Jay Mâ N° 102  - Automne 2011

Editorial

     Cet été a été marqué par le départ d’Arnaud Desjardins le 10 août. Nous mettons un beau témoignage de Sundarî à ce propos. Elle était revenue voir Vijayânanda en fin mars 2011 quelques jours avant qu’il ne quitte son corps. Nous ajoutons deux textes d’Arnaud où il témoigne de l’impact qu’a eu Mâ sur lui. Par ailleurs, un groupe de 27 Français a été au Mont Kailash en fin mai-début juin avec Vigyânânand. Nous incluons quelques extraits de son compte rendu, en particulier sur le sens symbolique du Mont Kailash en méditation. Nous reviendrons à plus de textes directement sur Mâ dans le prochain muméro.

 

 

Paroles de Mâ

 

Extraites de ‘Les Enseignements de Mâ Anandamayî’:

    

LE PELERIN  ET  LE CHEMIN  VERS  LE  DIVIN’

 

                                                       

Le voyageur en quête de la vérité, est tenu d’observer une certaine discipline et d’avoir un mode de vie exemplaire. Si quelqu’un désire lui offrir des vêtements, de l’argent ou autre chose, il doit lui dire franchement et simplement : « Il nous est interdit d’accepter quoi que ce soit sur cette voie que nous avons choisie. Le but de notre vie est uniquement d’obtenir la grâce de Dieu. »

 

Dans quelque état ou disposition que vous soyez, pensez à Dieu et priez pour obtenir Sa grâce, au mieux de vos possibilités. Ce n’est que le début de votre voyage pour celui qui vise véritablement à la réalisation divine. Efforcez-vous de prendre l’habitude de prier et de pratiquer journellement, avec autant de ferveur que possible.

 

Dieu ne peut pas faire autrement que d’accorder l’illumination à celui qui la désire sincèrement. L’activité quotidienne des activités spirituelles doit se dérouler aussi minutieusement que possible. Plus vous passez de temps à pratiquer le japa, la méditation, l’invocation de Son Om et l’étude de textes spirituels, plus vous progresserez sur la voie de l’illumination. Lisez régulièrement la Bhagavad Gîtâ et efforcez-vous de la comprendre, encore et toujours.

 

Le monde est strié d’innombrables et interminables coulées alimentées par les échecs, les faillites et les ratages en tous genres. Lorsqu’une personne se fait prendre par une de ces coulées, s’y empêtre et se laisse paresseusement emporter par le courant, il est naturel qu’elle paye durant sa vie, les conséquences de ses faiblesses et de ses manquements, sous forme de problèmes et d’épuisement moral et physique. Mais l’esprit ne devrait pas rester ainsi emprisonné. L’esprit doit être dirigé vers des idéaux élevés, visant à l’accomplissement du Soi à l’insu de tous, dans ce monde-ci et dans le prochain. Qui sait de quelle manière se présente son « appel à comparaître » ? Ne restez pas plantés là ! Vous êtes la vérité, la  pureté, l’illuminé, le libéré et l’éternel. Pour la progression du Soi dans cette direction, il faudrait, de sa propre initiative, se lancer sur cette voie avec fougue et résolution. En effet, Dieu est au-dedans de vous, sous forme de la connaissance et de la juste intelligence. Forts de cet avantage, il serait juste d’entreprendre ce voyage sur la voie de la réalisation du Soi. Car le temps passe. Le père suprême, la mère suprême, le frère suprême, la soeur, l’ami, le maître, c’est Lui. Tout est en Lui. Chérissez l’image de Ses pieds (tcharanam signifie ‘pieds’ et ‘charanam’ refuge. Prendre refuge aux pieds du gourou est ainsi une expression courante dans la dévotion à l’hindou).

 

                                                       

Le voyageur en chemin vers la réalisation de Dieu, se doit d’oeuvrer en personne pour parvenir à soulever le rideau. Et c’est Dieu qui procure l’énergie indispensable pour avancer dans cette direction. Mais Sa révélation n’est pas le fruit de Son action. En fait, Il procure, en même temps que l’énergie, la clé qui ouvre la porte. Il n’est que d’ouvrir la porte pour Le voir, Lui, le Soi illuminé.

 

                                                       

A quelque endroit que Dieu retienne le voyageur et à quelque moment que ce soit, celui-ci ne devrait entreprendre le véritable voyage, qu’à partir de ce point-là. Car Lui-même est dans toutes les formes, dans l’action et la non-action. Il faudrait se donner entièrement à la tâche que l’on s’est fixée,  pratiquer le japa, et invoquer Dieu, avec coeur et âme. Dans le royaume de Dieu, on ne peut que penser à Lui. Alors souvenez-vous de Lui. Toujours. C’est le chemin vers la paix.

 

Dans le domaine de la représentation de l’univers tout entier, Dieu est dans toutes les formes. Il est souhaitable de progresser vers la réalisation du Soi.

 

Si vous vous prenez à penser, pensez à Lui, si vous vous mettez au travail, travaillez pour Son service. Le voyageur se doit d’accomplir son parcours. Gardez toujours votre esprit tourné vers le spirituel, c’est là le point essentiel de ce voyage. Et poursuivez votre chemin.

 

Tout voyageur devrait affronter le parcours avec un esprit vif, sain, rapide et inébranlable. Il ne s’agit pas d’une promenade en fiacre. Force et vivacité d’esprit sont indispensables à tout instant. Il serait bon de construire sa propre vie soi-même.

 

Qui appartient à qui dans ce monde-ci ? Tout un chacun s’efforce de remplir sa propre tâche et d’accomplir le voyage. Un tel état est naturel dans les déplacements à travers le monde. Il ne faut pas se laisser prendre par l’angoisse. Comment est-il possible qu’un voyage spirituel s’accomplisse et se termine comme il se doit, s’il est confronté à mille obstacles que la souffrance et la douleur ont dressés sur le parcours. Souffrance et douleur elles-mêmes causées par certains liens et attachements instaurés au cours des différents séjours  ici-bas – naissances et renaissances. Il faut s’efforcer, pour atteindre la révélation du Soi, d’effectuer un parcours libre et sans entrave aucune. Le voyageur du Grand Chemin doit faire en sorte que son voyage soit un succès. Et ce succès n’est autre que la réalisation du Soi.

                                                                                                                                                             Traduit de l’anglais par Jean E. Louis

 

 

Le départ d’Arnaud

 

Par Sundarî

 

Quelques précisions :

         Mâ Anandamayî, rencontrée dans mon jeune âge, entre 1977 et 1980, est ma mère spirituelle. Elle a établi d’emblée un lien avec moi de nature spirituelle. Ayant peu connu la Mâ « humaine »  mais, par une grâce stupéfiante de Sa part, percevant très bien la Mâ « divine », je n’ai jamais souffert du fait qu’elle ait quitté son corps, puisque ce lien divin est un lien permanent, qui m’a toujours permis de La sentir présente en moi, n’importe quel jour depuis lors. Et je ne pouvais pas regretter une dimension humaine que je n’avais pas connue, alors même que j’étais tellement comblée et inspirée pas Sa dimension divine. Il en va tout autrement de ma relation avec Arnaud Desjardins. Arnaud  a bien voulu assumer pour moi la fonction de Maître spirituel depuis plus de 26 ans... Sans faire partie de ceux ou celles qui l’ont côtoyé au quotidien, j’ai eu la chance d’être engagée dans une relation personnelle avec lui bien réelle, et, outre l’enseignement libérateur qu’il m’a prodigué, il a influencé tous les grands choix existentiels de ma vie (profession, mariage, etc.) J’ai choisi de raconter ce je sais des circonstances de sa mort sans m’exclure du récit, parce qu’ainsi, cela permet de montrer de façon plus vivante l’interaction entre le Maître et l’élève... Il me semble que parler de façon trop convenue, en évitant de parler de soi, amène à un récit « historique » et objectif, certes, mais pas très utile pour ceux ou celles qui, se sentant engagés dans un chemin d’évolution, sont à l’affût d’illustrations concrètes capables de les aider sur leur propre chemin. J’ai donc préféré le témoignage, plus impliqué, et plus impliquant pour celle ou celui qui le reçoit. Je le signe, par contre, de mon nom indien, qui me permet de témoigner tout en restant dans l’anonymat. Je vous souhaite bonne route à toutes et à tous, du fond du coeur...

                   GURU  KRIPA KEVALA !....

 

         Le lundi suivant, le 4 juillet, j’étais allée le saluer car mon séjour se terminait. C’est la seule fois de ma vie où je suis allée le saluer seule. Là encore, je ne disais rien, je restais ouverte à ce qu’il allait dire ou faire, lui. Il était debout et non pas assis comme habituellement pour les au revoir. Il a commencé par me  prendre dans ses bras avec un amour vraiment extraordinaire. Jamais je n’ai senti, même avec lui, une telle profondeur d’amour. Une sorte de velours lumineux, de suavité chargée de Sens, de Grâce infinie... Rien que cela -une telle qualité d’amour est vraiment indescriptible-  est certainement son dernier enseignement, le plus profond, sa transmission la plus significative. Il m’a redonné brièvement quelques instructions, fait certains commentaires... Puis il m’a prise à nouveau dans ses bras, en me chantant : « OM, SHANTI SHANTI SHANTI...» Je l’ai remercié du fond du coeur et suis partie.

. Au cours de ce dernier  entretien que j’ai eu avec lui le lundi 4 juillet, il m’a donné repères et instructions par rapport à mon évolution future la plus profonde. Il devait percevoir sa fin prochaine, car il m’a recommandé son livre, La Paix Toujours Présente, en me précisant que ce serait le dernier et qu’il s’agissait vraiment de son testament spirituel, de son enseignement le plus abouti.  Et puis, lorsqu’il a conclu l’entretien, il a ajouté ceci : « Tant que je n’aurai pas des tuyaux partout, je serai là, pour vous aider à atteindre l’Autre Rive... » Dix neuf  jours plus tard, en effet, les tuyaux étaient entrés en scène...

      

         Durant ces 21 jours, je sais Arnaud étendu sur un lit d’hôpital, la cage thoracique ouverte puis refermée, le sternum scié, avec des difficultés à simplement respirer... Avec surtout des difficultés à respirer. Il a, d’instant en instant, l’impression qu’il n’aura pas la force de supporter l’effort que représente le malaise de la respiration suivante... La respiration est un point d’appui  capital pour tout pratiquant du yoga... C’est elle qui, justement, permet d’endurer la souffrance, de la traverser... Et justement, il en est privé. Le point d’appui physique principal est justement le lieu du principal malaise... Je ne peux pas ne pas faire le lien entre tout se qui se passe dans mon existence, les mises en situations édifiantes qui se succèdent à grande vitesse, l’énergie incroyable qui s’est mise spontanément en oeuvre pour tout clarifier et tout remettre en ordre depuis qu’il est entre la vie et la mort, et ce qu’endure Arnaud. Je ne veux pas dire que Arnaud, délibérément, a choisi de souffrir pour nous libérer de nos entraves. Je suis convaincue qu’il a accepté de supporter l'insupportable afin de pouvoir continuer à rester dans ce monde, afin de nous aider NOUS... Lui peut évidemment partir à tout moment  dans la lumière et la béatitude. C’est uniquement pour nous qu’il reste. Une telle compassion me touche au plus profond. Mais je crois aussi qu’à un autre niveau, réellement, à travers cette souffrance qu’il ne mérite certes pas, Arnaud brûle le karma de certains de ses disciples. Véronique, son épouse, qui a reçu différents témoignages, a pu remarquer que pour un certain nombre d’entre nous, le Travail s’est mis à accélérer, avec des mises en situation très particulières. Durant cette période, peu à peu, mon énergie, de réceptive à son égard, s’est mise, au moins à certains moments, à s’inverser : j’éprouvais le besoin de lui donner, de  transmettre de l’aide à son corps physique. Je me disais  que cela préfigurait certainement ce qui allait suivre lorsqu’il mourrait : nous aurons tous à donner, à restituer tout ce que nous avons reçu de lui afin que cela fleurisse dans le monde, et en particulier, dans notre entourage. Nous avons tant reçu... Nous aurons beaucoup à redonner. Pourtant, à cette époque, j’étais convaincue qu’il allait survivre à son opération. Il avait, de temps à autre, fait allusion au fait qu’il finirait sa vie en silence, en  mauna. J’étais donc convaincue qu’il nous reviendrait, assumant une présence silencieuse, mais radieuse encore quelques années durant...  Peut-être avait-il en fait renoncé à rester silencieux parmi nous, devant l’immense demande dont nous faisions tous la démonstration, sacrifiant sa précieuse énergie pour nous. La compassion d’Arnaud est tellement grande. Toujours est-il que du fait de ces allusions,  je n’ai prêté aucune attention à certains signaux avertisseurs : sa sépulture qu’on avait commencé à construire en avril, par exemple et certaines phrases de l’entretien...

    

         Au cours de son séjour à l'hôpital, Arnaud s’est trouvé plusieurs fois en détresse respiratoire, au risque de mourir en étouffant. Il a été intubé, et -pour utiliser le terme hospitalier- sédatisé : être intubé est tellement pénible et douloureux qu’on balance des sédatifs puissants, qui entraînent  aussitôt l’inconscience totale... Le Guru plongé dans l’inconscience par un corps médical à la fois hyper compétent, et plutôt autoritaire...  A la suite de cette expérience, il a été décidé avec Arnaud que l’on ne recommencerait pas. Au fur et à mesure que les jours passaient, l’énergie physique d’Arnaud diminuait, ses poumons ne pouvant pas s'adapter aux suites opératoires. Un matin, le médecin a prévenu : son taux de gaz carbonique augmente, si on ne fait rien, il mourra ce soir. Renseignements pris, il s’agit d’une mort douce... On a demandé son avis à Arnaud qui, estimant qu’il ne fallait pas confondre soins post opératoires et acharnement thérapeutique, et  percevant mieux que personne combien son corps s’épuisait, a préféré quitter tranquillement le corps physique ! Un Maître n’a évidemment aucune peur de la mort, mais s’il peut ne pas trop souffrir, il va évidemment choisir la solution la plus humaine pour lui. Quoique Véronique nous a dit, les larmes aux yeux, qu’Arnaud n’imposait rien, même concernant les circonstances de sa mort.  Il était vraiment prêt à vivre ce qu’il aurait à vivre, quelque forme que cela puisse prendre, y compris une agonie terrifiante. Différents membres de sa famille se relayaient à son chevet... A partir du moment où il a su qu’il allait mourir (puisqu’en fait on arrêtait les soins),  Arnaud a demandé que l’on pose une photo de Mâ sur lui, et il est mort ainsi, s'unissant à Mâ, très paisiblement. Véronique  lui tenait une main, Emmanuel, son fils, l’autre, Fabienne, sa belle-fille était assise à ses pieds. Ils l’ont accompagné en lui chantant des mantras qu’il aimait, en particulier celui de Ram... Je suis sûre qu’ils se sont tous installés dans un profond amour, tous unis dans le même recueillement, le même lâcher-prise, dépassant leur chagrin autant qu’ils le pouvaient, lui transmettant toute leur affection et leurs plus purs sentiments. Il n’y avait, probablement, en cet instant, plus qu’un seul Coeur.

 

         Arnaud est donc mort paisiblement le mercredi 10 août à 23H00, après 21 jours très difficiles. Mon père, en 1967, est mort le... 10 août, à 23H15... Quelle coïncidence incroyable... Comme cela m’a touchée... Lorsque je l’ai appris, le lendemain matin, j’ai eu le sentiment qu’Arnaud, en entrant en Maha Samadhî  le même jour et à la même heures que mon père  (mort au contraire d’une mort brutale et empêtré dans des émotions violentes), inondait de lumière et de Paix tout ce vieux passé familial si sombre et si loin de toute spiritualité... Surtout, la grâce divine me redisait, à travers ce symbole si fort, combien Arnaud est mon père véritable... C’est vrai que c’est lui qui m’a réellement formée, construite humainement, et pas seulement enseignée spirituellement... Il est véritablement mon père chéri, humainement parlant, et je ne suis pas la seule... Le jeudi 11 au matin, en me levant, je suis étonnée : la veilleuse que j’ai allumée à 2 heures  du matin (j’ai regardé l’heure)  brûle encore... Au lieu de 4 heures, elle va brûler 8 heures et demie... Je n’ai pourtant pas remarqué que la mèche soit anormalement courte.     Après m’être recueillie le plus clair de la journée du jeudi, puisque justement je ne travaille pas étant en vacances, le vendredi, je pars à l’ashram, pensant qu’il y aura besoin d’aide à la cuisine pour recevoir les personnes qui ne vont pas tarder à affluer. Avertie par un mail qu’il faut apporter de la nourriture, j’achète en chemin un brie entier et un immense saucisson qui offre plus de 100 tranches !!!

 

         L’ashram est calme. Pas de têtes d’enterrement, pas de sanglots, pas de mines ravagées par les larmes. Bien sûr, il y a de la tristesse, et je croise parfois des visages montrant que bien des larmes ont été versées dans la nuit, mais vraiment, personne ne donne dans le pathos. On a installé le corps d’Arnaud dans la pièce où il donnait ses entretiens et nous disait au revoir. Son corps est étendu,  recouvert du châle de cachemire blanc qu’il portait lorsqu’il transmettait l’Enseignement, son visage est découvert et paisible, mais dans l’immobilité de la mort. La photo de Mâ, tout emplie de grâce et de lumière est posée tout près de son visage, entourée de roses blanches... Les mêmes roses qui poussaient à Noël en Inde, à l’ashram de Mâ, à Naimisharanya, lorsque j’ai passé une semaine avec Elle à l’âge de 23 ans. Il est vrai que le blanc est vraiment la couleur de Mataji. Avec une profonde générosité, la famille d’Arnaud a accepté que nous, simples élèves, puissions aller nous recueillir près de lui... Nous pouvons y aller par petits groupes de 6 ou 8 personnes, et ce plusieurs fois dans la mesure où il n’y a pas trop de monde. Simplement, nous ne devons pas rester au delà d’un quart d’heure. Le corps d’Arnaud ne subit aucun traitement chimique, il ne repose pas sur un lit réfrigérant, la température de la pièce est un peu refroidie par un appareil, sans plus. Du coup, personne n’est gêné, comme souvent dans les chambres funéraires où on ne peut pas rester à cause du froid trop intense. Quel recueillement tranquille sur la plupart des visages. Parfois d’émouvants sourires au milieu des larmes. La beauté d’un long regard qu’une disciple pose sur Arnaud me restera longtemps...  Pour ma part, je suis allée 4 fois me recueillir dans la petite pièce. La première fois, il y a eu le choc de voir le corps de cet homme que j’aime si profondément et que je vénère, dans l’immobilité de la mort... J’avais besoin de constater sa mort de mes propres yeux - cela aide à l’accepter plus facilement.  Le vendredi, il y a eu un moment où je suis restée seule en présence d’Arnaud... Cela m’a énormément touchée, cette intimité miraculeuse quand on sait le nombre d’élèves qui gravitent autour de lui. Puisque j’étais seule et comme je regrettais de ne jamais lui avoir demandé de bénir mon mala (ni aucun objet d’ailleurs, ce n’est pas dans la ligne d’Hauteville),  au bout d’un moment, je l’ai ôté et mis légèrement en contact avec son châle, puis remis autour de mon cou. (Ce mala, acheté à Khankhal au samadhî de Mâ, et gardé une dizaine de minutes dans les mains de Vijayananda en signe de bénédiction, ne me quitte pas, je le porte nuit et jour depuis mars 2010. Je l’utilise tous les jours depuis que je le porte pour réciter une variante du mantra de Ram.)  A peine remis le mala autour de mon cou,  d’autres personnes sont arrivées... Comme chacun se rend à son rythme auprès d’Arnaud et qu’il n’y a pas de barrières de protocole, chacun peut se recueillir,  mélangé à des disciples de longue date, des débutants ou des membres de la famille d’Arnaud, comme Denise, sa première épouse. Cela aussi m’a beaucoup touchée.

 

         Le samedi, c’est Muriel, fille d’Arnaud et son mari, Christophe, ainsi que leurs enfants (qui n’ont pas parlé mais étaient présents) qui ont animé la réunion. (Muriel et Christophe étaient présents en Inde auprès de Mâ en même temps que moi, il y a 34 ans, à Naimisharanya, n’est-ce pas étonnant ?... C’est en voyant combien sa fille était sérieuse et recueillie que j’avais eu envie de rencontrer Arnaud, me disant : si la fille est si  bien, son père l’est certainement aussi !) Muriel nous raconte que, lorsque Arnaud retrouvait un peu  de souffle pour parler, c’était assez souvent pour... raconter des plaisanteries. C’est ainsi qu’à un moment, Arnaud dit à sa fille : « Tu connais l’histoire du patriarche juif en train de mourir ?»  « Oui » répond précipitamment Muriel, pour lui éviter de la raconter, ne voulant surtout pas qu’il s’épuise inutilement. « « Oui, oui, je la connais, tu n’as pas besoin de me la redire !» Mais Arnaud continue, et voici l’histoire : le vieux patriarche est sur son lit de mort. Il demande : « Est-ce que Sarah, ma fidèle épouse, est là ? Oui, répond sa famille. Et mon fils aîné, Jacob ? Oui. Et Myriam ? Et Samuel, Rebecca ? » Il cite ainsi chacun des noms de ses nombreux enfants. Chaque fois, on lui répond oui. « Ainsi, vous êtes tous là, alors, autour de moi ?» « Oui !»  « Mais alors, qui garde la boutique ?» s’exclame-t-il, le souffle court.... Muriel commente : « Tout de même, Arnaud nous racontait l’histoire d’un homme en train de mourir, c’était sa façon d’annoncer son départ. »

         Dans la journée du samedi, le corps d’Arnaud est mis en bière, c’est à dire déposé dans son cercueil. Ses fils les plus proches le portent de la petite pièce où il se trouvait jusqu’au dojo, salle assez grande, où nous avons l’habitude de méditer. Ses fils les plus proches, c’est à dire Emmanuel, bien sûr, son fils de sang, disciple et collaborateur, Christophe, son gendre et disciple, son petit fils, Axel,  jeune homme au beau regard lumineux, et ses fils spirituels : Yves et Thierry, collaborateurs, Geoffroy, qui l’a servi toute sa vie... J’espère que je n’oublie personne, pardon si c’est le cas, j’ai vécu tout cela dans un tel bouleversement intérieur. La sangha s’est assemblée tout le long du parcours, à l’intérieur de l’ashram autant qu’à l’extérieur. Véronique nous annonce alors que nous allons faire une veillée tous ensemble dans le dojo, autour d’Arnaud, et merveille des merveilles, que ceux ou celles d’entre nous qui le souhaitent peuvent dormir dans la grande salle où se tiennent habituellement les sessions d’enseignement, de sorte qu’ils puissent se recueillir tard et même se relever au milieu de la nuit pour retourner dans le dojo, veiller  leur Maître bien aimé...

         Le soir, le dojo est recouvert de coussin, zafus et tapis de sols, de telle sorte que chacun puisse s’asseoir de façon confortable. Là encore, nous sommes serrés les uns contre les autres. Beau symbole. Puissions nous, en effet, rester à l’avenir extrêmement proches les uns des autres... Je crois réellement que de ma vie, c’est la plus belle soirée que j’ai passée. Certainement parce que c’est celle qui a eu le plus de sens, de profondeur. Comment décrire la beauté du recueillement, la ferveur sobre mais profonde, les larmes et les sourires... Comment ne pas être touché par la beauté des chants qui se succèdent, et qui, pénétrant nos coeurs, nous transforment à certains moments en fontaines silencieuses... La qualité artistique est au rendez vous.  Alternent des mantras dédiés à Ram, Mâ, mais aussi Swamiji (Swami Prajnanpad) et ô bonheur, Arnaud... accompagnés au sîtar... et repris par l’assemblée. C’est très inhabituel à Hauteville, car nous ne sommes pas une voie dévotionnelle. Nous pratiquons le yoga de la connaissance, et la dévotion au Maître, -en fait très réelle- reste la plupart du temps cachée. Une jeune fille française formée au chant karnatique (qui est connue et appréciée en Inde devant certaines artistes hindoues) nous chante un chant dévotionnel, accompagnée au sitar par son père : c’est sublime. Nos coeurs s’épanchent, touchés par la beauté du chant, et de nouvelles fontaines s’écoulent doucement... Comment ne pas verser de larmes ? Beaucoup sont intériorisés dans la dévotion ou la méditation. Pascal chante l'alléluia de Léonard Cohen, en s’accompagnant à la guitare, doucement, très intériorisé. Il l’a beaucoup chanté, cet alléluia... mais là, son coeur à la fois brisé et paisible est dans chaque  note de musique. De quoi être remué au fond de l’âme. Et puis dans cette veillée terrible et merveilleuse, il y a aussi l’intervention de Nour... Nour est une jeune femme soufi qui assume une fonction de Maître spirituel. Elle chante le dhikr, avec deux autres compagnes musulmanes. Le dhikr est un chant ésotérique qui vise à mettre celui qui le pratique en état d’ouverture au divin... Là aussi, comme pour les mantras, nous reprenons en choeur : « La ilaha illa 'llah...»  Chacune des trois femmes musulmanes, à tour de rôle,  tournera aussi sur elle-même comme le font les derviches. Ce qui est frappant, c’est de voir combien elles le font à partir de leur coeur. Tout le mouvement semble y prendre son origine.  Nour nous parle quelques minutes et ses paroles sont aussi très justes, fermes, courageuses. Pas de sensiblerie... D’abord assise tout au fond, je me suis approchée peu à peu, à mesure que les personnes partent, ayant des obligations envers leurs hôtels respectifs ou étant fatiguées. Finalement, je me retrouve très près du cercueil. Il est en pin clair, et embaume la résine... La photo de Mâ  rayonne au milieu des fleurs blanches... Peu à peu,  ne reste qu’un petit groupe de personnes rassemblées près du corps du Maître, très recueillies... Toute l’atmosphère de cette veillée est envoûtante, tout emplie de douceur, de dévotion, de pudeur aussi. Vers une heures 30 du matin,  j’émigre dans la grande salle, non sans être allée chercher un duvet dans ma voiture. Une vingtaine de personnes sont déjà allongées, certaines simplement enroulées dans leur châle de méditation, d’autres ayant disposé un tapis de sol... Tout est calme... les dormeurs font attention dans leur sommeil de bouger doucement... Certains se relèveront au milieu de la nuit pour retourner encore dans le dojo. Je me relève aussi, médite encore un peu, mais force m’est de constater que mon cerveau reste relativement endormi... Cela ne fait rien. Je me recouche un peu plus pénétrée de l’ambiance de prière et de vénération, et me rendors aussitôt. L’intérêt de dormir sur place, c’est qu’on ne perd aucun temps... A 7H20,  je retourne au dojo pour une longue méditation très recueillie, facilitée par la veillée... Vrai petit miracle, mon dos, habituellement si susceptible, supporte ce  sur-régime (seva intensif dans la cuisine et le reste) sans aucun problème... Tant il est vrai que, dans l’ascèse, chaque fois que nous avons vraiment quelque chose à faire, il nous est donné la capacité de le réaliser. Quelle heureuse idée, cette longue veillée, et ce couchage dans la grande salle...

         Lundi 15 août : C’est le jour choisi pour l’enterrement. Arnaud, étant d’origine protestante, a la possibilité de se  faire enterrer sur le lieu de son habitation... Donc, à Hauteville et non pas dans un cimetière, comme pour les catholiques. Et comme Hauteville ne dépend pas de professionnels (qui ne travaillent pas les jours fériés), le 15 août, jour de l’Assomption, est la date choisie. Beau symbole... (Vijayananda est mort le lundi de Pâques en 2010, et en pleine Khumba-méla... « Very auspicious », « De très bon augure », dirait-on en Inde !) 

         Le 15 août,  la cérémonie commence à 11 heures et va durer environ 4 heures. Cette fois ci, il y a vraiment beaucoup de monde. Je ne saurais dire que très approximativement le nombre, environ 1200 personnes ? Comment sont-elles venues ? Uniquement le « téléphone arabe », le réseau amical des disciples ? Nous sommes dehors, au soleil, dont la chaleur, au bout d’une heure ou deux, sera tempérée par quelques nuages légers et bienvenus. Une estrade a été aménagée. A droite, la famille d’Arnaud. A gauche, les invités, qui représentent tous une forme de travail spirituel particulier : Voies bouddhiste, hindoue, chrétienne, musulmane (soufi), amérindienne... et bien sûr, des représentantes de la sangha de Lee Lozowick, inclassable mais prodigieuse, avec laquelle Hauteville a des liens particulièrement proches. Au centre, assis sur l’herbe, les élèves d’Arnaud. Et bien sûr, sur l’estrade, les personnes qui sont au coeur de la transmission spirituelle dans la lignée d’Arnaud et de Swami Prajnanpad. Je ne détaillerai par les différentes prises de paroles. Il y est bien sûr question d’hommages à Arnaud et du futur de notre travail spirituel, qui bien évidemment, continue... et même, nous l’espérons va s’intensifier.   Jacques Vigne, présent par le coeur, organise en Inde, au bord du Gange, une puja à Khankhal, à quelques mètres du samadhî de Mâ Anandamayî. Il résume bien les choses dans cette courte phrase, qu’il a entendu de son propre Maître, Vijayananda : « La parole du Guru ne meurt pas. » D’autres cérémonies sont organisées en d’autres points du globe... Beaucoup ont tout lâché toutes affaires cessantes, sautant dans le premier avion pour débarquer du Canada, des Etats Unis, du Mexique, d’Angleterre, de Suisse,  d’Inde... Les différentes interventions ont toutes certains points communs : elles sont totalement sincères, sobres, profondes.

 

         Ce n’est qu’à 18h30, lorsque tout est pratiquement rangé et la plupart des participants repartis au quatre coins de France (ou du monde) que je décide d’aller découvrir le samadhî d’Arnaud. Le voici, en pleine forêt, au milieu des chants d’oiseaux... Il jouxte le jardin de méditation, avec son petit bassin tranquille rempli de poissons d’or... Des cèdres, un bel eucalyptus, et des pins entourent l’enceinte du samadhi délimité par un petit muret clair. Du gazon frais a été posé tout autour de la tombe. A l’avant, un amoncellement de brins de buis : chacune des personnes entrant dans le samadhî en a déposé un... La tombe est recouverte de fleurs blanches.

         Il y a quelques années, Emmanuel avait demandé à son père ce qu’il aimerait avoir comme inscription sur sa tombe, le moment venu. Arnaud avait répondu par une boutade... Il avait répondu qu’on pourrait inscrire : « C’était un chic type... et... pour la Libération, c’est possible, mais ce n’est pas de la tarte !!!»  Rien n’est inscrit sur sa tombe, sinon  notre amour à tous, invisible et pourtant tangible. Dans la lumière dorée du soleil déclinant, la photo de Mâ rayonne paisiblement, au milieu d’un mélange de roses jaunes, blanches, roses et d’une plante de couleur vert tendre... Comme c’est beau.... Quelle harmonie... Au bout d’un moment, je prends conscience qu’une grâce surnaturelle émane de la photo de Mâ, des fleurs qui l’entourent et aussi de la tombe d’Arnaud : C’est à la fois doux et puissant, cela évolue et devient de plus en plus large.  Le Disciple a rejoint sa Mère divine... Arnaud, disciple de Swami Prajnanpad, avait  parfois  dit qu’au moment de mourir, il se confierait à Mâ. Devant certains disciples étonnés, il avait précisé : Swamiji, c’est le Guru, c’est lui qui concentrait toutes les influences, les bénédictions reçues par Arnaud, et c’est à lui que j’obéissais en toutes circonstances. Mais Mâ, elle est vraiment divine....»  Arnaud, si proche de Mâ par le coeur... Arnaud qui s’est trouvé parfois tout seul avec Elle... peut-être lors des jours bénis de la retraite de Vyndiachal, tout petit ashram de Mâ perché sur une colline. Arnaud écrivait, au sujet de Vyndiachal, dans Ashrams:

         « Plus de cérémonie, plus de règles pour approcher Mataji. Nous allons librement dans sa chambre, nous nous promenons avec elle dans les bois. Aucune distance entre elle et nous, seulement l’intimité et la familiarité (...) Au loin, la rivière dessine son ruban scintillant au soleil qui décline. Tout est amour et recueillement. Dans le silence, un de ses disciples lit doucement. Mâ ne dit rien. Nous ne disons rien. Elle nous regarde. Nous la regardons. Et tandis qu’avec la nuit descend sur nous la Paix qui dépasse toute compréhension, nous voyons briller dans ses yeux la lumière de la Vie véritable, l’annonce que l’éveil peut venir nous arracher à notre monde de sommeil ».1

         Arnaud a pratiqué de façon suffisamment intense pour réaliser la promesse que recelait le regard de Mâ. Bien des fois, j’ai lu à mon tour dans les yeux d’Arnaud la splendeur de l’éveil, une telle splendeur que son regard ressemblait à un rayonnement doré. J’ai senti, comme bien d’autres, un amour merveilleux littéralement jaillir de ses yeux, de son corps, de ses gestes et me bouleverser dans l’intime de mon être. Et là, devant sa tombe claire, dans la lumière dorée du soir, m’est donnée cette perception, très tangible, indubitable : Arnaud et Mâ, à présent sont complètement unis dans ananda, la splendeur et aussi la douceur de l’amour divin. Cela rayonne du visage de Mâ, des fleurs qui entourent sa photo, cela émane de la tombe d’Arnaud  dans une grâce indicible. C’est si fort, si beau, que je reste encore et encore... D’autres personnes arrivent, s’asseyent un instant, repartent tranquillement.  Tout est amour et recueillement. Au loin, l’Eyrieux dessine son ruban scintillant au soleil qui décline... (mais on ne voit pas la rivière pourtant proche de l’ashram.) Dans l’or oblique du soir, un homme très proche d’Arnaud vient avec ses 2 petits enfants, qui, tout contents, déposent joyeusement leur petit brin de buis. Leur père les regarde paisiblement, avec amour... La vie continue. Guru kripa kevala... Tout est la grâce du Guru. Chaque évènement, dans chacune de nos existences, petit ou grand, est la grâce du Guru à l’oeuvre. Puissions nous nous en souvenir. A présent qu’Arnaud a quitté son corps, sa présence immatérielle est partout, et pour ceux d’entre nous qui lui ouvriront leur coeur, il ne nous quittera jamais plus. Puissions nous ne jamais le quitter. Puissions nous, à travers sa Grâce et notre pratique, Etre UN avec la sérénité et l’amour qui n’ont pas de contraire... Puissent la Paix qui dépasse toute compréhension, la lumière de la Vie véritable descendre sur nous...

         Toutefois, étant humaine et faillible, je pourrais aussi chanter, avec notre ami Jerry, la chanson Comanche : « Maintenant que tu es parti pour le grand voyage, et comme je t’aime si  profondément, tu vas me manquer...»

                  

                                                                                                                                                     Sundarî

 

   

  

         Enseignement sans paroles

Par Arnaud Desjardins

 

 

Dès le premier jour où j’ai rencontré Mâ Anandamayî, j’ai eu l’intime conviction que je n’étais pas en présence d’un être humain, mais d’un Être d’une toute autre dimension. C’est en 1959, au mois de septembre, que j’ai tout à coup réalisé cet état de fait. Par la suite j’ai rendu visite à Mâ en 1961, 1962, 1963, 1964 et 1965 et j’ai éprouvé ce même sentiment à chacun de mes séjours auprès d’Elle. Comment définir cette sensation extraordinaire ? En la qualifiant de « divine » ? De « surnaturelle » ? En fait ces concepts englobent un tel mystère que je n’ai guère le courage de les employer.

Je suis un Occidental, un Européen, de tradition chrétienne aussi bien dans ma profession que dans ma vie de famille. A part quelques mots d’usage courant, je ne parle pas l’hindi ni le bengali et Mâ ne parle pas l’anglais. A l’exception d’une heure environ d’entretien que j’ai eu avec Elle – entretien durant lequel je bénéficiais de l’aide d’un interprète – je n’ai pratiquement jamais compris le moindre mot de ce qu’Elle disait ou de ce qu’Elle répondait à mes questions. Et en dépit de cela, j’ai entrepris six voyages en Inde par amour pour Elle et passé huit mois à ses côtés, parfois dans des conditions plutôt difficiles. Cela prouve bien le pouvoir de son influence même sur quelqu’un comme moi, un Européen  totalement étranger à la tradition hindoue où se trouvent toutes les racines de Mâ Anandamayî.

Pendant des années, les photos de Sri Ramana Maharshi ont été pour moi, comme pour nombre d’autres personnes à Paris, un véritable enseignement. Quelques minutes d’une attention silencieuse et soutenue passées devant son portrait  à l’attitude et au regard sublimes, m’auront enseigné beaucoup plus que la lecture des meilleurs livres – je parle de la seule véritable connaissance, celle qui transforme les personnes qui l’ont acquise. Je n’ai jamais manqué l’occasion de rencontrer les Français qui avaient eu son darshan. C’est à la suite de ces témoignages vivants que j’ai ressenti le désir irrésistible et plus fort que tout autre désir, de rencontrer un sage, un être libéré, un être réalisé, un Jîvanmukti.

J’attendais énormément de mes voyages en Inde. Le darshan et la rencontre de Mataji ont largement répondu à mes espoirs. Depuis lors je me suis rendu à  plusieurs reprises à Kanhangad pour séjourner auprès de Swami Ramdas et de sa disciple principale Krishnabai. Là aussi j’ai vécu des moments intenses et lumineux. La vie éprouvante et tumultueuse de Paris n’est pas parvenue à effacer les souvenirs chaleureux de ces moments-là. Il faut dire que Swami Ramdas parlait anglais et que ses réponses, ses paraboles et ses observations souvent débordantes d’humour, procuraient à nos esprits insatiables  une précieuse nourriture. Le rôle qu’aura joué Swami Ramdas dans la vie de nombreux Occidentaux est tout à fait compréhensible, même pour cette mentalité moderne qu’est la nôtre, enserrée qu’elle est par la logique rationnelle.

Cela dit, s’il est une chose qui aujourd’hui encore me semble étonnante, c’est bien le rôle de maître qu’a assumé Mâ, de précepteur spirituel d’un simple visiteur français qui a été et continue d’être son élève et son disciple. Je tiens à souligner qu’Elle m’a fait comprendre petit à petit la signification des Evangiles et du message du Christ. Grâce à Mâ, la parole de Jésus est devenue pour moi parole de vie. Et qui plus est, Elle m’a ouvert les portes de cette merveille universelle qu’est la Bhagavad-Gîtâ et m’a fait découvrir Sri Krishna.

Rien ne peut être plus éloigné de la vie que je mène à Paris, où je travaille pour le cinéma et la télévision, que l’atmosphère des ashrams de Mataji. L’orthodoxie hindoue, l’observance des règles de caste, l’importance attachée aux rites et aux cérémonies, autant de traditions qui semblent n’avoir aucun point commun avec les problèmes auxquels l’homme moderne est confronté dans sa vie de tous les jours, au coeur d’une métropole européenne. Je suis en mesure, toutefois, de  témoigner  du fait que l’enseignement de Mâ, quand bien même il m’ait été communiqué « sans paroles », a totalement transformé ma vie à Paris. Parce qu’Elle m’a convaincu, intellectuellement, qu’il existe une perspective métaphysique qui est unique et universelle, une Philosophia perennis  qui nous enseigne que tous nos problèmes ont déjà été résolus même si nous n’en avons pas conscience : « Il est tout en tout, Lui seul est. » Mais Elle enseigne également que la Réalisation peut tout englober. Bien que je sois à l’autre bout de la terre, je sens vibrer en moi la vie des ashrams de Mâ, je vois la pureté des habits d’une blancheur candide, j’entends la chaude psalmodie des kirtans. Et cela en dépit de la confusion, des ennuis et des contrariétés d’ordre professionnel que l’on doit affronter dans une ville comme Paris, car Mataji, à tout le moins ce qu’Elle signifie, ce qu’Elle représente, est toujours avec moi. En moi. J’ai encore en mémoire les paroles bien connues : « Kurukshetra dharmakshetra... » Et aussi : « L’action est la pièce théâtrale de la vie » (Yoga Vashista) et je sais qui est l’acteur et qui ne l’est pas.

J’ai le sentiment que pour les étrangers, la relation maître-disciple représente à l’heure actuelle l’aspect le plus intéressant de l’hindouisme. Il y a des personnes qui considèrent que le sens de leur vie s’est trouvé radicalement changé après qu’elles aient eu le darshan de Ramana Maharshi, de Ramdas ou de Mâ Anandamayî. C’est là une certitude qui ne peut être ni prouvée, ni contredite. On peut confirmer la véracité du récit d’un miracle, on peut être surpris – au nom de l’orthodoxie chrétienne – lorsqu’on entend des Êtres autres que le Christ dire « le Père et Moi sommes Un », on peut être sidéré devant le phénomène social que représente la gloire d’une femme qui enseigne uniquement la voie qui mène à Dieu. Mais pour ce qui est du choc que l’on ressent au simple regard de cette femme et à la signification que peut avoir le moindre de ses gestes, c’est là une expérience toute personnelle. Ceux qui ont vu, ont cru. Et ceux qui ont compris le vrai sens des paroles de Vie Eternelle, ceux-là se sont engagés sur la Voie.

Par quel mystère l’Être réalisé qu’est Mâ déclenche-t-il en nous ces vibrations qui nous mettent en harmonie avec Elle ? De quelle profondeur de notre être proviennent ces vibrations ? Toutes les personnes avec qui j’ai comparé mon expérience à la leur, ont éprouvé la même certitude que moi. Les choses se sont passées ainsi, rien n’a été ajouté. Face au Maître, il n’y a que clarté et certitude et il y a cette expérience extraordinaire de la vie au-delà du temps, expérience qui nous libère de toute peur. Cela dit, il n’est pas facile de côtoyer Mataji. Aucune de nos petites ruses habituelles ne fonctionnent. Elle nous démasque immanquablement. Jamais auparavant je n’ai été aussi divinement heureux que je l’ai été en la présence de Mâ, de même que jamais auparavant je ne me suis senti aussi mal à l’aise et aussi terriblement bouleversé. Bien sûr je savais qu’une transformation pénible et douloureuse devait s’opérer en moi. Je le savais parfaitement en venant ici. Et je savais également que cette transformation devait se faire avec mon accord et ma collaboration. Il ne suffit pas de bénéficier de la présence d’un sage et de se contenter de rester passif : il faut apporter son aide propre et s’en remettre à lui de sa propre volonté.

« Il est plus facile pour les mouches que pour quiconque de suivre ce corps, où qu’il aille » disait Mâ, se référant à Elle-même, « mais cela ne leur donne pas l’illumination pour autant ». Mataji insiste pour que nous travaillions en permanence sur nous-mêmes, pour que nous fassions des efforts importants et soutenus. Avec le temps, ces efforts finiront par être transcendés. Apparaîtra alors un être vrai dont la spontanéité sera née au beau milieu du « champ de bataille » en même temps qu’une liberté intérieure allant au-delà de l’action et de la réaction.

Durant des années, avant mon premier voyage en Inde, je me suis posé une question : « Et si c’était vrai ? » Combien de fois me la suis-je posée cette question, avec une anxiété doublée d’un tremblant espoir lorsque j’entendais parler de certains grands sages de l’Inde qui « d’un simple regard peuvent changer le cours d’une vie » ? Combien de récits ai-je lus qui décrivent leur présence surnaturelle, témoignage vivant d’un monde totalement différent de celui auquel nous croyons et où nous sommes emprisonnés ! La réponse « Oui, c’est vrai », je l’ai obtenue, en même temps que la certitude, lors du darshan de Mâ Anandamayî. A cet instant-là, son regard était perdu dans le lointain et l’expression de son visage était d’une beauté surnaturelle défiant toute description. Que voyait-Elle dans ces moments-là ? Quelle est la signification de la présence parmi nous d’un Être si totalement différent ? Il émane une telle puissance de ce visage, que semaine après semaine, perdu dans la foule, j’étais incapable d’en détacher mon regard, subjugué qu’était mon être tout entier par un irrésistible sentiment d’intensité et de plénitude. En la présence de Mâ, quelque chose était en train de se passer dans ma vie. Et je savais maintenant, avec certitude, que tout était possible pour Elle.

Cela dit, il faut reconnaître que la nature et l’attitude quasiment miraculeuses de Mâ Anandamayî, l’attraction qu’Elle exerce sur des milliers et des milliers de personnes, induisent certaines d’entre elles à voir en cela des manifestations « anormales » plus que « surnaturelles ». Ma gratitude envers Mâ est encore plus grande pour ce que j’ai pleinement conscience de recevoir d’Elle lorsque je suis à Paris, que pour les moments, pourtant extraordinaires, que j’ai vécus en Inde. Je ne cherche aucune explication. Le caractère unique du Soi, l’éveil du gourou intérieur sont suffisants. Un fait demeure toutefois : dès mon retour en Europe, après ce premier voyage en Inde, les rapports difficiles et source de souffrance que j’entretenais avec mon entourage, se modifièrent radicalement. J’avais compris que notre être conditionne notre vie. Je savais que par la grâce de Mâ Anandamayî et de Swami Ramdas, quelque chose dans mon être avait été transformé. J’ai gardé sur la cheminée de la pièce où je passe la plupart de mon temps la photo de Bhagavan Ramana Maharshi, la première photo d’un sage que je possédais et que j’avais regardée si souvent pendant des années. C’est cette photo qui avait fait grandir en moi le désir de me rendre en Inde. Et j’ai parfois le sentiment que c’est Ramana Maharshi qui m’a guidé vers Mâ Anandamayî.

A ses côtés j’ai trouvé la vie qu’il y a au-delà de toutes les choses de la création – outre celle qui se trouve en elles – et contre laquelle aucun pouvoir en ce monde ne peut prévaloir, ni aucun obstacle, ni aucune opposition. Dès ma première visite à Mâ Anandamayî, à Varanasi, j’ai découvert la vie en moi-même. Je peux comprendre que certaines personnes dénient l’existence de Dieu ou de l’Atma. Mais la vie ? Qui peut se refuser à s’ouvrir à la Vie et à se laisser transformer par elle ? Le Christ a dit : « Je suis la Vie. Je donnerai la Vie à tous ceux qui viendront à moi. » Et je sais que Mâ est la Vie et qu’Elle donne la Vie à tous ceux qui viennent à Elle. Dans ce cas, pourquoi serait-il difficile de l’appeler Mère ou bien Mâ ? Car une mère n’est pas seulement celle qui conseille et qui protège, celle qui réprimande ou réconforte, une mère est avant tout et surtout celle qui donne la naissance et qui vous amène à la vie. Il est un fait clair et définitif à mes yeux – et pas une seule semaine ne s’est écoulée, durant ces cinq années, sans qu’il ne m’ait été donné confirmation de ce fait : ma vie a véritablement commencé au mois de septembre 1959, à Varanasi.

Combien de fois, en France, ne m’a t-on pas posé cette question : « Qu’avez-vous reçu de cette grande sainte ? » Je savais parfaitement que l’on attendait de ma part une réponse conforme aux récits qu’on lit couramment dans les livres qui parlent de chakras, de kundalinî ou de nirvikalpa-samâdhi. Mais la réponse est beaucoup plus simple et, pour moi tout au moins, infiniment plus révélatrice : « Ce que j’ai reçu de cette femme sainte c’est moi-même. J’étais mort et je suis revenu à la vie. J’étais né de la chair et maintenant je suis né de l’esprit. » Quel que soit mon péché et quelle que soit mon impureté, Sri Sri Mâ Anandamayî vous êtes à tout jamais ma mère et je suis votre fils. Jay Guru. Jay Mâ.

                                                 

 Préface d'Arnaud Desjardins

Au livre Retrouver la joie  rassemblé et traduit par Patrick Mandala

     Si nous demandions à différentes personnes de notre entourage : « Qu’avez-vous vu de plus beau de toute votre existence ? » Certaines évoqueraient peut-être un paysage qualifié de grandiose, d'autres une oeuvre d'art considérée comme sublime. Et si nous précisions : « Quelle est l'oeuvre d'art sacré qui a le plus remarquablement éveillé en vous le sens de la transcendance ? », les réponses iraient de la cathédrale gothique à la statue khmer d'un bouddha, ou d’une des plus admirables peintures chinoises traditionnelles à telle ou telle mosquée.

     Mon existence personnelle m'a donné l'opportunité de contempler bien des merveilles, du Mexique au Japon et de l’Inde au Québec, mais ce qui a produit en moi, de loin, la plus forte impression et pour laquelle aucun terme tel que « divin » ou « surnaturel » ne me paraît excessif, est la rencontre, le darshan (vision) comme on dit en Inde, d’un être humain, d’une femme hindoue de naissance bengalie, la célèbre Mâ Anandamayî. Ce ressenti inoubliable, décisif, a été partagé par de très nombreux hindous et occidentaux. Les meilleures images d'un film, les photographies les plus réussies ne transmettent qu'une faible part de son rayonnement. Toutes les facettes d'un être humain accompli, depuis le rire lumineux d'un enfant jusqu'à l'immense gravité d'un Sage, s’exprimaient à travers elle. Et ses paroles, totalement adaptées à chaque personne et à chaque circonstance, ont couvert toute la gamme des réponses possibles aux questions de ceux qui l’approchaient, depuis une simple villageoise jusqu'à un pandit réputé de Bénarès ou un mystique de Vrindavân.

     Il est heureux que son influence puisse encore toucher aujourd'hui des personnes qui, faute de l'avoir rencontrée « en chair et en os »,  découvriront au fond de leur coeur sa dimension infinie.                                                                                                                              Hauteville, 29 janvier 2009

 

Le pèlerinage au Mont Kailash

 

Par Vigyânânand (Jacques Vigne)

 

 

 

    27 Français se sont rendus au Mont Kailash avec Vigyânânand en partant de Kathmandu. Le voyage total a duré du 14 mai au 6 juin via Lhassa, Gyantsé et Shigatsé, et il y a eu cinq jours autour du lac Manasarovar et du Mont Kailash lui-même. Nous donnons quelques extraits du compte rendu que j’ai effectué. Vous aurez la version complète, trois fois plus longue, bientôt sur mon site www.jacquesvigne.fr.st N’hésitez pas à demander aussi à Joëlle Coiret, professeur de lettres en retraite de la Réunion, son propre récit qui rentre davantage dans les détails au niveau culturel sur le Tibet que nous avons vu : joelle.coiret@ac-larenion.fr Il sera publié dans le journal de l’Association Réunionnaise de Yoga

 

 

    Le mont Kailash est le pèlerinage le plus révéré du monde hindou, jaïn et bouddhiste tibétain. Ils assimilent ce sommet à 6500 m d’altitude au Mont Mérou, l'axe du monde. Jusqu'à l'invasion chinoise en 1950, les frontières étaient ouvertes, et les Indiens se rendaient au Kailash. On en parle déjà dans le Mahabharata et le Ramayana – c'est dire qu'il s'agit d'un pèlerinage ancien. Les difficultés à l'époque étaient non seulement physiques, avec des sentiers par endroit peu entretenus et dangereux, des ressources hôtelières quasi nulles, mais il y avait aussi les brigands qui taxaient les pèlerins quand ils ne leur prenaient pas directement tous leurs avoirs. Nous citerons des extraits de l’anthologie des textes de Gurupriya Didi, l'assistante de Mâ durant toute sa vie : elle a effectué avec elle et tout un groupe, en 1937, le pèlerinage au mont Kailash à partir d'Almora, c'est-à-dire la région indienne au nord-ouest du Népal. À l'époque encore, atteindre le Kailash était toute une aventure, mais cela n'empêchait pas les pèlerins de toute l'Inde d'y aller.

    Du point de vue tibétain, le mont Kailash est indissolublement associé à la mémoire de Milarépa, qui a vécu sur le Toit du monde entre 1050 et 1130. Son maître, Marpa, qui avait été étudier le bouddhisme tantrique en Inde, lui avait conseillé d'aller méditer dans la région du Kailash. Par l'exemple de ses vertus et une série de miracles, nous dit l'histoire, il a acquis la région au bouddhisme et en a écarté les böns, les pratiquants de cette religion tibétaine parallèle au bouddhisme mais plus empreinte de chamanisme et à l'origine, probablement, de mazdéisme persan. Nous citerons quelques textes de Milarépa ci-dessous, mais disons tout de suite qu’il y a deux auteurs principaux qui les ont traduits en français, Étienne Bacot et Marie-Josée Lamothe. Les textes de celle-ci ont été réunis en un seul volume d'environ 1000 pages, y compris son récit Sur les pas de Milarépa relatant son pèlerinage au Kailash en 1987, à l'époque où le Tibet venait juste de s'ouvrir de nouveau aux occidentaux après le traumatisme de la révolution culturelle.

   … La montée au Kailsh : une acclimatation progressive.

      Notre groupe s’est retrouvé à Kathmandou le 14 mai 2011. Quatre participants de la Réunion avaient décidé, pour se préparer à l'altitude, de monter au Kalapatar, le belvédère de l'Annapurna à 5600 m. C'était eux qui avaient le meilleur entraînement. Huit autres qui venaient de métropole ont décidé de randonner sur les flancs de l'Annapurna, à Ghorépani qui est une étape importante du tour de l'Annapurna avec un des meilleurs points de vues sur le pic lui-même : celui-ci est à 8060 m d'altitude et en face s’élève le Dhaulagiri à 8200 m d'altitude. Je faisais partie de ce second groupe, et nous avons donc passé cinq jours à environ 3000 m d'altitude, en nous promenant dans les alentours. Nous n'étions jamais lassés des paysages qui changeaient chaque jour et à chaque heure de la journée, avec différents effets de nuages au milieu des sommets des environs, souvent à plus de 7000 m d’altitude.

    Après avoir visité Katmandou et ses environs, riches en stoupas (monuments en demi-sphères, le plus souvent blancs) et monastères bouddhistes, et avoir résidé à Bodhnath, qui est comme un village tibétain à la périphérie de la capitale, nous avons pris l'avion pour Lhassa le 19 mai. Cela nous faisait monter de 1500 m à 3700 m, et nous avons passé quatre nuits dans la capitale tibétaine pour nous acclimater à l'altitude. Le temps à Lhassa était on pouvait dire agréable, il suffisait de bien se couvrir le soir, mais pendant la journée au soleil on pouvait, en fait, être en bras de chemise. Le Potala reste très beau dans son allure d'ensemble et dans les détails de son intérieur. Il a été construit entre 1625 et 1635 par le Cinquième Dalaï-lama, qui a réinstauré l'unité du Tibet grâce à un système de gouvernement monastique qui a tenu jusqu'à l'invasion des Chinois. Le grand avantage de ce système est qu'il a mis un point final aux guerres féodales qui avaient déchiré le Tibet pendant deux siècles dans l'interrègne entre le gouvernement monastique des Sakypas –qui avait duré environ de 1250 à 1450, et celui des Gélugpas, qui a donc duré du début du XVIIe jusqu'en 1950.

    L'autre centre religieux principal de Lhassa est le Jhokang. Il s'agit du plus ancien temple du Tibet, avec des parties de bâtiments qui datent du VIIe siècle, de l'époque du roi Songsten Gampo qui a été le premier à unifier toute une partie du Tibet sous l’étendard bouddhiste. Des monastères comme Sera, Ganden ou Samyé avaient entre 5.000 et 10.000 moines dans le Tibet des Dalaï-lamas, maintenant ils reprennent après la révolution culturelle. Ils ont actuellement environ 500 moines. Quand on y pense, à part  le Mont Athos, il n’y a aucun monastère chrétien à ma connaissance qui ait 500 moines, pourtant dans la plupart des pays, les chrétiens ne sont pas persécutés. Au Tibet par contre, il y a toutes sortes de restrictions imposées par les communistes pour devenir moine, il faut l'autorisation du ministère, le nombre de moines par village est limité, mais malgré cela, les grands monastères gelugpa de Lhassa et de Shigatsé, siège du Panchen-lama, ont quand même 500 moines...Puisque nous sommes dans ces chiffres, signalons que 35.000 des 150.000 tibétains en exil sont moines ou moniales, et qu’en Irlande, bastion du catholicisme romain, chaque année le nombre de moines bouddhistes ordonnés a dépassé environ, à partir de 2005, celui des nouveaux prêtres catholiques rentrant dans les ordres.

    Nous avons visité également Norbuling, « la résidence d’été des Dalaï-lamas ». C'est émouvant de voir le pavillon où le XIVe Dalaï-lama, c’est-à-dire l’actuel, a passé ses dernières années au pouvoir et s'est enfui en 1959, échappant aux chinois qui l’encerclaient, pour rejoindre l'Inde au niveau de l’Arunachal Pradesh. Lhassa nous a laissé l’impression d’une ville avec une double vie : on y trouve  le quartier chinois avec ses banques et ses grands immeubles,  les allées de boutiques le long des grandes avenues avec leurs enseignes en chinois, et le reste quelques dizaines de mètres par derrière qui est typiquement tibétain. On retrouve cette structure de façade chinoise et d'arrière tibétain dans les petites villes sur le parcours. Sinon, on voit en général dans le pays des bâtiments administratifs et de police chinois flambant neuf, et les habitations tibétaines souvent pauvres. Cela donne nettement une impression d'artificialité de la présence chinoise, nous reviendrons sur ce fait dans la dernière partie.

 

Traditions et symbolisme du Kailash

     Pour les hindous, le Kailash représente le lieu où siègent Shiva et Parvati, dont le nom signifie fille de Parvat, c'est-à-dire le dieu de la montagne. Les textes shivaïtes, Tantras ou Agamas, sont souvent présentés comme des dialogues entre Shiva et sa parèdre. Les dialogues sont censés avoir eu lieu au sommet du mont Kailash. Il y a une polarité claire entre le Kailash, symbole masculin et l'étendue du Lac Manasarovar d’une quarantaine de kilomètres de diamètre et d'une centaine de pourtour, qui est typiquement féminine. Dans les temples hindous, on connaît la polarité entre le Shivalingam mâle et sa base, le yonî, correspondant, elle, à la matrice féminine et qui est destiné à recueillir l'eau des ablutions et à l'évacuer. Le Manasarovar est donc en quelque sorte le yonî du Kailash. Pour compléter le symbolisme, il y a un second lac, le Rakshasha-tal (tal signifie ‘plat’ et est probablement de la même racine que le français "talon"). Les rakshashas sont des esprits de la nature, qui peuvent être protecteurs ou malfaisants. On peut retrouver dans cette structure géographique du Kailash, avec ses deux lacs en contrebas, celle du corps humain, avec le côté gauche correspondant au Rakshasa-tal, et le côté droit au Manasarovar. En méditation, on a tendance à favoriser le côté droit qui permet de libérer le subconscient corporel de l'anxiété reliée au côté gauche avec ses battements du coeur qui réagissent immédiatement à toute émulation de stress. On retrouve donc cette structure dans la nature. Quand on regarde du sud le mont Kailash, le Manasarovar est à droite et le Rakshasa-tal à gauche.

     Le nom tibétain du Kailash est Kang Tisé, le joyau, tisé, des neiges, kang. Et il apparaît véritablement comme cela, que ce soit vu de loin ou de près. Le nom du lac Manasarovar est Mapham Yumtso, le lac, tso, de turquoise, yum, invincible, mapham. Il y a deux miracles de Milarépa qu'on peut assez facilement interpréter de façon yoguique. Dans son concours de prodiges avec le chef des böns de la région à l'époque, mais Iol a saisi le lac et l’a fait monter pour le tenir sur son doigt vertical. On peut établir une correspondance entre le lac et le bassin dans le corps humain, le faire monter au bout du doigt, c'est faire monter les sensations du bassin à peu près au sommet de l'axe central, dans cette région au-dessus du palais qui est touché par la langue quand elle part vers le haut, dans cette position souvent prise en méditation qu'on appelle khécharî mudra, l'attitude qui va, charî, vers le ciel, khé. D'ailleurs, le chakra qui est dans cette zone-là, c'est-à-dire le plat du palais, s’appelle talu, ce qui est proche de tal qui signifie ‘le lac’. En yoga, on cherche à maintenir la pointe de la langue vers le haut. Cela accumule l'énergie au-dessus, comme un lac qui se remplit, et qui de temps en temps se vide dans le corps, c’est ce qu’on entend par le terme ‘nectar d’immortalité’. Derrière cette imagerie qui semble tout à fait dans l'hyperbole orientale habituelle, il y a sans doute une réalité biochimique bien précise. La langue vers l'arrière et vers le haut va à l’opposé des émotions perturbatrices habituelles, colère, désirs, peurs, qui sont reliées à une position de la langue plutôt vers l'avant et vers le bas. En ne partant pas dans le sens de ces émotions, on économise une énergie qui s'accumule et qui peut donner lieu aux expériences de joie spirituelle intense. C'est « énergie » est probablement reliée non seulement à l'accumulation d'endorphines, mais aussi à une plus grande sensibilité à celle-ci. En effet, une vie disciplinée fait que la sensibilité aux endorphines n’est plus émoussée par les excès, et que donc ces endorphines qui seront émises par des activités assez naturelles, comme la marche, le chant, une alimentation quelque peu restreinte, une activité sexuelle réduite, ont un effet de joie intérieure beaucoup plus fort que dans les situations habituelles. D'où cette notion de nectar d'immortalité, l’amritam, qui est cher au yoga, et qui est contenu dans cette image de Milarépa qui tient le lac de turquoise invincible au-dessus de son doigt dressé.

     Venons-en maintenant au second miracle de Milarépa, pour conquérir le Kailash par rapport à son concurrent bön : le défi était de savoir lequel des deux pourrait arriver le premier au sommet du mont Kailash. Le chaman a fait ce qu'il savait faire, c'est-à-dire frapper sur le tambour pour rentrer en transe et monter dans des états de conscience de plus en plus élevée progressivement. Dans l'histoire, il est monté dans les airs en chevauchant le tambour et s’est approché progressivement du sommet du Kailash durant sa nuit de transe. Quand à Milarépa, lui, il était allongé et semblait dormir. Les disciples de celui-ci étaient très inquiets, car ils voyaient le concurrent se rapprocher du sommet, et de l’autre côté Milarépa qui paraissait bien somnoler. Cependant, au point du jour, quand le premier rayon du soleil est sorti de la montagne et a caressé le sommet du Kailash, Milarépa l’a chevauché et il est arrivé directement au sommet, au nez et à la barbe du chaman bön. L'idée sous-jacente est que la montée de la koundalinî dans l'axe central est comme un rayon de soleil qui inonde directement le sommet de la tête. Si on peut chevaucher ce rayon ascendant, on n'a plus besoin des pratiques laborieuses du chamanisme, qui nécessitent une mise en transe très physique par la danse, le rite du tambour et des nuits de pratiques plutôt épuisantes.

     Pour mettre davantage dans l'esprit le symbolisme de la montagne au centre du monde et les enseignements de Shiva à Parvati, je cite ci-dessous quelques poèmes qui me sont venus dans un écrit précédent. On m'avait demandé de présenter de façon poétique des enseignements du yoga, j'ai choisi la forme traditionnelle du dialogue entre Shiva et Parvati.[i]

     Une montagne près du Kailash s’appelle Manjusvara, ‘la montagne à la voix douce’, manju signifiant ‘doux’. Cela évoque le bodhisattva Manjushri, le « noble et doux », qui a enseigné dans un soutra du Mahâyana la pratique de l'écoute du silence. En effet, quand on est dans une montagne de haute altitude et qu’il n'y a pas de vent, on entend très fort le bruissement du silence, c'est cette voix douce qui caractérise la montagne solitaire.

     À 70 km au sud du mont Kailash, en direction du Népal, il y a la montagne de Gurla Mandata qui fait partie de la grande chaîne de l'Himalaya, et qui culmine à 7200 m ; je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un Gurla en sanskrit, mais cela semble quand même être le cas, avec cependant le la tibétain qui signifie ‘élevé’, Gur peut évoquer le gourou, ou alors en tibétain le chant (les 100.000 chants de Milarépa s'appellent par exemple gur-bum, bum signifiant ‘cent mille’). Mandata semble être de la racine de mandal, qui veut dire la région, le système, et qui a donné ‘mandala’ en sanskrit et aussi ‘monde’ en français. On pourrait dire que le mont Kailash au Nord avec sa forme de Shivalingam est le symbole du Soi, et que le Gurla Mandata au sud en est le miroir sous forme du gourou qui, par son système d'enseignement, transmet l'absolu à l'humanité. Ou encore, si l'on interprète Gur-la, comme ‘le chant élevé’, on pourrait évoquer cet Udgitha, ce chant du ciel, dont parle si bien la Chandgoya Oupanishad dans tout son premier chapitre. Il s'agit du son du silence, qu’on perçoit à la pointe de la conscience quand le mental est vraiment tranquille et qui devient notre gourou intérieur. C'est la première manifestation de l'Absolu, c'est le premier miroir sonore du mont Kailash...

 

 

 

Le Voyage Intérieur

(Aux  participants

Des  voyages de Jacques Vigne)

 

Par Mahâjyoti

 

 

                                                                                                            Avec vous je n’irai

Mais je m’envolerai

Sur l’aile du bonheur

  Du Voyage Intérieur…

 

Mon chemin, ma démarche

Dans leur évolution

Ont voulu que je marche

Vers une autre mission.

 

Mon Voyage Intérieur

N’est pas un abandon

Car mon âme et mon coeur

Vous accompagneront.

 

Si l’Inde est un joyau

Dans sa comparaison

C’est divinement beau

En imagination !

 

C’est chez moi que je crée

Mon travail en amont.

C’est là-bas l’apogée

De son application.

 

Différente est l’optique

Avec le temps qui passe

Je garde l’authentique,

Le recul, et repasse.

 

 

Le chemin parcouru

Dans l’émerveillement !

Découverte absolue

Du pur Enseignement.

 

Que je dois appliquer

Dans ma vie, dans ma foi

Non plus me promener

Mais vivre dans le SOI !

 

Dédoublement subtil

De l’Inde en mes voyages

Qui renaît sur le fil

Déroulant des images.

 

Il est très beau en rêve

Ce voyage vécu

Ce n’est pas qu’il s’achève

Puisqu’il est entendu

 

Que dans ma sadhâna,

SEULE, auprès de mes guides,

J’irai retrouver Mâ

Il n’est donc point de vide !

 

Ma famille est sur place

Son nom est ‘Ananda’

Hautement elle remplace

Celle qui n’est plus là…

 

Je suivrai son appel

Et Mâ, dans sa splendeur,

Rendra vrai l’irréel

Du Voyage Intérieur…

 

Mahâjyoti

(Geneviève Koevoets)

 

 

 

Nouvelles

 

-         En mai-juin, Vigyânânand est allé avec un groupe de 27 Français au Mont Kailash et au Lac Manasarovar. C’était pour tous une première au Tibet, et un moyen de découvrir cette précieuse culture in situ.  Le voyage s’est déroulé dans des conditions bien plus confortables que celui de Mâ Anandamayî en 1936, dont nous continuerons la description dans le prochain numéro sous la plume de Didi. Il n’y a pas eu de problèmes sérieux de mal de l’altitude dans le groupe.

 

-         Une retraite de huit jours à Kankhal a réuni 17 Français autour du souvenir de Vijayânanda. Il y avait un programme quotidien de 7h du matin à 9 h du soir, les repas étaient en silence avec des lectures de textes de Vijayânanda ou sur Mâ principalement. Il y avait deux disciples directs d’Arnaud Desjardins dans le groupe. Peu après son décès, nous avons pu faire célébrer un puja traditionnelle en mémoire des défunts sur les bords du Gange tout près de l’ashram de Mâ. Nous avons envoyé des châles, avec imprimé dessus ‘Om Mâ’ à ses proches. C’était la moindre des choses pour lui qui a tant fait, sa vie durant, pour faire apprécier la spiritualité de l’Inde  au public français. Ce séjour a été suivi de quelques jours à Rishikesh et Dehradun, où nous avons rencontré les vieux yoguis Jnanananda et Chandra Swami, qui connaissaient chacun Vijayânanda depuis fort longtemps.

 

-         Izou et Gonzague se sont rendus à Bénarès pour quelques jours fin août. Il ont fait poser une plaque à l’endroit de la chambre où Vijayânanda a résidé et médité pendant de longues années ; Ce lieu a été transformé en hall de méditation, avec une vue imprenable sur le Gange juste en contrebas. Une photo de Swamiji a aussi été déposée aux pieds du lit de Mâ dans sa chambre. De plus, un bâtiment de l’hôpital de Mâ, qui est tout près de l’ashram et du Gange, a été nommé ‘Vijayânanda’.

 

-         Une Bhagavat sapta en mémoire des moines et moniales de Mâ, qui sont décédés depuis début 2010, ainsi qu’en mémoire de Vijayânanda et de Bhaskarânanda, est en train de se dérouler à Kankhal jusqu’au 12 septembre. Il s’agit d’une semaine où un Swami spécialiste, lit de larges extraits du Bhagavata Puranam, l’histoire classique de Krishna, en les commentant. Il y a une ambiance de prédication populaire avec de nombreuses histoires, des chants accompagnés du tambour, un certain nombre d’enfants y assistent, cependant des significations plus profondes sont également mises en valeur au milieu de cela.

 

-         Nous avons réuni toute la série des ‘Jay Mâ’ en un seul document, qui devrait être mis en ligne dans peu de temps. Cela couvre donc les exemplaires du N° 43 au 102, et fait un bel ensemble de plus de mille pages d’ordinateur. Il y a un problème pour les numéros 81 à 90 que nous essayons de retrouver. N’hésitez pas à le télécharger et à le garder comme document de référence. L’avantage est, en particulier, que grâce à la fonction de recherche, on peut trouver immédiatement un article ou les références à un auteur ou un sujet, ce qui est beaucoup plus difficile quand le contenu est dispersé dans plus de cinquante documents différents. L’adresse est le site habituel de Mâ www.anandamayi.org, en ouvrant la page ‘French’ et le document sera sans doute dans la sous-partie ‘Les textes’.

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-         Geneviève Koevoets (Mahâjyoti) a pris un accord avec le domaine de TRIMURTI lieu d’accueil et de paix au milieu des vignes et des romarins, avec vue sur le Massif des Maures, à Cogolin (Golfe de St Tropez, dans le Var), afin de mettre sur pied une belle retraite de 9 jours et demi, du lundi de Pentecôte 28 mai au 6 juin après-midi, en compagnie de Jacques Vigne (Vigyânânand), sur le thème ‘Méditation, émotions et corps vécu’. Ce sont les prémices de ce que sera la nouvelle tournée 2012 qu’il fera aux USA, Italie, France, Allemagne, La Réunion et autres…De très beaux endroits en France accueilleront Vigyânânand également, pour conférences et retraites spirituelles. Mahâjyoti en fera la coordination bénévole et vous en enverra le programme en temps voulu dès que les choses seront fixées définitivement.

 

 

 

Renouvellement des abonnements en cours

Pour le ‘JAY MA’  2011-2013

 

Merci à tous ceux (nombreux) qui ont déjà  renouvelé l’expérience du ‘JAY MA’ et qui se sont inscrits de nouveau auprès de José Sanchez Gonzalez  pour la partie administrative : 10 rue Tibère – 84110 Vaison-La-Romaine – nagajo3@yahoo.fr – 0634988222 et ensuite auprès de Geneviève (Mahâjyoti) qui en gère l’édition, pour qu’elle puisse procéder aux envois en vous remettant sur ses nouvelles listes : koevoetsg@wanadoo.fr .

La brochure est toujours au prix de 1 Euro par exemplaire trimestriel, envoyé par email, à renouveler pour deux ans, de mars 2011 à mars 2013. Les numéros arriérés seront envoyés automatiquement à tous ceux qui s’inscriront en cours de route.

Le dernier numéro a été le 101ème de cette brochure qui fut créée il y a désormais 25 ans. Lien d’amour avec l’Inde, avec Mâ, avec les Swamis, les lectures, les voyages, à travers la composition qu’en fait Jacques Vigne.

 

 

Table des matières

 

Editorial  

Paroles de Ma

Le départ d’Arnaud par Sundarî   

Un enseignement sans paroles par Arnaud Desjardins

Préface d’A.Desjardins au nouveau  livre sur Mâ ‘Retrouver la joie’ 

Un pèlerinage au Kailash par Vigyânânand   

Le voyage intérieur par Geneviève Koevoets (Mahâjyoti)       

Nouvelles



[i] Ce texte Ce que l'océan disait aux falaises a été publié aux éditions Dervy dans un ouvrage collectif sous la direction de feu Michel Random, La vision transpersonnelle. Je l'ai mis aussi sur mon site Internet.