Vijayananda

 

Les Entretiens de Kankhal

 

Troisième série 1997-1999

 

Propos réunis et transcrits par Jacques Vigne

 

 

 

Première partie:

Réponses écrites de Vijayananda dans la revue Jay Ma

 

 

I)                   A PROPOS DE MA

 

 

1) On parle beaucoup du regard de Ma, avait‑elle l' habitude de fixer certaines personnes pendant longtemps ou n'avait‑elle pas besoin de cela pour transmettre ce qu'elle avait à transmettre ?

V : Le regard et l'expression du visage dont le regard fait partie intégrale peut transmettre des messages plus précis et plus directs que les expressions verbales, car il exprime directement le bhava (la couleur mentale de base). C'est pourquoi Ma comme tous les grands sages se servait souvent de ce vehicule pour transmettre un enseignement ou même simplement pour communiquer une remarque sans avoir besoin de se servir des mots. Bien sûr, Ma n'avait pas besoin de regarder quelqu'un pour lui donner un éveil spirituel. Elle pouvait le faire tout en étant apparemment occupée avec quelqu'un d'autre et même à distance.

Dans mes débuts avec Ma, je ne connaissais ni le hindi ni le bengali (Ma ne parlait pas l'anglais) et je communiquais avec Ma souvent par le regard ou par simple transmission mentale : en voici un exemple : la première célébration de l'anniversaire de Ma à laquelle j'avais assisté était à Ambala au Punjab (si mes souvenirs sont exacts). A l'époque, la cérémonie était encore trés simple Ma était allongée sur un simple lit en bois et paraissait être dans un état ressemblant à un sommeil profond. Ses fidèles disaient qu'à cette occasion (comme à chaque fois), elle entrait en Nirvikalpa Samadhi. Dans cet état, le monde empirique a disparu et il ne reste qu'un océan de Bonheur‑Conscience. A cette époque, j'étais très attaché à la présence physique de Ma et j'aurais voulu l'avoir toujours avec moi. J'étais assis à courte distance du lit de Ma, au premier rang. Que Ma se soit échappée dans le Nirvana me rendait très triste et je dis mentalement : 'Ma est partie très loin de nous dans le Nirvikalpa Samadhi' . Presque immédiatement, Ma s'assit sur son lit de bois, ouvrit les yeux et son regard se dirigea vers moi. Ce fut un très long regard plein de tendresse qui voulait dire clairement: “Non, je ne suis pas loin de toi, je suis toujours là présente dans ton coeur.”

 

Q : L’année du centenaire de la naissance de Ma se termine (1996). Elle  nous a permis de faire mémoire des aspects temporels de sa vie, des évènements qui l’ont marqueé, etc… Comment maintenant méditer sur son aspect intemporel?

V : Ma dit qu’Elle est venue parmi nous parce qu’il y avait un appel qui l’avait attiré sur notre plan. Nous supposons qu’un groupe de personnes spirituellement développées et ayant une intense dévotion pour l’aspect féminin du Divin avaien lancé cet appel; mais en fait, d’où venait-elle? Ces choses bien entendu ne peuvent pas se concevoir par le mental. Cependant, schématiquement, nous pouvons dire qu’il existe une masse omniprésente de Conscience-Bonheur qui n’a pas de forme ni de lieu mais qui est le support et la base de tout ce qui existe. Les savants modernes s’en rapprochent quand ils parlent du ‘champ unifié’ qui est à la base de tous les atomes, molécules, etc…

    Ainsi donc, ce qui nous est apparu sous la forme physique de Ma était en quelque sorte une cristallisation de cet Omniprésent cristallisation nous permettant d’entrer plus facilement en contact avec le Suprême. La forme physique a été retirée de notre champ visuel, mais le Suprême dont elle était la cristallisation est toujours le même. Il (ou Elle) répondra toujours à notre appel si nous le faisons avec une dévotion suffisamment intense. Bien sûr, la plupart des gens ne peuvent pas rentrer directement en contact avec le Sans-Forme et ont besoin d’un support visuel. Pour ceux qui ont été touchés par la splendeur de cette apparition divine qu’était Ma Anandamayi (même s’ils ne l’ont pas rencontrée personnellement) une photo, la lecture d’un livre ou une méditation devant son samadhi (tombeau) peuvent produire l’intensité nécessaire pour que l’appel soit efficace.

 

II) Sadhana

1)                  Lignes générales

Q : Mieux vaut‑il méditer à heure fixe en disciplinant son corps et son mental, ou méditer quand on le sent?

Au début d'une sadhana, il est très utile de se donner un programme précis, et méditer autant que possible à la même heure et rester en place pendant toute la durée qu'on s'est fixée, même si on n'a pas envie de méditer. De cette façon on prendra une habitude, une bonne habitude qui deviendra un besoin presqu'une addiction.

L'habitude fait partie du tama‑guna (la force d'inertie) et c'est de là que vient sa force. La puissance du tamas vient de ce qu'il est l'image inverse du Suprême : immuable inactif, toujours en repos. C'est pourquoi le tamas est un obstacle aussi formidable. Mais on peut utiliser cette force en se créant de bonnes habitudes; et l'habitude de méditer régulièrement est une des meilleures.

Cela n'empêche pas qu'on peut méditer ‑en plus‑ à n'importe quelle heure quand on en a envie.

 

Q :Quel est le rapport du mariage et de la vie spirituelle?

Pour ceux qui veulent atteindre le sommet de la voie spirituelle (moksha, nirvana, illumination, Réalisation du Soi), une chasteté parfaite est indispensable, mais ceux qui veulent et peuvent atteindre cet état sont très rares. La voie du célibat est donc une voie d'exception. C'est pourquoi les grands sages ont établi et enseigné des voies progressives qui permettent à la personne ordinaire d'aller d'étape en étape, jusqu'à ce qu'elle ait assez de maturité pour aborder le grand problème qu'est la découverte de la Réalité suprême, et le mariage est une de ces étapes. L'énergie sexuelle chez l'être humain commun doit être canalisée, puis être sublimée et divinisée. Les rapports entre un homme et une femme font partie de la nature, mais de la nature grossière (la prakriti inférieure). Il existe un niveau où cette union se fait au niveau de la pure conscience sans contact physique. Dans le mariage physique l'homme doit considérer sa femme comme un aspect de la Mère divine, et la femme doit voir dans son mari le Divin masculin. Ainsi pourra se développer un rapport d'amour et de respect mutuel qui pourra les préparer au véritable amour qui est impersonnel. Et les rapports sexuels doivent être aussi rares que possible afin de conserver une précieuse énergie qui pourra les aider à atteindre le Suprême quand le moment sera venu.

 

Q : Est‑ce qu'on peut considérer la colère comme une drogue? Comment la dépasser?

V : Le mécanisme psychologique de la colère est le suivant : le point de départ est toujours une sensation pénible venant de notre corps qui nous met mal à l'aise. La tendance instinctive est de nous en libérer au plus vite et de revenir à un état d'euphorie. Ces sensations ne sont pas en général dans la conscience claire, et le mental cherche une cause dans le monde extérieur à laquelle il pourrait attribuer ce malaise, et en détruisant cette cause, il espère retrouver son équilibre. Survient tout à coup un individu qui vous insulte ou se conduit d'une manière grossière. ça y est! C'est lui, la cause de mon malaise!

Le mental fait alors appel à cette énergie de base toujours présente dans le muladhara et la transforme en une force destructrice qu'on appeIle colère. Il la dirige vers l'ennemi. Le malaise étant projeté vers l'extérieur disparaît du champ de conscience clair. L'énergie libérée momentanément lui donne une impression agréable de puissance, mais quand la crise de colère est passée, elle est remplacée par une dépression et l'état de malaise redevient conscient.

Une autre crise de colère et le même processus a lieu. Il se crée donc une association d'idée entre les malaises et la colère qui les soulagent pour un moment. II y a alors chez certaines personnes une addiction aux crises de colère où ils trouvent une euphorie relative et une impression de puissance. Naturellement, il y a tout le mauvais karma qu'on a créé dans ces colères et qu'il faudra  payer par d'autres souffrances. Comment se guérir de la colère? Tout d'abord, bien prendre conscience du mécanisme de projection d'une sensation pénible vers un objet extérieur. Et aussi comprendre tout le mal qu'on fait aux autres et à soi‑même quand on se met en colère. La colère, comme disent les Ecritures, est une des portes de l'enfer.

 

2)                  Psychologie de la sadhana

 

Q : Quelle est la nature exacte de l'égo?

L'égo est cette entité (ahamkar en sanskrit) qui nous fait croire que nous sommes une personnalité différente des autres, qui nous donne le sens du 'moi', 'je suis'. Il est aussi la racine de notre mental sur laquelle toute la superstructure de nos pensées et émotions est basée; mais il n'est qu'une réalité empirique et n'existe qu'aussi longtemps que nous n'avons pas découvert le jeu de l'illusion qui le crée: Notre mental est une machine très compliquée mais qui n'a pas de conscience par elle-même. Le sommet du mental, c'est l'intellect (buddhi), la faculté qui décide et discerne entre ce qui doit être fait et ce qui ne doit pas être fait; mais l'intellect est dépourvu de Conscience, laissé à lui-même. Il est animé quand la Conscience pure, l'Atman, se réfléchit sur lui. Il devient alors cette entité composée qu'on appelle l'ahamkar, l'égo. Il participe à la nature  de l'Atman, c'est à dire Conscience-Bonheur, mais avec les limitations que lui donnent son support, le mental, ainsi que le corps pranique et physique.

 

Q :  N'y a-t-il pas de danger à constamment contrôler le mental?

V : Tout dépend de la méthode qu'on emploie. Il faut le faire avec beaucoup d'adresse en s'adaptant aux différentes variations du mental. C'est un peu comme un cavalier se comporte vis-à-vis d'un cheval qu'il veut dompter. Il faut le frapper et le brimer le moins possible. La répression de l'émotion doit être évitée autant que possible, mais dans certains cas elle est nécessaire et l'on ne doit pas prendre comme axiome qu'on ne doit jamais le faire. Il y a des circonstances où il est moralement et socialement nocif de céder à une émotion, ou à un acte défendu. Dans ces cas la répression est de rigueur, mais il n'y a aucun danger à contrôler le mental constamment. Le danger serait de lâcher le contrôle. Le mieux serait de traiter son mental comme un enfant qu'on aime et de lui faire comprendre ce qui est pour son bien. Le mental cherche toujours le bonheur et la paix, parce que c'est sa nature intime et il en est conscient; mais il cherche le bonheur dans la fausse direction, dans des images réfléchies comme sur le mirroir. Il faut lui faire comprendre son erreur. Et quand il l'aura compris il se comportera comme un ami et mettra toute son attention dans la bonne direction.

 

Q :  Mais qui contrôle réellement le mental?

V : Il faut distinguer entre contrôle du mental et extinction du processus de pensée. Le contrôle du mental consiste à tenir en échec les émotions négatives, la peur, le désir sexuel, l’avidité, l'angoisse, l'anxiété, la jalousie, etc...Ces émotions font partie du mental tamasique ou rajasique. Il faut donc cultiver les états mentaux sattviques, la sérénité, la douceur, la bonté, la paix intérieure, les pensées allant vers le Divin, etc...Ce travail est fait par l'intellect purifié, c'est à dire l'égo sattvique. On se sert de l'égo pour éradiquer les émotions négatives.  Quand une épine nous est rentrée dans la chair on peut se servir d'une autre épine pour la sortir. Ceci fait, les deux épines peuvent être jetées. Quand le mental est purifié il reste un égo sattvique à travers lequel transparaît le Réel, comme on peut voir quelqu'un à travers un voile translucide. Cet égo sattvique doit aussi s'éteindre pour qu'on puisse s'identifier au Réel. Car c'est une cage dorée qui vous lie encore par la joie, par la satisfaction d'être une personne pure et sainte. En général, c'est seulement par la grâce du Guru que ce dernier lien peut être rompu.

 

Q : Peut-on indirectement dissoudre l'égo sans passer par le contrôle des différentes couches mentales?

V : Oui, cela est possible mais dans ces cas les couches mentales se révèlent d'elle-même à mesure qu'on progresse. Par exemple, dans le chemin de la dévotion le but final est la dissolution de l'égo dans le Bien-Aimé; mais avant d'arriver à ce point final, de nombreux obstacles apparaîtront, et ces obstacles viendront d'un mental qu'il faudra apprendre à connaître et maîtriser.

   Dans le Karma-Yoga, on attaque d'emblée l'égo à sa racine. Cette racine est la croyance (fausse) que c'est 'moi qui agit'; 'c'est moi qui jouit des fruits de mes actions'. Il faudra se débarrasser de cette illusion en agissant simplement pour la joie d'un travail fait parfaitement, sans s'occuper des résultats. Etre indifférent au succès et à l'échec. Là encore, les obstructions produites par le mental nous forceront à le connaître et à le maîtriser. Dans la voie de la Connaissance en suivant la méthode indiquée par Ramana Maharshi, on s'attaque directement à l'égo en se posant le problème du 'Qui suis-je en réalité?' Mais avant de réussir à trouver la solution de ce problème, il faudra affronter la tempête du mental, le connaître et le maîtriser.

 

Q : Dans les Upanishads, on parle du rasa (l’essence du bonheur) qui motive toutes nos actions et pensées. Pouvez-vous développer ce point?

V : Les mots sanskrits ont souvent des significations différentes selon le contexte dans lequel ils sont utilisés. Il en est ainsi pour le mot rasa; mais la Taittiriya Upanishad, ce mot est utilisé avec un sens spécial (II, 7). Rasa est ici la substance même dont le Suprême est fait. Raso veisa ‘cela en vérité est rasa’. Dans tous les objets de nos désirs, ce que nous recherchons, c’est le plaisir qu’ils nous donnent, c’est à dire le rasa, le ‘goût’ de ces objets. Ces plaisirs sont seulement une réflexion du Rasa suprême; ‘celui qui obtient ce rasa devient heurueux’ dit l’upanishad, ananda bhavati; Tous nos mouvements, toutes nos pensées, même notre respiration sont mus par ce bonheur Suprême qui remplit l’Espace.

 

 

Q : (un visiteur italien) Où se trouve la félicité?

V : La Félicité, l'Ananda est partout, elle est la base, le motif essentiel de toutes nos activités, en fait de toute vie. La Taittiriya Upanishad dit :'Qui donc agirait, qui donc respirerait si cette Félicité n'était pas dans l'espace?...' Cette base de toute existence, le 'champ unifié' des physiciens est fait d'une masse indivisée de Conscience-Bonheur (chidananda). Nous la percevons à travers l'épais voile de notre agitation mentale. Les nuages nous cachent le soleil; mais même leur couleur noire n'est visible que parce que le soleil est derrière eux.

 

Q : Parfois, vous dites qu’il faut regarder ses peurs, voire même ses désirs en face, et à d'autres moments qu'il est meilleur de regarder le mental du coin de l'oeil. N'est‑ce pas contradictoire?

V : Oui, c'est vrai que la bonne méthode pour observer le mental est de le regarder 'du coin de l'oeil' en concentrant l'attention sur un support (un mantra ou une image, etc..) parce que si on regarde le mental de face, il risque de créer des formations artificielles; c'est en effet sa nature de proliférer quand on tente de l'analyser. Quand je disais qu'il faut faire face à une peur, car si on ,essaye. de la fuir elle ne fera que s'intensifier, c'est que dans ce cas il s'agit de regarder en face l'objet qui a produit cette peur et non la pensée peur. Il ne faut pas se concentrer sur le sentiment‑peur, car cela risque de l'intensifier, mais sur la cause qui a produit cette peur. En lui faisant face, on peut vaincre la peur plus facilement.

 

Q: Si quelqu'un de proche ne va pas bien mais ne veux pas écouter ce qui peut l'aider, que faire?

V: Ramakrishna disait qu'il y avait quatre sortes de guides spirituels comme il y avait quatre sortes de médecin.

1) Le médecin ordinaire fait son ordonnance, donne des conseils à ses malades puis ne s'en occupe plus.

2) Le médecin de la seconde catégorie va revoir son malade et s'enquiert s'il a bien suivi ses conseils et s'il a pris ses médicaments; mais s'il voit que le malade est réticent, il ne s'en occupe plus.

3) Le médecin de la troisième catégorie  essaye de convaincre son malade, lui explique tous les avantages qu'il a à suivre son régime, et y consacre beaucoup de son temps. Mais s'il voit que l'individu est complètement bouché, il le laisse finalement tomber.

4) Mais le médecin de la quatrième catégorie (la meilleure selon Ramakrishna) ne se décourage pas. S'il n'a pas réussi à convaincre son malade, il l'immobilise et lui fait avaler les médicaments de force. Maintenant; si un de vos proche ne vous écoute pas, à vous de choisir la méthode qui convient le mieux. Cela dépend de la nature de la personne et du degrè d'amour qu'on a pour elle. Mais qui sait ce qui est bien pour telle ou telle personne? Seul un sage parfait peut le savoir. Et si ce sage parfait a une relation authentique avec ce disciple, il emploiera la force, si nécessaire, pour le ramener sur le bon chemin.

 

3) Bhakti

Q : On dit souvent que la relation de maître à disciple est au‑delà de la personne, mais ne serait-il pas plus exact de dire que la relation est d'abord très personnelle, et qu'ensuite seulement elle arrive à l'impersonnel?

V : La relation entre un vrai maître et un authentique disciple est une chose merveilleuse. Il faut l'avoir vécue pour la comprendre. C'est à la base une relation d'amour mystique. Elle est très différente de l'amour humain, qui recherche le contact physique. L'amour mystique est sur le niveau de la Conscience pure. L'étincelle de la Conscience divine qui est dans le disciple est attirée comme par un puissant aimant par le Divin Omniprésent qui rayonne à travers la forme‑‑physique du Maître Parfait.

Mais au début le disciple souvent confond ou plutôt limite le Divin à la forme physique du maître. Il se crée alors une relation personnelle, mais qui n'existe que du point de vue du disciple. Cette relation est utile au début d'une sadhana car elle agit comme un transfert affectif et permet de se libérer des attachements mondains. Quand le disciple est arrivé à une certaine maturité, le maître le libère de l'attachement personnel en lui faisant découvrir le Divin qui réside dans son propre coeur est qui est un avec le Divin omniprésent.

 

Q :  La plupart des Occidentaux inspirés par Ma ne lui font pas de puja, alors que c'est une pratique très courante chez les hindous, qu'ils vivent dans les ashrams ou chez eux. Est‑ce que les Occidentaux y perdent quelque chose?

V : La vraie puja est une attitude mentale. Le rituel sert à éveiller cette attitude d'amour et de vénération. Les Occidentaux n'ont pas besoin d'utiliser le même rituel que les hindous; mais quand on va commencer la méditation, il est bon de former un contact avec le maître (Ma en l'occurence) pour qu'il (ou Elle) vous transmette l'énergie spirituelle nécessaire. Et pour cela une certaine forme de puja peut être utile : réciter quelques mantras, allumer une baguette d'encens, faire le pranam, etc...

 

Q: Ma a dit et redit qu'elle n'était pas 'ce corps'. Le culte du samahi qui a lieu maintenant autour de son corps n'est-il pas une régression de l'enseignement védantique élevé qu'elle voulait faire passer à ses disciples à une forme de dévotion populaire passe-partout? N'est-ce pas une attitude dépressive de la part de disciples qui ne peuvent pas faire le deuil du lien qu'ils avaient avec Ma quand elle était dans son corps?

V: Le tombeau d'un grand sage et à plus forte raison celui de Ma émet des vibrations bénéfiques qui donnent le calme mental et facilitent une vie spirituelle. Ce qu'on vient rechercher auprès du tombeau de Ma, c'est à se ressourcer. Bien sûr, ceux qui viennent s'asseoir auprès de Samadhi ne sont pas tout au même niveau. Certains peut-être y trouvent une réminiscence des jours qu'ils ont vécu auprès de Ma; mais si cela les aide à obtenir une paix mentale, quel mal y a-t-il?

 

Q : Vous dites parfois qu'une posture stricte est nécessaire quand on fait le yoga de l'éveil de l'énergie (kundalini), mais qu'on peut faire le japa ou observer l'esprit dans n'importe quelle position. Pourtant, ces deux dernières formes de méditation ne demandent‑elles pas elles aussi d'avoir une bonne énergie?

V : Tout dépend ce que vous entendez par le mot "énergie". Dans le Yoga de la Kundalini, ce que l'on veut éveiller, c'est une "super‑énenergie" qui vous permette d'aller plus rapidement dans l'illumination. Cette énergie est une sublimation (ou plutôt une divinisation) du pouvoir qui chez l'homme ordinaire est gaspillé dans les relations sexuelles. Pour suivre ce Yoga, il faut donc observer une chasteté totale et une vie de reclus. Quand la Kundalini s'éveille et monte dans le canal central, une mauvaise position du dos risque de bloquer cette montée. De toutes façons quand cette montée se fait,la colonne vertébrale devient droite spontanément.

Quant aux méthodes basées sur le japa et l'observation de l'esprit, ce sont des méthodes préliminaires pour purifier le mental, et le préparer à la possibilité d'un éveil du pouvoir Divin. Elles peuvent être pratiquées dans les conditions de la vie de tous les jours. Elles sont encore du domaine de la pensée parlée. Quand la force vitale rentre dans le canal central (c'est à dire quand la Kundalini monte le long de la sushumna nadi), le mental devient silencieux et il n'est plus question ni de vichara ni d'observation du mental.

 

Q Certains voient dans le védanta un intellectualisme desséché. En quoi le védanta et l’amour sont-ils liés?

V : C’est un reproche qui a été souvent fait à ceux qui pratiquent exclusivement la voie de la Connaissance. Dans cette voie, l’élément intellectuel est utilisé au maximum par la pratique de la dicrimination entre ce qui est transitoire et ce qui est Réel, par l’observation du mental et la remontée à sa source, notre ‘moi’, ou bien aussi par la recherche du ‘qui suis-je?’ comme l’enseignait le grand sage Ra,ana Maharshi. Mais se llimiter seulement à l’élément intellectuel, c’est du faux védanta, c’est vouloir voler avec une seule aile. Il faut deux ailes por voler, et la deuxième aile c’est lélment affectif, c’est la bhakti. Le védantin en général n’adore pas de Dieu personnel (bien qu’il n’y ait aucun inconvénient à ce qu’il le fasse s’il en éprouve le besoin). Son amour est dirigé vers le Guru, pas la personne physique, mais celui qui est Jnana murti, l’incarnation de la Connaissance, Celui qui nous mène vers le Suprême Omniprésent, le Sans-Forme, l’Akshara Brahma qui est notre Soi réel. Pour le vrai védantin, l’amour qu’il a pour son Guru s’adresse à travers lui à cet éternel Omniprésent impérissable, qui n’est affecté par rien, pas même par la dissolution finale. C’est un amour d’une haute qualité qu’il faut avoir éprouvé pour savoir ce que c’est. En réalité, il n’y a pas deux voies différentes, celle de la Connaissance et celle de la Bhakti. Jnana et Bhakti spnt les deux aspects de la même sadhana, ils sont inséparables. Chez certains, jnana est en surface et Bhakti est dans les profondeurs; chez d’autres, c’est l’inverse.

 

 

II)                LE YOGA ET L’OCCIDENT

 

Q : Dans l' hindouisme, on tolère le fait qu'un des membres du couple prenne le sannyas même si l'autre n'est pas d'accord. Cela ne pose-t‑il pas un problème éthique dans la mesure où le mariage, comme dans le christianisme, est considéré comme un engagement pour la vie?

V : En règle générale, le sannyas ne doit pas être pris sans la permission ou l'assentiment du conjoint; et il me semble qu'un maître ne donnera pas l'initiation du sannyas en sachant que le conjoint n'est pas d'accord. Mais il y a des cas exceptionnels. Quand l'esprit de renonciation est extrêmement intense, plus rien ne compte. C'est alors comme quelqu'un qui s'échappe d'une maison en flammes.

 

Q: La Kumbha-Mela est en cours à Hardwar; comment vous situez-vous par rapport à cette forme de l'hindouisme pour les masses?

V:  La Kumbha-Mela est une grande réunion (je dirais presque une foire) qui a lieu tous les douze ans à quatre endroits différents (Hardwar, Allahabad, Ujjain et Nasik) à des dates différentes. Elle attire d'énormes foules de pèlerins et de sadhus (on dit une dizaine de millions ou plus). La tradition dit que c'est un devoir religieux pour les sadhus de sortir de leur retraite pour venir y assister. C'est donc une occasion de rencontrer des sages qui le reste du temps seraient inaccessibles. Et même si on ne les rencontre pas, leurs vibrations associées à la ferveur religieuse des grandes foules crée une atmosphère spirituelle formidable qui vous imprègne qu'on le veuille ou non. C'est une occasion importante de parfaire sa vie spirituelle soit par les vibrations soit même par les conseils pratiques si on a la chance de rencontrer un grand sage. En outre, le bain dans le Gange à l'endroit sacré et à l'heure de bonne auspice est censé donner la libération du cycle des naissances et des morts (post mortem) ou du moins purifier des péchés les plus sèrieux.

La légende veut qu'au début de la création quand il y eut le barattage de la mer de lait il en sortit entre autres merveilles une jarre (kumbha) pleine de nectar d'immortalité. Une grande bataille commença entre les dieux et les démons; chcun voulant prendre possession de ceete jarre. Au cours du combat, quelques gouttes du précieux liquide tombèrent à quatre endroits en Inde : Hardwar, Allahabad (Prayag), Ujjain et Nasik. Et la Kumbha-Mela veut commémorer ces évènements.

La foi intense des pèlerins et des moines crée une énorme atmosphère spirituelle qui influence même ceux qui ne croient pas à ces légendes. Et cette imprégnation peut être le départ d'une vie spirituelle ou intensifier les pratiques de ceux qui sont déjà sur le chemin  .

 

Q : "Un Français dans l'Himalaya” vient d'être publié à Terre du Ciel. Connaissant les Français de France pour en voir passer à l'ashram pratiquement chaque semaine, sur quel point du livre pensez‑vous être bien compris, et sur quel point vous attendez-vous à ne pas l'être?

V : Ce livre est un assemblage d'écrits les plus divers rédigés depuis 1951 jusqu'à récemment. La plus grande partie en a été écrite avec  en vue un public très restreint, c'est à dire le groupe d'ardents fidèles qui étaient avec Ma à l'époque, des hindous, surtout bengalis, et très peu d'Occicentaux Ceux qui suivent une discipline spirituelle pourront néanmoins trouver dans cet ouvrage ces bribes qui pourront leur etre utile.

Quant aux questions‑réponses, la partie la plus récente de ces écrits, elle s'adressait surtout à des visiteurs occidentaux et correspond à chaque fois au niveau et à l'attitude mentale de l'individu qui pose la question; mais comme les réponses sont toutes du domaine de la vie spirituelle, un sadhaka pourra y découvrir quelques renseignements utiles.

 

Q : Dans les pays riches comme la France et la Suède, le taux de suicide est beaucoup plus élevé qu' en Inde; Pourquoi cela?

V : La personne qui se suicide le fait pour echapper à la souffrance soit physique soit le plus souvent mentale. Une personne qui va se suicider (à moins que ce soit un aliéné mental) a longuement réfléchi avant de prendre cette décision. Ce sont en général des athées nourris par la philosophie existentialiste qui pensent qu'après la mort c'est le grand néant. Ce type est commun en Occident; en Inde, les véritables athées sont trés rares. Chaque hindou a quelque part dans son subconscient la croyance en un Pouvoir divin ou au moins que chaque action produit un karma, qu'il y a des vies futures conditionnées par les actes que l'on fait. Le suicide est considéré comme un crime, et il est censé produire des renaissances trés fâcheuses. Le suicidé, dit‑on, devient un preta, un fantôme très misérable qui a toujours faim et soif et a une bouche trop petite pour satisfaire ses besoins. Quand ces croyances vous ont été inculquées dès l'enfance, on réfléchit à deux fois avant de mettre fin à sa vie.

 

Q : De nos jours, le terme spiritualité est si souvent utilisé qu’il semble perdre de son intensité. Comment le définiriez-vous ?

V : La spiritualité, la vraie, est l’attitude mentale qui permet de révéler le Divin éternel qui est en chacun de nous et qui est en fait notre Soi le plus intime. Ce Divin est voilé par des émotions négatives, par la tendance du mental à rechercher la Paix et le Bonheur dans la réflexion du Soi sur les objets des sens ; il faut donc faire une réversion du mouvement mental vers le sujet ; Comme le dit la kathopanishad, c’est avritti chakshu, le regard tourné vers l’intérieur.

 

 

Deuxième Partie

REPONSES ORALES 1997,98,99.

 

 

I)                   MA ANANDAMAYI

 

1)                  Ma et ses disciples

 

Question: Qui est le guru?

Vijayananda : Il n’y a qu’un seul Guru, c’est Dieu. Ma disait souvent cela, mais ce n’est que maintenant que je le réalise complètement. Le Guru physique peut avoir des défauts, le corps a toujours des défauts, mais le Guru est un instrument, un canal du divin. Il y a les mauvais conducteurs, les bons conducteurs et les super-conducteurs. Ma était un super-conducteur.

 

Q : Ce point de vue aide-t-il le disciple à ne pas voir le guru de façon personnelle?

V: Ma disait que même si le disciple tombait amoureux du Guru, si celui-ci était un Sadguru il pouvait transformer cet amour et le diriger vers Dieu,.

 

Q: Ma donnait-elle des instructions pendant des discours?

V : Non, Ma ne faisait pas de discours, mais elle donnait des instructions individuelles précises durant les entretiens privés. Par ailleurs, elle pouvait donner des suggestions pratiques aux gens; si ils étaient capables de les saisir au vol, il pouvait éviter l’accomplissement d’un mauvais karma du passé, un accident par exemple. Ma pouvait aussi faire monter et descendre la kundalini de ses disciples d’un seul regard, de façon tout à fait informelle et sans en avoir l’air. C’était parfois important de pouvoir faire redescendre la kundalini de ceux chez laquelle elle était monté trop vite et qui ne pouvaient faire face à l’afflux d’énergie.

 

Q: Ma pouvait-elle faire des miracles avec tout le monde?

V: Non. Celui qui fait le miracle et celui qui le reçoit doivent être complètement en harmonie comme un couple de danseur. Même avec le Christ, c’était comme cela; ceux qui n’avaient pas la foi ne pouvaient être sauvés. Quand Ma était âgée, j’ai fait un rêve, mais les images que j’ai vues étaient aussi vives que la réalité: j’étais avec un groupe de visiteurs, principalement des étrangers sur une vérandah pour garder la porte de Ma, et elle est passée; je leur ai demandé:’avez-vous vu Ma?’  Ils m’ont répondu ‘non’. Quand Ma était jeune, tout le monde était boulversé (enthralled) à son contact. Après, elle était plus à l’intérieur, et seuls ceux qui avaient l’intensité et une grande foi en elle pouvaient percevoir directement son pouvoir.

 

Q : Ma aurait-elle pu rester plus longtemps dans son corps?

V : Oui, bien plus, mais elle en avait assez. Les gens n’avaient pas assez d’intensité pour la faire rester.

Q : Mais pourtant, les foules paraissaient électrisées pendant ses kirtans!

V : C’était de l’excitation, ce n’était pas de la véritable intensité.

 

Q : Certains disent que Ma était tantrique:

V : Le Tantra, c’est l’adoration de la Mère divine. Comment aurait aurait-elle pu adorer la Mère divine alors qu’elle était elle-même la Mère divine? Par ailleurs, pour Ma, et même tout simplement pour un sadhaka avancé, toutes les voies confluent en un seul Yoga, la synthèse des Yogas si l’on peut dire. Il s’agit d’un Yoga total où toutes les chemins sont comprises et intégrées. Ce n’est qu’au début que les voies sont séparées.

 

Q : Arrivait-il que Ma se guérisse elle-même?

V : Une fois, un médecin avait prescrit à Ma de prendre des hautes doses de turméric. Après elle a développé un paralysie débutante aux jambes et elle m’a dit:’Je pense que c’est à cause de l’excès de turméric’. A cette époque, je n’ai pas pu l’approuver car cela n’était pas dans les connaissances de la médecine occidentale; mais par la suite on a découvert que les excès de vitamine A, contenue en grande quantité dans le turméric, peuvent donner des neuropathies périphériques c’est à dire entre autres des paralysies.

 

Q : N’y avait-il pas beaucoup de jalousies autour de Ma?

V : Si, beaucoup, mais elle voyait en tout cela la lila, le jeu divin.

 

Q : Pensez-vous que le disciple devienne un jour complètement indépendant du Guru?

V : Jayananda, l’Américain qui au début était avec moi en compagnie de Ma m’avait raconté une histoire que j’ai d’abord trouvée stupide, mais dans laquelle j’ai vu par la suite un sens très profond : un petit garçon avait un confiance totale dans son père; un jour, celui-ci le met sur une table et lui dit :’saute dans mes bras!’ L’enfant dit:’mais je vais tomber!’ Le père répond :’tu n’as pas confiance? Vas-y, saute!’  Il se lance, le père se retire et le pauvre garçon tombe par terre. Le père lui dit: ‘C’était pour t’apprendre à n’avoir confiance en personne, si ce n’est en toi-même!’ Ainsi, Ma pouvait être très dure avec moi; mais une fois, cependant, elle m’a regardé avec un grand amour comme si j’étais son seul bien-aimé sur terre. C’était parce qu’elle prenait le bhav de Pannalal qui m’aimait bien et qui voyait dans ma relation avec Ma le modèle de l’amour mystique.

 

Q : A une jeune femme qui est passé par une phase où elle critiquait vivement son Guru:

V : Si vous voulait un Guru parfait, prenez une photo et elle vous racontera tout ce que vous voulez qu’elle vous dise; mais avec des gurus en chair et en os, il y a toujours des tensions, on leur trouve des défauts à n’importe quel propos. Combien de fois j’ai été fâché avec Ma!

 

Q : Achim, un ancien disciple allemand de Ma, nous a raconté lors d’un satsang sa première rencontre avec elle : ‘C’était la veille de Noêl 69 dans la maison de Nitoyda à Kankhal (le noyau du présent ashram), j’attendais avec un ami pour voir Ma, j’étais venu de Rishikesh pour cela. Il y avait beaucoup de monde, on nous avait dit qu’on nous appellerait. Melitta Maschman, une allemande qui vivait auprès de Ma est venue et nous a demandé si les brahmacharinis connaissaient notre nom. Nous avons répondu par la négative; elle se mit à rire et ajouta juste:’vous croyez au Père Noël!’  et elle s’en alla; deux minutes plus tard, une brahmacharini vint à la porte, nous désigna tous les deux du doigt dans la foule et nous introduisit chez Ma. Cela fut notre premier entretien privé avec elle.’ Vijayananda rajoute qu’à Bhimpura en 198O, le même genre de scène s’est aussi déroulé. Melitta avait annoncé que Ma était beaucoup trop malade pour voir qui que ce soit, et peu après, comme pour la contredire, Ma a appelé Vijayananda et des visiteurs.

 

Q : Le jour du centenaire de la naissance de Gurupriya Didi, l’assistante de Ma pendant la plus grande partie de sa vie, on a demandé à Vijayanda de dire quelques mots sur elle.

V : Je parlais très peu aux femmes, j’ai donc été rarement en rapport avec Didi. Ce que je peux dire, c’est qu’elle a travaillé sans trêve pour Ma, elle dormait très peu. Une incarnation divine ne vient pas seule, mais avec un entourage qui l’aide dans sa mission. Le rôle de Didi était de protéger Ma, elle était la monture, le ‘vahan’ de Ma, comme le tigre est la monture de Durga.

 

2)                  Ma et Vijayananda

 

Q : L’effet de votre première rencontre avec Ma a-t-il duré?

V : Ce bonheur surhumain que j’ai ressenti la première nuit après avoir rencontré Ma a duré un an ou un an et demi avec la même intensité; après, il est devenu plus calme.

 

Q : Le fait que Ma était une femme et qu’on la considérait comme une  mère vous a-t-il aidé?

V : Oui, en ce sens que je me suis détaché complètement du besoin des autres femmes. Ceci dit, je ne la voyais pas  comme femme, pas même comme un corps, dès le début je voyais la divinité en elle ainsi que le guru.

 

Q : Cela a dû être difficile de tout renoncer d’un coup quand vous avez rencontré Ma?

V : c’était le contraire, cela m’aurait été difficile de ne pas renoncer à tout une fois que je l’ai rencontrée.

 

Q : Doit-on tester le guru?.

V : Il faut tirer sur la corde pour voir si elle va casser. J’ai fait cela souvent avec Ma, et la corde a tenu le coup.

 

Q : Peut-on voir Ma dans son corps subtil?

V : Une première fois à Raipur au début de mon séjour avec elle, j’ai senti sa présence extrêmement forte. Puis à Almora en 1954, j’ai vu aussi son image; c’était une époque où j’étais boulversé car elle m’avait soudain demandé de rester un an complet loin de sa présence physique. Je savais que c’était elle de toutes façons à cause du bonheur intense qui m’avait envahi. En fait, elle était à la fois dehors et dedans, ce phénomène est survenu pour qu’elle puisse me donner une leçon :’Je suis omniprésente, tu n’a pas à être désespérée par mon départ.’

 

Q : Peut-on voir le corps subtil du Guru dans le rêve?

V : En général, non. Pendant des années, je rêvais de Ma pratiquement toutes les nuits, mais c’était mon mental qui rejouait des souvenirs. Parfois cependant, elle m’apparaissait avec une grande intensité: là, on pouvait dire que c’était le corps subtil de Ma. En fait, l’essentiel est sans forme, c’est l’éveil de la kundalini. C’est une force impersonnelle intense qui est habillée ensuite selon les samskaras (conditionnements profonds) de l’aspirant.

 

Q : Après que Ma a quitté son corps physique, communiquez-vous avec son corps subtil?

V : On me demande souvent cela; je suis en contact avec Ma en tant que Conscience omniprésente et sans forme, mais non pas comme un corps subtil. Avant, Ma pouvait éveiller quelqu’un de tiède et qui n’avait pas trop de demande, mais maintenant, cette demande doit être intense, à ce moment-là elle aura sa réponse. Les photos de Ma par exemple peuvent être une aide.

 

Pendant que Vijayananda était en clinique à Delhi pour deux semaines, une jeune femme fille d’ancien disciples de Ma et qui connaît  depuis sa petite  enfance Vijayananda m’a dit :’Chaque nuit, je rêvais que Ma était dans la clinique avec Vijayananda’

Q : Un groupe d’une école de Yoga française est venu et a demandé à Vijayananda d’évoquer pour eux l’intensité de son lien avec Ma. Il a raconté l’histoire suivante, que pendant des années il ne voulait dire à personne car elle évoquait pour lui des émotions trop fortes:

V : C’était un peu après le mort de Didi Ma, en 1973. Un ami anglais m’avait proposé 20000 livres pour construire un ashram pour moi en Occident. Je lui ai dit ‘Je viendrai peut-être le visiter une fois’; Mais j’ai quand même parlé de cette idée au président de la Sangha de Ma, le Raja de Solan. Peu après, c’était l’anniversaire de Ma à Bénarès. Comme d’habitude, elle rentrait dans un état de demi-sommeil, mais cette fois-ci elle avait le visage de la mort, comme Didima qui était décédée récemment. Comme par hasard, on a arrêté son palanquin juste devant moi.  J’ai compris qu'elle me disait :'Si tu t'en vas, je quitte mon corps’. Je me suis mis à pleurer continûment pendant toute la soirée, c’était comme une fontaine, on aurait plus en remplir des seaux entiers. Je n’avais jamais vu cela auparavant ni chez moi ni chez d’autres; c’était la shakti de Ma qui agissait. A la fin les gens sont devenus inquiets car Ma ne voulait plus sortir de son samadhi. J’ai été dans la sorte de tente où elle était couchée et où en principe personne n’avait le droit d’entrer à part Nirvanananda le pujari et Didi. Je l’ai observée et je n’ai perçue chez elle aucun signe de respiration. Je me suis mis à paniquer et je lui ai dit :’Ma, je vais rester ici’ A partir de ce moment-là elle s’est remise à bouger un petit peu et à respirer de nouveau. Une ou deux heures plus tard elle avait repris un état de conscience normale.

 

Q : Pourquoi êtes-vous resté si longtemps auprès de Ma?

V : En fait, je suis le seul occidental à être resté aussi longtemps auprès de Ma excepté Atmananda, qui a beaucoup travaillé pour traduire les entretiens privés de Ma avec les occidentaux et les livres. Plusieurs fois j’ai essayé de rentrer en Occident mais les choses ne se sont pas arrangées. Ma voulait que je reste en Inde, alors que les autres occidentaux, elle les laissait partir. Une raison pour cela peut être  que Ma, étant divine, exigeait une pureté sexuelle parfaite de ceux qui étaient auprès d’elle et quel était l’occidental qui en était capable? J’étais le seul, je n’en vois pas d’autres.

 

3) Le futur de l’enseignement de Ma

 

Q : Pourquoi Ma attirait moins de monde que des gurus ou chefs religieux engagés dans le travail social à grande échelle?

V : Ma avait un niveau spirituel très élevé. Elle parlait de réalisation du Soi, de renoncer au monde. Cela n’attirait pas les foules comme le fait d’aider  le monde et de faire du service social. Ramqkrishna disait qu’il y avait peu de gens dans la boutique où l’on vend des diamants alors qu’il y a foule dans celle où l’on vend des légumes.

 

Q : Pourquoi n’y a-t-il pas eu plus de gens réalisés autour de Ma?

V : Ce n’est pas la vocation de sages comme Ma ou Amma de ‘donner” la Réalisation à tel ou tel disciple. De toutes façons un diciple qui obtient une réalisation complète est très rare; même autour du Bouddha, il semble qu’il n’y en ait eu que deux qui l’aient obtenue. Les grandes âmes sont venues pour mettre dans le courant le plus grand nombre de personnes possible. Après, ses fidèles ne peuvent revenir en arrière ou retomber. Même s’ils ne se réalisent pas dans cette vie, ils peuvent se fondre dans la forme cosmique de Ma à la mort ou avoir des renaissances dans les mondes supérieurs; et puis cette question a d’autres aspects: s’il y avait eu un grand nombre de disciples réalisés autour de Ma, ils seraient  resté en eux-mêmes et qui aurait prêché l’enseignement de Ma? Peut-être se serait-ils aussi disputés entre eux pour la succeession de Ma. Celle-ci voulait sans doute que ses disciples avancés atteignent la réalisation directe de l’union du samsara (le monde) et du nirvana, c’est à dire le sahaja samadhi, sans risquer de quitter  le corps pour de bon à l’occasion de nirvikalpa samadhis (état d’enstase complète avec perte de la conscience du monde extérieur) trop prolongés. Un disciple s’estime réalisé quand il a atteint le niveau de son Guru. Quand le Guru est Ma Anandamayi, cela prend du temps…

 

Q : Vandana Mataji est une religieuse entre christianisme et hindouisme; Elle a été disciple du Père Le Saux et vit actuellement comme une ermite à Rishikesh. Elle est passée avec un petit groupe à Kankhal et a demandé à Vijayandanda de leur parler de Ma.

V : (après un long silence) La meilleure façon de parler de Ma, c’est le silence. De cette façon, on réalise sa présence.

 

 

II)                LA SADHANA

1)                  Les grandes lignes

Q : Quelle est la place de la méditation dans la sadhana?

V : Les gens qui ont une expérience spirituelle savent que la méditation est un des derniers stades du Yoga à huit membres de Patanjali, et qu’il faut donc des bases très solides pour pouvoir la pratiquer à fond. Ce que font même les sadhakas assez avancés correspond à la dhâranâ (qu’on traduit en général par concentration). La véritable dhyâna est très rare, c’est presque le sâmadhî. C’est la seconde vague de hippies, celle qui bien que prenant des drogues avait un certain intérêt pour les choses spirituelles, qui a lancé l’idée de la méditation comme une panancée universelle. En fait, cela ne marche pas comme cela.

Il faut méditer à heures fixe, certes, mais cela ne signifie pas qu’il faille se forcer. Il faut plutôt donner au corps la bonne habitude de s’asseoir régulièrement. On dit que notre prarabdha karma, c’est à dire en pratique notre destinée n’est pas comptée en nombres de jours à vivre mais en nombre de respirations.Ainsi ceux qui respirent paisiblement auront une vie plus longue. Plusieurs fois dans ma  sadhana je me suis trouvé en face d’un mur et je me suis dit :’C’est impossible à traverser!’ Mais je l’ai fait, et ensuite c’était tout à fait facile: impossible n’est pas français…Evidemment dans la vie quotidienne, il faut savoir s’adapter et  contourner les obstacles.

 

Q : Une jeune femme était en cours de remariage après un divorce : ‘Comment gérer les problèmes relationnels?’

V : Il faut s’habituer à voir le Divin dans les autres.

Q : Quand on les aime, c’est trop facile.

V : Pas tant que ça, il faut les voir au-delà de leur aspect personnel, c’est à dire sans attachement. Pour ceux qu’on n’aime pas, mieux vaut les éviter, à moins d’être déjà dans un état très élevé. Si on ne peux faire ainsi, il faut prendre le fait de les côtoyer comme une sadhana.

 

Q : Comment être introverti sans être égoïste?

V : En s’apercevant que le Soi qui est fond de soi n’est pas différent du Soi qui est au fond des autres. A ce momeent-là, l’amour pour les autres devient complètement naturel.

 

Q : Question d’un résident de l’ashram, avant le départ d’une résidente pour plusieurs mois: Vous dites que le passé est illusion et n’a aucune réalité. Cela signifie-t-il que si quelqu’un s’en va il faut l’oublier? Le propre de l’amour n’est-il pas  de se souvenir de ceux qui sont absents?

V : Tout d’abord, quelqu’un qui mène la vie de brahmachari dans un ashram ne doit pas avoir de l’amour-attachement pour une autre personne.  Et puis, quand je sens une personne qui pense à moi, cela me donne de la joie à l’intérieur; Cela se passe dans le présent, pas dans le passé. Ce qu’il faut, c’est éviter de laisser la mental construire sur des évènements passés. Les personnes changent constamment, si on s’attache à une image fixée d’eux qui vient d’avant, on ne pourra qu’être déçu.

 

Q : La sadhana dans le monde doit-elle être spontanée, facile ou le résultat d’un effort persévérant?

V : Il ya l’histoire hassidique suivante: un jour deux enfants vinrent rendre visite à un grand sage qui leur donna de la bière à boire; l’aîné ne dit trop rien, mais le plus petit qui n’avait guère que trois ou quatre ans s’exclama tout de suite :’cest amer mais c’est bon!’  Le sage conclut immédiatement :’Cet enfant deviendra un grand spirituel!’

 

Q : Une personne revient de chez un guru qui dit que l’état de mariage et celui de célibat consacré à la vie spirituelle sont pareils, dans les deux on peut avoir la même vie spirituelle.

V : Je ne suis pas d’accord! Si on est déjà marié et qu’on le reste tout en développant une vie spirituelle, c’est bien, mais si l’on n’est pas marié avec une vie spirituelle intense et qu’on se marie, à ce moment-là c’est un échec, une régression.

 

Q : Un père de famille dont la fille déjà assez âgée n’est toujours pas mariée : ‘C’est un problème  pour une femme de se marier tard!’

V : C’est au contraire bien de se marier tard, de cette façon le nombre d’années qu’on passe avec des problèmes de couple est moindre!…Certains prennent prétexte qu’ils vivent dans le monde pour dire qu’ils n’ont pas le temps, qu’ils ne peuvent pas faire une sadhana; mais on peut créer un environnement favorable à celle-ci: une pièce pour la puja, ne pas voir n’importe qui, le satsang (rencontre avec des gens spirituels) et si cela est difficile, au moins la pratique de cette forme de satsang que représente la lecture de livres de saints ou de sages. De toutes façons, si on a un désir intense de trouver des conditions favorables pour la sadhana, les choses s’arrangeront d’elles-mêmes dans ce sens.

 

2) Les qualités de base

Q : Comment développer l’intensité dans la sadhana?

V : Notre intérieur est comme un seau percé; il faut boucher les trous qu’il a pour qu’il puisse se remplir. Il faut bien observer les endroits où le mental part vers l’extérieur, ‘a des fuites’, et il faut boucher les trous, c’est le propos des yamas et des niyamas. Nous connaissons ici une aspirante spirituelle qui a été fort attachée à son chien pendant des années; après la mort de celui-ci, son désir de se marier est devenu très intense, et après son mariqge son désir d’enfant est devenu encore plus intense. Si elle avait pu diriger la grande intensité qu’elle avait en elle vers le Divin, elle serait devenu une grande sainte.

 

Q : Une jeune visiteuse qui suit la voie de la bhakti : on dit qu’il y a deux moyens de faire en sorte qu’une porte s’ouvre, soit l’enfoncer, soit se prosterner devant.

V : Un sage juif disait que Dieu aimait ceux qui enfonçaient les portes; le Soi est un château avec de multiples orifices, mais il vient un moment où le mieux est d’enfoncer les portes.

 

Q : Le meilleur dans la sadhana n’est-il pas de se dire qu’on ne manque de rien?

V : Oui, quand on a l’éveil du bonheur intérieur; avant, ce ne sont que des mots.

 

Q : Faut-il aller à l’extrême dans la sadhana?

V : dans l’ensemble, il faut suivre la voie du juste milieu. Mais dans son désir de consécration à Dieu, au Guru, à la pratique c’est bien d’aller à l’extrême. On raconte que quand Ramatirtha était encore un jeune professeur de mathématiques, il recherchait la solution d’un problème. Il est monté le soir sur la terrasse avec un rasoir et s’est dit en lui-même: si demain à l’aube je n’ai pas trouvé la solution de ce problème, je me coupe la gorge. Et le lendemain, quand le soleil commençait à poindre, il n’avait toujours pas trouvé la solution… il a saisi le rasoir pour mettre fin à ses jours, mais à ce moment-là il a eu une sorte d’illumination et la solution est venue. Les gens qui comme Ramatirtha sont très intenses réussissent dans la sadhana.

 

Q : Un visiteur parle d’un grand ashram du sud de l’Inde où ceux qui deviennent sannyasi ont plus de confort que les autres même s’ils doivent beaucoup travailler.

Vijayanandan commente avec un sourire : Quand ils prennent les voeux de renonçants, ils se mettent à renoncer à l’inconfort…

 

Q : Qu’y a-t-il de plus important, le détachement extérieur ou l’attitude mentale en ce sens?

V : C ‘est l’attitude mentale; c’est ce qu’indique l’histoire des deux amis en vacances; l’un décide d’aller à l’église tandis que l’autre part visiter une maison close. Pendant l’office, le garçon pieux n’arrêtait pas de penser au ‘bon temps’ qu’avait son copain dans la maison close, alors que l’autre, pris de remords, avait l’esprit intensément fixé sur Dieu présent dans l’église pour lui demander pardon de céder à ses mauvais penchants. Il se trouve que juste à ce moment-là, les deux compères décèdent simultanément de mort subite  . Celui qui était dans la maison close va au paradis et l’autre en enfer.

Ceci dit, le renoncement extérieur est aussi important : un changement que j’ai vu en Inde depuis cinquante ans que j’y vis, c’est que les sannyasis ont l’air de regarder avec un sourire condescendant maintenant ceux qui ont les signes de renoncement extérieur et ils accumulent les biens matériels. Quand je suis arrivé en Inde au début des années cinquante, on s’attendait à ce qu’un sannyasi ait tout les signes extérieurs du renoncement.

 

En parlant de qulequ’un qui habitait depuis plusieurs années près de l’ashram pour sa sadhana :  cela prend du temps pour aller au-delà du temps.

 

Q : Pourquoi certaines personnes méditent mais ne semblent pas progresser?

V : Cela me rappelle ce que disait Laënnec à propos du traitement de l’oedème aigu du poumon : ‘Commencez par vider la voiture avant de fouetter les chevaux’. C’est à dire qu’il faut débuter par saigner l’individu avant de donner des stimulants cardiaques, car ainsi le travail du coeur est moindre et celui-ci ne risque pas de flancher complètement. De même, en début de sadhana, il faut commencer par se débarrasser de beaucoup de négativités avant de commencer à stimuler l’énergie par des pratiques de méditation intensives. Sinon on risqe une ‘insuffisance cardiaque aigüe’, c’est à dire que rien ne marchera plus.

 

Q : Pourquoi ne donnez-vous pas de kriyas aux gens pour qu’ils se purifient le mental plus vite?

V : ce n’est pas avec des respirations que les gens vont se purifier le mental, c’est en changeant leur vie. Il y a une différence entre le simple excercice de relaxation qui est du domaine de la psychologie et le véritable kriya qui donne une grand intensité; pour enseigner ceux-ci à quelqu’un, il faut savoir ce qu’il va faire de son énergie spirituelle une fois éveillée, si elle ne va passer dans des réactions négatives ou être déviée vers une recherche de pouvoirs; ceux qui ont une sincérité complète pour la sadhana sont très rares, et ceux qui ont seulement même un début de motivation pour celle-ci sont encore assez rares.

 

Q : A quelqu’un qui vivait en couple et qui ne se disait jamais en colère, bien qu’il se demandait si c’était normal ou si c’était du refoulement:

V : Au  début, le refoulement est un moindre mal, c’est bien meilleur que de laisser la colère s’exprimer par des mots, voire même par des actes violents. (après avoir plus parlé avec le visiteur). Vous n’observez pas le brahmacharya? Pour ceux qui le font, la colère n’est pas une mince affaire à maîtriser, car elle vient au fond du désir frustré. La colère donne une blessure du corps pranique; Si elle est répétée, celle-ci peut se manifester sous forme de maladies somatiques. (En parlant d’un sadhu de l’ashram dont le comportement parfois indiscipliné lui valait de vives récriminations): On lui reproche d’être un peu fou, mais il doit avoir un certainement avancement spirituel car il ne répond jamais aux critiques qu’on lui fait par la colère.

 

Q : Le contentement est-il une qualité fondamentale de la sadhana?

V : Oui. Il y avait un sage hassidique auquel on demandait d’expliquer le contentement. Il a répondu en disant: ‘allez plutôt voir Zisia’. (Zisia signifie le doux) Celui-ci était un homme très pauvre et qui d’après les critères du monde avait eu toutes sortes d’ennuis et de souffrances dans la vie. Quand  les visiteurs se sont mis à évoquer cela, il s’est mis a rire et à dire : ‘demandez à quelqu’un qui a souffert; en ce qui me concerne, je n’ai jamais eu de souffrances!’ Cétait un fou de dieu, ce que les autres considéraient comme malheur n’était pas tel pour lui. Un jour, il s’était fait battre comme plâtre, mais à la place de se défendre il riait. Il faisait partie de ses grands fidèles de Dieu qui peuvent opérer un miracle en proférant un seul mot.

 

Q : Quelle est le rôle de l’humilité?

V : Si quelqu’un est arrogant vous pouvez être sûr qu’il n’a pas atteint un niveau spirituel élevé. (A propos

d’un guru qui était fâché qu’on ait omis de mettre son nom dans un programme où il était invité): Plus les gurus ou chefs religieux sont élevés, plus ils sont sensibles à l’insulte; ils s’attendent à être respectés, alors qu’un enfant, si on l’envoie promener, s’en moque complètement. Il y aura toujours des raisons d’être fâché, alors, au fond, pourquoi se fâcher? Et pourquoi un sage serait-il arrogant? Son corps est sujet à bien des maladies et est impermanent, son mental produit toutes sortes d’absurdités et son Soi ne lui est en fait pas personnel, il est le même qu’en tout un chacun.

 

Q : Est-il utile de faire des voeux de silence?

V : En fait, je connais la meilleure manière de garder le silence : c’est d’être silencieux quand on ne parle pas. Cela paraît une plaisanterie, mais c’est au fait le signe d’un haut niveau spirituel : dire brièvement ce qu’on a à dire, et après avoir un mental complètement vide, ‘blank’ comme on dit en anglais.

 

 

 

2)                  La psychologie spirituelle

 

Q : Qu’est-ce que la psychologie spirituelle.

V : C’est le silence.

 

Q : Le meilleur fil directeur en méditation n’est-il pas le ressenti?

V : D’habitude, ce ressenti correspond à un paquet de surimpositions, mais lorsqu’on réussit à calmer le mental et à avoir un perception vraiment pure, on est très proche de l’Absolu.

Q : Quand on a les yeux fermés en méditation, la seule perception pure est celle du corps.

V : Peut-être, mais en fait la perception du corps est complètement déformée par les représentations qu’on s’en fait. Quand on a atteint l’arrêt du mental, il n’y a même plus de sensations à percevoir.

Q : C’est la perception directe de l’être.

V : Il n’y a même plus de perceptions; c’est la subjectivité pure.

 

Q : (Un Allemand qui avait visité quelques védantins) Pour me débarrasser de l’égo, j’observe ma colère, toutes mes émotions et je me dis qu’au milieu de tout cela il n’y a pas d’égo.

V : Ce sont des mots. Là où il y a de la colère, il y a de l’égo, là où il n’y a pas de colère il n’y a pas d’égo. Ceci dit, il est vrai qu’il ne faut pas chercher à ‘tuer’ un égo qui de toutes façons n’a pas d’existence fondamentale. Ce serait comme prendre un bâton et essayer de tuer une ombre en lui administrant de grand coups.

 

Q : Vous vous êtes mis à la sadhana pendant la guerre où votre vie était constamment en danger et après où les horreurs de cette guerre sont venues en surface. N’en avez-vous pas été perturbé?

V : Non, pas même pendant que cela ce passait. Je prenais cela comme un jeu, les uns poursuivaient les autres, c’était comme une parite de gendarmes et de voleur; Et puis après les évènements, comme le passé n’a plus de réalité, il n’y avait pas lieu d’en être perturbé non plus.

 

Q : Si le passé n’a pas de réalité, quel sens reste-t-il à la Tradition?

V : En fait, la tradition est vécue dans le présent, quand on suit ce que le guru nous dit de faire. Du point de vue relatif et empirique, la question du passé et de son héritage existe, mais du point de vue absolu et dans l’expérience du sage, ce genre de questions ne se pose plus. Si vous vous les posez, c’est que vous êtes encore sur le plan empirique.

 

Q : Comment différencier l’être mental et l’être vital?

V : Pour connaître l’être mental d’une personne on se base sur son visage et sur sa voix; pour percevoir son état vital, il suffit d’être proche physiquement de l’autre ou de lui prendre la main pendant quelques temps. Le corps yoguique est atteint quand il y a l’union du masculin et du féminin à l’intérieur; le corps causal est appellé ainsi car il correspond à cette partie de l’égo qui passe d’une existence à l’autre, et représente donc la cause des renaissances. A un stade de la sadhana, le corps  subtil peut être vécu comme un manteau merveilleux donné par le Guru; on voudrait que personne ne vienne y toucher; Mais c’est de l’orgueil, on doit aller au-delà. Tout ceci est une question d’expérience.

 

Q : Peut-on dire que le samadhi est une forme de sommeil?

V : J’ai trouvé une façon d’être complètement conscient alors que le corps est comme endormi, par exemple quand je reste allongé au peit matin, ou même assis. Ceci dit, ce n’est pas le samadhi, car dans celui-ci il y a en plus une joie intense. Les expériences proches de la mort ne sont pas réellement des expériences de mort mais donnent une expérience de bonheur et de lumière comme on peut avoir dans le sommeil profond.

 

Q : Beaucoup de gens venaient à Ma, ou viennent actuelllement à Amma pour une guérison. Peut-on dire que ces sages voient les maladies?

V : Ils voient l’origine spirituelle des maladies sous forme d’esprits qui possèdent le corps et apparaissent dans certaines parties.

 

3)                  La Bhakti

 

Q : Peut-on vivre sans désirs?

V : Pour la plupart, les désirs, le rajas est nécessaire; C’est ce qui peut les sortir de la torpeur, du tamas. Tout dépend du niveau des gens. On ne peut pas vivre sans amour. L’amour mystique est le seul où l’on puisse obtenir la fusion totale. La fusion de l’amour physique ne dure pas.

 

  (A un vieil homme qui souffrait de glaucome) Pour vous, il vaut mieux vous concentrer sur le coeur que sur l’ajna; mais ce n’est qu’un stade, un marche-pied pour pouvoir ensuite visualiser l’énergie dans le coeur de tous les autres et puis après de tout l’univers. A ce moment-là, vous débouchez sur le Sans-forme.

 

Q : Est-ce que finalement tout n’est pas l’effet de la grâce?

V : Cela dépend de ce que vous mettez exactement sous le mot grâce. Quand vous appelez ce que vous considérez être le Dieu personnel, il y a un écho qui vous revient qui en fait n’est pas différent de vous-même mais qui est au-delà de votre égo.

 

Q : Des fois, je réussis à pacifier mes émotions pendant un peu de temps, mais ensuite cela reprend de plus belle!

V : Il ne suffit pas d’atteindre une sorte de ‘paix intellectuelle’; il faut donner à la base du mental ce qu’il aime, c’est à dire par exemple un rasa intense de joie, pour qu’il soit vraiment attiré et stabilisé. Quand on est dans les émotions on est emporté. Quand on les dépasse, l’accent passe sur la conscience pure accompgnée de joie.

Q : Mais la joie est aussi une émotion?

V : Non, dans ce cas-là les émotions sont changeantes mais la joie de la pure conscience est stable; ceci dit, il y a des jours où l’on n’a pas d’émotions à diriger vers le Divin, à ce moment là on peut pratiquer l’atma vichara, le qui suis-je’ par exemple. Si cela ne vient pas non plus, il y a quelque chose que vous pouvez faire pour arrêter le mental au moins momentanément; c’est d’arrêter votre respiration poumons vides ou poumons pleins, comme vous sentez. Vous rassembler toute l’énergie dans le coeur et de rester comme cela le plus longtemps possible. On peut aussi faire ses pratiques de méditations habituelles avec des concentrations sur différents chakras, mais se les représenter dans une sorte de double de son corps à un ou deux mètres en avant de soi.

 

5) Le Jnana

 

Q : Faut-il voir le monde comme une illusion ou comme une réalité, ou comme le corps de la Mère divine?

V : Ramakrishna avait un maître védantin qui s’appelait Totapuri. Celui-ci avait eu le nirvikalpa sama dhi; Ramkrishna n’avait pu l’obtenir à cette époque, mais il voyait le jeu de la Mère divine dans le monde, qui était rejeté par TotoPuri comme illusion, maya. Chacun a enseigné à l’autre ce qui lui manquait. Ramakrishna avait pu faire le lien, la navette entre le samadhi et la samsara. Védanta signifie l’accomplissement des Védas. En Inde, c’est la métaphysique qui correspond à la culmination des trois premiers ashramas dans le quatrième, c’est à dire le sannyasa. C’est le résultat de toute une formation du comportement et de pratique de la bhakti pendant le stade d’étudiant, de maître de maison et de vanaprastha (en retraite dans la forêt). Le védanta ne consiste pas en des discussions interminables plus ou moins psychologiques comme on le croit en Occident. Les occidentaux n’aiment pas trop l’idée ‘le monde n’est qu’un rêve’: Il faut comprendre qu’il ne s’agit que d’un stade, après on retrouve une réalité au monde mais avec un point de vue autre en ce sens qu’on n’y voit que la pure conscience. C’est ce que dit le  zen : ‘au début les montagnes sont les montanges, ensuite elles ne le sont plus puis vient un stade où elles le sont de nouveau.’ Si on cherche à se concentrer directement sur la conscience pure, au bout d’un certain temps on s’endort. C’est pour  cela qu’il faut un élément affectif, une joie, un amour dans la méditation.

 

Q : Il semble qu’il y ait beaucoup de ‘pensée positive’ dans le védanta. Ramana Maharshi par exemple conseillait souvent à ses disciples de lire la Ribhu Gita qui répète sans cesse ‘je suis le Soi, l’infini, le sans-limite’… Qu’en pensez-vous?

V : C’est pour les débutants. Pour ceux qui sont pous avancés, observer le mental sans le contrer est suffisant,c’est le meilleur moyen de le calmer.

 

6) Kundalini

 

Q : Que signifie ‘ouvrir les canaux d’énergie?’

V : Quand j’étais à Almora en 1954, j’ai travaillé pendant un an continûment sur l’ouverture des nadis Grâce à cela, je savais que je pourrais obtenir une chasteté parfaite sans conflit intérieur ni répression et aussi une immunité contre les maladies. L’ouverture s’est faite en plusieurs phases. Un jour j’ai entendu Ma qui disait  à sa mère en bengali : khuliatsé ce qui signifie ‘ça c’est ouvert’. J’avais ressenti quelque chose d’important.

Cela sert de lire des livres comme le Yoga Tibétain d’Evans-Wentz: Cela donne une base intellectuelle et traditionnelle aux expériences qu’on peut avoir. Sinon on les interprète de façon personnelle et ça peut donner des résultats bizarres. L’intérêt des gurus qui enseignent des techniques de méditations très précises comme les tibétains, c’est que leurs disciples ont le sentiment de suivre un chemin fréquenté et sûr.

Les nadis latéraux s’ouvrent sur les côtés du coeur. Il faut d’abord bien confirmer l’éveil de ceux-ci ensuite vient l’éveil du canal central qui correspond à un silence complet du mental. On parle aussi de l’éveil du Kurma nadi qui favorise une posture très ferme et bien redressée. De manière générale il faut repérer les pratiques qui mènent au silence du mental et les suivre à fond. Si l’on décide de faire descendre l’énergie jusqu’au muladhara, il faut déjà avoir une bonne purification mentale pour soutenir l’éveil sexuel que cela donne, et ce sans régression dasns la sadhana.

Il faut distinguer dans l’éveil des nadis s’il s’agit de la gauche ou de la droite. Leur rasas, goûts, saveurs sont différents. C’est une expérience psychophysiologique qu’on sent clairement et qui correspond aussi à un état mental. L’énergie peut également se bloquer dans l’ascension des nadis. Quand ceux-ci sont ouverts, il faut vivre en solitude. Les relations sexuelles sont impossibles.

Q : Dans ce cas-là, pourquoi le guru n’ouvre-t-il pas les nadis à un maximum de gens?

V : Il ne le fait pas, car s’il éveille l’énergie chez des disciples qui n’ont pas la pureté mentale nécessaire, elle va passer en direction des émotions perturbatrices.

 

Q : Est-ce que cette ouverture correspond à une pratique consciente ou est spontanée?

V : En fait, c’est une émotion intense qui pousse le prana dans les nadis. Cela peut être la colère, mais la meilleure émotion est un amour intense pour le Guru. Des Sadgurus comme Ma pouvait ‘ouvrir le tunnel’ comme un géant percerait une montagne d’un coup de pouce en disant aux ouvriers :’Terminez le petit travail par vous-même’. Quand on n’a pas l’ouverture des nadis, on n’est pas encore un vrai sadhaka. Au début, j’avais du mal à ouvrir les nadis quand les narines correspondantes étaient bouchées, après les deux phénomènes sont devenus indépendants. A un moment, je me suis mis à cesser de travailler les nadis pour faire du védanta, de l’observation pure du mental. C’était plus confortable, il y avait moins d’intensité émotionnelle; mais Ma me l’a reproché. Un jour, elle m’a dit en me regardant du coin de l’oeil en satsang :nadi khulne se kitna labh hê. ‘Dans l’ouverture des nadis il y a tant d’avantages’ J’ai donc repris la pratique d’ouverture des nadis. Tous ces phénomènes de nadi ne sont pas de la théorie, je les vois comme s’ils étaient en face de moi. Par leur ouverture, on peut expérimenter les rasas à volonté; mais il ne faut pas se perdre dans ceux-ci, ce serait un obstacle au samadhi que Patanjali appelle rasavada. Il faut expérimenter une première phase du retour sur soi qui revient de l’objet de sensation, par exemple du plaisir, jusqu’au plaisir lui-même qui reste une expérience locaalisée.  Puis dans une seconde phase on revient à celui qui observe ce plaisir, et on arrive au niveau de la joie sans objet, à la subjectivité pure.

 

Q : Est-ce que le yogui visite les mondes subtils?

V : Il y a sept mondes supérieurs, parmi lesquels le Devaloka, le Brahmaloka, etc.. Cela est en lien avec la sadhana des sept chakras, à chaque niveau on a des visions, on se promène dans des plans subtils, enfin on s’amuse… Cependant, dans le Jnana, on ne tient pas compte de ces mondes subtils.

 

Q : L’ouverture des nadis est-elle nécessaire pour obtenir le samadhi?

V : Oui, le samadhi vient de l’union des deux courants d’énergie, posif et négatif. Lorsque ces deux énergie entrent en coalescence, il ya une félicité intense qui survient et c’est le samadhi.

 

A propos d’une photo de Ma où elle est jeune et elle a la tête penchée sur le côté, en extase :

V : Ce n’est pas un samadhi, c’est un bhav (un état intérieur spirituel passager et moins profond que le samadhi). Dans le samadhi, la colonne est droite, dans l’axe, cela facilite le passage de l’énergie jusqu’à l’ajna. Il y a perte de conscience du monde extérieur. En mettant la tête sur le côté, c’est à dire en s’appuyant sur une des deux nadis latérales, on évite cette perte de conscience et on reste au niveau du bhav.

 

Q : Est-ce que chez les Yoguis, il y a aussi des variations, des rythmes de l’énergie vitale?

V : Oui, cela m’arrive assez régulièrement. Il y a trois jours dans un pôle, négatif ou positif, et puis ensuite, assez rapidement, parfois en quelques minutes, ou en quelques heures, ça s’inverse. Ce qu’il y a d’intéressant à remarquer, c’est qu’il y a le plus souvent un catalyseur extérieur à ce changement : même en solitude, vous pouvez avoir une visite, ou un petit problème, etc… Si on n’est pas conscient de ce rythme, on projettera sur le catalyseur extérieur l’origine du changement d’humeur. Par contre, si on en est conscient, on se contentera d’observer ce phénomène de dvandva, de paires d’opposés qui fait partie des lois du corps, ou en Inde on dirait de notre prarabdha karma. En n’y réagissant pas, on ne crée pas de second karma venant compliquer le premier.

 

7) Vijayananda sur lui-même

Q : Est-ce que vous pratiquez le mantra?

V : Quand je vaque à mes occupations quotidiennes, la cuisine, etc…je le récite pratiquement constamment. Mais lorsque je m’asseois pour méditer, je le laisse.

 

Q : Une visiteuse : Quand je vais chez quelqu’un et que je vois que les plantes sont mal soignées, c’est comme si je les entendais crier.

V : Moi-aussi, je ne cueille pas de fleur, même une feuille, car j’aurais le sentiment de créer une souffrance pour la plante. A Calcutta, vers le début de mon séjour en Inde, j’avais une relation spéciale avec un arbre de l’ashram. J’allais le caresser tous les jours. Il avait une branche desséchée. Un jour, j’ai eu l’idée de la caresser en disant intérieurement :’Si Dieu veut, des bourgeons vont venir sur cette branche aussi’. Le lendemain, ils sont venus. L’intéressant, c’est que quelques jours plus tard ils n’y étaient plus, quelqu’un avait sans doute dû les arracher. C’est comme si je ne devais pas pouvoir me vanter d’avoir fait un miracle.

 

Q : Le dépouillement aide –t-il à la sadhana?

V : Quand j’habitais à l’ashram de Bénarès, Arthur Koestler est venu me visiter. A l’époque, je n’avais pas de lit et il l’a mentionné dans son livre. En lisant ce livre par la suite, le manager de l’ashram, Panuda, a réalisé cela est est venu protester auprès de moi en me disant :’Pourquoi ne nous l’avez-vous pas dit plus tôt? Nous vous en aurions donné un!’ Et finalement il m’en a donné. Je ne suis pas du genre à demander. Ma elle-même vivait très simplement.

 

Q : Vous couchez-vous parfois pour cause de maladie?

V : Très rarement; pendant un demi-siècle ou plus je ne me suis jamais couché, il n’y a qu’en 1993 que j’ai dû être hospitalisé quinze jours pour dysenterie. En me  couchant, je trouve que ce serait reconnaître ma défaite devant la maladie.

 

Q : Qu’est-ce que ça fait de vieillir?

V : C’est très bien; quand vous avez mis votre maison en ordre, vous retrouvez ce dont vous avez besooin tout de suite. Il en va de même avec votre mental quand vous avez travaillé sur vous-même. De plus, si vous avez été très intense dans votre sadhana, cette intensité même a pu être un obstacle. Avec l’âge elle diminue, et cela vous permet en fait de passer l’obstacle. Evidemment, je n’ai absolument pas peur de la mort. Cela m’aide aussi à profiter de mes vieux jours. Et puis, je peux communiquer avec de jeunes et jolies jeunes femmes sans qu’il n’y ait aucune trace d’ambivalence. Je suis également dans le même état quand je médite et quand je suis avec les gens.

 

V :  (Une disciple proche) Vijayananda, je voudrais que vous nous écriviez des maximes de sagesse.

Q : Un sage n’ira pas  écrire des maximes de sagesse, cela ferait trop pédant. Ce qu’il y a de possible, c’est que ses disciples notent de ses paroles.

 

 

III) LE YOGA ET L’OCCIDENT

 

Q : On parle maintenant souvent du védanta en Occident. Pensez-vous que le passage d’une culture à l’autre se fasse dans de bonnes conditions ?

V : Les deux piliers du védanta sont  vairagya, le détachement et viveka, le discernement. S’il n’y a pas cela, c’est du védanta occidentalisé qui risque de se terminer dans les mots. Il ne suffit pas de lire Shankaracharya ou d’apprendre du sanskrit, il faut pratiquer. Après une période de début où l’on peut étudier toutes les voies, il est mieux d’en choisir une et d’étudier les Ecritures sacrées de cette voie précisément. Par exemple le védanta est la culmination des Védas et des Upanishads et est lié au quatrième des ashrams (stades de la vie), qui est le sannyas. En sautant d’une voie, d’un guru à l’autre les occidentaux finissent par prendre des itinéraires qui paraissent bizarres et à s’imaginer qu’ils suivent des enseignements très élevés alors qu’ils n’ont pas de bases solides. Par exemple, les Juifs ont une tradition de sexualité sacralisée, mais il faut pratiquer cela avec toute la base de la Torah. De toutes façons je ne connais pas les détails, ce n’est pas ma ligne. On raconte qu’à la mort de sa femme le Baal Shem Tov a dit :’je pensais que si je mourais le premier je pourrais monter au ciel dans un char de feu’. Mais maintenant qu’elle est morte, j’ai perdu la moitié de mon pouvoir’. J’ai un ami qui avait acheté une vriae montre Rollex très coûteuse, mais comme il avait peur de se la faire voler, il a aussi acheté une Rollex d’imitation qu’il porte habituellement. En Occident, c’est comme cela. Les gens font une sadhana d’imitation car ils ne savent même pas les exigences de la vraie sadhana. En Inde aussi, il y a peu de vrais sadhakas, mais au moins les gens connaissent les exigences de la sadhana authentique. Les occidentaux souvent intellectuallisent de trop. C’est un grand obstacle, surtout quand on approche un sage. En face de lui ou d’elle, il faut savoir être comme un enfant. Si Saint François d’Assise est si populaire en Occident, je ne crois pas que ce soit seulement à cause de son amour ou de son contact étroit avec la nature, je pense que c’est surtout à cause de son humilité.

 

Q : A votre avis, pourquoi y a-t-il quatre fois plus de suicides en France qu’en Inde ?

V : Ce pourquoi les gens se suicident en Occident, c’est qu’ils ont exploré tous les désirs possibles, qu’ils voient que cela ne mène nulle part mais qu’ils n’ont rien à mettre à la place. Les gens qui savent se discipliner ont toujours de l’espoir et l’espoir fait vivre.

 

Q : L’Inde croit aux asuras, aux ‘démons’ qui peuvent cependant avoir de bons côtés comme les dieux ont leurs mauvais côtés, mais elle ne croit pas au ‘Prince des Ténèbres’, au Mal absolu comme le christianisme ou le judaïsme récent. Quel est l’avantage du point de vue indien ?

V : La croyance au Diable des premiers moines chrétiens par exemple est bonne pour les gens qui ont un tempérament agressif, cela leur donne un ennemi pour se battre. En fait, dans la Bible, le Diable n’est qu’un petit bonhomme, c’est Dieu qui a tout cré, le Bien et le Mal, le Diable n’est qu’un serviteur. Par contre, dans la Cabale, il devient si important qu’on n’ose même pas prononcer son nom de peur de l’invoquer. On l’appelle par les deux premières lettres de son nom, Samaël cad  samachem. Ce nom signifie l’ange aveugle, et on le désigne par ‘l’autre côté’. Il y a sans doute une influence manichéenne sur le judaïsme tardif. Un jour, le Baal Shem Tov a prononcé le nom complet de Satan malgré l’interdit. Celui-ci est venu furieux, en protestant :’je n’ai été dérangé que deux fois par les appels des hommes, la première fois par Eve au Jardin d’Eden, et la seconde lors de la destructiondu Temple ; que me veux-tu ? A ce moment-là, le Diable se met à voir la lumière sur le front des disciples du Baal Shem Tov, et il en est tellement impressionné qu’il est bien obligé de remercier celui-ci de l’avoir fait venir.

 

Q : Pensez-vous que le bouddhisme puisse beaucoup apporter à l’Occident ?

V : Oui. Déjà, dans le bouddhisme ancien on insite sur la vigilance qui est effectivement le fondement de la sadhana. Cependant il faut bien comprendre le sens de vipassana : ramener ses émotions, son activité mentale au corps pour les calmer et maîtriser. Mais le corps n’est pas une fin en soi, sinon ce serait une sorte d’hypocondrie ; et quand on sent qu’on perd le contrôle pendant des périodes de méditation intensive, il faut savoir arrêter tout de suite, sinon il y a un danger de ‘dérailler’; le zen peut aussi beaucoup apporter aux occidentaux, il est proche du védanta, il coupe à la racine la tendance intellectualisante ; il a bien les pieds sur terre et pourtant la tête dans le ciel. Un jour un maître zen a posé une question à son disciple et celui-ci lui a répondu en citant les Ecritures bouddhistes, etc… Le  maître a seulement dit : ‘il y a trop de bouddhisme dans ce que tu racontes’….

 

Q : Une visiteuse occidentale qui était souvent à l’ashram de Ma entendait parler au satsang de la beauté de la veillée Pascale dans le judaïsme et le christianisme. Elle demanda :’Est-ce que à cause de mon manque de formation religieuse de base je n’ai pas un grand handicap sur la voie spirituelle?’

V : Non. Religion signifie relier, unir, comme le mot Yoga. Vous suivez le Yoga, donc vous avez une religion. On peut aussi dire que vous avez la religion de Ma, puisque vous passez longtemps ici pour suivre son enseignement… Il n’y a pas besoin d’attendre la Réalisation pour être complètement indépendant du guru extérieur. Cela se fait quand il y a l’éveil du guru intérieur.

 

 

                                                                                          Kankhal, septembre 1999