VIJAYANANDA

 

 

 

LES ENTRETIENS

DE

KANKHAL

 

Premier recueil

1986 - 1989

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Propos réunis et transcrits

Par

Jacques VIGNE

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

 

 

 

Après la rédaction de son ouvrage ‘ Sur les traces des Yogis ’, VIJAYANANDA a passé sept ans dans un ermitage à DAULCHINA, sur un sommet boisé près d’ALMORA ; puis il est redescendu à KANKHAL près d’HARDWAR, à l’endroit où le Gange rentre dans la plaine. Ma lui avait conseillé de revenir dans ce grand ashram où elle résidait très souvent avant sa mort en 1982 et où elle a maintenant son samadhi. VIJAYANANDA y poursuit depuis quatorze ans sa sadhana ; il a été nommé un temps président de l’ashram : destinée étonnante pour un ancien médecin français, consistant à se retrouver à la tête d’une grande institution hindoue connue pour sa stricte orthodoxie, brahmanique. Matri-lila, le jeu de Ma se     poursuit …

 

Il reçoit des chercheurs spirituels qui souhaitent une information de première main sur Ma, ou sur l’expérience du yoga. Les questions et réponses  suivantes sont tirées de ces entretiens informels, individuels ou en petit groupe, qui se sont déroulés au fil des ans. La plupart des réponses ont été rédigées par ceux qui les ont reçues et relues par VIJAYANANDA pour parer à d’éventuelles erreurs de mémoire. Les réponses sont spontanées et adaptées à celui qui pose la question. Néanmoins, beaucoup d’entre elles ont une portée générale qui leur permet d’être reprises dans cet ouvrage. D’autres réponses ont été rédigées par VIJAYANANDA, lui-même, pour paraître dans ‘ JAY MA ’, un journal trimestriel consacré à l’enseignement de MA ANANDAMAYI. En dehors de cela, et de réponses aux lettres personnelles qu’il reçoit, VIJAYANANDA n’écrit pratiquement plus depuis une vingtaine d’années.

 

Comme le but du texte est de parler de Ma et du Yoga, il rend mal compte de la manière spontanée dont VIJAYANANDA sait entremêler ces sujets avec la conversation courante, sur la vie quotidienne. Le lecteur, n’ayant pas été présent aux entretiens, ne sentira guère l’adéquation exacte entre l’attitude de VIJAYANANDA  et la demande, dite ou non-dite du visiteur. Il ne réalisera aussi que  très partiellement le parfum de vérité, d’authenticité qui pénètre ces questions et réponses et qui était si évident pour les personnes présentes. Sur ce sujet, il doit faire un minimum de confiance à leur témoignage.

 

Par contre, il réalisera sans doute que les principaux points qui sont discutés éclairent la sadhana, éclairent un enseignement qui était le même il y a dix mille ans, et qui sera le même dans dix mille ans. Il appréciera aussi probablement la manière dont VIJAYANANDA , avec sa simplicité enfantine, joue le jeu éternel du yoga. Puissent ces entretiens éveiller, ou réveiller en nous une compréhension juste de la voie spirituelle, et nous encourager à réaliser les vérités entrevues au cours de la lecture de ces quelques pages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première partie

 

REPONSES  ECRITES

 

Dans la revue ‘ JAY MA ’

1986  -  1989

 

 

 

Q :  Pourquoi la souffrance ?   Une mère véritable ne peut pas tolérer que ses enfants souffrent.

V :  Oui, n’est-ce pas, ce serait si merveilleux de vivre dans un monde où il n’y aurait que bonheur et joie ! Oui, pourquoi un Dieu que nous imaginons plein d’Amour a-t-il créé un monde si plein de douleur ?  Mais qu’est-ce donc que la Création ?

 

            Au début, il n’y avait que l’Un-sans-Second qui est paix et bonheur absolus. Quand l’Un-sans-Second s’engage dans le jeu de la multiplicité, alors apparaît ce que l’on appelle l’Univers, la Manifestation. Cet Univers est caractérisé par la diversité. Tous les éléments de cette diversité forment un bloc et sont inséparables les uns des autres, puisqu’ils ont tous leur source dans l’Un. Par exemple, quand la lumière du soleil apparaît comme un arc-en-ciel, les sept couleurs de l’arc-en-ciel sont inséparables les unes des autres. On ne peut pas demander que l’arc-en-ciel n’ait qu’une seule couleur, celle que nous préférons (rouge ou bleu, etc…). Pour revenir à l’unité, les sept couleurs doivent se fusionner. Ainsi dans notre monde, les opposés : le bien et le mal, le plaisir et la peine, etc… ne sont pas séparés les uns des autres, ce ne sont que les deux aspects de la même chose, comme les deux faces d’une pièce de monnaie. Si nous acceptons le plaisir, il faut aussi accepter sa sœur jumelle, la souffrance. La seule manière d’échapper à la souffrance, c’est d’aller au-delà du plaisir et de la peine, là où il n’y a plus que l’Un-sans-Second. Mais, qui est-ce donc qui souffre ?

            C’est lui-même le suprême qui joue le jeu de la dualité, qui joue le jeu du plaisir et de la peine. C’est lui qui a fait les règles du jeu et qui les observe.

            Mais en fait, vu d’un angle plus terre-à-terre, la souffrance est peut-être le meilleur élément dans ce jeu. Car elle nous rappelle  -durement quelquefois-  (comme on secoue un homme qui s’endort dans la neige), que ce jeu est transitoire, qu’un jour il y aura la mort, puis une renaissance pleine d’imprévus et de nouvelles souffrances et qu’il faut nous hâter de nous échapper de ce tourbillon.

Q : Si le désir originel n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu de création. Peut-on vivre sans désir ? S’il n’y a pas l’Amour, il n’y a pas d’existence …

V : L’Amour et le désir sont deux choses différentes. L’Amour (le vrai) surgit de la plénitude, de la richesses intérieure. Il veut donner, toujours donner et ne demande rien en échange.

            Le désir est une souffrance, un état de besoin. La personne qui désire sent qu’il lui manque quelque chose ; que si elle réussit à obtenir cette chose, elle pourra enfin goûter de la paix et du bonheur. Mais elle est toujours déçue et va chercher satisfaction dans d’autres désirs, le désir a son utilité dans la création inférieure. Il secoue l’inertie (la TAMAGUNA) et la transforme en un mouvement (la RAJAGUNA). Ce mouvement est le résultat de deux forces opposées. D’une part, l’espoir d’un plaisir, d’une jouissance et, d’autre part, une peur. La peur de la souffrance et cette terrible peur de retomber dans l’inertie de la brute.

 

Q : Et si la question sous-entend le désir ultime, celui de la soif du Divin, ce que le Maharshi appelle le besoin réel ?

V : Le désir primordial qui a créé la manifestation du monde et la soif du Divin sont deux mouvements à direction opposée. Le désir primordial a tendance a créer la multiplicité, avec de plus en plus de désirs secondaires. La soif du Divin tend vers l’Unité qui passe par l’extinction de tous les désirs.

            L’esprit de service aux autres est inhérent à ma nature et cependant la vie me tient à l’écart de tous, vivant seul depuis près de quarante ans. Cela me paraît une frustration parfois, bien que ne vivant que pour la sadhana[ et la réalisation.

 

L’esprit de service aux autres sert à purifier le mental. Le plus grand service qu’on peut rendre à l’humanité, c’est de travailler pour la réalisation du Soi. Ceux qui ont besoin de votre service viendront naturellement sur votre chemin.

 

A quelqu’un qui voulait prendre le Sanyas

V :  Vous désirez prendre le Sanyas ?  Mais qu’entendez-vous exactement par là ?  Est-ce simplement l’attitude mentale qui y correspond ou bien l’initiation cérémonielle du Sanyasi ?  L’attitude mentale correspondante est bien sûr la chose la plus  importante et, en fait, la seule qui compte réellement.

            SANYASA veut dire littéralement RENONCIATION TOTALE. Cela vient quand on a compris, au plus profond de soi-même, la vanité de toutes les entreprises mondaines quelles qu’elles soient. Et qu’on s’est donné pour objectif unique la Réalisation de la Vérité suprême, celle qui vous libère de la nécessité de mourir et de renaître encore et encore. Et qui vous fait participer à la vie éternelle et au bonheur que personne et rien ne peut plus vous arracher.

            Quant à l’initiation cérémonielle au Sanyas, elle fait partie intégrante de la religion hindoue. C’est, pour le Brahmin (et aussi pour les autres castes supérieures), une culmination d’une vie religieuse. C’est le dernier des quatre Ashrams : le premier étant celui de Brahmachari, une jeunesse dédiée à l’étude et à la vie pure et chaste. Le deuxième étant celui du Grihristha, l’homme marié qui fonde une famille pour transmettre à ses enfants la connaissance qu’il a acquise. Puis, le troisième, l’avant dernier, le Vanaprashti, quand ses devoirs familiaux ont été accomplis et qu’il se retire (le plus souvent avec son épouse) dans la solitude.

            Cultivez l’attitude mentale du Sanyas là où vous vivez ‘ Comme la feuille de lotus qui vit dans l’eau sans être mouillée ’.

 

 

Q : Swamidji, dîtes-nous quelques mots de cette joie au-delà de la joie et de la peine.

V : Mais elle est tout à fait au-delà de la pensée et des mots, et ne peut pas être exprimée en paroles. C’est cette même joie qui se reflète imparfaitement dans les choses mondaines. Mais les plaisirs des sens nous mènent vers l’extérieur, et cette joie est à l’intérieur purement subjective. Ce sont deux directions opposées. Pour que le ballon captif puisse s’envoler, toutes les attaches doivent être coupées. S’il ne reste qu’une seule corde il ne pourra pas s’envoler. De même aussi longtemps qu’il existe une seule attache mondaine CELA ne peut pas se révéler.

 

Q : Que pensez-vous des écoles de psychologie occidentale qui disent que quelqu’un en bonne santé psychique doit affirmer son ego ?

V : Cela dépend du type de personnalité. Si vous avez une personnalité tamasiqueý (asthénique), et que vous lui demandez d’effacer son ego, il va s’endormir. Il vaut mieux lui demander de s’affirmer. Si vous avez une personnalité rajasique (excitée), il faut lui demander, au contraire, de mettre son ego en veilleuse.

            Détruire l’ego ne signifie pas tout détruire, puisque l’ego n’est qu’une coquille autour du Soi. Il s’agit plutôt d’une dissection permettant de retirer la coquille et de laisser apparaître le Soi. Il ne faut pas comme dit le proverbe anglais ‘ jeter le bébé avec l’eau du bain ’. Il faut être déjà sattvique pour détruire son ego. Un sujet ordinaire qui veut détruire d’emblée on ego risque de devenir idiot.

 

 

Q : On peut se demander si, à vouloir tuer l’ego en ne faisant rien qui puisse le mettre en valeur, on n’empêche pas aussi l’existence de fleurir, librement, dans toute sa générosité bigarrée…

V : Quand ‘l’existence fleurit dans toute sa générosité bigarrée’ cela n’est jamais dû à l’ego. C’est qu’alors l’ego a laissé filtrer à travers son voile épais quelque chose de la gloire de l’Atman (le Soi, l’Eternel).

            Tout ce qui est Lumière, Joie, Beauté, Pouvoir, vient de l’Atman. L’ego ne fait que les déformer. Chez un sage qui n’a plus d’ego, cette lumière brille dans toute sa splendeur.

            Il ne s’agit pas de tuer l’ego . Ce n’est qu’une ombre. On ne peut pas tuer une ombre. Par la discrimination, on finit par découvrir que cette ombre n’a aucune existence réelle. Alors, elle s’évanouit dans le néant.

            Opposer l’humilité à l’orgueil peut être utile dans certains cas. Mais tous deux sont des aspects de l’ego.

            Pourquoi voulons-nous nous mettre en valeur, être flamboyant ?  Pourquoi cherchons-nous la joie, la richesse, le pouvoir, la beauté, la santé ?  Parce que c’est notre véritable nature ; la gloire de l’Atman qui essaye de se révéler. Mais nous sommes identifiés au complexe corps - force vitale - mental et nous tentons d’obtenir l’immortalité dans ce qui est périssable ; le bonheur dans ce qui est sujet à la maladie et à la souffrance ; le pouvoir dans ce qui est si vulnérable ; la beauté dans ce qui est instable et toujours changeant.

            C’est une erreur ! on ne lutte pas contre une erreur. Il suffit simplement de la reconnaître pour en être débarrassé.

 

 

Q : En Occident, la ‘ fusion ’ suscite toujours l’idée de régression. Il semblerait que nos mystiques aient tous traversé des difficultés psychologiques et que la recherche du Divin ne soit qu’une sublimation. Qu’en est-il ?

V : Certainement, les mystiques (tous ou presque tous) doivent traverser des difficultés psychologiques considérables, car le chemin qui mène vers le Divin est extrêmement difficile et rares sont ceux capables de surmonter ces difficultés.

            La sublimation des émotions inférieures n’est qu’une étape sur le chemin mystique. C’est en fait une sorte de transfert affectif (pour utiliser un terme de la psychanalyse). L’attraction, l’amour qu’on éprouve pour les choses mondaines, on les dirige vers un aspect du Divin ou vers le GURU parfait. Mais finalement, cet amour sublimé doit disparaître et le mental doit devenir totalement silencieux, vide. Et c’est dans ce vide que se révèle le Suprême, qu’on ne peut pas nommer, qu’on ne peut pas décrire, car il est totalement au-delà de toute conception mentale.

            Ce que vous appelez la ‘fusion’ c’est l’union avec le Divin. Dans un sens, on pourrait dire (en se plaçant du point de vue de la psychanalyse) que c’est un retour à la vie intra-utérine, c’est-à-dire à notre origine en tant qu’individu distinct des autres. Car pour atteindre cette fusion avec le Divin (qui est en fait notre Moi supérieur), il faut remonter la chaîne de nos formations mentales jusqu’à leur origine et atteindre alors le Grand Silence.

 

 

Q : La psychologie réfute totalement l’idée de dépersonnalisation et pourtant Ramakrishna ne donnait-il pas souvent à ses disciples l’image de la poupée de sel qui fond dans l’océan ?

V : La ‘dépersonnalisation’ dont parle la psychologie est un phénomène pathologique qu’on rencontre chez les psychopathes. L’image de la poupée de sel qui fond dans l’océan que donnait RAMAKRISHNA fait allusion à la fusion du moi individuel dans le Divin, qui est le Moi cosmique, la fusion de la conscience individuelle dans l’océan de CHIDANANDA (conscience-bonheur). L’âme individuelle se fond dans cet océan de Bonheur qui est sa nature véritable comme la poupée de sel se dissout et se mélange avec le sel de l’océan.

 

 

Q : JUNG applique le terme Atman pour qualifier la réalisation du Soi en tant que nouveau centre de la personnalité, embrassant conscient et inconscient (par opposition au moi, centre du conscient). Mais ce qu’il appelle ‘processus d’individuation’ correspond-il à l’Atman, au Soi des hindous ? Est-ce que la réalisation du Soi de JUNG ne se rapprocherait pas plutôt de ce qu’AUROBINDO appelle l’être psychique ou du ‘ je Suis ’ ?

V : JUNG est un psychanalyste et il y a une différence fondamentale entre la psychanalyse et l’étude du mental telle quelle est enseignée dans les disciplines spirituelles,  bien que ces deux méthodes paraissent similaires à première vue. Toutes deux, en effet, veulent étudier le mental et l’analyser. Mais le but de la psychanalyse est de guérir un mental malade, de transformer un psychopathe en un homme normal, capable de fonctionner dans le milieu social moderne. Et l’objectif de l’analyse dans les techniques spirituelles est d’amener le mental au silence total, à sa racine même qui est le nœud central de l’ego. Pour la psychanalyse, le mental est l’instrument précieux qui nous permet de mener une vie sociale normale. Mais pour le Sage, le mental est le voile qui masque le Réel. Et il lui faut déchirer ce voile.

            Le mot ‘Atman’ prend plusieurs significations différentes dans les textes sacrés hindous. Quelquefois, il signifie simplement la personne, l’individu. D’autres fois, on l’emploi pour désigner le Soi individuel. Enfin ce terme peut être aussi utilisé pour désigner le Soi Universel qui réside dans le cœur de chacun. C’est cette dernière signification qui est généralement acceptée dans les traductions en langues occidentales. Je ne suis pas assez familier avec le pensée de JUNG pour répondre à votre question. Mais je doute que le ‘processus d’individuation’ corresponde à la Réalisation du Soi. Car dans la Réalisation du Soi, il n’y a plus d’individu. C’est un état impersonnel d’omniprésence dont le centre est partout et nulle part.

            Je ne pense pas non plus qu’on puisse trouver des correspondances entre AUROBIDNO et JUNG, autrement que dans des similarités superficielles.  Car  spiritualité et psychanalyse sont deux disciplines fondamentalement différentes.

 

 

Q : Quelle est la place de l’Art dans la Sadhana ?

V : L’art est essentiellement (ou devrait être) une expression de la Beauté. La Beauté étant un aspect du Divin, la peinture et la sculpture peuvent  être utilisées comme une Sadhana. C’est-à-dire en partant de la Beauté objective, essayer de découvrir la Beauté transcendantale qui est le Divin Lui-même. Une fois qu’on a découvert l’essence de toute beauté, ses objectivations apparaissent comme de pâles reflets et perdent leur attrait. Peut-être dans certains cas, un sage qui a un passé d’artiste pourrait transmettre quelque chose de son expérience par la peinture ou la sculpture. Mais je n’en connais pas d’exemple.

 

 

Q : Dans les vibrations de l’amour, le mental se calme. Le mot ‘ amour ’ seul parfois suffit à faire passer dans le corps sa force centrifuge. D’où vient ensuite ce vide énorme, cette solitude ?

V : L’amour est cette tendance irrésistible que nous avons de revenir à notre état primordial d’unité. Nous sentons (consciemment ou dans notre subconscient) qu’il nous manque quelque chose, que nous sommes incomplets et nous allons à la recherche de l’Autre et de la fusion qui nous ramènera à notre état naturel. Mais cet amour a besoin d’être purifié, comme la pépite d’or qu’on doit débarrasser de la boue et des cailloux.

            Ce que la majorité des humains connaît et appelle le ‘ véritable amour ’, c’est celui entre un homme et une femme. Qui n’a pas rêvé d’aimer et d’être aimé comme Werther, comme Tristan et Yseult ? Mais cet amour limité et personnel ne peut pas mener au bonheur parce qu’il est éphémère, parce qu’il est souillé par la jalousie, par le sens de la possession, et que même quelquefois il se transforme en haine et finit toujours par une déception. Mais, si on sait le sublimer, en le transformant en amour pour le Divin ou en celui qu’on a pour un GURU, il peut mener au-delà de la souffrance et de la mort. Mais ceci aussi n’est qu’une étape qui peut et doit nous mener  -par la grâce du GURU, par la grâce du Divin- à l’amour impersonnel qui seul est le véritable amour. Cet amour se répand sur tous les êtres, sans distinction de bon ou de mauvais. Il est comme une fleur qui donne son parfum spontanément à tous ceux qui l’approchent.

            Mais aussi longtemps qu’on n’est pas établi dans l’amour parfait, il y aura des hauts et des bas. Quand la vague d’amour vient, on est suprêmement heureux. Quand elle passe, tout paraît triste et vide. Ceci est donc la nature des choses. La joie est toujours suivie de son opposé. C ’est seulement quand on a atteint la perfection et qu’on est au-delà des Gunas et des Dwandas (les paires d’opposés), qu’on n’est plus touché par ces fluctuations.

 

 

Q :  Comment reconnaître l’état du petit enfant qui est dans le saint et l’état enfantin de l’être immature ?

V :  L’état mental du petit enfant a deux facettes, l’une négative, l’autre positive.

L’enfant a un mental qui n’est pas encore développé. Par exemple, il manque de discrimination, ce qui lui fait faire et dire des bêtises. Sa faculté de concentration est faible, son attention se diffuse facilement et sa compréhension des choses, un peu compliquées, est difficile. Vous ne pouvez pas  faire comprendre à un petit enfant un problème mathématique ou une doctrine philosophique. En outre, il n’est pas encore adapté à son milieu social et fait des gaffes (qu’on prend en riant). Tout ceci est l’aspect négatif de la mentalité enfantine.

Son aspect positif est la simplicité, la spontanéité du petit enfant. Il n’a pas encore appris à dissimuler ses pensées. Il dit  ce qu’il  pense et pense ce qu’il dit. En outre, le petit enfant est sans souci, heureux (quand il est en bonne santé). Il n’a aucune obligation, pas de famille à nourrir, pas de travail, pas de devoir à accomplir. Il ne pense qu’à jouer.

Le sage, lui, n’a pas le côté négatif de la mentalité enfantine puisqu’il est suprêmement intelligent et que son amour pour tous  ne lui permettra pas de prononcer des paroles blessantes, ni de commettre des actes qui pourraient faire du mal à quelqu’un. Mais il a en commun avec l’enfant cette simplicité, cette franchise, l’absence de souci du lendemain. La vie est pour lui un jeu continuel, plein de joie et d’amusement, quoiqu’il advienne. Quant à l’individu immature à l’état enfantin, il est stupide, c’est un retardé mental ; il n’a pas en général la joie spontanée de l’enfant et pourra se livrer à des actes délictueux par ignorance des conventions sociales.

 

Q : Il semble facile d’être Un dans l’écoute d’un chant d’oiseau, l’observation d’un beau paysage… mais obtenir cette unité dans la solitude, la souffrance, etc… n’est pas évident. Etre le témoin d’un état de solitude, par exemple, ne suffit pas pour la résorber. Pourquoi ?

V : A l’écoute d’un chant d’oiseau, l’observation d’un beau paysage…, ceci est l’aspect plaisir de nos expériences. L’unité avec la solitude, la souffrance… représente l’aspect pénible des choses. Rechercher le plaisir et fuir la peine est la tendance fondamentale qu’on trouve chez tous les êtres vivants. C’est aussi le lien puissant qui nous lie à la ronde des naissances et des morts. Pour être libre, il faut donc aller au-delà du plaisir et de la peine . Comment ?

            Cela vous paraît facile d’être ‘ un dans l’écoute d’un chant d’oiseau ’, mais c’est plus difficile que c’en a l’air à première vue.  Simplement goûter la joie que cela vous donne, c’est de l’hédonisme. Ce qu’il faut, c’est se servir de ce moment de joie pour vivre totalement le présent, avec un mental silencieux, sans nommer (Oh que c’est beau ! le bel oiseau ! etc…), sans y surimposer la mémoire d’expériences antérieures, ni projeter cette expérience dans un futur identique. Si l’on est capable de faire cela totalement, alors le Réel qui est sous-jacent à toutes nos perceptions se révèlera.

            Etre le témoin d’un état de souffrance, c’est-à-dire lui faire face bravement est difficile, certes. C’est difficile surtout parce que notre mental surimpose une montagne de pensée sur cette souffrance. Il faut faire face au fait même de cette peine, telle qu’elle est dans le moment présent, avec un mental silencieux, complètement dénudé de la mémoire de ce qui s’est passé hier ou avant-hier, etc, et des craintes de ce que je deviendrais tout à l’heure ou demain. Après tout, le passé n’est que de la mémoire et le futur, de l’imagination basée sur nos expériences passées. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas de réalité en dehors de nos pensées. Seul le moment présent a une réalité empirique.

            Tout cela est très difficile certes et on ne réussit qu’après de nombreuses tentatives et échecs. Mais, une fois que l’on a réussi, l’état pénible se résorbera en ne laissant plus qu’un résidu de sensations physiques désagréables. Néanmoins, cette méthode est parsemée de pièges subtils et il est si facile de dérailler. Il est préférable  -si vous désirez la pratiquer- de la faire de pair avec les disciplines classiques.

 

 

Q : KRISHNAMURTI dit : ‘ La conscience est le contenu… Il n’y a pas de centre. Là où il y a un centre, il y a prison (même décorée du nom de Brahman)… ’.  NISARGADATTA, lui dit : ‘ Je Suis est le centre de la conscience… ’. Cela veut-il dire que KRISHNAMURTI parle d’un niveau au-dessus du ‘ Je Suis ’ ?

V : Le mot ‘ conscience ’ est employé avec des significations différentes selon les sages et, quelquefois, le même sage lui donne une valeur différente selon le questionneur ou le contexte. Par exemple, dans le livre de Pupul Jaykar sur KRISHNAMURTI (version anglaise), je lis :

A la page 167

K : Pouvons-nous étudier la conscience à partir du centre ? ’

Rao : ‘ Y a-t-il un centre ? ’

K : ‘Le centre est là seulement quand on fixe l’attention… Le centre est formé par un point dans la périphérie. La périphérie est nos possessions, notre femme, célébrité…’

Il s’agit bien ici de conscience individuelle qui n’existe qu’en fonction de l’univers que nous créons autour de nous.

A la page 376,  KRISHNAMURTI définit la conscience ainsi :

‘ La conscience est la totalité de la vie. Pas seulement ma vie, votre vie, mais aussi la vie de l’animal, de l’arbre. La totalité de la vie ’.

Ici, il est évident que KRISHNAMURTI parle de la conscience universelle.

A la page 429

‘ La conscience d’un être humain est son contenu et tout le mouvement de pensée :  apprendre une langue, croyances, rites, dogmes,  solitude, un mouvement désespéré de peur. Tout cela est conscience. Si le mouvement de la pensée se termine, la conscience, comme nous la connaissons, n’est plus … ’. 

Ici, il s’agit de l’aspect de la conscience individuelle qui n’existe qu’en fonction du mouvement mental.

Dans la phrase que vous citez, il est difficile de se rendre compte qu’elle valeur KRISHNAMURTI veut donner au mot ‘ conscience ’ dans ce cas. Il faudrait la lire dans son contexte.

Quant à NISARGADATTA, il s’exprimait en Maharathi et les mots techniques qu’il  utilisait étaient très probablement du sanscrit. Ici encore, il faudrait lire la phrase que vous citez dans son contexte pour comprendre ce qu’il entend exactement par le mot ‘ conscience ’.

 

 

Q : Comment peut-il se faire et est-ce vrai que Ma devait s’entourer de gens purs, la pureté étant sa nourriture ?

V : C’est comme si l’on disait que le médecin doit s’entourer de gens en bonne santé, car c’est son moyen de gagner sa vie.

            Ma a pris un corps physique essentiellement pour aider les gens dans leur recherche du Suprême. Et cette recherche passe par la purification du mental. Ma était entourée de gens qui avaient besoin d’être purifiés. Elle n’avait que faire de gens parfaitement purs puisqu’ils n’avaient pas besoin d’Elle. Bien sûr, les gens entourant Ma n’étaient pas (sauf cas rarissimes) des individus vicieux. Car ceux-là ne vont pas se confier à un sage.

            Il est vrai néanmoins que ceux qui faisaient le service de Ma devaient être capables d’observer certaines règles de pureté physique : chasteté, pureté de nourriture, propreté corporelle, etc… mais si Ma les gardait près d’Elle, c’est parce qu’ils avaient besoin de son aide, justement pour la purification de leur esprit. Ma avait dit que notre bonne conduite est ce qui La maintiendrait en bonne santé, mais hélas, nous avons vu qu’Elle tombait souvent malade.

            Il est vrai aussi que son corps physique était un instrument extrêmement sensible. Mais si Elle a assumé un corps physique, ce n’était pas pour le protéger mais pour absorber le mauvais Karma de Ses dévots. Et c’est étonnant ce que Ce corps a pu absorber, et néanmoins garder un équilibre relatif.

 

 

Q : BHAIJI dit que le Nom de Ma est l’unique Mantra, mais il est dit aussi que le Mantra doit être appris d’un Maître et prononcé correctement pour qu’il porte fruit. Il semble que le résultat peur être obtenu par la foi (Le Nom de Ma) ou la connaissance (la récitation appropriée du Mantra). Qu’en est-il ?

V :  Il y a deux éléments dans le Mantra. L’un est sa valeur intrinsèque en tant que mot de pouvoir, l’autre est la foi que le disciple a dans la puissance de son Mantra. Ces deux éléments se fortifient mutuellement. C’est-à-dire, plus le disciple a foi dans son Mantra, plus il est insufflé de pouvoir. Et l’inverse est aussi vrai. Si un Mantra est réputé comme étant une formule de pouvoir, la foi du disciple viendra naturellement. Et bien plus encore si le Mantra a été transmis par un guru qu’on aime et qu’on vénère. En outre, quand un SAD-GURU[ donne un Mantra à ses disciples, il leur transmet en même temps du pouvoir spirituel. Et alors la répétition du Mantra est l’éveil du pouvoir seront indissolublement liés. Mais l’élément essentiel est toujours la foi du disciple et son intensité spirituelle. Aussi, n’importe qu’elle formule pourra mener à la Réalisation, si le sadhaka[ croit fermement que c’est un puissant Mantra. Pour ceux (comme c’était le cas pour Bhaîjî) qui ont une intense dévotion pour Ma, le fait de prononcer son Nom évoquera immédiatement Sa présence et pourra les mener vers l’union avec le SAD-GURU personnifié par la forme physique de Ma. Néanmoins, pour le sadhaka ordinaire, il est préférable de répéter le Mantra qu’on a reçu lors de l’initiation par le Guru. En répétant assidûment son Mantra, la foi véritable viendra à la longue et l’intensité spirituelle s’accroîtra progressivement.

 

 

Q : Certains disent que le saint ne voit que le bien car le mal n’est pas en lui. Il me semble qu’il voit alors le bien et le mal de la même façon, sans jugement, étant au-delà. Mais ne doit-il pas y avoir tout de même discrimination, sinon il pourrait se trouver dans des situations fâcheuses…

V : Il faut distinguer entre un saint, c’est-à-dire un être très évolué dont l’esprit est identifié par le pur Sattvaþ . Le saint voit le mal, mais son amour pour tous lui permet de concentrer son attention sur l’élément positif, car le mal n’est jamais totalement mauvais, et dans les actes les plus vicieux on peut trouver un élément de lumière. Quant au sage parfait qui est passé au-delà des Gunas, la distinction entre le bien et le mal n’a plus aucune signification pour lui. Partout, il voit le jeu du Divin, dans le sage et dans le fou, dans le saint comme dans le pêcheur. Quand on voit jouer un acteur qu’on connaît et qu’on aime, ce qu’on admire, c’est son talent, quel que soit le rôle qu’il joue. Mais, s’il joue avec vous, cela ne vous empêche pas d’entrer dans le jeu. S’il joue le sage, vous l’écoutez attentivement ; s’il joue le fou, vous vous moquez de lui ; si son rôle est celui d’un voleur, vous le faîte mettre en prison ou vous lui pardonnez, etc, etc… sans jamais oublier que c’est Lui, toujours Lui, derrière tous ces déguisements multiples.

 

 

Q : Est-il possible que des êtres saints nous prennent, nous et notre famille, dans leur médiation, tandis que nous les en prions à distance ?

V : Quand on médite, on entre en contact ou on essaye d’entrer en contact  -avec la conscience-. Ceux qui sont à ce moment dans votre champ de conscience en bénéficieront automatiquement. Qu’ils y soient entrés par un acte du méditant ou par leur propre volition, et en ce cas, même si le méditant n’a pas conscience de leur présence dans son champ de conscience.

            Quand on s’assoit dans l’autobus, le chauffeur vous amènera à destination, que vous soyez son ami ou son ennemi, qu’il soit conscient de votre présence dans l’autobus ou non. Le simple fait d’être monté dans l’autobus est suffisant. Mais dans le cas du méditant dont le contact avec la conscience universelle est intermittent, réaliser la coïncidence n’est pas facile. Il n’en est pas de même dans le cas d’un sage parfait qui est constamment uni à la conscience universelle et avec lequel établir un contact est beaucoup plus facile.

            Et à défaut d’une présence physique, une photo ou la lecture d’un enseignement sont suffisantes.

 

 

Q :  Le Guru intérieur n’est-il pas présent dans tous ?

V :  Oui, il est en tous mais il est voilé ou, si l’on peut dire, dans un état de torpeur et c’est le rôle essentiel du Guru physique de l’éveiller. Le Guru intérieur est le SAD-GURU (ou Dieu) et il n’est pas question d’évolution mais simplement d’enlever progressivement les impuretés qui le déforment. Le Guru intérieur vous guide aussi bien dans la vie spirituelle que dans la vie matérielle. En réalité, au point de vue sadhana, il n’y a pas de différence entre les deux. La vie de tous les jours est aussi importante (par les leçons qu’elle nous donne) que les heures de méditation.

 

 

Q : Le ‘  Je Suis ’ est-il une finalité ? Peut-on œuvrer dans le monde après la dissolution de l’individualité ?

V : Le  ‘Je Suis ’ est présent en tout le monde, même chez l’homme ordinaire. Mais pour l’homme ordinaire, le ‘ Je Suis ’ est son corps et la personnalité qui en découle. Le sadhakaþ  -dans le chemin de la Connaissance (le Jnana-Marga)-  part de cette idée  ‘Je Suis’ et cherche à la dissocier de son rapport physique. Sur son chemin, il passe par des étapes d’identification plus subtiles : avec son corps astral, la Lumière, etc… mais c’est toujours un ‘ moi ’ limité. Mais quand il arrive à se maintenir sur le pur ‘ je Suis ’ sans support, c’est-à-dire sur le Conscience Pure sans limitation- alors son individualité se dissout dans le Moi universel, le CHIDANANDA (la Conscience-Bonheur).

            Dans le chemin de la dévotion, le Moi universel devient le ‘ pouvoir de l’Autre ’ : Dieu, l’Eternel Bien-Aimé sur lequel il médite et pense constamment, avec amour, jusqu’à ce que son moi individuel se dissolve dans l’océan du Bien-Aimé. Mais le résultat final des deux voies est le même.

            Les grands sages comme MA ANANDA MOYI, RAMANA MAHARSHI, par exemple sont des canaux du Pouvoir Divin qui œuvre à travers eux pour le bien du monde. Tout ce qu’ils font se fait spontanément et sans qu’intervienne aucune volition de leur part.

            Quant aux réformateurs, aux fondateurs de la religion, il sont à un niveau plus inférieur car ils doivent conserver une certaine individualité sattvique. Ils sont inspirés par le Divin mais ces inspirations sont interprétées par un mental purifié. Les divisions entre sectes et religions sont nécessaires pour le jeu du monde, mais n’ont aucune signification pour un être parfait.

            De toute façon, un sage agit pour le bien du monde par sa seule présence. Même s’il vit caché dans une retraite solitaire, son rayonnement bénéfique se fera sentir.

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deuxième partie

 

REPONSES ORALES

 

 

 

I – A PROPOS DE MA

 

 

A – MA ET VIJAYANANDA

 

Q : En pratique, comme s’est déroulée pendant plus de trente ans votre relation à Ma ?

V : Au début j’ai été pendant dix-neuf mois constamment avec Elle, excepté pendant une journée. Nous voyagions souvent de nuit ensemble, dans le même compartiment ou dans la même voiture. Il y a un proverbe qui dit ‘Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre’ ; les anglais ont le dicton  ‘Familiarity breeds contempt’ (la familiarité alimente le mépris). Dans mon expérience avec Ma ça a été le contraire. Au début, quand nous étions dans le même compartiment, j’avais l’habitude de me mettre sur les couchettes supérieures, au-dessus de Ma. Mais une fois que j’ai mieux compris qui Elle était, je m’allongeais par terre. Nous avions une relation très simple, nous mangions ensemble. Après certains pandits ont dû faire des remarques, dire que cela contredisait les règles, et nous n’avons pas continué. Les premières années, je ne parlais pas hindi, ma communication avec Ma était pratiquement toujours silencieuse. Je lui posais les questions, et obtenais les réponses à l’intérieur. Je m’instruisais aussi en observant directement.

            Les premières fois que j’ai dû quitter Ma pour une longue période, ça a été terrible. Un jour, pendant l’une de ces phases difficiles, je lui ai écrit  à moitié en plaisantant : ‘Ma c’est trop dur. Ne pouvez-vous par faire la sadhana à ma place ?’ Peut-être n’a-t-elle pas senti dans ma lettre le ton un peu humoristique de la demande. En tout cas, elle m’a pris au pied de la lettre et m’a répondu : ‘Un sadhaka doit d’abord maîtriser la patience. Avec l’aide de la patience il doit rentrer en lui-même et la Réalisation viendra par ses propres forces.’.

            A certains moments, Ma a laissé une tension s’installer entre nous, sans doute pour que je ne reste pas trop attaché à elle en tant que personne.

            Au début je souhaitais des ‘kriyas’ (pratiques yogiques). Elle m’en a donné à faire parfois de très compliquées. Ensuite, comme je ne semblais plus intéressé Elle a souri : ‘Je sais ce que tu veux’. Ce que je voulais c’était sa shakti (énergie), la transmission directe de son pouvoir, et Elle me l’a donnée abondamment.

            Ma n’était pas un être ordinaire. Je connaissais à ALMORA un docteur qui ne l’aimait pas. Même lui, il admettait ce fait. Il disait qu’Elle devait être une sorte de déesse, pour avoir l’influence qu’Elle avait.

 

 

Q : Quel était le style de vie de Ma ?

V : Un style de vie très normal. Dans sa jeunesse, elle avait eu beaucoup d’extases et d’états de samadhi. Elle répondait sans doute à la demande du public bengali qui aimait cela. Mais pendant tout le temps où je l’ai connue  -depuis 1951-  Elle avait un comportement très normal. Elle mangeait suffisamment et dormait parfois jusque tard dans la matinée si Elle avait un manque de sommeil. Certains disaient que Ma ne dormait jamais vraiment. A mon sens, si, d’après certains détails que j’ai pu observer.

Elle  avait une manière de faire  très féminine. Quand Elle était en présence de pandits ou de mahatmas, elle les faisait souvent répondre à sa place. Je ne l’ai jamais vue provoquer directement la moindre souffrance chez ses disciples. Indirectement, oui, Elle pouvait provoquer des réactions très fortes. Elle avait la capacité de retourner en un tour de main l’attitude négative des gens envers Elle. Un des fils d’un grand officiel de l’Inde, par exemple, n’était pas attiré du tout par les GURUS. Il ne voulait pas se déranger pour aller voir Ma quand cette dernière visitait sa famille. On lui a demandé de venir la saluer au moins par politesse. Il a été bouleversé et cette impression tient toujours des dizaines d’années plus tard. C’est donc qu’il ne s’agissait pas d’un bouleversement superficiel. Ma était libre vis à vis de certaines coutumes hindoues. Elle ne s’inclinait jamais devant une idole.

 

 

 

Q : Pensez-vous que Ma ait évolué au cours des années ?

V : J’ai trouvé qu’en prenant de l’âge, Elle devenait trop sérieuse, trop ‘sage’. J’ai été lui demander : ‘Ma, pourquoi n’êtes-vous plus comme avant ?  Avez-vous changé ?’. Elle m’a répondu : ‘Je n’ai pas changé, mais c’est ce corps qui a vieilli’. Je pense qu’à la fin de sa vie, il y avait tellement de monde qui venait la voir qu’Elle était obligée de se protéger, de faire une sorte de sélection entre le chercheur spirituel sérieux et le simple curieux.

 

 

Q : Avez-vous choisi vous-même de porter la robe orange ?

V :  Non, c’est Ma qui me l’a donnée. Je n’ai pas fait de vœux de Swami, car je veux rester libre. De plus, je pense que de tels vœux font partie de ces coutumes typiquement hindoues que les occidentaux peuvent laisser tomber.

 

 

Q : Est-ce Ma qui vous a donné votre nom ?

V : Oui,  c’était en 1951, quelques mois après mon arrivée. Nous étions dans une maison au-dessus de RISHIKESH. Ma, un beau jour, a baptisé la maison Ananda Kashi, la propriétaire Anandapriya et moi-même VIJAYANANDA.

 

 

 

Q : Comment décririez-vous votre relation à Ma ?

V : Elle était pour moi comme un père, une mère, une bien-aimée, tout ensemble, et bien plus encore. Je l’ai ressenti dès le début.

 

 

Q : Est-ce que Ma vous a enseigné le hatha-yoga ?

V : Pendant les premières années de ma sadhana,  j’ai pratiqué le hatha-yoga. Je pouvais faire presque toutes les postures. J’avais un voisin qui était très compétent dans le domaine, mais je n’ai pas appris avec lui. J’ai appris dans les livres. Et puis de temps en temps, j’allais montrer mes postures à Ma et Elle les corrigeait. Ma avait une grande énergie. Quand elle marchait, on était obligé de courir derrière ; quand Elle nageait, Elle nageait comme un poisson. Ceci dit, à la fin, avant sa mort, Elle avait du mal à se déplacer, on était obligé de La transporter sur une chaise.

 

 

Q : Aviez-vous une relation très personnelle avec Ma ?

V : Oui, surtout au début. Après, c’était une relation toujours intense, mais plus impersonnelle. J’ai même remarqué que quand ma méditation marchait très bien, Ma était froide et distante ; par contre, quand ma pratique n’allait plus si bien, Elle était proche et douce. La méditation mène à la réalisation de l’impersonnel, mais une relation personnelle aide bien pour parvenir à ce stade là.

 

 

Q : Qu’est-ce que peut donner le GURU : des techniques, ou un pouvoir ?

V :  Le GURU donne un pouvoir, il peut favoriser un éveil de la Kundalini, mais ce n’est  qu’un stade de la sadhana. Il ne peut donner la Réalisation, mais il peut aider à retirer les obstacles qui voilent cette Réalisation déjà présente en nous.

 

 

Q : Un jour que vous vouliez quitter Ma pour revenir en France, cette dernière a été très douce avec vous et vous a dit à la fin de l’entretien : ‘Si tu en a assez de voir ce visage, tu peux t’en aller’. Et finalement vous êtes resté. N’était-ce pas un attachement excessif à la forme physique de Ma ?

V : C’est vrai que j’étais très attaché à la forme physique de Ma à cette époque. C’était que je devais en avoir besoin. Mais Elle m’en a libéré. Quand un vrai GURU crée un attachement pour une raison donnée, il a le pouvoir aussi de vous en libérer.

 

 

Q : Qu’est-ce que signifie ‘l’abandon à la volonté du GURU ’ ?

V : Avec Ma, j’essayais de répondre immédiatement à la moindre de ses suggestions. Comme cela, on pouvait être libéré de certaines conséquences de nos actes antérieurs. Si l’on n’obéissait pas, Ma disait : ‘Oui, c’est bien aussi, fait comme tu penses’. Mais à ce moment là on devait subir les conséquences karmiques de ses actes. Il n’y avait pas en fait de question d’obéissance envers Ma,  puisque l’obéissance suppose plus ou moins la peur. J’éprouvais envers Ma de l’amour, de la vénération. A cause de cela, je pouvais suivre les conseils pratiques qu’Elle me donnait de temps en temps, même si parfois ces derniers n’étaient pas très adaptés à la situation réelle qu’Elle n’avait pas bien visualisée. Par contre, je ne lui ai jamais abandonné ma liberté d’esprit. Le ‘surrender’ de l’esprit, ce n’était pas pour moi. Ce que je cherchais chez Ma c’était la transmission directe d’un pouvoir pour m’aider dans ma sadhana,  et Elle me l’a donné abondamment.

Q : Pendant votre sadhana, invoquiez-vous Ma ?

V : Rarement, je ne voulais pas l’importuner, même à distance. J’avais choisi d’aller à l’extrême de mes propres possibilités. Vous connaissez l’histoire de Roland, à qui Charlemagne avait dit : ‘Si tu as besoin d’aide, sonne le cor’. Mais l’empereur savait la fierté de Roland, et quand il a entendu le cor de Roncevaux, il s’est exclamé : ‘Roland a sonné du cor. C’est donc qu’il est mourant !’. On peut appeler un peu avant d’atteindre sa limite quand même, mais la détermination de se débrouiller seul est importante. Evidemment, pour ceux qui suivent la voie de la bhakti, c’est l’inverse. Ils voient Dieu partout. C’est Dieu qui fait la sadhana pour eux, tout ce qu’ils ont à faire, c’est de prier tout le temps. Le but est le même, mais la voie est différente. Maintenant que Ma a quitté son corps physique, Elle est complètement identifiée au pouvoir divin.

            Je lui pose des questions de temps à autre. J’obtiens des réponses, en général dans les jours qui suivent, ou même immédiatement. Mais je ne le fais pas souvent, car on dit qu’il ne faut pas ‘tenter Dieu’.

 

 

 

 

B – MA ET LES AUTRES

 

 

Q : Ma était-Elle consciente d’aider les autres ?

V : Je ne sais pas. Elle était dans un état très élevé, et le simple fait qu’elle fasse attention à une personne, qu’Elle l’écoute entraînait que les choses tournaient au mieux pour cette personne. Cela pouvait être sur le plan matériel, sur le plan de la santé physique, mais c’était surtout sur le plan de l’évolution intérieure. Souvent, il ne se passait presque rien à l’extérieur, et il se produisait une révolution complète à l’intérieur. L’action de Ma était comme celle d’un roi. Il suffit qu’un roi dise à son majordome à propos d’un nouveau venu : ‘C’est mon ami’ pour que tout se déroule impeccablement pour le dit ami : logement, repas, service, etc… Peut-on dire que le roi est conscient de tous les détails ?

 

 

Q : Pensez-vous que le GURU peut prendre le karma de ses disciples ?

V : Certainement. C’est arrivé très souvent dans la vie de Ma. Soit Elle prenait directement la maladie d’un disciple sur Elle, sous forme atténuée, soit Elle l’en libérait sans en paraître affectée. Le psychisme des sages est très fort. Il ne peut être troublé par les disciples. Mais la perturbation se porte sur leur corps. Une fois, à BENARES, j’avais eu depuis plusieurs jours une morsure, sans doute de rat, qui s’était infectée à partir du pied. J’ai essayé que Ma ne voie par cela, mais Atmananda (une occidentale sadhu avec Ma) m’a ‘dénoncé’. L’infection, une fois que Ma l’a vue, a pratiquement disparu en vingt-quatre heures. Le GURU ne peut ‘donner la Réalisation’ à son disciple, mais il peut le ‘porter’ pour un passage difficile. Peut-être était-ce à  cause des disciples que Ma était si souvent malade. C’est peut-être pour cela aussi que VIVEKANANDA, qui ne s’était pas protégé de ses fidèles durant ses voyages en Occident et qui ne se préoccupait guère de son corps, est mort jeune.

 

 

Q : Pourquoi ne semblait-il pas y avoir de grands spirituels dans l’entourage immédiat de Ma ?

V : Une fois Arnaud DESJARDINS m’a posé cette question. Je lui ai répondu que la méthode de Ma, c’était de ne garder près d’Elle que les gens qui ne pouvaient pas voler de leurs propres ailes. Les autres, Elle les envoyait au loin pour méditer. De plus, c’est très difficile de transmettre la Réalisation : on dit que dans l’entourage du BOUDDHA lui-même, seuls deux disciples y son parvenus. Dans mon cas, au bout d’un an en Inde avec Elle, je lui avais demandé d’aller méditer seul. Mais Elle m’a gardé encore deux ans auprès d’Elle avant de me laisser partir pour un an de solitude, et puis ensuite pour une douzaine d’années dans l’HIMALAYA. Ma n’avait pas besoin d’être secondée, Elle faisait ce qu’Elle avait à faire seule. Ce sont les principales raisons, à mon sens, pour lesquelles il n’y pas de gens remarquables dans les ashrams de Ma actuellement . Ceci dit, peut-être qu’ils se cachent.

 

 

Q : Quand vous voyagiez avec Ma, est-ce que les gens se rendaient compte qu’ils étaient près d’un être peu ordinaire ?

V : Oui. Déjà, Ma était très belle. Mais surtout, Elle était dans un état de joie intense, et communiquait cet état aux gens qui l’approchaient. Ce n’était pas une  joie habituelle ; c’était une joie sans aucune excitation, avec pleine maîtrise de soi. Ma avait dit à Didi que quand elle vieillirait, elle serait voilée. Effectivement, plus tard, Elle avait un corps de vieille dame, et sa personnalité suivait le corps en quelque sorte. Il fallait chercher pour trouver cette joie intense derrière les apparences.

Il y avait toutes sortes de manières de rencontrer Ma. Un jour, nous avions transporter quelqu’un qui venait d’avoir eu une fracture chez un chirurgien connu de CALCUTTA. Quand le chirurgien a vu Ma, il a dû croire que c’était la femme d’un des membres du groupe et lui a lancé : ‘Vous, allez-vous en !’, et Elle est partie. On lui a expliqué après qu’il s’agissait de la célèbre MA ANADAMAYI, et il a fini par devenir l’un de ses grands fidèles.

 

 

Q : Est-ce que Ma montrait qu’Elle pouvait voir dans l’esprit de ses visiteurs pendant les entretiens, ou posait-Elle les questions qu’on pose d’habitude lorsqu’on veut faire connaissance avec un nouveau venu ?

V : Elle posait des questions tout à fait ordinaires. Ma était des plus simples et naturelles dans son contact, et c’était cela qu’Elle avait de très grand. C’était après les entretiens, par les effets qu’ils avaient, qu’on pouvait se rendre compte pleinement de son pouvoir de sage.

 

 

Q : Ma prenait l’état émotionnel des gens pour les en libérer. Mais est-ce que tout le monde ne prend pas cet état émotionnel (bhav) dans une relation par simple effet d’imitation, sans pour autant libérer les autres ?

V : Non ; à moins d’être très amoureux d’une personne, on ne prend pas son état émotionnel, on s’y oppose plutôt constamment, on s’en défend, c’est ce qui fait rebondir et durer les conversations habituelles. Il faut être un sage comme l’était Ma pour pouvoir prendre complètement sur soi l’état émotionnel de quelqu’un d’autre.

 

 

Q : Qu’est-ce que Ma voyait du monde intérieur de ses visiteurs ?

V : Elle voyait l’état émotionnel, le bhav[ fondamental, mais pas le détail de leur esprit. Parfois, en cas d’urgence, Elle pouvait changer leur bhav pour un temps. Mais c’était aux visiteurs ou disciples de comprendre le fonctionnement de leur propre esprit et de le changer de manière durable.

 

 

Q : Ma demandait-Elle parfois à ses disciples : ‘A vos yeux, qui suis-je ?’

V : Non, Elle sentait directement l’opinion des gens sur Elle. Par exemple, je La considérais comme mon GURU, et avec moi Elle agissait comme un GURU ; Elle a fait plusieurs fois des allusions claires au fait qu’Elle l’était. Elle disait souvent : ‘Comme vous jouez de l’instrument, de même vous entendez le son.’. Si par exemple des parents avaient perdu un enfant auquel ils étaient très attachés, Ma devenait cet enfant, réellement : Elle avait soudain un visage d’enfant, une voix d’enfant, des gestes d’enfant, ce qui impressionnait vivement les parents.

 

 

Q : Vous dites parfois que Ma était ‘trop gentille’. Qu’est-ce que cela signifie ?

V : En paroles, Elle était toujours très gentille. Mais dans les faits, si on ne faisait pas ce qu’Elle suggérait, on en subissait les conséquences tôt ou tard,  non pas parce qu’Elle avait une quelconque volonté de punir, mais parce qu’Elle voyait clairement d’avance les mauvais pas dans lesquels on était sur le point de s’engager, et essayait de les éviter. Si on connaissait Ma, on pouvait en faire ce qu’on voulait. Il suffisait d’aller La voir en lui disant : ‘Ma, aujourd’hui je ne me sens pas bien, j’ai mal au ventre’ pour qu’Elle vous dise immédiatement ‘ne fais pas le travail que je t’ai demandé, va te reposer’. Elle répondait à votre état émotionnel . Mais même si on le voulait, ce n’etait pas facile de changer son état émotionnel quand on allait La voir.

 

 

Q : Avez-vous jamais eu de doutes sur Ma ?

V : Jamais de doutes sur le fait qu’Elle ait été pleinement réalisée. Par contre, j’en ai sur sa capacité d’enseigner les occidentaux. Elle était hindoue, à cent pour cent… Un jour, il y avait un occidental qui avait vraiment été mal reçu par les gens de l’ashram, sous prétexte de respect des règles. J’ai été tout droit voir Ma,  je me suis plaint et je lui ai dit : ‘Ma vous avez créé une barrière autour de Vous contre les occidentaux’. Elle m’a répondu : ‘ Il n’est pas du tout question de barrière. Moi et toi, ne faisons qu’un. Ceci (montrant son corps) n’est qu’une apparence je suis Omniprésente’.

 

 

Q : KABIR critiquait vivement les castes. Ma ne les critiquait pas. Pourquoi cette contradiction entre deux êtres réalisés ?

V : J’en ai parlé directement avec Ma à plusieurs reprises, pendant des heures. Au début, Ma ne tenait pas compte des règles de caste. Puis, à la longue, il y a eu de plus en plus de pression sur Elle. Un jour Elle a dit : ‘Celui qui viendra aujourd’hui va décider’. C’est un pandit qui est venu ; il a dû lui dire quelque chose du genre : ‘Ma, à notre époque où nous sommes au fond du Kali-Yuga[, où tout est décadent, les règles de caste ne sont pas si mauvaises, elles sont une barrière contre l’immoralité. Et depuis ce moment, Ma s’est mise à suivre les règles très exactement. De toutes façons, Elle n’était pas réformatrice. Elle avait l’habitude de dire : ‘Ja ho jay’ (Arrive ce qui doit arriver). Si Elle était née en Occident, je suis sûr qu’elle se serait complètement adaptée à nos coutumes. En cela, Elle était différente de Swami RAMDAS, qui était contre les castes  ‘de manière militante’ disait-il.

Q : Ma voyait-Elle les différences entre les grandes religions ?

V : Un jour, à VRINDAVAN, (village de KRISHNA et haut lieu du Vishnouïsme, j’ai fait l’interprète entre Elle et un moine trappiste. Elle a dit à ce dernier,  répondant à la question : ‘Est-ce que cela ne vous ennuie pas quand des personnes d’une autre religion viennent discuter avec Vous ?’, : ‘De mon point de vue, les différences entre Christianisme, Islam, Hindouïsme, etc… sont comme les différences qu’il y a ici entre les diverses sectes : les Mahaprabhus, les Ramanandis, les Nimbarkas et ainsi de suite. De mon point de vue, toutes ces religions sont du même type’.

 

 

Q : Est-ce que Ma demandait parfois de l’argent ?

V : Une seule fois, j’ai entendu dire qu’Elle avait demandé de l’argent. C’était à NAIMICHARANYA, un lieu sacré de la plaine du Gange près de LUCKNOW où, dit-on, les Pouranas[ ont été écrites. Quand Ma se trouvait là-bas, on s’est aperçu qu’on ne pouvait même pas y trouver une collection complète de ces Pouranas. Du coup Ma a exprimé le sentiment général en disant : ‘Il faut faire une quête pour acheter cette collection’. Par la suite, il y a eu  là-bas un Institut d’Etudes Pouraniques qui s’est constitué sous l’égide de Ma, et qui continue à fonctionner actuellement.

            Ma interdisait à ses disciples de demander de l’argent. Elle le leur a rappelé bien des fois. Elle même n’avait pas de contact physique avec l’argent. Elle demandait à ses assistants de le faire. Elle ne traitait pas les transactions financières de manière spéciale. Elle pouvait dire à un ou une de ses proches en désignant un visiteur : ‘Donne-lui dix mille roupies’ comme Elle aurait dit : ‘Donne-lui une pomme’ ou un verre de lait… c’était donner à bon escient, mais traité exactement comme tout le reste.

 

 

Q : Y a-t-il des disciples de Ma qui sont devenus GURUS ?

V : Oui, plusieurs. En fait, ce ne sont pas les GURUS qui manquent, ceux qui manquent ce sont les  vrais disciples.

 

Q : A votre avis, Ma souffrait-Elle ?

V : C’est difficile à dire ; Elle paraissait de manière constante dans un état au-delà  de la souffrance, même si Elle était malade. Cependant, une fois, c’était à DELHI en 1980, j’ai vraiment eu le sentiment qu’Elle souffrait pour de bon. Elle était très mal, je pensais qu’Elle allait mourir. Il y avait un voile sur son état de GURU, du moins en apparence. Mais quand je suis revenu la voir, le voile avait disparu, Elle était de nouveau dans son état habituel.

 

Q : Certains groupes, comme les soufis Malamatis ou les hindous Aghoris se comportent à l’inverse de ce qui est communément accepté comme le comportement d’un chercheur spirituel. Ils souhaitent faire réfléchir les gens, ou simplement avoir la paix en se protégeant des débutants incapables de voir derrière les apparences. Ma avait-Elle de temps à autre cette attitude ?

V : Elle n’avait pas besoin de cela.

 

Q : Quelles sont les motivations d’un sage lorsqu’il accepte de devenir GURU et d’aider les autres ?

V : La compassion pure. Le sage n’a rien à gagner à être GURU, il y perd plutôt. En réalité, ce n’est pas drôle d’être dans cette fonction. Evidemment, il y a ceux qui font cela pour l’argent, la réputation ou le plaisir qu’on se prosterne devant eux. Mais le vrai GURU sait qu’il doit prendre en charge la souffrance des autres. Il agit par compassion pure. Et puis c’est vrai, il est content quand un disciple se tire d’affaire en suivant ses conseils.

 

 

 

 

C – APRES MA, EN MA

 

 

Q : Ressentez-vous une unité complète avec Ma ?

V : Pendant des années,  je pouvais distinguer les impulsions intérieures qui venaient de moi, et celles qui venaient de Ma. Après, je ne pouvais plus les distinguer.

 

Q : Depuis que Ma a quitté son corps physique, que se passe-t-il au sein de son groupement d’ashrams ?

V :  Au début, je pensais que tout allait se désagréger rapidement. Mais au fait, pas du tout. Il y a toujours beaucoup d’activité, de passage autour du samadhi de Ma. Les gens qui viennent disent qu’ils sentent la présence de Ma. Pour nous qui vivons là, nous sommes tellement dedans que c’est difficile de se rendre compte. De manière plus fondamentale, Ma était déjà identifiée à l’Absolu avant de quitter son corps physique. Maintenant qu’Elle a quitté ce dernier, Elle n’est plus qu’identification à l’Absolu, tout simplement. C’est délicat de dire si Elle a laissé une ‘trace ’ subtile ou non.

 

 

 

II – A PROPOS DE LA SADHANA

 

 

A – CONSIDERATIONS GENERALES

 

Q : Pouvez-vous nous parler de l’expérience du yoga ?

V : Ce serait mieux que vous l’ayez vous même. Une fois, une personne est passée et m’a demandé : ‘Racontez-moi votre expérience intérieure’. Je lui ai répondu avec l’histoire de l’aveugle et du cygne de RAMAKRISHNA : Un jour, un aveugle de naissance demande à l’un de ses amis : ‘ Tout le monde me parle du blanc : peux-tu m’expliquer ce que c’est que le blanc ,’ ‘C’est comme la couleur du cygne’. ‘Et le cygne, c’est comment ?’  L’ami est embarrassé ; finalement, il plie le coude et le poignet de façon à imiter le cou et la tête du cygne. ‘Touche ici : c’est comme ça !’  L’aveugle s’exclame : ‘Ca y est, j’ai enfin compris ce que c’est que le blanc’ et il va voir les autres gens avec son bras plié en disant : ‘Regardez ce que c’est que le blanc ! Regardez ce que c’est que le blanc !’.

 

 

Q : Depuis quarante ans que vous êtes en Inde, n’avez-vous pas perdu vos racines françaises ?

V : Non, je n’ai pas cette impression. Comme vous pouvez vous en apercevoir, je parle français sans accent … Ce que j’ai fait, c’est de prendre de l’Inde des choses intéressantes pour l’évolution spirituelle ; mais j’estime qu’il n’est ni souhaitable ni même possible de changer la mémoire profonde de ses origines, ce qu’on appelle les ‘samskaras[’ dans le yoga.

 

 

Q : Comment définiriez-vous un mystique ?

V : C’est quelqu’un qui est introverti, et qui a en même temps une bonté, une compassion pour les autres. Evidemment, il y a des mystiques qui se mettent parfois en colère. Mais s’ils se mettent régulièrement en colère, ils ont très peu de chance d’être de vrais mystiques.

 

 

 

B – LES QUALITES DE BASE DU YOGA

 

 

Q : Quelle est la place de la non-peur dans  la sadhana ?

V : La non-peur, c’est la Réalisation. C’est ce que dit YAJNAVALKYA à JANAKA dans la Brihad-aranyaka Upanishad. La non-peur est une sadhana en soi. La peur vient de la dualité, la non-peur réside dans l’Unité. Quand j’étais isolé dans mon ermitage au milieu de la forêt hymalayenne, il y avait un certain risque d’être attaqué. Non seulement par des bêtes sauvages comme les ours, mais surtout par des brigands, car j’étais loin de tout. J’ai pu travailler sur la maîtrise de la peur bien sûr dans toutes ses manifestations physiques, mais aussi dans ses moindres traces mentales. L’important est d’aller droit sur ce qui fait peur, au lieu d’éviter. Au début, Ma essayait de me faire peur, pour voir si j’étais impressionnable : Elle prenait son grand air ; mais je ‘surréagissais’ : du coup, Elle n’a pas insisté. Ceci dit, la peur chez un sadhaka est utile vis à vis de certains facteurs. L’aspirant spirituel doit se protéger contre toutes sortes d’influences s’il ne veut pas voir se dissiper son énergie. Les brahmines ordinaires vivent dans la peur constante de l’impureté, de la contamination : c’est un stade de leur sadhana. Mais il est important pour eux, de savoir que la Réalisation est au-delà de toutes les peurs. Cela crée un équilibre entre la peur du débutant qui veut tout bien faire et la non-peur complète de l’être réalisé.

 

 

Q : N’est-ce pas du scrupule que de vouloir dire la vérité (satya) en toutes circonstances ?

V :  Dire la vérité est une qualité fondamentale dans l’hindouisme. La devise de l’Inde est ‘Satyam eva jayate’ ‘La seule vérité vaincra’. Dans la Bible, ce n’est pas tant le cas. Abraham a plus ou moins menti au Pharaon, en lui faisant croire que Sarah n’était pas sa femme. JACOB a trompé son père ISAAC en lui donnant le change et en se faisant passer pour son frère ESAÜ. Il y a chez les hindous, derrière ce culte de la vérité à tout prix, une compréhension des mécanismes en jeu dans le pouvoir spirituel. Ils expriment souvent l’idée selon laquelle ‘Celui qui ne dit rien que la vérité pendant douze ans voit ensuite toutes ses paroles se réaliser’.

L’utilité de ce respect complet est clair dans la mesure où la transmission spirituelle est concernée : les expériences intérieures sont difficiles à évaluer du dehors ; il est facile de faire croire qu’on a un certain niveau de réalisation alors que ce n’est pas vrai. La seule sécurité est l’honnêteté complète de celui qui témoigne à propos de son expérience. Plus le sadhaka est avancé, plus les moindres détails ont de l’importance. Ce qui n’est pas une faute pour un homme ordinaire le devient pour un aspirant spirituel avancé. C’est comme un mot un peu vulgaire qui ne choque pas dans la bouche d’un chauffeur de poids lourds, mais fait mauvais effet dans celle d’un membre de la bonne société. Cette notion est joliment exprimée dans un des contes des Jataka (les naissances antérieures du BOUDDHA) : un jour, le Bouddha, qui était dans cette vie là un simple moine, s’installe sous un arbre pour méditer, en face d’un bel étang avec des fleurs de lotus qui répandaient tout leur parfum. Il se lève pour aller sentir l’odeur de ces lotus. ‘Voleur !’ entendit-il soudain. C’était l’esprit de l’arbre qui l’interpellait. ‘Voleur de quoi ?’ ‘Voleur du parfum des fleurs de lotus ! Personne ne te l’a donné !’. Le moine reste coi. Un peu plus tard arrive un gros paysan qui rentre dans l’étang et arrache toutes les fleurs de lotus. ‘Et lui, n’est-ce pas un voleur ?’ ‘Non’ répondit l’esprit, ‘parce que lui, c’est un lourdaud,  pour lui ce n’est pas un péché, alors que toi, tu es un aspirant spirituel’.

 

 

Q : Ma disait une fois qu’il fallait éviter complètement la colère. Quelqu’un a fait alors remarquer que les Rishis (les sages hindous) se mettaient souvent en colère. Ma a répliqué qu’être Rishi n’était qu’un stade sur le chemin de la Réalisation. Que pensez-vous de cela ?

V : Le pouvoir qu’on obtient par la pratique de la vérité peut être utilisé de manière négative, destructrice. Colère et désir sexuel représentent les deux grandes déviations de la Kundalini quand elle commence à s’éveiller. L’énergie se dissipe par ces deux voies, et l’on manque ce qu’il y a de véritablement intéressant, la porte qui peut nous faire passer dans la chambre suivante. On devra attendre un temps plus ou moins long que les conditions soient de nouveau favorables.

            Quant aux Rishis, Ma disait : ‘Si le Rishi a le pouvoir de maudire (de détruire) par sa colère, il a néanmoins aussi le pouvoir de bénir (de créer). –Citation approximative-

 

 

Q : Comment faire pour transformer la colère en sentiment positif, comme on conseille dans certaines sadhanas  tantriques ?

V : C’est un yoga très particulier et difficile. La première chose à faire est de maîtriser la colère.

 

Q : Chasteté et éveil de la Kundalini sont-ils liés ?

V :  Le brahmacharya[ complet n’est pas indispensable dans toutes les sadhanas. Sinon, il y aurait très peu de sadhakas… Les gens mariés peuvent faire une très bonne sadhana, par exemple en développant l’esprit de service désintéressé. Evidemment, ils seront aidés là-dedans s’ils n’utilisent les relations physiques qu’avec modération. Les relations physiques, même si elles n’affaiblissent pas le corps ou l’esprit dans la partie intellectuelle, émoussent la sensibilité subtile, spirituelle et diminuent la force de la méditation. Pour ceux qui souhaitent suivre la voie directe du Yoga, une chasteté absolue est de règle. Il ne s’agit pas de refoulement, mais il s’agit d’une catalyse du processus de conscience. La non-satisfaction entraîne un questionnement, qui permet d’aller jusqu’à la racine du mental. Ceci est valable non seulement pour le désir sexuel, mais pour tous les autres désirs aussi. Avant d’arriver à son premier éveil de Kundalini, il est bon que l’aspirant spirituel ait une habitude de contrôle sur ce plan là ; c’est ce qui est demandé d’ailleurs régulièrement dans les traditions spirituelles, ce n’est pas propre au Yoga. Certains objectent que les Rishis vivaient en ménage dans la forêt. Mais ils avaient une vie orientée dès la plus tendre enfance vers la religion, dans une société organisée pour protéger leur mode de vie. De nos  jours, même si le conjoint est d’accord pour un tel style de vie, le trouble risque fort de venir des enfants. Certes, si un ermite dans sa grotte ne fait que penser aux femmes, il vaut mieux qu’il retourne dans le monde et se marie.

            Il n’en reste pas moins que pour le petit nombre qui choisit de suivre la voie directe du Yoga et de l’éveil de la Kundalini, la maîtrise sexuelle est le premier arcane à passer. En ce qui me concerne, j’ai été bien aidé par le ‘transfert affectif’ massif que j’ai fait sur Ma dès la première fois que je L’ai vue. Après ce travail sur moi, j’ai pu de nouveau regarder de belles femmes avec plaisir ; mais ce n’est pas le même plaisir que les gens ordinaires. Quand on a réellement renoncé au monde, on peut regarder le monde avec plaisir.

 

 

Q : N’y a-t-il pas sous-jacent à l’ascétisme, une haine du corps ?

V : C’est amusant de voir tout ce que les gens du monde peuvent projeter de leur propre problématique sur les ascètes. La haine du corps est un mauvais transfert affectif de la colère, retournée contre soi-même. C’est une fausse spiritualité. Il ne s’agit pas de haïr le corps, il s’agit d’en être désidentifié, comme on est désidentifié de sa propre voiture sans pour autant vouloir la détruire.

            En ce qui concerne les jeûnes par exemple, si quelqu’un est très gourmand, sauter un repas peut-être une bonne chose, mais c’est tout. Pour obtenir la Réalisation, ce n’est pas la souffrance qui compte, mais la compréhension de l’esprit. A un stade avancé de la sadhana, jeûner peut être pour certains une possibilité pour se désidentifier complètement du corps, mais ce n’est qu’une phase bien précise.

 

 

Q : Pourquoi les sages indiens se méfient-ils en général des GURUS tantriques ?

(le questionneur entend par tantrisme ce qu’on appelle le ‘VAMACHARA’ basé sur des relations sexuelles)

V : Parce que ces derniers ont développé une certaine compréhension du fonctionnement instinctuel et émotionnel, ainsi qu’une certaine faculté d’influencer son cours chez les autres sans avoir d’habitude développé parallèlement la pureté d’esprit. Les chercheurs spirituels ne réalisent pas que ces deux aspects peuvent être dissociés, et se font exploiter, financièrement, psychologiquement et parfois sexuellement. Le tantrisme cherche l’éveil de la Kundalini dès le début. Pour quelques rares personnes, ça peut être la voie rapide, mais pour la plupart, c’est très dangereux. C’est comme apprendre à quelqu’un à accélérer avant de lui avoir appris à freiner ou à tourner le volant. C’est une possibilité, mais la présence d’un ‘Moniteur-Guru’ compétent est indispensable, est une question de vie ou de mort : il lui fait récupérer les dérapages qui ne manquent pas de survenir. Dans la voie de l’observation du mental, comme par exemple le Jnana-Yoga ou la méditation du Bouddha, l’éveil de la Kundalini est final. BOUDDHA a eu son éveil de la Kundalini symbolisé par les tentations de MARA et les idées sexuelles réactivées par la visite de SUJATA et de ses deux servantes, juste avant sa Réalisation. A ce moment là, il était pleinement préparé pour pouvoir passer au travers de ces tentations.

 

 

Q : En suivant la voie du Jnana-Yoga et en se répétant ‘Je ne suis pas cela, je ne suis pas cela’, n’y a-t-il pas le risque de perdre le contact avec la réalité ?

V : Le vrai risque du Jnana-Yoga[, c’est l’orgueil. J’ai vu beaucoup d’Occidentaux qui devenaient orgueilleux en croyant un peu trop vite qu’ils étaient identifiés à l’Absolu. les sadhakas hindous sont plus humbles. Par contre, quand le Jnana-Yoga est bien pratiqué c’est le meilleur moyen de revenir à la réalité en ôtant l’un après l’autre les voiles qui la couvrent.

 

 

 

C – LE YOGA DANS SON CADRE HINDOU

 

 

Q : Quel est le rapport entre le karma et le libre arbitre ?

V : Karma ne signifie pas fatalisme. Au contraire, la notion de karma signifie qu’on a pleine responsabilité pour ce qui nous arrive. L’enseignement suprême, c’est d ’accepter ce qui est sans réagir. Mais c’est un enseignement très délicat : si on dit cela à l’homme de la rue, il va devenir paresseux et aggraver son état. Par ‘action’, les hindous entendent souvent ‘action intéressée’ avec recherche d’un résultat, qu’il soit religieux, social, ou dans le domaine de la santé physique. L’action complètement désintéressée ne crée pas de karma.

 Le libre arbitre existe dans le BHAVA, l’attitude mentale avec laquelle un acte est accompli. C’est le BHAVA qui crée le futur, mais si nous sommes capables de le subir avec un mental indifférent, nous ne créons plus de nouveau karma.

 

 

Q : Qui est habilité à être GURU ?

V : Celui qui mène une vie pure.

 

 

Q : Estimez-vous que dans l’ensemble, les GURUS indiens sont crédibles ?

V : Vous savez, ce n’est pas bien difficile d’être GURU en Inde. Il faut un bon bagoût, et puis avoir la tête de l’emploi, ça, c’est très important : si possible une robe orange, et une belle barbe grisonnante ou blanche, comme la mienne par exemple…

 

 

Q : Quel est l’avantage de cette transmission de GURU à disciple, qui est un des fondements de l’hindouisme et du Yoga ?

V : L’avantage c’est que la flamme de l’expérience spirituelle reste vivante.

 

 

Q : Est-ce qu’il y a dans la BHAGAVAD GITA  quatre niveaux de lecture, du plus exotérique ou plus ésotérique, comme les kabbalistes disent en ce qui concerne la Bible ?

V : Non, le message de la GITA est très clair, il n’y a pas d’ésotérisme là-dedans … Evidemment, les écoles peuvent avoir des différences d’interprétation, mais elles ne sont pas si importantes. Quand KRISHNA dit : ‘Celui que m’adore et concentre ses pensées sur Moi…’, les Vishnouïstes interprètent ‘Moi’ comme un Dieu personnel avec ses attributs alors que SHANKARA et les Védantins l’interprètent comme le  ‘Soi’ au-delà de tous les attributs.

 

 

Q : Peut-on poser à un GURU des questions sur sa vie privée ?

V : Ca dépend des GURUS. Si le GURU a encore un ego, il peut être gêné. Mais s’il n’a plus d’ego, comment pourrait-il être gêné par des questions personnelles alors que là où il est, il n’y a plus de ‘personne’ ? C’était le cas avec RAMDAS. Vous pouviez lui demander n’importe quelle question sur sa vie privée, il répondant simplement, comme un enfant.

 

 

Q : Que pensez-vous de ce que m’a dit un GURU : ‘Je ne m’occupe pas de Shakti-pat (la ‘descente du pouvoir’ provoquée par le GURU). Je ne transmets pas de pouvoir à mes disciples’ ?

V : Sil ne transmet pas de pouvoir, c’est qu’il n’est pas un GURU !

Q : Lorsque l’on récite constamment le Mantra, il s’associe à des évènements de la vie qui ne sont pas forcément positifs. Ne serait-il pas utile de changer de temps en temps le Mantra, pour se libérer de toute cette mémoire associative ?

V : Non, car quand vous récitez le Mantra dans un état à priori négatif comme la colère, cela coupe la logorrhée mentale qui est à la base de la colère, et coupe donc cette dernière. De ce fait, il n’y a pas d’associations négatives. A mon sens, l’action majeure du Mantra est de stopper cette logorrhée mentale pour pouvoir atteindre des zones de plus en plus profondes de l’intuition, et permettre à la Kundalini de s’éveiller sans empêchement. Le Mantra n’est pas seulement une pratique pour les vieilles dames ou les illettrés ; il peut mener à la Réalisation, s’il est pratiqué avec intensité et vairagya (détachement). Le seul moment où la tradition recommande de changer son Mantra est lors de la prise de sannyas.

 

 

Q : La récitation  constante d’un même Mantra, la concentration continue sur un but qui est toujours le même ne risquent-t-elles pas d’abrutir l’esprit ?

V : Non, car pour tenir la concentration il faut de l’intelligence. Quelqu’un d’idiot est toujours distrait à droite à gauche, et ne peut tenir réellement la concentration. L’intelligence du sage illettré peut certes venir de la tradition qu’il a reçue par oral, mais elle vient surtout de l’éveil de la Kundalini. C’est cet éveil qui rend l’esprit du sadhaka réellement, immédiatement pénétrant.

 

 

Q : Dans le Yoga, GURU et initiation sont-ils absolument indispensables ?

V : C’est la règle. Les sages qui n’ont eu ni l’un ni l’autre sont l’exception qui confirme la règle. En fait, dans l’initiation au sannyas qui est l’initiation ultime, le GURU se prosterne devant le disciple pour montrer qu’ils sont égaux, qu’ils sont même uns. Après, en principe, ils n’ont plus besoin de se revoir. En pratique, ils restent le plus souvent en contact car le nouveau sannyas n'a pas encore atteint le niveau de l’unité védantique. Dans le Yoga, le GURU est le sommet de la pyramide du manifesté. Il est le dernier pont avant le non-manifesté.

 

 

Q : Ma n’était pas très en faveur du fait que les sadhakas prêchent, sauf s’ils étaient des religieux professionnels et qu’ils en avaient besoin pour gagner leur vie. Pourquoi cela ?

V : C’est mieux de ne pas rentrer des clous dans la tête des gens. Il faut attendre leur demande : ‘Donner à manger à ceux qui ont faim, et à boire à ceux qui ont soif’. Et puis, si on se pose comme prédicateur, il y a tôt ou tard la tentation de se prendre pour un GURU avant d’en avoir la compétence, ce qui serait très nuisible tant pour le sadhaka que pour ses éventuels disciples.

 

 

 

 

D – PSYCHOLOGIE DE LA SADHANA

 

 

Q : Certains disent que le domaine spirituel est au-delà de l’émotionnel et de l’intellectuel. Qu’en pensez-vous ?

V : C’est vrai ; mais on ne peut pas rentrer directement dans le spirituel. Il faut partir d’où l’on est, ce que l’on connaît, c’est-à-dire du domaine de l’émotionnel et de l’intellectuel. Jnana (la connaissance) et Bhakti (l’amour) se complètent. Au bout du chemin, les deux voies ne font qu’une, mais dès le début, c’est bon qu’elles soient déjà associées d’une manière ou d’une autre.

            L’amour, la dévotion, sans connaissance mènent à un déséquilibre émotionnel qui peut aller jusqu’à la folie, la connaissance sans dévotion est un intellectualisme desséché. C’est une erreur que de pratiquer la connaissance sans aucun élément de dévotion, comme tendent à le faire certains enseignants en Occident. Il ne faut pas châtrer les émotions. A l’intérieur du bhakta[ il y a un jnani qui se cache, et à l’intérieur du jnani, il y a un bhakta qui se cache.

 

 

Q : Quel est le rôle des émotions dans la sadhana ?

V : Elles sont importantes. Elles donnent de l’élan à la sadhana. Simplement, il faut les maîtriser, les sublimer, les diriger vers l’intérieur. Quelle est la racine de l’émotion ?  Un désir intense de bonheur, qui est lui-même le reflet du Soi. De purification en purification, cette émotion peut emmener le sadhaka jusqu’au Soi.

 

 

A un sadhaka qui, avant de partir en retraite, explique à VIJAYANANDA certaines de ses recettes de méditation, et lui demande son avis, ce dernier répond :

V : Vous savez, la méditation c’est comme une bataille. On fait de beaux plans à l’avance, mais dans la réalité de l’action, ça ne se passe jamais comme prévu, il faut trouver des solutions au coup pour coup.

 

 

Q : Y a-t-il lieu d’aller au-delà du mental qui se répète, dans le but d’obtenir un changement ?

V : En psychologie, on est contre la répétition du mental et l’on cherche un changement. En Yoga, il y a un seul vrai changement : la Réalisation. D’un autre point de vue, on s’aperçoit que le mental, quand on l’observe attentivement, ne se répète jamais exactement, il est toujours changeant, fondamentalement impermanent. Et même si on a l’impression qu’il se répète, où est le mal ? On peut profiter de la prise de conscience de cette répétition pour s’en désidentifier complètement, et s’absorber dans ce qu’il y a au-delà du mental. Dans sa recherche de l’agréable et sa fuite du désagréable, le mental est comme un moucheron qui se cogne toujours sur la même vitre. Le rôle de l’effort spirituel, du renoncement à l’objet de désir est de prendre ce moucheron et de le faire passer par la porte qui avait été constamment grande ouverte. C’est de créer une souffrance, non pas pour la souffrance en elle-même, mais pour stimuler la conscience. Quand la souffrance qui remonte à la surface, n’est plus évitée par une fuite dans des bonheurs de rechange, l’individu est poussé à se demander pourquoi il souffre ; il trouve ainsi plus rapidement la cause et le remède véritable de cette souffrance. La frustration est inévitable dans la sadhana, mais elle est temporaire ; elle n’est là que pour activer le processus de conscience. Du point de vue du corps, les désirs et les peurs créent une agitation constante que l’on sent très bien. C’est comme la tunique de NESSUS, dont on parle dans les ‘Travaux d’HERCULE’ : c’est une tunique qui vous brûle et dont vous ne pouvez pas vous débarrasser. Grâce à la médiation, on peut  ‘décoller la tunique’ et se désidentifier de ce mouvement constant.

 

 

Q : Si l’on veut quand même se défaire de certaines pensées répétitives qui perturbent la méditation, comme des pensées d’attachement ou de colère par exemple, comment s’y prendre en pratique ?

V : Observez ; et puis revenez au corps. Il n’y a pas de perturbation mentale qui n’ait à son origine un malaise du corps ; ce malaise entraîne un trouble du prana, de l’énergie qui a son tour est  projetée sur forme d’images mentales de peur ou de désir. Si vous revenez au corps et que vous le calmez, vous ôter le maillon principal de cette chaîne mentale. Pour amener le mental loin du corps, les techniques de concentration comme l’observation de la respiration, le Mantra ont toute leur utilité. Mais lorsqu’on est bien fixé dans l’observation, la désidentification du corps et du mental, on n’a plus guère besoin de toutes ces techniques.

 

 

 

Q : Peut-on observer le mental directement ?

V : C’est très difficile. C’est bon d’avoir un support comme le Mantra ou l’attention du souffle, et d’observer le mental du coin de l’œil. Le mental est comme un enfant : s’il voit que vous le regardez, il commence à faire son intéressant. Sinon, il jouera normalement. Si le mental, qui est éminemment malléable, est observé directement, il va subir des distorsions artificielles. Le méditant croira qu’il a trouvé le chemin, alors qu’il n’a fait que retrouver ses propres traces, comme un voyageur perdu dans le désert de sable pense qu’il est sur la bonne voie alors qu’il n’a fait que tourner en rond.

 

 

Q : Qu’est-ce qui peut rendre un sadhaka sérieux dans sa sadhana, à part le fait d’avoir souffert ou de souffrir à ce moment là ?

V : Une profonde compréhension de la vanité du monde, de son évanescence. Rien n’est permanent. On aime une femme, elle vous laisse tomber. On réussit à l’épouser, elle vieillit et devient laide. Beaucoup de gens réalisent cette vérité quand ils prennent de l’âge, mais comme ils ne connaissent rien d’autre, ils ne voient pas de lumière au bout du tunnel, ils deviennent dépressifs, pessimistes, amers. Le sadhaka voit la lumière au bout du tunnel. Il réalise le permanent, ce qui est au-delà du changement, ne peut être coupé, cassé ou détruit.

 

 

Q : Les gens ne risquent-ils pas d’être mécontents, blessés par l’attitude détachée du Yogi ?

V : Oui, c’est tout à fait possible. Prenez le cas de Didi, par exemple. Bien qu’ayant été très proche de Ma, son assistante principale dans toutes les questions pratiques durant toute sa vie, elle reprochait à cette dernière d’être distante et insaisissable. Avec KRISHNAMURTI, c’était pareil. On ne peut pas attraper le sage dans la cage d’une relation personnelle, qui est synonyme de dualité, d’exclusivité, de jalousie et parfois d’inversion émotionnelle, de passage rapide de l’amour à la haine. Le sage peut être très proche, s’intéresser à vous dans de petits détails, puis à nouveau devenir insaisissable.

 

 

Q : Vous souvenez-vous du nom des gens qui viennent vous voir ?

V : Non, pas tellement, car en fait je réponds à des états de conscience, c’est à eux que je fais écho. Si les gens pouvaient modifier ces états, ils auraient des réponses différentes. Mais ce n’est pas facile de changer un état de conscience.

 

 

Q : Pratiquez-vous un Yoga particulier avec vos rêves ?

V : Ce que les gens ordinaires considèrent comme la réalité est déjà un rêve. Le rêve est donc un rêve dans le rêve. L’important c’est d’atteindre la réalité. Evidemment, parfois, en méditation, on est dans un état intermédiaire entre sommeil et veille, avec des images de rêve qui remontent à la surface. Mais il s’agit d’un processus conscient, différent en cela du rêve nocturne. Je n’accorde pas d’importance spéciale à ce dernier. De temps en temps, j’entends des musiques, de temps en temps je rêve de Ma, mais j’oublie le matin le contenu exact de tout cela, il n’en reste qu’une impression affective. Ce n’est qu’une manifestation de plus de l’activité mentale.

 

 

Q : Quelle attitude avoir vis à vis des souvenirs qui remontent dans la méditation ?

V : Si ce sont des souvenirs banals, laissez-les tomber. Si ce sont des souvenirs gênants, qui reviennent, qui font peur, c’est bon de les regarder en face. Le mieux c’est d’avoir l’esprit vide.

 

 

Q : Que pensez-vous de l’histoire du GURU qui fait avaler un kilo de Ras-Goula (une sorte de sucrerie indienne) à un de ses disciples pour le libérer du désir qu’il  avait des sucreries ?

V : Je me souviens de cette histoire ; il faut bien la comprendre, bien l’interpréter : le disciple avait un petit désir pour des Ras-Goulas, ce n’est pas bien méchant, et beaucoup de peur aussi. La peur de tomber dans le péché de la gourmandise. Cette peur intensifiait le désir, car nos désirs sont toujours faits d’un complexe peur-désir qui s’intensifient mutuellement. Le GURU a vu cela, et l’a libéré  de cette peur en lui permettant de satisfaire un petit désir.

Mais pour les gens du monde la proportion est exactement inversée : il sont plein de gros désirs et très peu de peur autour. S’ils essaient d’épuiser leurs gros désirs en les satisfaisant, ils vont ouvrir la porte à des désirs encore plus gros et ne s’en sortirons plus. Ils ne feront que rajouter de l’huile sur le feu. Les gens ordinaires pensent que le yogi se ‘serre la ceinture’. Ils ne peuvent imaginer qu’il existe un bonheur plus grand que celui qu’ils éprouvent en satisfaisant leurs envies. Ce qu’ils peuvent faire de mieux c’est  de souhaiter au yogi le seul genre de bonheur qu’ils aient été capable d’expérimenter. Mais le yogi n’a pas besoin de leurs souhaits. Il est comme la mère de famille dans l’histoire suivante : ‘Une mère de famille reçoit un Sadhu (un religieux errant) et le nourrit avec beaucoup d’affection. Le Sadhu, pour la remercier, lui dit ‘je te souhaite d’avoir dix garçons’. La mère s’exclame immédiatement ‘Non, Non ! je ne veux pas de ton souhait’ ‘comment tu as l’audace de refuser ma bénédiction ?’ et le Sadhu s’en va furieux. Sur le chemin il se plaint à un villageois. Ce dernier lui explique ce qu’il ne savait pas : ‘Ton hôtesse a déjà douze beaux garçons. En lui en souhaitant dix, cela revient à dire que deux vont mourir prochainement’.

 

 

Q : Est-ce que c’est normal de se protéger lorsqu’on fait une sadhana ?

V : Oui, parce qu’on devient très sensible. Le GURU, lui, n’a pas besoin de se protéger. Il est là pour tout le monde, c’est son rôle de prendre le karma des gens. Mais le sadhaka atteint, à certaines phases de sa pratique, une telle sensibilité qu’il réagit physiquement, sous forme de brèves maladies, aux perturbations du  corps et de l’esprit de ceux qui l’approchent. C’est normal qu’il se protège. Les règles de pureté des brahmines n’étaient au début rien d’autre que des mesures de protection pour des gens engagés dans des sadhanas intenses. Mais maintenant, la plupart ne font plus de sadhana intense, et leurs règles ressemblent à un bataillon qui protègerait une banque ou les coffres sont vides.

 

 

Q : Comment être un avec quelqu’un d’autre sans épouser ses défauts ?

V : Il ne s’agit pas pour le yogi d’être un avec quelqu’un d’autre, que ce soit sur le plan physique ou psychologique, il s’agit d’être un avec la conscience universelle.

 

 

Q : Il y a de nombreuses expériences et sadhanas possibles, les sons, la lumière, la contemplation de Dieu avec forme, l’observation du souffle, des sensations cutanées, la question ‘Qui suis-je’, le Mantra. Que faire ?

V : Il n’est pas bon de faire plusieurs sadhanas à la fois, il est mieux de s’en tenir à une seule. Mais à travers cette sadhana, vous pouvez avoir des expériences de tous les types qui viennent naturellement, par exemple des expériences de son et de lumière si vous pratiquez l’observation du souffle, etc… Beaucoup d’expériences peuvent survenir spontanément, c’est bien, cela ne veut pas dire que vous faites des mélanges de sadhanas.

 

 

Q : Pourquoi la solitude peut-elle faire perdre la raison à certains sadhakas ?

V : Parce que la solitude intensifie tous. Il faut avoir un esprit très solide pour tenir le coup dans la solitude. Ce qui fait perdre la raison à l’ermite, c’est surtout la peur. Il y a des bruits autour de lui. Il les interprète comme une menace. Et de menace en menace, il se construit un délire paranoïaque complet. En dehors de la peur, il y a le risque de s’enfermer dans un système complètement imaginaire. Il y a également les ‘démons’ ; on peut être possédé quand on est en état de faiblesse ou de demi-sommeil. Mais j’ai passé à travers tout cela. L’essentiel  là encore, est de n’avoir pas peur, et ne pas créer une relation avec l’adversaire. Ne pas chercher à combattre ou à chasser l’adversaire, ce qui reviendrait à accentuer sa réalité. Seulement revenir au calme complet. Et puis j’aime bien le danger : tous mes sens sont en alerte, c’est un éveil.

 

 

Q : Le samadhi a-t-il  quelque chose à voir avec un état de demi-sommeil ?

V : Non, ce n’est ni le sommeil, ni la torpeur. C’est un état d’ananda (bonheur) intense, mais sans aucune perte de chit (conscience), un état d’hyperconcience. Les vrais samadhis[ sont très rares.

 

 

 

E – YOGA ET VAIRAGYA (RENONCEMENT)

 

 

Q : La retraite du yogi n’est-elle pas une fuite du monde ?

V : Dans l’esprit du yogi, la retraite est toujours temporaire : le temps d’atteindre un  certain niveau de conscience. Ensuite, il revient au monde. Pour lui, ce sont les gens du monde qui fuient. Ils se fuient eux-mêmes dans l’activisme, les femmes, la politique. Ils fuient les grandes questions : quelle est l’origine de la souffrance, quel est le moyen d’y remédier, quel est le sens de la vie. Le yogi, lui , fait face à ces questions, se fait face à lui-même.

 

 

Q : Que pensez-vous des hindous qui, selon le système traditionnel, prennent le sannyas à la retraite ?

V : Il y a la théorie et la pratique. En théorie, chaque stade a sa valeur pour mener à la Réalisation, pour des raisons différentes. Le brahmacharya (avant le mariage) à cause de l’éveil de la Kundalini, le grihastha (état de mariage) à cause du dévouement aux autres, et le vanaprastha (vie dans la forêt, en général en couple) ainsi que le sannyas à cause du renoncement. Mais en pratique, ceux qui prennent le sannyas à la retraite ou juste avant de mourir ne sont pas, dans beaucoup de cas, de véritables sannyas.

            Mais c’est leur tradition, ils croient fermement qu’ils vont favoriser leur libération par ce vœu, cela doit certainement avoir un effet positif.

 

 

Q : Quel est le rapport entre le renoncement et la mort ?

V : Le renoncement, dans le yoga, c’est vraiment la mort de tous les attachements, la mort de l’ego. La mort physique, ça ne fait pas si peur, parce que ce n’est que la mort du corps. Mais la mort yogique provoque une terreur, car c’est la mort de tout. Dans ‘Le lotus et le  robot’, Arthur KOESTLER s’est exclamé : ‘Mais le Yoga, c’est de la thanatophilie !’. Il a vu juste ; seulement, avoir vu juste dans son cas n’a eu qu’un seul résultat : lui faire peur.

 

 

 

III – LE YOGA ET L’OCCIDENT

 

 

 

Q : Depuis quarante ans que vous voyez passer en Inde des Occidentaux en quête du Yoga, quels sont à votre avis les principaux défauts de leur approche ?

V : Premièrement, ils ont un fort ego. Deuxièmement, ils veulent des résultats tout de suite. Ils n’ont pas la patience de faire  une sadhana prolongée et soutenue. Troisièmement, dès qu’ils ont eu deux, trois expériences spirituelles, ils veulent ouvrir un centre et se mettre à enseigner.

 

 

Q : Que pensez-vous du métier de professeur de hatha-yoga, qui et certainement plus développé en Occident qu’en Inde actuellement ?

V : Si l’enseignant se contente de donner une technique pour développer la forme physique, c’est bien. Mais s’il veut se comporter comme un GURU en laissant croire aux gens qu’il peut les prendre en charge à vie, il ne fera pas le poids. C’est l’histoire de RAMAKRISHNA qui a entendu un jour un crapaud gémir désespérément. Il vit qu’il était coincé dans la gueule du serpent. Quand il repassa par là une heure plus tard, il entendit de nouveau le gémissement, il s’approcha et vit que le crapaud était trop gros pour un serpent trop petit. Tous les deux étaient en train d’agoniser. Il retira de cet incident l’image du vrai maître qui est comme un grand serpent, et qui ‘avale’ le disciple en une bouchée.

Pour Ma, on ne peut donner un enseignement spirituel avant d’avoir la Réalisation. Au moins, pas avant d’avoir atteint le savikalpa samadhi (l’état de concentration complet sur une forme donnée). Ceci n’empêche pas un pratiquant du Yoga de donner des conseils spirituels à l’occasion aux gens qui lui en demandent, à condition qu’il ait l’honnêteté de dire quand il ne sait plus, et qu’il exprime nettement le fait qu’il n’est pas un GURU. C’est vrai que les GURUS authentiques disent souvent, par modestie, qu’ils ne sont pas GURU. C’était le cas de MA ANADAMAYI, de RAMANA MAHARSHI, de RAMAKRISHNA, et d’autres moins connus. Mais l’enseignant du Yoga n’est un GURU ni en apparence, ni en réalité, il faut qu’il soit clair là-dessus.

 

Q : Peut-on dire que le GURU psychanalyse son disciple ?

V : A un moment après quinze ans en Inde,  j’ai pensé revenir en France et pratiquer une sorte de psychanalyse yogique avec des patients. Un collègue m’avait déjà proposé d’utiliser son cabinet. Mais finalement, j’ai réalisé que ce n’était pas possible. Le mental est un monde fermé, même le GURU ne peut y pénétrer, c’est à chacun de faire son auto-analyse par la méditation, en se souvenant que les constructions mentales sont faites d’une substance très particulière, qui croît et se développe dans la proportion exacte où l’on y fait attention. Il ne s’agit donc pas de se laisser entraîner dans ces constructions en définitive irréelles, comme le fait souvent la psychanalyse, mais de revenir à de l’instant présent. Tout ce que peut faire le GURU, c’est de témoigner qu’il existe, au-delà du mental, quelque chose et donner une énergie pour l’atteindre.

 

 

Q : Comment le GURU considère-t-il le sujet ‘normal’ d’après la psychologie ?

V : Il le considère comme pathologique, parce qu’il est plein d’avidité, de peurs et de désirs sexuels. L’homme ‘normal’ au sens ordinaire du terme doit dépasser son propre mental pour devenir ‘normal’ au sens réel du terme. Quant aux gens pathologiques d’après les critères de la psychologie, le GURU n’a en principe pas à s’en occuper. Un SAD-GURU peut cependant essayer d’aider certains d’entre eux. Mais ça ne marche pas toujours.

Dans l’entourage de  Ma, il y avait un chanteur qui était un peu simple d’esprit, et en plus atteint d’asthme chronique ; cela lui a donné un important fond d’anxiété, qu’il a projeté sous forme d’hallucinations : des voix l’insultaient, et lui disaient de se suicider. Il a essayé plusieurs fois, et a fini par réussir en se jetant sous un train. A ce moment-là, tout le monde dans l’ashram a critiqué Ma, même les plus proches, en disant qu’elle aurait dû le sauver. Mais moi, j’ai essayé de la défendre : la maladie mentale est une réalité, et l’on ne peut pas toujours tirer les gens d’affaire.

 

 

Q : Que signifie pour les hindous ‘être un enfant de la Mère Divine’ ?

V : En Inde, les hommes peuvent résoudre leur complexe d’Œdipe par le culte de la Mère Divine qu’ils voient partout et avec laquelle ils apprennent à ‘fusionner’ intérieurement en tout temps et en tout lieu. En Occident par contre, la seule manière que connaissant les gens pour résoudre leur Œdipe et retrouver la fusion est de s’engager dans une relation amoureuse avec une femme. Ils n’ont pas inventé d’autres solutions, sauf sans doute les catholiques avec le culte de la Mère de Dieu.

 

 

Q : Pourquoi le sage ressemble-t-il à un enfant ?

V : Parce qu’il a une pensée proche du corps. Il s’agit de revenir en enfance, et non pas d’y retomber. Voir remonter au fond de soi les expériences préverbales, les souvenirs enfouis de l’éducation sphinctérienne par exemple, et voir de quelle manière ce conditionnement influence la base affective de notre mental actuel. Le sage descend dans son corps comme l’enfant, mais contrairement à l’enfant, il est attentif à se désidentifier à tout ce fonctionnement automatique. Ce travail de retour, de démontage du mental, est un travail à la fois logique et psychologique que le sadhaka accomplit durant sa pratique.

 

 

Q : Le sadhaka peut-il se concentrer pour guérir les autres dans leur corps ou dans leur esprit, comme le font les guérisseurs ou certains thérapeutes en Occident ?

V : Non, ce n’est pas recommandé en Yoga. Ceci revient à l’utilisation des siddhis (pouvoirs) qui résultent en une perte d’énergie psychique et une régression dans la sadhana. De plus, d’un point de vue yogique, en cherchant à soigner, on empêche les gens d’aller au travers de leur karma, et l’on retarde donc la vraie guérison par des traitements symptomatiques. Ma prescrivait souvent des remèdes de village à ses fidèles, mais c’était très sûrement le fait d’être en communication avec Elle par l’intermédiaire du remède qui était la vraie cause de guérison. L’Etre Réalisé ne se concentre pas pour agir sur les autres. Cela vient spontanément. Tout est intensifié autour de lui, y compris le désir de guérison de certaines personnes qui l’approchent. Et c’est ce désir des patients qui les améliore ou les guérit pour de bon. J’ai souvent remarqué cela avec Ma ; c’est aussi la phrase du Christ : ‘Va, ta foi t’a sauvé’.

Q : Le vœu de bodhisattva[ signifie-t-il qu’il faut partir en mission sur les routes du monde ?

V : Non, il s’agit d’un vœu très élevé : Faire sa sadhana intensément, sans se préoccuper de prêcher, jusqu’au moment où l’on atteint les portes de la Réalisation, disons le savikalpa samadhi (avec forme) juste avant le nirvikalpa samadhi (sans forme). A ce moment-là, on fait le vœu de redescendre pour aider les autres. Certes, on peut objecter à cela que le Bouddha a envoyé prêcher des moines qui n’étaient pas réalisés. On peut critiquer cette idée de bodhisattva d’un autre point de vue : dans la conception indienne traditionnelle, l’univers est cyclique, et il y aura toujours des êtres à libérer. Le bodhisattva fait donc le vœu de n’être jamais libéré, ce qui contredit la démarche même du Bouddha. Et puis, lorsque le sadhaka arrive à un certain niveau, il commence à se demander ‘Qui est à libérer ?  Qui est là pour libérer ?’. Comme disait un Maître Zen : ‘Il faudrait que les bodhisattvas se lavent la tête avec l’eau fraîche du zen’. Il n’en reste pas moins que le vœu de bodhisattva est un vœu très élevé.

 

 

Q : Quelle différence y a-t-il entre pensée matérialiste et positiviste, telle qu’elle s’exprime généralement en Occident actuellement, et pensée traditionnelle, telle qu’on la trouve de nos jours chez de nombreux hindous qui savent la juxtaposer avec un certain développement économique ?

V : Il y a une grande différence. Les Occidentaux sont intellectuels, croient qu’on peut résoudre tous les problèmes philosophiques et religieux, par des discussions sur les concepts. Pour l’homme traditionnel, cette attitude paraît étrange. Il voit plutôt dans l’enseignement spirituel et philosophique qu’il reçoit des vérités scientifiques, auxquelles il faut faire confiance, puisqu’elles sont expérimentées par des millions de personnes avant lui. Son seul travail est de les vérifier, de les réaliser dans sa propre expérience. Imaginez que vous alliez voir un chimiste et lui demandiez : ‘Qu’est-ce qui se passerait si LAVOISIER s’était trompé dans l’énoncé de ses lois ?’. Il vous regarderait avec des yeux ronds et vous répondrait sans doute : ‘Ne me posez pas de questions inutiles et demandez-moi plutôt quel produit vous souhaitez que je vous fabrique…’.

 

 

Q : Que pensez-vous des maîtres spirituels qui donnent l’initiation ‘au nom de…’ comme les moines de la Mission RAMAKRISHNA donnent l’initiation au nom du sage de DAKSHINESHWAR, les chrétiens au nom du CHRIST ? Est-ce qu’ils ont le plein pouvoir d’un maître spirituel qui tire son autorité de sa propre Réalisation ?

V : La question se pose.

 

 

Q : A votre avis, quel est le type de méditation qui peut se développer en Occident à long terme ?

V : Un type de méditation très indépendant de tout contexte religieux, comme le ‘ Qui suis-je’ ou ce qu’enseigne KRISHNAMURTI. Mais il faut que ce soit un enseignement vécu et pratiqué, pas seulement lu. Dans ce sens, la fonction du GURU garde sa valeur en Occident. Le KRISHNAMURTI des discours critiquait les GURUS, mais le KRISHNAMURTI privé agissait tout à fait comme un vrai GURU indien, renvoyant les gens à eux-mêmes constamment. Si il y avait un centre pour un tel type de méditation en Occident, on aurait pas besoin d’y avoir aucune activité rituelle, religieuse.

 

 

 

Q : Y a-t-il une différence réelle entre le Soi du Védanta et la vacuité du Bouddhisme ?

V : Il s’agit d’un état suprême, que les mots ne peuvent atteindre. Tout ce qu’on peut dire, c’est, comme Ma : ‘Ja ta’ ‘C’est ce que c’est’.

 

 

Q : Y a-t-il un moment dans la sadhana où il est bon de prendre la décision du Bouddha à BODHGAYA : s’asseoir et décider de ne plus se relever avant d’avoir atteint la Réalisation ?

V : Il faut être mûr pour cela. Un jour j’ai pris cette décision. C’était lorsque nous étions avec Ma à RAJGUIR (haut lieu du Bouddhisme) ; j’avais été très impressionné par l’exemple du                          Bouddha, et je me  suis mis dans l’esprit de faire pareil ; sans rien dire à personne, je me suis assis dans ma chambre ; au bout de quelque temps Ma est entrée dans la pièce, a commencé à parler avec mon voisin de chambre de sujets sans intérêt, à tourner autour de moi ; en un mot, à tout faire pour me déranger. Ce n’était pas son habitude : si Elle voyait quelqu’un en train de méditer Elle se retirait. Bien qu’ayant décidé de ne pas broncher, j’ai bien été obligé à la fin de me relever et de me prosterner pour La saluer. Peu de temps après j’ai fait un nouvel essai, toujours sans rien dire à personne ;  de nouveau, Ma est revenue et m’a empêché de méditer. Quand on a un SAD-GURU, il veille au grain : il vous fait savoir si vous êtes mûr ou non pour vous lancer.

 

 

Q : Certaines personnes disent que GURU et disciple peuvent communiquer intérieurement même à distance. Est-ce une légende, ou est-ce une réalité que vous avez expérimentée ?

V : Je l’ai expérimentée bien des fois avec Ma. Par exemple : j’étais en face d’Elle j’avais décidé de voir si Elle percevait les questions que je lui posais intérieurement. J’ai commencé par lui demander quelque chose en français, langue qu’évidemment Elle ne parlais pas. Dans les minutes qui ont suivi (quelque fois plus tard) Elle donnait dans sa conversation une réponse à ce que j’avais demandé, mais il s’agissait d’une réponse globale, non précise, qui répondait à l’esprit plutôt qu’au texte de la question. Si je lui posais des questions en hindi, Elle donnait dans les minutes qui  suivaient des réponses très exactes. Une autre fois j’étais à l’ashram de BENARES, Ma était partie pour VINDYACHAL, à une cinquantaine de kilomètres de là. Assis sur la terrasse je m’amusais dans ma tête à parler à Ma : ‘Ma, quand reviendras-tu ? J’aimerais bien que tu reviennes le plus tôt possible !’. Quelques heures plus tard , j’ai entendu qu’on s’exclamait dans l’ashram : ‘Ma est de retour, Ma est de retour !’ Je pensais que c’était une blague, puisqu’Elle était partie il y avait si peu de temps. Mais Elle était là pour de bon ; lorsque je suis descendu pour La saluer, Elle m’a lancé un regard furieux avec l’air de dire : ‘Cela t’apprendra à faire des démarches inutiles !’. Aussitôt après, Elle est repartie pour VINDYACHAL. Personne dans l’ashram n’a compris la raison de cet aller-retour.

            J’étais dans mon ashram hymalayen à DAULCHINA. Un matin pendant que j’étais assis en méditation j’ai eu l’intuition qu’il fallait que j’aille immédiatement à l’ashram d’ALMORA (à une vingtaine de kilomètres de DAULCHINA). Comme une bonne partie du voyage devait se faire à pied il fallait donc que je descende au village de DAULCHINA pour obtenir des porteurs. Je partis donc pour ALMORA dès que les arrangements furent faits. A peine étais-je arrivé à l’ashram d’ALMORA que j’entends une voix parlant en français. C’était un français qui arrivait avec son porteur. Il avait été envoyé par Ma et ne connaissait pas d’autre langue que le français. Bien sûr je me suis occupé  de lui immédiatement. Le lendemain ou le surlendemain, je ne me souviens plus exactement, je reçus une lettre de Ma adressée à ALMORA (Elle savait que j’étais à DAULCHINA) me recommandant de m’occuper de ce Français et de lui rendre tous les services nécessaires.

            Souvent, il se pouvait que je reçoive une impulsion intérieure venant de Ma, mais il m’était difficile d’en être complètement sûr. Peut-être s’agissait-il d’une création de mon propre mental. Mais bien des fois, comme dans les cas que je viens de citer, la relation avec Ma était incontestable. On pourrait en écrire un livre entier. La communication à distance n’est pas uniquement le fait des Etres Réalisés. Un sadhaka qui commence à savoir un petit peu calmer son propre esprit peut très bien expérimenter cela.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Troisième partie

 

CARNET DE NOTES

 

 

 

 

 

            VIJAYANANDA a pris ces notes à BENARES ainsi que dans l’HIMALAYA pendant des périodes de sadhana très intense. Il donne une idée de la méditation vue de l’intérieur en essayant de dégager et bien préciser certains processus psychologiques dont le méditant peut prendre conscience au cours de sa pratique.

 

 

 

 

            Il nous est pratiquement impossible de croire à la mort de notre moi. Au fond de nous même, nous ‘savons’ que nous sommes indestructibles en tant que conscience. Cette croyance fondamentale dans la réalité du moi est plus puissante, plus convaincante que n’importe quel argument intellectuel, ou même que n’importe quelle preuve mathématique.

            L’enfant que frappe à la porte et auquel on demande ‘qui c’est ?’ répond : ‘moi’, et si on lui demande : ‘qui c’est, moi’ ?’, il s’irrite. ‘Mais c’est moi !… moi !’. Pour lui, c’est clair, tellement clair, tellement évident qu’il ne peut même pas imaginer qu’on puisse en demander la signification.

 

            La maîtrise de l’esprit réside en grande partie dans la faculté de pouvoir se dissocier de la conscience instinctive. L’histoire qu’on raconte sur TURENNE est remarquable à ce propos : ‘Tu trembles, carcasse !’, disait-il à lui-même sur le champ de bataille,  ‘mais tu tremblerais bien plus si tu savais où je veux te mener !’. Ce qui ne l’empêchait pas d’être un général remarquable, d’une bravoure exceptionnelle.

 

            Les enseignements que j’ai reçus du GURU, ou d’autres grands sages ont été importants et nombreux, ont rarement été transmis par l’intermédiaire de paroles. C’était comme si le GURU, ou le sage, rentrait en moi-même, ou plus exactement dans cette portion de moi-même, ou pour être plus précis s’identifiait avec cette portion de la conscience universelle que j’appelle ‘moi-même’ et de cette position d’intériorité, révélait directement, sans que les mots fussent nécessaires, une vérité importante donnant une indication du chemin à suivre à un croisement de routes, ou bien ouvrait de manière mystérieuse une source cachée à l’intérieur et même montrait parfois directement un monstre caché dans un recoin de l’esprit, qu’il fallait chasser ou détruire.

 

            Le but du sage est de montrer le chemin qui mène à la sagesse, et non d’expliquer ce en quoi consiste la sagesse. La vision de la vérité qu’il a obtenue est une vision directe au-delà des mots. L’aveugle de naissance qui a retrouvé la vue doit-il expliquer aux autres aveugles de naissance  ce qu’il voit, ou doit-il plutôt leur indiquer le moyen de recouvrer la vue ?  La base de la relation entre le sage et les autres hommes sera donc avant tout la confiance, la foi : ce qu’il dit n’est pas un mensonge, son expérience est authentique, il ne se trompe pas lui-même. N’est-ce pas la même base dans tout travail scientifique ? Le médecin, le chimiste, le savant ne commencent pas leur travail à zéro, après avoir fait ‘table rase’. Ils prennent en compte une somme considérable d’expériences que d’autres ont faites avant eux sans les vérifier.

 

            Dans notre effort d’échapper au cercle d’un univers basé sur les sensations et les besoins de notre corps, nous élargissons ce cercle, nous l’agrandissons, nous le sublimons, et par là même nous créons d’innombrables fausses routes, d’innombrables liens et des prisons mentales toujours nouvelles.

 

            L’abeille doit-elle renoncer à s’élancer vers la liberté, l’air pur, les arbres en fleurs, la douce brise du matin ?  Certes non. Mais elle doit renoncer à se casser la tête contre la vitre. Evidemment, la période intermédiaire entre l’abandon de la vaine recherche et la découverte du vrai bonheur est quelque fois pénible ; mais cela ne vaut-il pas la peine de tenir le coup quelque temps ? D’ailleurs, on s’aperçoit bien vite que cette période intermédiaire n’est pas si pénible que cela en réalité. D’abord, il y a la joie de diriger notre esprit vers une recherche qui n’est plus vanité, qui vaille vraiment la peine d’être faite. Et puis, peu à peu, on s’aperçoit que les plaisirs ne viennent pas des objets des sens, mais d’une réaction vis à vis de ces objets des sens. Quand ces réactions sont maîtrisées on peut être heureux toujours avec ou sans objet des sens.

 

            Les gens dans le monde sont comme des poissons hors de l’eau. Ils ont besoin de rituels et de cérémonies, comme le poisson sur l’étal du marchand a besoin d’un verre d’eau de temps en temps pour survivre. Mais pour ceux qui vivent déjà en Dieu, les rites et les cérémonies sont non seulement superflus, mais ils sont un obstacle à l’évolution spirituelle, une sorte de camisole de force dont l’aspirant spirituel devra se débarrasser.

 

            Les relations humaines sont toujours de la nature d’un conflit, parce qu’elles se sont formées d’ego  à ego, et que la nature de l’ego est de prendre, non pas de donner, même quand en apparence il donne, c’est qu’il a l’espoir de ‘ramasser’ beaucoup plus.

 

            Il y a quelque chose de touchant dans le comportement d’un adulte qui , bien qu’ayant atteint la maturité mentale, a conservé dans son comportement, dans son visage, quelque chose d’enfantin. Nous lui ouvrons plus facilement notre cœur, même si notre esprit ne reconnaît pas précisément pourquoi notre cœur s’ouvre à sa tendresse, et pourquoi nous devenons indulgent pour ses faiblesses.

            L’ascète appuie sur le frein, le débauché sur l’accélérateur, l’ascète, ou plutôt l’apprenti ascète, cherche la paix en rejetant les plaisirs des sens, mais le conflit n’est pas supprimé. La poussée primordiale qui n’est que partiellement refoulée est toujours prête à resurgir avec une violence redoublée à la moindre faiblesse … Le débauché, lui, veut jouir toujours, sans crainte, sans scrupules, dans ce monde et dans l’autre ; oui, toujours !  Comme il est curieux n’est-ce pas, que le débauché parle le même langage que le yogi parfait. Les extrêmes se touchent, oui ! c’est cela le bonheur du Soi ; mais le débauché n’a pas échappé au conflit. Au fond de lui-même, il sait qu’il n’est pas heureux, qu’il bluffe. Dans ses moments de solitude, il sent quelque chose au centre de lui qui est terriblement triste, terriblement désespéré : il a ‘vendu son âme au diable’, comme on disait au Moyen-Age. Il y a quelque chose de vrai là-dedans. Il a renoncé au vrai bonheur du Soi.

 

            Le corps a sa conscience que j’appellerai conscience instinctive. Cette conscience est un réseau de sensations qui l’entoure, l’habille. Ce réseau est le plus souvent trop étroit et pénible, voir gênant et douloureux. La conscience instinctive essaie constamment de se mettre à l’aise, de changer les sensations pénibles en sensations agréables, de défaire les tensions et de se relaxer. Elle jongle avec les sensations dans l’espoir d’atteindre un équilibre parfait qu’elle semble trouver le temps d’un clin d’œil, mais qui lui échappe toujours. Ce réseau de sensations,  je l’appellerai la ‘tunique de Nessus’ ; comme la tunique de NESSUS, il nous fait souffrir et nous oblige à tenter de nous en débarrasser sans cesse. Ce vêtement n’a pas de condition fixe, il change constamment avec l’état de notre corps. Les vagues de force et de faiblesse, les instants de malaise, les moments d’exubérance après un bon repas, les angoisses d’une inspiration pénible, les irritations provoquées par des démangeaisons au niveau du tractus respiratoire, ainsi que les chose honteuses qu’un homme bien élevé n’osera jamais avouer à personne, même pas à lui-même, c’est-à-dire à sa conscience claire : les pets qui ne passent pas parce qu’on les a refoulés, les constipations, les prurits génitaux, etc… le rôle de la conscience instinctive est de veiller sur le bon fonctionnement et l’intégrité du corps, elle le fait jalousement, plus encore qu’une mère sur son enfant.

            Un simple petit bobo, par exemple une épine dans le doigt, et toute notre conscience se centre à cet endroit, comme magnétisée, pour chercher à retirer l’épine. La maîtrise de l’esprit consiste en grande partie à se désidentifier de cette conscience instinctive.

 

            Nous faisons une fausse dichotomie entre le moi et le monde, entre l’extérieur et l’intérieur, etc… Ceci n’a d’utilité qu’au niveau empirique. La véritable dichotomie se trouve entre cette partie de nous-même  -la conscience, le moi réel-  qui perçoit sans être perçue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quatrième partie

 

REFLEXIONS POUR DES OCCIDENTAUX

ALLANT EN INDE

 

(ANANDA VARTA, novembre 1957

                                  Révision Mai 1987)

 

 

 

 

            Un certain nombre d’Occidentaux sont déjà entrés en contact avec                            SRI SRI MA ANANDAMAYI, et il en viendra certainement de plus en plus. Presque tous  ont été profondément impressionnés ; beaucoup ont très envie de garder le contact avec Elle, certains même la vénèrent comme leur GURU. Quelques uns lui ont consacré leur existence et vivent sous Sa guidance, mais la plupart d’entre eux trouvent qu’il est plus ou moins difficile de s’adapter à l’entourage indien - certains se plaignent d’un manque de compréhension. Un petit nombre est, d’une manière évidente, inadapté. Ils sont même en conflit avec leur entourage. La confusion des niveaux de pensée en est, il me semble, la raison. Cette confusion est tout à fait habituelle, car l’illusion de l’esprit est construite dans son ensemble sur le fait de prendre une chose pour une autre.

 

            Mais les Occidentaux qui viennent en INDE en quête de spiritualité ne sont pas tout à fait des gens ordinaires, et nous pouvons attendre d’eux un comportement en fonction de cela. Ceux qui, pour le Suprême, ont quitté leur famille, leur pays, un climat qui leur convenait, pour demeurer dans un entourage où tous les détails de ce qui représente une vie quotidienne naturelle et confortable pour d’autres, nécessite un effort pénible d’adaptation, ceux-là ne sont certainement pas des gens ordinaires.

 

            Examinons maintenant où réside cette confusion des plans de pensée. On peut dire que notre relation avec notre environnement humain se situe sur quatre niveaux à la fois :

1 - L’Atmic Sambandha, la relation d’unité avec le Soi Universel

2 - La Paramarthic Sambandha, qui unit deux chercheurs sur le plan spirituel

3 - La Dharma Sambandha,le lien entre les pratiquants d’une même religion ou les adorateurs

     d’une même divinité

4 - La Jati Sambandha, ou la communauté de naissance.

            Ces différents plans ne sont bien sûr pas complètement séparés, et peuvent s’interpénétrer l’un l’autre, mais ce qui est vrai à un niveau peut être faux à un autre. Tous les hommes sont Un dans l’Atmic Sambandha, la relation avec le Soi Universel. On peut à peine appeler cela un plan de conscience. C’est le but final de tous les chercheurs spirituels authentiques. Du point de vue absolu, il y a seulement une conscience qui demeure dans tous les êtres. Les différences évidentes d’individualité, de nom et de forme, n’ont qu’une réalité éphémère, ou même, comme certains le soutiennent, sont tout à fait irréelles et illusoires. Bien sûr, quand on a réalisé cette vérité suprême, il ne peut survenir ni conflit ni opposition envers qui ou quoi que ce soit.

 

            Cette conscience supérieure est celle dans laquelle SRI SRI MA ANANDAMAYI vit, parle, agit en toutes circonstances, sans aucune interruption, de jour comme de nuit, depuis le moment même où Elle a assumé une forme physique. Pour Elle, il n’y avait aucune différence de nation ou de race, de caste ou de croyance. A ses yeux, tous sont des manifestions de la Conscience Divine, voire même de son propre Soi, comme Elle l’a Elle-même affirmé à de nombreuses reprises, et de diverses façons. S’il nous semblait parfois qu’Elle se comportait de différente manière avec des gens différents, cela peut avoir deux raisons. D’abord, on peut voir les choses comme cela de par les limitations de notre point de vue. Quand on progresse sur le chemin spirituel, on comprend petit à petit comment l’intellect dont nous sommes si fier, et dans lequel nous avons placé toute notre confiance, se trompe et nous trompe continuellement. La seconde raison est que Matadji n’était pas seulement un Etre Réalisé, mais aussi un grand GURU parmi les plus grands, et Son but est de nous éveiller à notre vraie nature.

            Quant à son attitude envers les coutumes sociales et autres, elle peut être due aux raisons ci-dessus. De plus, un Etre Réalisé n’est pas réformateur, ni fondateur d’une nouvelle religion. Il désire simplement nous rappeler la Vérité éternelle : ‘TU ES CELA’. En ce qui concerne les coutumes sociales et autres, Il peut prendre les choses comme elles sont et les utiliser comme un levier pour nous conduire à la reconnaissance de la source de toute souffrance, qui est le manque de conscience que nous avons de notre nature réelle. Changer les détails sans avoir été jusqu’à la racine ne nous apportera aucun soulagement réel. Mais pour nous qui n’avons pas réalisé notre vraie nature, il est impossible de vivre dans cet état élevé de conscience.

 

            Il nous faut maintenant considérer le lien Paramarthique, qui est plus à notre portée. Il y a une profonde parenté, une fraternité mystique entre tous les chercheurs authentiques du monde. On peut la sentir au premier contact. Par ‘chercheur spirituel authentique’, je veux dire : pas ceux qui cherchent la célébrité, pas ceux qui ne visent qu’au développement des pouvoirs psychiques, qui ne feront que les lier plus ; même pas les adorateurs de divinité qui attendent une récompense ici-bas ou dans l’au-delà ; mais ceux qui se sont consacrés complètement au Suprême, au Soi éternel qui demeure dans tous les êtres. C’est à cette relation que nous pensons quand nous nous appelons l’un l’autre ‘Frère’, c’est dans cet esprit que nous sommes venus en Inde, afin de faire valoir nos droits à l’héritage de cet immense trésor de sagesse, l’Atma Vidya, transmis depuis des temps immémoriaux par les grands Rishis, les grands sages, les grands saints de l’Inde, parmi lesquels SRI SRI MA ANANDAMAYI est l’une des plus grandes entre les grands.

 

            Personne au monde n’a jamais exprimé les vérités les plus hautes dans un langage aussi clair et aussi sublime que les sages de l’Inde. Aucun pays n’a jamais été béni par un si grand nombre de grands êtres qui se sont succédés probablement sans interruption depuis des milliers et des milliers d’années.

            On a toujours entretenu la vive flamme de cette sagesse, malgré les envahisseurs et les calamités qui se sont abattus sur le pays, qui plus est, chaque saint, chaque voyant, chaque sage a enrichi ce trésor divin de son apport personnel.

 

            Nos frères de l’Inde nous ont généreusement ouvert les réserves de ce trésor. On donne toute facilité aux Occidentaux venant pour étudier la sagesse de l’Inde. De fait, je suis ému de voir combien d’intérêt et de gentillesse nos frères de l’Inde montrent aux Occidentaux qui n’ont même qu’un intérêt minime pour les questions spirituelles. Que dire alors des grands sages qui ont beaucoup plus envie que nous-même de nous prendre sur le chemin menant à la connaissance de notre réelle nature divine ?

 

            C’est avec les grands sages, et surtout avec le GURU, que le Paramarthic Sambandha atteint son sommet. Le GURU n’est pas simplement un enseignant. Ceux qui ne l’ont pas expérimenté ne peuvent guère imaginer la profondeur du lien qui unit GURU et disciple. L’amour tendre d’une mère affectionnée pour son fils, l’affection profonde et virile d’un père, la fidélité de l’ami le plus cher, tout cela est contenu et transcendé par l’amour du GURU pour le disciple. Rien ni personne, que ce soit sur terre ou dans les cieux, ne pourra jamais briser cette relation. Elle est plus forte même que la mort. Elle ne prend fin que dans l’Eternel Atman, ou GURU et Shishya (disciple) se fondent en un seul.

Bien que Mataji ne donne pas de Mantra-Diksha, d’initiation formelle, un grand nombre de gens la vénère comme leur GURU. Un tel grand être n’a pas besoin de passer par le cérémonial d’une initiation formelle. La Shakti-Dana, la transmission de pouvoir, qui est en fait l’initiation réelle, peut être donnée de beaucoup de façons, par exemple par contact, Sparsha-Diksha, par simple regard, Dristi-Diksha et même à distance.

 

            La Paramarthic Sambandha qui unit les chercheurs spirituels, le GURU et le disciple, et les disciples du même GURU, est la plus profonde relation qu’on puisse jamais avoir sur terre, beaucoup plus profonde que la relation de sang qui est simplement du domaine du corps physique.

 

            La Paramarthic Sambandha est fréquemment confondue avec la Dharmic Sambandha, la communauté de religion. Et c’est là qu’est la clef d’une mauvaise compréhension mutuelle. Bien que ces relations aillent souvent de pair, elles signifient deux choses tout à fait différentes. Par Dharmic Sambandha, j’entends la relation entre les membres d’une même religion, Catholiques, Protestants, Juifs ou entre les adorateurs d’une même divinité, par exemple, en Inde, les Shivaïstes, les Shaktas, les Vishnouïstes, etc…

 

            En Occident, nous pensons qu’un être peut changer sa religion, peut se convertir à une autre s’il le désire. Mais en Inde, il en va tout autrement. Pour tout Indien normalement cultivé, il va de soi que la religion, dans laquelle il est, fait partie de notre propre nature, autant que notre race, caste, etc… La question de changer d’une religion à l’autre ne se pose pas. Nous sommes nés dans une religion ou une autre selon nos ‘Samskaras’, les impressions laissées par nos vies antérieures.

 

            Certains Occidentaux qui viennent en Inde avec l’intention de se convertir à l’Hindouïsme sont rapidement déçus. Cela peut devenir un point de friction important avec l’entourage, et beaucoup d’incompréhensions peuvent ainsi survenir. A cause de diverses habitudes de pensée profondément enracinées dans le subconscient, il est très difficile de saisir le point de vue des autres.

 

            La religion, ou en d’autres termes, l’approche du Suprême par son aspect personnel grâce à l’intermédiaire du nom et de la forme, de l’individualité, peut être d’un grand secours pour la réalisation spirituelle. Mais ce nom et cette forme doivent être profondément enracinés dans le subconscient.

 

            Quelques Occidentaux exceptionnels, en réalité des Indiens qui ne sont nés en Occident que pour un séjour provisoire, sont capables de s’adapter au culte d’une divinité indienne. Mais ce ne peut être efficace qu’après un avis favorable du GURU.

 

            Néanmoins, ce que l’on demande, ce n’est pas de changer sa religion, mais de trouver le terrain où toutes les religions prennent leurs racines : l’Eternel qui réside dans le cœur de chacun.

 

            Il arrive fréquemment que des Occidentaux soient vexés de ne pouvoir participer à une Puja (prière liturgique) ou entrer dans un temple hindou. Les hindous orthodoxes ne sont pas des adorateurs d’idoles au sens que nous donnons à ce terme en Occident. Toutes les images et noms ne sont pour eux que différents aspects de l’Un. On utilise un nom ou une forme particulière seulement pour assurer un point de convergence à la dévotion. Ce n’est pas seulement le point de vue de quelques philosophes isolés, mais tout Indien normalement cultivé tient ce fait pour établi.

 

            Depuis que je suis entré en contact avec la culture indienne, j’ai été dans  l’admiration de voir comme la science du culte était profonde et développée en Inde. Ce n’est pas comme on pourrait le penser un simple débordement de dévotion ou d’émotions religieuses. Chaque détail de l’image qu’on adore a sa signification. L’expression du visage, la couleur de la peau, les gestes des mains, les ornements, tout a une signification symbolique bien définie. Le culte est rendu par un Brahmin qualifié. Les mots qu’il utilise dans le culte sont pour la plupart des Mantras qui ont à être chantés d’une certaine manière qui a pour but d’établir une communion entre lui-même et le Pouvoir Divin. Ses mouvements sont des  Mudras, des gestes rituels. Tout le processus de la Puja (culte) est prévu pour évoquer en lui une réponse au Pouvoir Divin.

 

            Dans quelques temples, on a perpétué ce culte de génération en génération, sans interruption, et on y a créé une atmosphère religieuse et spirituelle très puissance. Les pratiquants hindous qui viennent visiter de tels temples vibrent à l’unissions dans une telle atmosphère, car la nature même du subconscient indien a été préparée, depuis plusieurs milliers de générations, à y répondre.

 

            De son côté, notre subconscient répond de manière tout à fait différente, bien que nous puissions éprouver beaucoup de sympathie pour la culture et la religion de l’Inde. Les impressions sub-conscientes que l’on a acquises par l’éducation de notre première enfance ne peuvent être écartées d’un revers de main. Les vibrations mentales que nous apporterions en un tel lieu ne seraient pas en harmonie avec l’atmosphère. C’est exactement comme si quelqu’un qui n’était pas musicien s’installait dans un orchestre symphonique et jouait à son propre rythme et dans son propre ton.

 

            Presque toutes les religions ont des règles bien codifiées à propos de la nourriture. La religion hindoue est l’une d’entre elles, et on insiste beaucoup sur le fait qu’une alimentation pure produit un esprit pur.

 

            Les défauts de l’alimentation peuvent être de trois sortes :

1 - Jati-dosha, dû à la nature malsaine de la nourriture elle-même (liqueurs, viandes, etc..)

2 - Nimitta-dosha, dû  à une souillure (insecte, cheveu, saleté, etc…)

3 - Ashraya-dosha ; dans la religion hindoue, on croit que celui qui prépare une nourriture ou touche à une nourriture préparée lui transmet ses qualités à lui, bonnes ou mauvaises. C’est pour cette raison que les hindous orthodoxes ne sont autorisés à manger que de la nourriture préparée par des hindous, dans certains cas par un membre de leur caste ou d’une caste supérieure.

 

            Il y a des raisons nombreuses et profondes pour lesquelles on a établi ces règles, et elles sont le résultat de l’expérience de bien des générations. En tous cas, ces règles et le système de caste qui est relié sont une partie intégrante de la religion hindoue. Une religion est comme un grand temple ou chaque pierre, chaque pilier a son rôle à jouer. Si on retire un pilier, tout le bâtiment risque de s’effondrer.

 

            C’est à l’abri de ce grand arbre, de ce grand banyan de l’hindouisme que tant de Rishis, de sages et de saints ont pu se développer ; c’est le soutien d’une  culture spirituelle. Si cet arbre venait à périr, ce serait une grande perte pour l’humanité.

La communauté de naissance (famille, nation, race, etc…) ne peut pratiquement pas prêter à confusion. Elle est évidente pour qui veut bien y réfléchir. Mais il y a encore deux différences entre la conception de la communauté de naissance telle qu’on la conçoit en Occident et son pendant en Orient. La première est que les sages orientaux pensent que ce n’est pas par hasard que nous sommes nés dans un environnement de type particulier, mais que c’est une conséquence de nos actions et désirs lors de nos vies antérieures. La seconde est qu’en Orient, la race et la religion ne sont pas séparées comme en Occident, mais sont presque une seule et même chose. La communauté de naissance est transitoire, et ne dure pas au-delà du corps physique.

 

            C’est par la grâce divine que les Occidentaux en Inde ont été déracinés de leur terroir. Les liens multiples de la communauté de sang et les liens si subtils de la religion formaliste et du ritualisme qui ligotent tant d’aspirants ont été tranchés d’un seul coup par la grâce du Seigneur. On n’a laissé ouverte que la voie de la relation spirituelle conduisant à l’Unité dans la Conscience Universelle.

 

            Soyons-en reconnaissant au Guide Divin qui réside dans le cœur de chacun.

 

 

 

 

 

 

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TABLE DES MATIERES

 

INTRODUCTION

 

PREMIERE PARTIE

 

REPONSES ECRITES

 

DEUXIEME PARTIE

 

REPONSES ORALES

 

I –   A PROPOS DE MA

           

A – MA ET VIJAYANANDA

                    B – MA ET LES AUTRES

                    C – APRES MA, EN MA

 

II –  A PROPOS DE LA SADHANA

            

A – CONSIDERATION GENERALES

                    B – QUALITES DE BASE

                    C – LE YOGA DANS SON CADRE HINDOU

                    D – PSYCHOLOGIE DE LA SADHANA

                    E – YOGA ET VAIRAGYA (RENONCEMENT)

 

III – LE YOGA ET L’OCCIDENT

 

 

TROISIEME PARTIE

 

    CARNET DE NOTES

 

QUATRIEME PARTIE

 

    REFLEXIONS POUR DES OCCIDENTAUX ALLANT EN INDE



[ Sadhana : Pratique spirituelle régulière

ýTamas, l’inertie, la lourdeur, l’obscurité, une des trois propriétés de la matière primordiale, appelées Gunas. Les deux autres aspects sont Rajas, le mouvement et ce qui produit le mouvement, et Sattva, la qualité de l’harmonie, la lumière, la légèreté. Les trois gunas agissent et réagissent continuellement l’un sur l’autre, et tant que le monde existe, ils sont toujours dans un équilibre instable.

[ Le Guru suprême. Celui qui est notre propre Soi.

[ Sadhaka : aspirant spirituel

þ Sattva est l’attribut (guna) le plus subtil, celui qui exprime l’harmonie, la lumière, la pureté. C’est une des trois énergies qui imprègnent l’univers tout entier. Les deux autres sont Tamas (l’énergie très dense) et Rajas (l’énergie dense).

þ Sadhaka : celui qui suit une discipline spirituelle

[ Bhava : un des mots sanskrits qui a le plus de significations : émotion, état d’être, expérience intérieure.

[ Kali-yuga : Age de querelle et d’hypocrisie, dernier d’un cycle de quatre (maha-yuga). Il est essentiellement caractérisé par la disparition progressive des principes de la religion et l’unique soucis de confort matériel.

[ Pourana : textes traditionnels principalement médiévaux regroupant tout ce qu’un hindou doit savoir sur la cosmogonie, les mythes, les rituels, etc…

[ Samskara : tendance innée, conditionnement profond

[ Brahmachari : littéralement « Celui que va dans le Brahman’ ; signifie de manière courante ‘étudiant célibataire’

[ Jnana-yoga : Voie de la connaissance. Celui qui emprunte cette voie s’efforcera d’atteindre la perfection spirituelle en cultivant la connaissance, par l’étude des Ecritures et la spéculation philosophique. Il permet d’atteindre à la réalisation du Brahman impersonnel.

[ Bhakta : (bhakti-yogi).

   Bhakti-yoga : La voie du développement de la bhakti, de l’amour pour Dieu, en son état pur.

[ Samadhi : expérience d’absorption, enstase survenant chez un sadhaka.

[ Bodhisattva : Celui dont l’esprit est éveillé et agit avec courage. Le Bodhisattva qui a vaincu l’ego voue sa réalisation au bien de ses semblables. Sa grande sagesse et son infinie compassion  lui dictent de ne point renoncer au monde où il renaîtra ‘il se manifeste perpétuellement pour le bonheur de tous les êtes’