Numéro 59 hiver 2000-2001

Paroles de Ma

 

Avec Gopi Babou durant le satsang on se mit à refléchir sur ce qu'était ces «intuitions» de Ma qu'on appelle khyal. Amulya Babou (Amulya Kumar Datta Gupta, auteur d'un des meilleurs recueils de satsang avec Ma, In Association with Ma Anandamayi) intervint: «De même qu'un petit enfant en jouant pendant un certain temps finit par tout d'un coup sauter, de même, bien que sans raison apparente, Ma agit ainsi dans un élan d'expansion (sphuran, une notion centrale par exemple dans le Shivaïsme du Cachemire) indomptable.» Y a-t-il dans l'Atma suprême une telle expansion qui voit le jour sous forme de khyal? En réponse à cette question, Gopi Babou dit : «On ne peut lui l'expliquer par une quelconque raison.» Ma ne s'exprima pas sur ce sujet dans cette séance de satsang mais reprit la question plus tard : «Qu'y a-t-il au-dessus du khyal? C'est le Brahman Un qui n'a pas de second. Il est au delà des actions et des excercices spirituels (kriyâtît), où donc se pose la questin de khyal et de non-khyal?. Tout est là lorsqu' il y a un état d'acceptation de ce qui est. Pour parler à votre niveau, on pourrait dire que là où il y a action et monde, il y a khyal(Amrita Varta Janvier 2000, propos recueillis par Chitra Ghosh).

Ma était en train de partir de Nainital, les visiteurs lui dirent: «Quand vous allez partir, nous nous sentirons très seuls; comment faire face à cela?»

Ma : Jamais je ne m'en vais. Pourquoi voulez-vous me repousser? Je suis toujours avec vous

- Alors, vous demeurez dans nos coeurs?

- Dans vos coeurs? Pourquoi voulez-vous me confiner en un lieu particulier? C'est le sang de votre sang et l'os de vos os que je suis. C'est la vérité.Je ne dis pas de mensonges. (Death must die. Journal d'Atmananda, 28 juin 1954, édition complète en anglais qui vient de paraître, cf nouvelles à la fin)

Q : Est-ce que la liberté est une illusion?

Ma : Non, l'homme est libre

Q : Mais l'homme est un individu, un égo, et l'égo est une illusion, comment peut-il donc être libre?

Ma : Oui, l'homme extérieur qui est identifié avec l'égo n'est pas libre, mais en réalité l'homme est libre, l'ati-manush [l'homme véritable, au-delà du commun] est libre.

 

 

Réponses de Vijayananda

 

Q : En cette période où nous rentrons réellement dans le troisième millénaire, on est porté à méditer sur la nature du temps. Est-il un absolu, ou une construction du mental?

V : Le temps présuppose un mouvement. Le mouvement des aiguilles de la montre nous donne la notion de l'heure. Le mouvement de soleil (en fait la rotation de la terre) nous donne celle du jour et de l'année. La modification de notre corps nous fait dire que nous avons vieilli. Cette croyance dans l'idée de temps fait partie des vérités empiriques qui sont vraies au moment où nous les vivons parce que le Soi suprême qui réside en chacun de nous leur donne le cachet de la vérité temporaire. Mais ce «Soi» est immuable, touours le même, et de Son point de vue le temps est un concept illusoire, un jeu du mental. Nous pouvons reprendre l'exemple que donnait Ramana Maharshi, celui du cinéma: le Soi est l'écran inchangeable et le jeu du mental, les images qui apparaissent sur cet écran.. On ne peut pas dire que le temps soit une «construction du mental», c'est une illusion qui confond le changeant avec l'immobile. «La corde est prise pour un serpent» (comme on dit dans le védanta).

Q : Est-ce qu'il y a une différence dans la présence de Mâ avant qu'elle n'ait quitté son corps et maintenant?

V : Quand Mâ était présente dans son corps physique, elle n'était pas identifiée à ce corps mais au Divin suprême. Le corps physique servait de canal, d'intermédiare avec le Divin; maintenant que que ce corps a disparu de notre présence, le Divin suprême, c'est-à-dire la vraie Mâ, omniprésente, est toujours la même. Mais de notre point de vue le contact est plus difficile car il faut que nous soyons réceptifs et lancer un appel.

Quand Mâ était physiquement présente, elle pouvait faire un acte positif pour réveiller et attirer vers elle même les indifférents; mais je crois que cela a dû aussi se produire pour certaines personnes par l'intermédiaire d'une photo de Mâ, d'une lecture, par les vibrations du Samadhi (tombe), et aussi par le contact avec les disciples qui ont été proches de Mâ.

(Question d'une nouvelle correspondante de Vienne en Autriche): Quelle était l'attitude de Mâ envers les harijans (hors-castes); comment étaient-ils traités dans ses ashrams?

V : Les harijans, on les appelle les dalits maintenant, ont toujours été traités avec gentillesse et compréhension dans notre organisation et en particulier par Mâ. Mais comme l'organisation est basée sur la tradition védique ancienne, il y a des rituels auxquels ils ne peuvent pas participer. De toutes façons c'est idiot de vouloir porter un jugement sur une religion qui est si différente de nos conceptions occidentales. Les indiens religieux sont aussi parfois profondément choqués par les manières et modes de vie occidentale, en particulier la liberté sexuelle.

Voeux pour le troisième millénaire

Nous remercions les lecteurs de Jay Ma de leur fidélité et en cette période de rentrée réelle dans le troisième millénaire, nous leur souhaitons nos meilleurs voeux de progrès vers une meilleure connaissance du Divin, ou du Soi. Ma disait «en se connaissant soi-même, on connaît Dieu et en connaissant Dieu on se connaît soi-même» Que souhaiter de plus?

La vérité derrière Ma Anandamayi

par Barindra Kumar Ghose

Barindra Kumar Ghose était le frère de Shri Aurobindo, et donc aussi un Bengali. Son témoignage sur Ma est inspirant, nous le reproduisons ci-dessous intégralement. Il est inclus dans le premier recueil d'expériences de fidèles de Ma a avoir été publié, c'était à Calcutta en 1946, et donne une bonne idée de la manière dont Ma était reçue par l'élite intellectuelle et littéraire bengalie. Il n'a pas été republié depuis, mais il contient des contributions fort intéressantes, nous en reproduisons d'autres après ce texte et le feront aussi probablement dans les prochains numéros. Swami Nirgunanda en a récemment retrouvé un exemplaire par hasard dans la bibliothèque de l'ashram d'Almora.

Ma Anandamayi est l'Amour et la Joie divine incarnée sous forme humaine. Il existe de rares êtres qui sont nés sans ces limites des capacités mentales et vitales qui enferment les gens ordinaires dans l'ignorance comme en un champ clos. Il sont plutôt pétris de la subsatance des régions supramentales et cosmiques, nés avec les portes de leur être ouvertes vers les vastes espaces de l'Infini. Ils sont les précurseurs d'un Age nouveau et n'ont pas comme nous à lutter durement pour se libérer des chaînes de la matière et de ses lois (dharmas) rigides; en effet, ils appartiennent en essence mais aussi partiellement en substance à l'hémisphère supérieur de lumière pure, de pouvoir et de félicité.

On peut trouver de tels hommes ou femmes doués d'une vision plus vaste et de la connaissance ésotérique dans les pays occidentaux, bien qu'ils y soient rares. En fait, l'Occident qui suit un point de vue matérialiste est fortement attaché au soit-disant réalisme. Les grands progrès réalisés dans le domaine des sciences centrées sur la matière ont découragé l'éveil de facultés supérieurses et plus subtiles chez l'être humain. En Orient, c'est différent. L'Orient est par nature, culture et tradition méditatif, intériorisé et intuitif. C'est ainsi qu'on y a étudié depuis des millénaires la Science de l'Esprit qui est plus haute, plus vraie et plus large dans ses vues. On y a effectué des recherches de plus en plus profondes pour explorer ce qu'il y a derrière la matière et ses manifestations physiques. L'appel en Orient est d'être plus centré sur Dieu que sur l'égo et le matériel, de transcender la matière et de vivre la vie de l'Unité de l'âme immergée dans la félicité, ses hauteurs lumineuses et sa vaste infinité, et à partir de là de redecendre vers la multiplicité riche et harmonieuse au-niveau de la manifestation. C'est ainsi qu'en Orient de nombreuses âmes sont nées avec de plus grandes facilités pour la vision de la vérité et les pouvoirs miraculeux.

L'être humain doit transcender son petit égo agité, ses désirs mesquins et ses disputes futiles. Il doit s'élever au-dessus de ce plan de division et d'ignorance pour pénétrer cette unité cosmique où seulement se trouve la clé pour harmoniser les conflits de dualités apparemment irréconciliables. Des êtres établis dans la Vérité comme Ma Anandamayi et Shri Aurobindo sont naturellement des guides conduisant à des hauteurs inaccessibles, dans les mystères profonds qui sont derrière la création. C'est donc en Orient qu'on doit chercher d'une façon ou d'une autre cette clé pour une harmonie née de l'esprit qui elle seule a la capacité de guérir l'humanité de ses maux et de reconcilier tous les conflits et les haines, tous les facteurs irreconciliables dans la vie humaine et aide à poser une fondation saine en vue d'une civilisation parfaite.

Comment connaître, discerner le niveau d'un être «psychique» [terme à comprendre dans le langage de Shri Aurobindo] rare comme Ma Anandamayi et établir un contact des plus intérieurs avec elle? Aux yeux d'un observateur superficiel, elle n'est qu'un être mortel ordinaire de chair et d'os. Il est vrai que ces enfants de lumière sont difficiles à saisir et connaître car la grandeur spirituelle n'est pas un phénomène matériel visible. La splendeur d'une aurore aux couleurs multiples et la profonde beauté sous-jacente aux sommets enneigés des Himalayas ou bien la grace, l'élégance d'un lotus pleinement épanoui sont perdus pour un homme du monde comme si elles n'avaient jamais existé. Seul un Rabindranath [Tagore] est pleinement conscient; lui seul peut soulever le voile et vous faire rentrer dans un ciel de mélodie et de beauté qui vous avait été fermé et inconnu depuis si longtemps. Dans le monde de l'esprit, il est vrai que ces âmes d'un niveau spirituel rare peuvent nous donner un aperçu de la Félicité et de la Paix ineffable du grand Au-delà, mais il n'y a pas malheureusement de moyens ou de méthodes évidentes par lesquels le commun des mortels puisse apprécier la grandeur et la gloire de ces grands esprits à moins qu'eux-mêmes, de leur propre accord, ne choisissent de se révéler. Cependant, il y a certaines indications.

On peut reconnaître une personne établie dans l'esprit, reposant sur l'esprit comme Ma Anandamayi par son impersonnalité entre autres choses. Quand vous la rencontrez, elle n'est guère là, identifiée au corps comme n'importe qui d'autre le serait. Si vous avez un tant soit peu d'intuition, vous la sentez facilement être surtout ailleurs, comme le vaste dôme d'azur au-dessus de vous que vous percevez mais pourtant ne saississez pas complètement. Vous êtes là, remplis de crainte sacrée devant queque chose de vaste, d'incompréhensible qui atteint des étendues inexplorées et des altitudes ou profondeurs jamais mesurées. Nous sommes stupéfaits par le simple pouvoir chez ces grands hommes d'action, ou par un volcan en éruption ou par l'arrivée d'une tornade; mais des êtres spirituels établis dans le samadhi avec beaucoup plus, voire même un pouvoir qu'on ne peut imiter se tiennent dans un calme statique et son enveloppés dans une paix ineffable et une félicité divine tout en étant actifs avec douceur. Son calme pareil au rocher s'harmonise avec un mouvement irresistible; en fait, tous les aspects de la vérité, terrible et douce, bonne et mauvaise, poison et nectar ont été synthétisés en eux d'une façon ou d'une autre. C'est ici, en de tels êtres rares, que la conception unique des visionnaires (rishis) de l'Inde a réussi la grande synthèse intégrale des principes cosmiques, la véritable Divinité de tous les dieux.

Ma Anandamayi es une forme mise en avant par l'Energie divine (Shakti). Elle en est le condensé même, son émanation et épanouissement dans la matière; elle est le signe de la capacité infinie du véhicule humain d'incarner et manifester la Divinité de Shiva immanente de façon multiple dans la création.

Ma Anandamayi by devotees, Ma Anandamayi Ashram, Calcutta, 1946, p.151-155

Nous donnons des extraits ci-dessous d'une autre contribution du même ouvrage, celle-ci par un certain G.C. Das Gupta (p.48-49)

D'habitude dans ses ashrams e silence est observé pour une heure ou à plus, quand descend un charme céleste de paix et de tranquillité trop profond pur être exprimé. On sent que son soi s'est immergé dans ce caélme extatique. Une atmosphère, un élan d'expansion élargit alors l'horizon de notre esprit; nous en venons à réaliser la mesquinerie et le manque d'intérêt de nos dizputes quotidiennes et de nos recherches sans but. Elle symbolise à ce moment-là toutes les étincelles les plus infimes de nos existences se fondant pôurun tmps dans la flamme unique de la mère divine.

Quand elle parle, elle répand des flots de douceur sur toutes les personnes présentes...Ceux d'ntrenous qui ont eu la chance de pouvoir être influencés par sa personnalité magnétique ont toujours senti qu'elle et comme «une étoile qui demeure à distance» de tout le tohu-bohu de l'existence terrestre; pourtant elle indique clairement, avec son calme naturel et sa vision prophétique, la voie qu'on doit suivre dans la vie et communiqueprofondément à chacun l'importance du bien réel de chque être humain -la réalisatin de lAtman divin.

Les deux niveaux des paroles de Ma

Ces réflexions sont extraites de la contribution de Girija Shankar Bhattacharya, professeur au Presidency College, l'une des universités les plus réputées de Calcutta. Il avait été avec Bhaiji et Pran Gopal Mukerjee -dont nous avons publié auparavant les lettres qu'il a reçues de Ma- l'un des premiers à découvrir Ma à Dhaka en 1925.

....Une autre caractéristique de Ma que je voudrais mentionner est sa réticence à imposer sa volonté à qui que ce soit. Je ne l'ai jamais vu faire ainsi depuis environ vingt ans que je la connais. Elle suggère, elle recommande, elle dit qu'il serait bon de faire telle ou telle chose au vu des circonstances actuelles, mais avec fineese de sentiment elle n'insiste jamais que quelqu'un ne suive une ligne d'action particulière dans la vie du monde aussi bien que dns le domaine spirituel. En fait, la liberté qu'elle donne à chacun nous donne l'impression d'un manque de cohésion parmi ceux qui suivent Ma. Cela ne la trouble pas le moins du monde, car elle n'est pas là pour former une nouvelle secte ou un nouveau parti. Au contraire toutes les sectes ou croyances se dissolvent d'elles-mêmes en sa présence et sous son influence. A ce propos, il faut considérer une qustion: Est-ce que Ma dit tout ce qu'elle exprime à partir d'un plan supérieur? -en d'autres termes, peut-on estimer que tout ce qu'elle déclare provient de son état de conscience supérieur? Je pense que je ne peux mieux faire que de traduire les paroles de Ma elle-même du livre original bengali d'Amulya Kumar Datta Gupta qui a tous les signes de l'authenticité dans la manière dont il la présente : «Quand vous parlez au niveau du monde il y aura à la fois de la vérité et de la fausseté dans ce que vous dites car les deux sont présents dans le monde.» (le sens que nous pouvons inférer du contexte, c'est qu'il est futile d'attendre la vérité absolue dans les propos d'une personne quelle qu'elle soit, quand elle parle à la facon du monde. En effet, de ce point de vue, personne ne peut être réellement véridique dans ce qu'il dit, et même avoir une quelconque idéee de la vérité. Bien sûr, il n'est pas question de déguiser sciemment les faits. Ma poursuit: « Quand je parle à la façon du monde, rie et plaisante avec vous, vous devez me comprendre de cette manière (c'est-à-à dire comme vous comprenez des personnes du monde). Supposez par exemple que je dise: «Apportez un verre d'eau de cette cruche». Vous y allez et trouvez qu'il n'y a pas d'eau dedans. Vous pouvez penser alors que Ma a été induite en erreur, qu'elle a dit quelque chose de faux parce qu'elle a pensé qu'il n'y avait pas d'eau dans la cruche (c'est-à-dire que vous pouvez estimer que Ma n'a pas la perception de l'état véritable des choses); mais si vous jugez au niveau relatif du monde, vous ne pouvez appeler cela une fausseté ou un mensonge. Quand vous aussi vous parlez de cette façon, vous ne dites pas de mensonge. Cela prouve seulement que votre supposition à propos de l'eau n'était pas correcte. Quand je parle avec vous, je parle de cette manière.

«Si vous pensez que je sais tout, je n'aurais pas alors d'occasion de parler avec vous. En effet, si je connais tout, qu'est-ce que je devrais vous demander? Je ne pourrais pas m'enquérir de si vous avez eu votre bain, ou votre repas, car je serais supposée tout connaître. Au-delà de tout ceci, il y a un état où il n'y a pas de distinction de vérité ou de non-vérité; mais dans cet état, il ne peut y avoir de rapports comme on les conçoit dans le monde, car cela y créerait une confusion. Il y aurait un grand désordre si nous prenions comme base de notre conduite cet état de super-conscience où toutes les distinctions se fondent les unes dans les autres. Il y a un autre état au-delà de ces deux-là. Dans celui-ci, tout ce qu'on dit s'avère authentique. Tout ce que je dis dans cet état est obligatoirement vrai.

Amulya Datta Gupta demanda: «Ma, que se passerait-t-il si quelqu'un a une telle foi en vous qu'il considère toutes vos paroles comme vraies de toutes façons?» Ma répondit: «Si quelqu'un a une telle foi en moi, toutes les paroles que je lui adresserai seront vraies». Il me semble qu'il n'a pas été rare que des malentendus ou même des conséquences indésirables ont résulté du fait que l'on ait considéré certaines paroles de Ma sans réfléchir comme inspirées et en provenance d'un état de conscence supérieure. En fait, comme on l'a déjà dit, elle ne commande que très rarement, si jamais elle le fait, elle se contente de suggérer. Ainsi, à chaque fois que je ne pouvais pas être d'accord avec elle sur un point précis et que je lui ai exprimé, elle n'a rien dit de plus. Naturellement, ma conclusion, c'est que Ma n'est pas en faveur de l'abrogation du jugement personnel.

C'est notre but d'atteindre la Consience Suprême, tattvagyân, la connaissance de la Vérté ou de la Réalité) qui apporte une union du fini et de l'infini. Tato mâm tattvato gyatvâ vishaté tadanantaram Connaissant Ma réalité, on pénètre sans délai dans Cela (le Soi) (Bhagavad-Gîtâ). Il ne sert à rien de fuir les responsabilités, de supprimer la conscience et d'obscurcir la petite lumière qui nous a été donnée. Il ne s'agit pas d'avoir une dépendance non critique envers qui que ce soit, vichara, (la raison, le discernement appliqué seulement pour découvrir la vérité) est le plus grand de nos amis et en aucun cas nous ne pouvons l'abandonner complètement. Beaucoup d'entre nous prétendent être sharanâgata, c'est-à-dire s'être abandonnés au Divin ou au Guru sans réaliser ce qu'est l'abandon véritable. Cela nous mène seulement à nous mentir à nous-même et nous conduit vers les ténèbres et la confusion. En déterminant nos devoirs nous devons, comme il est prescrit, prendre en considération 1)l'avis de l'enseignant, guruvâkya 2) les instructions des Shastra, shastravâkya et 3) les ordres de notr propre conscience. A chaque fois que nous manquons à cela, il y a toutes les chances que nous perdions pied.

Ma est absolument sans sankalpa, c'est-à-dire motivations Cela peut sembler étrange au commun des mortels, qui ont toujours quelque motivations derrière leurs actions. Quand on lui demande ce qui devra être fait dans le futur à propos de quoi que ce soit, elle répond d'habitude jo ho jâya, soyez ouvert à tout ce qui peut arriver. Ceci ne signifie pas repousser les choses à faire à la façon des gens paresseux, mais cela veut dire agir spontanément sous l'inspiration du moment. Souvent par exemple elle conseilllait d'acheter des tickets de trains pour une gare intermédiaire par rapport à la destination finale. En partant, disons, de Calcutta, on prenait des tikets pour Bénarès, d'où de nouveau à partir de la gare elle-même on continuait le voyage jusqu'à Delhi et de la même manière jusqu'à Shimla. J'ai remarqué cette absence de propos chez d'autres saints également. C'est ce manque de motivations qui rend les actions de Ma comme un jeu, lîlâ, et effectivement les actions de personnes comme elle rendent possible de croire que tout l'univers est la lîlâ de l'Eternel...

Om Shanti

 

Girija Shankar Bhattacharya

 

La mort doit mourir

D'après la nouvelle édition complète du journal d'Atmananda en anglais

La sortie officielle de l'édition du journal d'Atmânanda a eu lieu durant la Samyam Saptah en novembre à Kankhal en présence de Swami Chidânanda. Il est difficile de rendre par des extraits toutes la complexité du travail intérieur d'une pianiste autrichienne qui a évolué pendant dix ans à l'école de Krishnamurti à Raj Ghat an nord de Bénarès et est venue progressivement à Mâ. Ses réflexions sur Krishnamurti éclairent des aspects peu connus de sa manière d'enseigner. Le passage qui suit donne un exemple des préoccupations à la fois concrètes et spirituelles qu'avait Atmânanda au moment où elle pensait s'engager dans la vie d'ashram avec Mâ. (En pratique, ceux qui voudraient commander le livre peuvent le faire auprès d'Alvaro Enterria, Indica Books, D 40/18 Godowlia Varanasi 221001 Tel/Fax 00 91 542 321 640. Le prix est de 500 Rps, port en sus (peut-être 100 ou 200 Rps en plus, IFr=6Rp30)

Gagner sa vie 17 janvier 1953

A une question d'une jeune fille pour savoir si elle gagner sa vie comme enseignante, Mâ répliqua: L'attitude moderne, c'est que les gens doivent se prendre en charge et donc ils vont prendre un travail d'enseignant. Ils ne réalisent pas que l'acte même de partager la connaissance avec leurs élèves engendrent automatiquement leurs moyens de subsistance. La connaissance ne doit pas être vendue.

Cela fut une révélation pour moi et je compris soudain que la solution de mon problème concernant le fait de «gagner» ma vie ne résidait pas dans le fait de laisser tomber mon travail et de ne plus rien faire, mais dans le fait d'abandonner l'attitude commerciale de vendre mon travail. Faites votre service comme une fin en soi puis prenez ce qui est donné comme venant de Dieu et débrouillez-vous avec cela.

Cette idée m'a consumée et je ne pouvais dormir de toute la nuit, mais je ne me suis pas senti du tout fatigué pendant la matinée. Quand on a lu la Gîtâ, j'ai eu de nouvelles prises de conscience à propos de la signification de bien des passages, le texte paraissait complètement neuf. Je décidai de ne plus prendre d'argent mais de continuer le travail que je faisais et de laisser au Comité (de l'école de Krishnamurti à Rajghat) la décision de ce qu'ils me paieraient, puis de donner ma démission en juillet.

Le soir, Mâ remarqua que j'avais pleuré et Didi me fit venir auprès d'elle. Je lui dit que je n'allais plus accepter d'argent pour mon travail. Elle dit: «Comment allez-vous manger?» Moi : «de toutes façons, j'aurai de la nourriture». «Supposez que vous désiriez venir et vivre de manière permanente à l'ashram?» Moi: «Je ne viendrai pas!» Ma dit :«Voulez-vous venir?» Deux fois je dis: «Oui, je veux venir». Mais quand elle ajouta: «D'accord, je vais organiser les choses pour cela», j'ai eu peur et j'ai répliqué: «Non, non». Elle répondit à cela: «Vous avez dit oui deux fois, si vous l'aviez dit trois, cela se serait réalisé».

Elle me dit ensuite de ne rien faire à propos des questions d'argent maintenant mais d'attendre et de lui parler à Bénarès. Quand j'élevai une objection en disant: «Pour une fois que j'ai compris quelque chose, et vous ne m'autoriserez pas d'agir en fonction de cela!» Elle dit: «Attendez jusqu'à ce qu'un jour favorable selon le calendrier religieux) arrive et que Thakourji (le Seigneur) vous apparaisse en rêve et vous instruise».

Mâ parle avec des chrétiens Varanasi, 10 octobre 1957

Un jounaliste irlandais, Mr Fennell et Raimon Panikkar, un étudiant faisant des recherches à l'Université Hindoue de Bénarès et originaire du Malabar dans le Sud de l'Inde (son père était du Kérala: Panikkar est maintenant connu de par le monde pour ses nombreux livres sur le dialogue interreligieux, en particulier hindou, bouddhiste et chrétien. Il faisait partie du comité qui a accueilli à Sarnath le Dalaï-Lama lorsqu'il est venu du Tibet en exil en 1959. Il l'a retrouvé là bas il y a juste un an lors d'un séminaire de la Fondation Abhishiktananda, le Père Le Saux dont il était l'ami. Il vit maintenant en retraite dans le pays de sa mère, la Catalogne)

Panikkar: Quand il n'y a que le Un seulement, pourquoi y a-t-il tant de religions différentes dans le monde? Qu'avez-vous à dire à propos de ceux qui insistent que seulement une rligion est la bonne?

Mâ : Parce qu'Il est infini, il y a une infinité de conceptions de Lui, et une infinité de variété de chemins qui mènent à Lui. Il est tout, quelque soit le type de croyances ou d'incroyances comme dans le cas des athées. La croyance dans l'incroyance est aussi une croyance. Cela signifie que vous acceptez la cryance quand vous ne croyez pas. Il est dans toutes les formes et il est le Sans forme.

Panikkar: De ce que vous avez dit je déduis que vous considérez que le Sans forme (Nirguna) est plus proche de la Vérité que Dieu avec forme (Saguna)?

Mâ : Est-ce que la glace est autre chose que de l'eau? Saguna est autant Lui que nirguna. Dire qu'il y a seulement un Atma et que toutes les formes sont des illusions impliquerait que le Sans-forme est plus proche de la vérité que la forme; mais je dis que chaque forme et le Sans-forme également sont Lui et Lui seul.

Q : Je suis chrétien

Mâ : Je suis aussi chrétienne, musulmane, tout ce que vous voulez.

Q : Comment puis-je trouver le bonheur?

Mâ : Dites-moi d'abord si vous êtes d'accord pour suivre les instructions que je vous donne.

Q : Oui

Mâ : L'êtes-vous réellement? Eh bien, supposez que je vous demande de rester ici; en serez-vous capable?

Q : Non! (rires)

Mâ : Voyez-vous, le bonheur qui dépend de quoi que ce soit en dehors de vus, femme, enfants, argent, réputation -n'importe quoi- ce bonheur ne peut durer. Maçs si vos trouvez le bonheur enDieu qui et partout omniprésent, qui est votre propre Soi, voilà le bonheur réel.

Q : L'individu en moi n'a-t-il aucune substance? N'y a-t-il pas quelque chose en moi qui n'est pas Dieu?

Mâ : Non, même la forme du non-être n'est que Dieu. Tout est Lui.

Q : Y a-t-il une quelconque justification à l'activité professionnelle ou à toute autre activité du monde?

Mâ : Etre occupé avec les choses du monde, cela agit comme un poison lent. Progressivement, sans que vous vous en aperceviez, cela vous mène à la mort. Est-ce que je devrais conseiller à mes amis, à mes parents (Mâ appelait d'habitude les gens quelque peu âgés Père ou Mère) de suivre ce chemin? Je ne puis le faire. Je dis de prendre le chemin de l'Immortalité, de prendre une voie ou une autre qui vous convienne, elle vous mènera à la découverte du Soi. Mais vous pouvez faire quelque chose: quelque soit le travail que vous effectuez pendant la journée, essayez de le faire avec un esprit de service. Servez-Le sous toutes les formes, regardez chacun et chaque chose comme des manifestations de Dieu et servez-Le Lui seul quelque soit le travail que vous entrepreniez. Si vous vivez dans cet état d'esprit, le chemin de la réalité s'ouvrira devant vous.

Q : Quel est votre travail?

Mâ : Je n'ai pas de travail. Pour qui pourrais-je travailler puisqu'il n'y a que le Un?

 

Une question de Denise Desjardin sur l'adversité Kishenpur, le 12 octobre 1960

Ce matin, une jeune fille française de 20 ans est arrivée ici de Kaboul où elle avait travaillé pour un film avec Arnaud Desjardin. Elle avait été si impressionnée par un autre film sur Mâ qu'il lui avait montré qu'elle avait décidé de faire étape en Inde rien que pur la voir. Elle a dix jours à passer ici. Elle n'a quitté Kaboul qu'hier et elle a pris le train de nuit pour Dehra-Dun. Après une heure du darshan de Mâ, qui avait été principalement employée par les offrandes faites par les gens et par leur pujâ à Mâ -suivies par une demi-heure de conversations en bengali et hindi dont elle ne pouvait comprendre un mot, je lui ai demandé comment elle trouvait Mâ. Elle répondit: «J'attendais beaucoup, mais j'ai trouvé bien plus». En réplique à une question sur son désir de voir d'autrs choses en Inde elle dit simplement: «Non, je ne veux que rester auprès de Mâ.»

Plus tard dans la journée

Je demandai: Mataji, Madame Desjardins souhaite savoir ce que vous voulez dire par «vipad diya tini vipad haran karen», par l'adversité Il détruit l'adversité.

Mâ : Puisque vous dites cela, parlez-nous d'abord des sens possibles que vous avez présents à l'esprit.

Denise D: Etre un individu signifie en soi souffrance puisque cela veut dire lien, séparation du Un; mais plongé qu'il est dans les plaisirs du monde, l'individu n'est pas conscient de sa souffrance. Ainsi donc, Dieu envoie les chagrins et l'adversité pour qu'on puisse s'éveiller et réaliser le fait de sa misère innée.

Mâ :En effet, vous voyez que le bonheur de ce monde ne dure pas et vous vous mettez donc à chercher un bonheur qui dure. Quel autre signification voyez-vous?

Denise D. : Cela veut aussi dire qu'il envoie des problèmes pour éviter une grande catastrophe.

Mâ : Oui, il apparaît parfois qu'une grande catastrophe est karmiquement inévitable mais elle est évitée ou atténuée par une plus petite. Le fait est aussi qu'on doit endurer les souffrances dues à son karma, mais une fois que c'est passé, on en est débarassé. De cette façon aussi, la souffrance est utile. D'autre part, si survient une grande difficulté, on est obligé de se tourner vers Dieu puisqu'on se sent complètement incapable d'y faire face. Dans de telles circonstances, même si quelqu'un a des doutes sur l'existence de Dieu, il va se mettre à Le prier

Tout cela me rappele un incident que Mr Modi [un des plus grands industriels d'Inde] m'a raconté. Il était une fois dans un avion et il s'est mit à avoir des problèmes de moteur. On a annoncé aux passagers qu'ils étaient tous perdus, puisque le moteur ne pouvait fonctionner encore que quinze minutes. Ce fut la panique et les gens se mirent à se lamenter et à pleurer sur leur sort. Modi leur dit: «Pourquoi vous lamenter? Vous avez de la chance. C'est le moment de prier Dieu. Si vous décédez avec la pensée de Dieu vous irez droit à Lui.» Donc tous se mirent à prier avec une grande ferveur et d'une façon ou d'une autre l'avion réussit à atterrir. Bien qu'on ait réparé le moteur à ce moment-là, Modi et d'autres eurent l'intuition de ne pas remonter. Quand l'avion a redecollé, il heurta un fil électrique et prit feu instantanément avec tous les passagers dedans.

Ananda dans les Upanishads

Nous avons déjà présenté un court article dans le numéro précédent sur l'origine et le sens du mot ânanda dans les Upanishads. Nous allons maintenant continuer ce thème plus à fond, grâce déjà à des citations des textes eux-mêmes, en particulier la Taittiriya, et à la traduction intégrale de la conclusion de la thèse du Père George Gispert-Sauch qu'il a soutenu à l'Institut catholique de Paris sous la direction du Cardinal Daniélou, et qui a été publiée par la suite àDelhi (Oriental Publishers, 1977). D'origine espagnole, il vit depuis longtemps en Inde où il enseigne dans le grand institut des Jésuites à Delhi, Vidya Jyoti, et où il s'occupe d'une bibliothèque considérable d'environ 150000 livres. Ayant moi-même travaillé là-bas à des heures souvent indues, tard le soir ou le week-end, je peux témoigner qu'il est un grand travailleur devant l'Eternel et régulièrement le dernier à quitter son poste quand le reste de la maison est vide. Il a en évidence sur un mur de son bureau depuis longtemps un tissu avec un Om imprimé qui avait été offert à un de ses amis par Mâ Anandamayi elle-même, ce n'est donc pas entièrement par hasard que ses conclusions sur «ânanda» paraissent dans ce bulletin consacré à l'enseignement de Mâ.

Extraits des Upanishads à propos d'ânanda

(comme je n'avais pas sous la main de texte français, j'ai traduit les extraits ci-dessous fidèlement de la version anglaise de Hume qui est considérée comme une des meilleures et qui a l'avantage d'indiquer les mots sanskrits importants au fur et à mesure)

Taitiriya upanishad, seconde vallî, septième anuvâka

Au commencement, en vérité, ceci (le monde) n'existait pas

De là, l'être (sat) a été produit.

Cela s'est transformé de soi-même en Ame (Atman).

C'est pourquoi on l'appelle «bien faite »(su-krita)

En vérité, ce qui est bien fait est réellement l'essence, rasa, [de l'existence]. C'est en obtenant l'essence qu'on devient bienheureux. Car en fait, qui pourrait respirer, qui pourrait vivre, s'il n'y avait cette félicité dans l'espace! Il est vrai en effet que quand on trouve une fondation dans ce qui est invisible, san corps (anâtmya), non défini, sans support, on a atteint la non-peur. Quand par contre on y crée un creux, un intervalle, c'est alors qu'on se met à avoir peur. Mais c'est en fait la peur de celui qui se considère comme sujet connaissant [en tant que séparé de l'objet connu].

A ce propos il y a aussi le vers suivant:

Huitième anuvâka

C'est par peur de Lui que le Vent souffle

C'est par peur de Lui que le Soleil se lève

C'est par peur de Lui que le Feu, Indra -et la Mort comme cinquième du groupe- se hâtent.

Voici maintenant une réflexion sur le bonheur:

Considérons un jeune, un bon (sâdhu) jeune homme bien éduqué, très rapide, très ferme, très fort. Supposons que la terre entière soit pleine de richesses à sa disposition. Voilà une unité de félicité humaine.

Cent félicités de cette homme en constituent une pour les Gandharvas humains (esprits musiciens qui habitent dans un paradis spécial) -ainsi que pour l'homme qui possède bien les Ecritures (shrotiya) et qui est indemne de la morsure du désir.

Cent félicités des Gandharvas humains en constituent une pour les Gandharvas divins - et aussi pour l'homme...

[La gradation exponentielle continuent ainsi par les étapes suivantes] : les ancêtres dans leur monde qui dure lontemps/ les dieux qui le sont par naissance/ ceux qui le sont par leurs oeuvres/ les dieux/ Indra / Brihaspati/ Prajâpati et enfin:

Cent félicités de Prajâpati en constituent une pour Brahma -ainsi que pour l'homme qui connaît bien les Ecritures (shrotiya) et qui est indemne de la morsure du désir.

Celui qui est ici dans une personne et celui qui est là-bas dans le soleil -les deux ne font qu'un.

Celui qui sait cela, en quittant ce monde, s'en va vers ce soi qui est constitué de nourriture (annamaya kosha, le début d'une série de cinq «enveloppes» décrites ailleurs dans les upanishads), s'en va vers ce soi qui est constitué de souffle (prâna), s'en va vers s'en va vers ce soi qui est constitué de mental (manas) s'en va vers ce soi qui est constitué de connaissance (vijñana) s'en va vers ce soi qui est constitué de félicité (ânanda).

Il existe également à ce propos les vers suivants:

Neuvième anuvâka:

Là d'où les paroles reviennent,

avec le mental, sans avoir pénétré -

Celui qui connaît la félicité de Brahman

Ne craint absolument rien.

Une telle personne n'est pas tourmenté par ce genre de questions: «Pourquoi n'ai-je pas fait ce qui est bon (sâdhu)? Pourquoi ai-je commis le mal (pâpa)? Celui qui connaît ceci se libère lui-même (âtmânam) de ces deux [pensées] -en vérité, de ce deux il se libère lui-même, celui qui connaît ceci!

Telle est la doctrine mystique (upanishad)

Brihad-Aranyaka Upanishad:

Ainsi parla Yanjñavalkya : [à propos de l'âme durant le sommeil profond: celui-ci est souvent comparé au samâdhi, dépourvu néanmoins d'hyperconscience]: ceci est réellement la forme qui est au-delà des désirs, libre du mal, sans peur. De même qu'un homme quand il est dans les bras de son épouse bien-aimée ne connaît rien ni dedans ni dehors, de même cette personne, embrassé par l'Ame intelligente, ne connaît rien ni dedans ni dehors. En vérité, c'est sa forme [authentique] dans laquelle son désir est satisfait, dans laquelle l'Atman constitue son désir, dans lequel il est sans désir et sans souffrance...

En vérité, quand il y a un autre, l'un peut voir l'autre...l'un peut connaître l'autre; [mais] celui dont le monde est Brahma devient un océan, celui qui voit purement et sans dualité...C'est l'homme du chemin supérieur, à la réussite supérieure. Voilà le monde suprême, voilà la félicité suprême. Sur une part seulement de cette félicité, les autres créatures vivent. (4.3. 21 et 31-32)

 

Conclusion du livre de G.Gispert-Sauch sur «ânanda dans les Upanishads»

Nous sommes venus à la fin de notre étude sur ânanda dans les Upanishads. Nous avons commencé notre étude par ls spéculations liturgico-psychologico-cosmiques qui ont trouvé leur pleine expression dans la Taittiriya bien qu'on les trouve également dans d'autres Upanishads. Dans ces réflexions on nous enseigne qu'ânanda se trouve au plus profond de la personnalité humaine correspondant d'une part à la couche supérieure de l'autel védique et de l'autre au ciel des dieux. En tant que partie la plus intime de la réalité de l'homme, on l'identifie avec Brahman qu'on décrit aussi comme satyam, jñanam, anantam (vérité, connaissance, infini). Nous avons vu comment cett réalité et expérience d'ânanda est donc caractéristique de l'Etre à sa source même, quand on ne l'a pas encore concrétisé dans la pluralité des formes, mentales ou physiques: yad vâ aniruktam tad ânandamayam, ce qui est aussi caché (à la raison) est constitué d'ânanda. (Shatapatha Brâhmana 8.2.3.11). C'est pourquoi ânanda est appelé brahma-yonî, la matrice de Brahman (Taittiriya Aranyaka 10.63.1). La félicité est donc de même nature que l'homme lui-même, et non pas une simple forme surimposée sur son noyau le plus intérieur, une alternative superficielle à une dukha, souffrance, non moins superficielle. Cette expérience de félicité est reliée au sens d'intériorité et à l'expérience de non-dualité (Taittiriya Upanishad 2.6.8). Elle est aussi en relation intime avec manas, le mental qui est sa demeure, bien que par elle-même elle soit au -delà de la vie intellectuelle de l'homme et apparentée au concept d'immortalité, non-manifeste et pacifiée (amritam, avyaktam, shântam)

Les autres chapitres de notre étude viennent confirmer la sagesse déjà enchâssée dans la Taittiriya Upanishad et dans les spéculations associées. Une des découvertes les plus intéressantes de cette étude des textes upanishadiques en détail, c'est le fait que les mêmes conceptions métaphysiques émergent répétitivement dans des spéculations différentes et dans des contextes divers, indiquant ainsi la cohérence fondamentale de l'appréhension archétypale de la réalité en Inde. Les spéculations sur le sommeil profond, comme celles sur le Yoga, insisteront sur le fait que l'ânanda parfait est vécu seulement dans l'état d'unification parfaite quand l'homme redécouvre le sense de plénitude complète (kritsna) qui correspond à l'état authentique et absolu de l'être humain, son «état céleste» au-delà de la portée et de l'appréhension du vijñânamaya purusha, l'être constitué de connaissance. Bien que la Mandukya Upanishad postule un quatrième état de l'homme, le turîya, apparemment au-delà des limites d'ânanda, la plupart des spéculations upanishadiques mettent en corrélation l'expérience de félicité avac celle des aspects ashabda (dépourvu de paroles, ou au-delà du son intérieur), amûrta (dépourvu de forme) et akâla (au-delà du temps) de Brahman, l'expérience ultime de non-dualité.

Les spécuations philosophiques sur l'expérience sexuelle dispersées dans les Upanishads et la littérature pre-upanishadiques se concentrent sur l'unité et le retour à une plénitude originelle de l'être humain dont la division des sexes est déjà un éloignement. C'est cette plénitude qui explique la félicité de la non-dualité que l'on peut racapturer dans la reconstitution de l'être humain complet grâce à l'union sexuelle. Cette expérience est aussi mise en référence avec le mental, manas, et pourtant elle est conçue au-delà du prodédé normal de pensée, au-delà de l'expérience concrète, asamvidâ iva.

Les imaginations et aspirations de l'homme sont projetées sur une vie qui est au-delà de la vie céleste. Le chapitre 6 a relevé l'évolution dans la littérature védique à propos du concept de paradis, svarga, qui s'est transformé en celui de libération complète. Ce qui importe pour nous, c'est de remarquer que le thème d'ânanda est central bien qu'ils soit joué en des modes différents. De cette façon ânanda n'est pas seulement conçu comme la source de l'être de l'homme, mais devient aussi le centre de ses apirations, le but de ses efforts en vue de la libération complète. D'abord associé à l'expérience produite par cette boisson appelée soma, ânanda se trouve être dans les Samhitâs la caractéristique des réalités célestes auxquelles le rituel védique nous mène. Cette caractéristique s poursuit dans l'eschatologie des Upanishads qui ajoute la prise de conscience -souvent exprimée sous forme mythologique- du fait que l'homme a besoin de se transformer en une réalité nouvelle avant de pouvoir entrer dans la plénitude d'ânanda. Il se trouve que cette félicité est la caractéristique des dieux, de leur demeure et de la Liberté absolue elle-même, l'état au-delà de la dualité.

Les réflexions métaphysiques ds Upanishads et du reste de la littérature védique qu'on étudie dans le dernier chapitre confirme les intuitions de base des spéculations précédentes. La félicité suppose une plénitude de l'être, un infinité, le fait de n'être lié par aucune forme, et pourtant une consistance pleine de la Réalité parce qu'établi sur sa propre grandeur. (Maitriya Up. 2.4; 6.28,38). C'est en même temps l'objet de tous les désirs. C'est dans la concentration parfaite de l'être, dans l'expérience parfaite de l'advaita qu'on trouve la félicité. C'est pourquoi il ne faut pas être surpris si les rishis, les visionnaires des Upanishads affirment avec audace qu'ânanda est Brahman et Brahman est ânanda, une affirmation déjà préparées dans la littérature pré-upanishadique qui parle d'ânanda dans le contexte du bien-être, de la prospérité, la plénitude et la perfection. Dans cet aspect de plénitude et de non-dispersion on doit chercher, mystérieusement, la raison pour laquelle ânanda est aussi la véritable racine et explication de ce partage de l'être qu'on trouve dans les Upanishads: tasyaivâ'nandasyâ'nyâni bhûtâni mâtrâm upajivanti D'un simple fragment de cette félicité, les autres êtres tirent leur subsistance (Brihad-Aranyaka Upanishad 4.3.32)

Il serait intéressant, mais au-delà des limites de cette étude de pousser plus loin l'importance de l'idée d'ânanda dans la tradition indienne postérieure. Nous savons que pour les systèmes Nyâya et Vaishesika qui ont tant de points faibles dans leur compréhension de la réalité, ânanda ne peut être conçue que comme un plaisir accidentel, sukha, en aucun cas relié au coeur de l'Etre ou à l'état de libération. On pourrait peut-être dire la même chose des systèmes du Samkhya et du Yoga, bien qu'une étude plus approfondie serait nécessaire particulièrement pour certains développement du Yoga influencés par le tantrisme ou la bhakti. L'étude des grands maîtres, âchâryas, de la tradition védantique nous amènerait certainement à recapturer l'importance centrale d'ânanda dans la tendance religieuse et philosophique de l'Inde la plus importante et la plus durable, et on devrait analyser la raison pour laquelle ce concept est devenu omniprésent dans les Upanishads des diverses écoles dévotionnelles et continue de façon prééminente comme par exemple dans l'école de la Reconnaissance (pratyabhijña) du Shivaïsme du Cachemire:

Le Seigneur suprême est un conquérant! La splendeur de sa félicité est rendue brillante par Pashyantî, le Son excellent (il s'agit de la première intuition de ce qu'on veut dire avant une verbalisation mentale claire et définie précédant elle-même l'expression orale; à ce titre, Pâshyanti est proche de cette masse sonore continue qu'on perçoit quand on se met à écouter le son du silence) qui, aussitôt qu'il est perçu (lit.«vu»), captive la conscience. (Bhatta nârâyana, stavacintâmani, 1)

Nous remarquons donc que les sytèmes et traditions qui donnent de l'importance à la notion d'ânanda sont précisément celles qui ont maintenu leur vitalité et se sont développées durant l'histoire de la pensée et des religions de l'Inde: ansi trouve-ton les différentes écoles des cultes bhakti, les Tantras et les diverses écoles de Védanta, car même la tradition du kevalâdavaita (l'advaïta suprême, de l'Unique) a maintenu en principe la suprémacie de la triade sat-chid-ânanda, être-conscience-félicité. D'autre part, les écoles qui ont minimisé l'importance d'ânanda sont celles qui ont justement cessé d'exister comme des mouvements autonomes, même si elles ont puissament influencé la pensée indienne et y ont laissé l'empreinte de leurs intuitions de sagesse de façon permanente. Aoinsi donc, ânanda justifie son importance pour l'histoire postérieure de la tradition indienne. Ce concept corrige en partie le danger de gnosticisme sec dans cette tradition. La recherche de l'Absolu est de fait une voie de connaissance, ou l'est pricipalement, déjà dans les Upanishads et souvent par la suite. Mais le but ultime de cette recherche n'est pas simplement une vision intellectuelle ni même une fusion pure de celui qui connaît et du connu ou de la lumière sans tache de la conscience du Soi: il y a là aussi ce qu'on pourrait appeler un élément méta-intellectuel, il y a la félicité, ânanda, qui ne peut jamais être réduite aux catégories philosophiques. Ceci ne signifie pas une dualité dans l'Absolu, mais un certain débordement de l'Etre dans la lumière et la joie. De cette façon l'Absolu de la philosophie védantique devient un but religieux à atteindre et attire d'une certaine façon le dynamisme religieux du chercheur.

Abonnements

Le renouvellement général des abonnements a eu lieu lors du dernier numéro. Dû à une erreur dans l'inclusion des formulaires à l'envoi, quelques personnes n'ont pas reçu le formulaire de renouvellement. Elles peuvent de toutes façons s'abonner maintenant en même temps que ceux qui ne l'auraient pas encore fait en envoyant un chèque de 100 Frs à l'ordre de Jacques Vigne à Nadine et José Laudebat-Sanchez, 210 rue Galliéni, 92100 Boulogne Tél 01 41 31 28 00

L'abonnement est pour deux ans, soit 8 numéros.

Table des matières

Paroles de Ma

Réponses de Vijayananda

Voeux pour le troisième millénaire