribution de catégories relationnelles qu'on ne peut appliquer qu’à la sphère du non-Soi. L’ignorance, ou avidyâ, est d'abord le principe de rationalité qui donne une apparence de réalité à l’édification de la surimposition fait par mâyâ. Brahman, le fonds non relationnel de toute relation se révèle  seulement quand cette structure relationnelle cesse d'opérer. Il y a ainsi un lien intime entre un retrait métaphysique de la part de la conscience du je et la découverte de son fonds ontologique par expérience immédiate. Ceci explique l'affirmation des Upanishads selon laquelle on doit connaître Brahman à travers la connaissance seulement, car celle-ci révèle ce qui est déjà là comme Réalité, par le simple fait d'annuler le voile en tant que voile. La dissipation de la dualité est simultanée avec la réalisation de la vraie nature de l'Atman en tant que réel, conscient, infini,  et suprêmement heureux. (satyam, jñânam, anantam, ânandam brahma)."

    Par souci de modernisation et de réponse à l'Occident, les philosophes indien ont cherché à défendre le védanta par le biais de la philosophie comparée. Ce faisant, ils ont négligé des différences irréductibles entre les deux traditions. En particulier, la corrélation fondamentale entre renoncement et félicité a été perdue de vue pour s'attacher seulement à l'aspect d’être et de conscience de la Réalité, alors qu'elle est décrite dans le védanta comme sad-chid-ânanda, c'est-à-dire être, conscience et félicité. Il est vrai de dire que le renoncement a été au centre de l'enseignement des Upanishads; ainsi donc, de quelle manière peut-on relier cet enseignement au mode de vie contemporain en Inde ? C'est ce que nous allons voir dans les pages qui suivent .

 

    Des termes tels que transformation, réussite, libération, donnent l'impression que le chercheur de connaissance est perdu pour le monde ; il n'en est évidemment pas ainsi. Les Upanishads décrivent très clairement la vie enrichie d'un homme qui est d'une grande utilité à ses congénères  grâce à son mode d'existence et ses paroles qui proviennent de la joie de son expérience d'accomplissement ; par une sympathie pleine de compassion pour le monde, il peut aussi continuer à vivre en son sein sans se retirer. Nous voyons ainsi que le connaisseur de Brahman, brahmavit peut être n'importe qui n’importe où, un empereur comme  Janaka, un sage comme Yajñavalkya, une femme comme Gârgî ou un jeune homme comme Sanatkumâra. Nous nous apercevons donc que cet enseignement est hautement sélectif et pourtant complètement universel, en cela que tout un chacun peut devenir un chercheur de connaissance, jijñâsu, et devenir ainsi qualifié comme disciple pour l’apprentissage de la connaissance de Brahma. La question du passage du temps  n'est pas ici à propos. Les dialogues au sujet de la connaissance de Brahman doivent nécessairement être reliés à des situations spécifiques ; néanmoins, le dynamisme requis pour s'ajuster à la marche du temps est encore du domaine du temps créé. Le disciple doit faire montre d’une analyse réflexive et d'une intégration de l'enseignement qui mène à l’expérience de la présence de Brahman en tant que suprême Je. On lui demande de toute façon de chérir, méditer et réaliser pour lui-même la vérité ; bien qu'il puisse appartenir à un moment et à un lieu particulier, il est en position de dépasser toutes ces limitations.

   La question de continuité ininterrompue de cette tradition est nécessairement reliée, par conséquent, à la manière d'enseigner telle qu’elle est décrite dans la littérature védique. Les recommandations claires qu'on retrouve dans les Védas sont du ressort de la vie dans le monde et de la félicité après la mort. Une vie sur terre consacrée à la recherche du bien est nécessaire à la fois pour l'obtention du ciel après la mort aussi bien que pour un éveil de l'aspiration à la connaissance. Le renoncement forme alors le cœur de la tradition védique. Dans cette façon de voir les choses, ce détachement correspond à une dimension de connaissance, un pouvoir de discernement entre l'ordre du monde qui change et ce qui reste caché et immuable. Le  questionnement tourné vers la base de  notre être n'est pas une conséquence naturelle du statut donné de l'homme dans le monde. Sans les Ecritures, il n'y aurait pas d'indication de connaissance possible d'autres choses que ce qui nous est offert dans notre expérience du monde. L'insistance sur la continuité de la tradition ne cherche donc pas la continuation répétitive de principes désuets d'une façon dépourvue de sens. La tradition cherche à préserver la pureté de ce qui nous indique une vie de bénédictions et de félicité, en effet, l'homme, disent les Shroutis, les Ecritures révélées,  est capable d'atteindre la connaissance supérieure…

    Les Védas disent :

      Le Soi est plus subtil que le subtil et plus vaste que le vaste, il est logé dans le cœur de chaque créature. Un homme dépourvu des désirs voit cette gloire du Soi pas la grâce de l’Ultime et est ainsi libéré de toute souffrance. (Taittirîya-âranyaka 0.10 (Sâyana-bhâshya)" (p. de 108,209, 210)

 

 



Chanson…


par Yahel


Pauvres poissons, tombés du Ciel
Sont venus pour un monde nouveau…
Ils ont pris la route de la vie,
Pour continuer leur chemin jusqu'à la Mer rouge...
Ils ont gardé espoir, enfin arrivés au bout du chemin,

Ils ont purifié l’eau salée...

Doum…doum…doum

Quel est cet homme ?
Loin là-bas...
C'est sûrement le Sonneur de nos cœurs...


 
Implorons notre Seigneur...

Celui qui nous a donné l’eau, le pain, la vie, l'Amour et la Beauté,

la mort et la renaissance...

Il nous a porté...nous et nos péchés...
Et nous,  nous n'avons pensé qu'à la violence …

 

Cette chanson a été écrite par Yahel quand elle avait neuf ou dix ans.

A l'heure où vous lirez ces lignes, elle en aura seize et pour préparer

 cet anniversaire important,  elle est venue avec ses parents et son oncle

 faire retraite durant les vacances de Pâques

 à l'ermitage de Dhaulchina en Himalaya,

 près de Swâmî Nirgunânanda, qu’elle avait déjà rencontré

  plusieurs fois au domaine des Courmettes.

 

 


Une jeune femme marchait sur le chemin...

 

Conte philosophique

par Parvati(Florence Pittolo)

 

 

Une jeune femme marchait sur le chemin...

qui montait,

son attention était portée à chacun des pas qui  la rapprochaient,

le soleil régnait, éclairant la pierre en la révélant à sa blancheur,

un Yogi,

assis sous un arbre offrant son ombre fraîche

la vit passer et se dit : "quelle dévotion, son cœur bat le mantra de son Maître !",

en une seconde il se transforma en une vieille femme et se posa accroupi sur le bord du chemin, et lui dit : « Jeune Ma, s'il te plaît, donne-moi de ton eau, celle que tu portes dans ce tissus enroulé sur ton dos, je ne suis qu'une vieille femme sans aucun bien »,

la jeune fille ouvrit son sourire intérieur et, tranquillement enleva le couvercle du récipient argenté, la vieille femme ajouta « laisse-le moi jeune Ma, il fait si chaud »,

la jeune fille sourit et dit : « Ma, regarde comme la nature est équitable, elle me présente une pierre bien creuse qui te servira de bol, le reste de cette eau ne sera pas détournée de sa source, je l'apporte à mon Maître », elle versa l'eau et repartit,

le Yogi, impressionné changea de stratégie, comme il observait la jeune fille s'éblouir de la beauté des quelques herbes qui résistaient à la sécheresse de ce chemin, il se transforma en une fleur éblouissante dont les pistils enivreraient qui la toucherait du bout de son nez,

la jeune fille aux grands yeux s'émerveilla de la fraîcheur de cette fleur qui dépassait d'un buisson sur le côté du chemin, tout en honorant sa beauté par la vision, elle ne voulut pas faire un pas hors de ce chemin et dit à son cœur :" vois-tu, toi et moi nous cueillons l'éclat de cette fleur par le regard, en la conservant dans notre amour, nous l'offrirons quand nous serons arrivés. », elle continua son chemin,

le yogi fut doublement impressionné, il décida alors de se transformer en un jeune homme fort aimable et habile,

quand il croisa le chemin de la jeune fille il fit une révérence et doucement annonça : « Jeune Dame, votre fardeau est bien lourd, permettez-moi de vous aider à le porter sur ce chemin si aride, nous converserons alors. »

Elle de dire : « je remercie votre attention, Seigneur, mais je ne trouve pas ce chemin si aride, il est pour moi pavé d'or, aussi je n'ai pas besoin de converser avec quiconque car mon cœur se prépare en silence à la rencontre », - ayant déjà fait un pas devant, elle se retourna et ajouta  « mon sac n'est pas si lourd car... qui le porte ? »

Le yogi regarda s'éloigner la jeune femme sans mot dire, il vit que chacune des gouttes de sa sueur en tombant au sol luisaient comme de l'or, il vit aussi une flopée de papillons jaunes se poser sur le baluchon et le soulever en chantant le silence de cette communion si naturelle.

Quand la jeune fille arriva au sommet, son Maître l'attendait. Elle déposa ses offrandes et, quand elle releva la tête, elle s'aperçu qu’autour de lui flottaient dans l'air, suspendues dans l’espace, les images de la vieille dame, celles de la fleur et du jeune homme. Au moment où elle croisa le regard de son Guru, ces images se résorbèrent dans le cœur du Maître.

 

Ils partagèrent l'eau,

cette eau qui était la source, le chemin et sa destinée à la fois.

 

« Om, Guru Sharanam »

 

Parvati, F.P,

Nice, 04-04

 

 

 

Nouvelles

 

- Swami Nirgunânanda revient en France cet été. Nous donnons déjà les programmes qui sont fixés :

1.      Genève le week-end du 7-8 août : Renseignements  6 route de Communy 1296 COPPET 00 41 22  776 19 18 ou Jeanne-Marie Deschenaux dans la même région  345 00 19

2.      Terre du Ciel du 17 au 23 août au domaine de Chardenoux près de Lyon 03 85 60 40   terre-du-ciel @ terre-du-ciel.fr

3.      Epernon du 23 au 28 août. contact Claude Portal 12 rue Lamartine 78100 Saint-Germain 01 34 51 74 41

4.      Domaine des Courmettes, près de Nice, du 9 au 14 septembre contact : 04  93 24 17 00 ou Michèle Cocchi au 06 61 14 20 58

5.      Du 15 au 22 septembre, Swâmîjî sera en Angleterre

6.      Puis, il passera quatre semaines États-Unis.

 

- La retraite de juillet  sur l’écoute du silence à Dhaulchina avec Swâmî Nirgunânanda et Jacques Vigne est déjà plus que complète avec 21 participants. Le voyage de la première moitié d’avril  pour la demi Koumbha-Méla à Hardwar et un tour vers Kédarnath se sont déroulés comme prévus, avec de beaux morceaux de pèlerinage à pied dans l’Himalaya et une découverte de la vie religieuse traditionnelle des montagnes, sans compter les satsangs avec Swami Vijayananda lorsque le groupe est redescendu sur Hardwar.

 

 

Nouveaux  abonnés

 

La plupart d'entre vous ont renouvelé leurs abonnements au printemps dernier. Pour ceux qui ne l'auraient pas fait, ou pour les nouveaux, il est possible d’envoyer un chèque de 8 € à l'ordre de Jacques Vigne à l'adresse suivante :

Nadine Laudebat et José Sanchez-Gonzalez

Maison Augier-Quartier Saint-Martin

            84110 VAISON-La-ROMAINE

Tél : 04 90 28 80 23 en cas de besoin.  

Vous serez abonnés jusqu’en fin mars 2005.

 

Tables des matières

 

Paroles de Mâ
Réponses récentes de Vijayânanda
Pensées de l'Himalaya par Swâmî Nirgunânanda
Néo-védanta et modernité par Bithika Moukerjî
Chanson par Yahel
Une jeune femme marchait sur le chemin...  Parvatî
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[1] Je laisse le mot ânanda sans italiques, car j'aimerais que, comme les termes karma et yoga, il devienne partie du vocabulaire français courant...