Jay Ma n° 60

Printemps 2001

 

Paroles de Mâ

Le chemin qu'on a choisi doit être poursuivi avec une grande vigueur afin de pouvoir développer la pureté du coeur et de l'esprit. Quand le but est toujours devant soi comme une réalité vivante, tout le nécessaire viendra de lui-même.

Si vous pouvez développer la beauté intérieure et l'installer dans ce temple glorieux qu'est votre coeur, vous serez capable de percevoir la beauté en tout.

Où que vous alliez, n'importe où et n'importe quand, allez-y de tout votre coeur et de toute votre âme, et personne ne vous paraîtra étranger.

Aucun mal ne peut submerger celui qui reste étroitement associé au Nom de Dieu. Si le flot du nom de Dieu est entretenu, chaque travail mènera au bien.

Balloté qu'il est entre les épreuves et les plaisirs de la vie de famille, l'homme du monde sent parfois s'éveiller en lui un esprit de renonciation avec une aspiration désespérée pour Dieu. Quand il en va ainsi, celui qui mène la vie de famille est en meilleure position que bien des ascètes qui ont quitté foyer et parents.

Puisque l'Esprit éternel s'est répandu dans les créatures, il est obligé que l'appel divin au retour à Shiva se fasse entendre en chacun : tous les êtres vivants, chaque créature doit être retransformée en Shiva.

Le Suprême est la Joie en soi. C'est pourquoi le but de la vie pour tous les êtres vivants est la Joie (ananda) : en tout temps, donnez et recevez le bonheur.

Réponses de Vijayananda

- Comment peut-on savoir si ce qui paraît un souvenir de vie antérieure n'est pas de l'imagination, une construction mentale?

- Vijayananda : Le premier critère est son apparition spontanée, quand on n'était pas concentré sur ce sujet. Il y a de nombreux exemples de personnes qui avaient des images et des notions claires d'une vie antérieure récente et qui ont pu retourner sur les endroits où elle s'était déroulée et vérifier les faits. Cependant, il n'y a pas lieu d'attribuer une si grande importance à des images précises. En fait tout le monde se souvient de ses vies antérieures, mais cela peut se manifester de façon non-imagée, comme par exemple à l'occasion d'un choix professionnele, etc... ou d'ue tendance inexplicable par ailleurs, ce qu'on appelle samskara en Inde.. Par exemple, si quelqu'un a une passion pour les sujets militaires alors que personne autour de lui n'est dans l'armée ni n'est intéressé par ce domaine, cela peut indiquer une vie antérieure comme soldat (la conversation avait commencé car Vijayananda avait dit récemment à un visiteur indien d'âge mûr qui avait des lobes d'oreilles particulièrement longs, comme le Bouddha, qu'il avait dû faire beaucoup de pratiques spirituelles dans des vies antérieures. Cette personne est revenue aujourd'hui en disant combien elle avait été remuée par cette réflexion, et on sentait à son ton de voix que c'était vrai. Vijayananda a alors ajouté :) Il s'agit d'un signe corporel décrit par la tradition. Les personnes qui ont fait beaucoup de Yoga dans une vie passée mais n'ont pu atteindre la libération à cause d'un désir survenant au moment de la mort, se réincarnent pour essayer de satisfaire ce ou ces désirs. Ceux-ci prennent alors la forme de samskaras ou vâsanas (inclinations profondes qui remontent en force à la surface de temps en temps), mais quand ils sont épuisés, le yoga-brashta, celui qui a «manqué le yoga» -c'est ainsi que s'appellent ces personnes- redécouvre son entraînement antérieur et se met à progresser rapidement vers le but. Ceci dit, il faut bien avouer que la plupart des souvenirs que les gens croient venir d'une vie antérieure sont en fait des fantasmes, des constructions mentales auxquelles ils adhèrent.

Vijayananda, en parlant d'une personne qui a un tempérament plutôt batailleur :

Je lui ai conseillé de ne plus méditer sur l'ajña, car cela peut accroître une colère de base quand celle-ci est présente. En fait, c'est un des conseils que Mâ m'a donné lors de notre première entrevue (il y a juste un demi-siècle). Je me suis donc mis à méditer sur le coeur, mais par la suite elle m'a demandé de nouveau de me concentrer sur l'ajña.

Q : On dit dans certain textes de Yoga ou de Tantra qu'il y a en fait deux ajña, l'un inférieur à la racine du nez et l'autre supérieur vers le milieu du front, et que le premier est relié à

l'égo et à la colère, alors que le second est associé à l'âtma et à la sublimation; avez-vous aussi cette notion?

V : C'est vrai, cela peut aider de méditer plus haut que la racine du nez pour dépasser une tension de l'égo reliée à une méditation mal avisée sur l'ajña inférieur; cepêndant, ces centres sont surtout des supports pour la rencontre des nadis. Ils mènent à une conscience au-delà du corps.

Q : Est-ce que Mâ pouvait faire comme certains maîtres tibétains qui donnent des exercices pour développer certains pouvoirs, par exemple réchauffer le corps par le tou-mo, afin d'attirer le chercheur débutant à l'intérieur de lui-même ?

V : C'est possible, mais il est difficile d'en être sûr car les excecices qu'elle donnait devaient être tenu secrets à sa demande. Ce qu'il y avait de bien avec Mâ, c'est qu'elle donnait non seulement un exercice de méditation, mais avec lui elle incluait aussi le pouvoir de le faire correctement.

Q : Est-ce qu'on peut dire que le védanta consiste réellement en une méditation sans support?

V : Même dans le védanta, il est bon pendant longtemps d'avoir un support, comme la lumière, de se représenter plongé dans une mer de lumière. On peut aussi faire cela avec le son. On peut ensuite se demander qui est celui d'où provient la lumière ou le son.

 

La mort doit mourir

par Atmananda

Nous continuons à donner maintenant des extraits du journal d'Atmananda qui vient d'être publié à Bénarès. Nous mettons d'abord des textes de 1947, c'était la période où elle se détachait d'anciens amis ou enseignants, en particulier de Krishnamurti dans l'école duquel elle avait passé dix ans à Bénarès, pour s'engager avec Mâ. Il faudrait citer plus de textes pour voir les nuances de son évolution avec celui qu'elle appelait J.K., ou simplement K., dans son journal, mais la page du 24 décembre 1947 que nous donnons ci-dessous donne une bonne idée de ce qu'Atmananda ressentait à son sujet. Elle commence par parler d'un de ses amis proches Lewis Thomson, qui est mort précocément. Il fréquentait Ramana Maharshi, et ses recueils de poèmes ont inspiré la jeune génération anglophone des années 60 et 70. Atmananda lui doit beaucoup, mais elle ne manque pas de lui envoyer quelque pointe dans son journal, comme celle que nous donnons au début des extraits ci-dessous. Dans l'édition anglaise du journal, quand Atmananda, comme un certain nombre de disciples d'Anandamayi, se réfère à Mâ à la troisième personne, elle le fait avec la majuscule Elle, Son, etc... Nous n'avons pas suivi cet usage; en effet, autant les hindous et ceux qui vivent en Inde ont l'habitude de voir le Divin dans un corps humain, autant les Français ne l'ont pas et ils risquent de percevoir dans cet usage un excès. Ceux qui voudraient commander Death must die, ce nouveau livre d'Atmananda qui mérite d'être lu, trouveront après le dernier extrait les renseignements pratiques à cet effet.

Rajghat (Bénarès), le 19 juillet 1947

Lewis ne semble plus avoir la bonne influence qu'il avait d'habitude. Ceci est dû en partie au fait que j'ai cessé de l'adorer. Le conflit profond en lui est terrible et destructif. Je peux aussi voir comment un fort esprit de critique, aussi lucide soit-il, ruine l'esprit, en particulier quand on s'y complaît et qu'on y donne une importance excessive. Il y a un certain orgueil, auto-suffisance et sentiment de supériorité dans le fait de juger constamment et de voir avec acuité les défauts subtils des gens et des choses. Mâ dit: Vous ne devez pas regarder les défauts des gens, mais rester dans votre coin et consacrer tout votre temps à ce qui est réellement important. Je ne lui obéis pas autant que je le devrais et je suis tenté de parler aux gens sans nécessité. Je n'ai pas de vrai satsang ici.

Le 23 juillet 1947

Le conseil de Mâ à propos de la colère était un autre «oeuf de Christophe Colomb» [du genre «C'était simple, mais il fallait y penser !»...] Maintenant, à chaque fois que je me mets en colère, je me rappelle que cela me détourne du Suprême. Quelles que soient les justifications qu'on puisse y trouver, cela n'en vaut pas la peine. Parfois je me mets quand même en colère, mais simplement par habitude, et je le vois maintenant. Elle tire toujours dans le mille ! ...

Le 10 août 1947

Mâ est arrivée le 29 juillet mais je ne l'ai su que le 31. Je suis à l'ashram plusieurs nuits par semaine. J'ai eu une grande dispute avec elle sur le fait d'être toujours chassée de certaines parties de l'ashram à cause des «règles». Elle a dit : C'est bien, je vais quitter Bénarès et tu vas habiter confortablement à Rajghat. Elle a réellement extrait cela de mon esprit, car je pensais en moi-même qu'il n'y avait pas de raison d'aller dans un ashram incomfortable comme celui de Mâ alors que Rajghat était beaucoup plus agréable. Elle m'a aussi dit : Pourquoi t'es-tu mis dans la tête que je suis ton ennemie? Cela a été également quelque chose qui m'a guéri. Quoi qu'elle fasse, c'est le mieux pour moi. Hier, j'ai eu un aperçu soudain de sa divinité. Son corps est à la fois un corps et pas un corps, c'est une affaire des plus mytérieuses.

Le 18 août 1947

L'autre jour, quand Mâ m'a parlé, elle m'a aussi dit : Personne ne peut être en colère avec moi pour longtmps, personne ne peut combattre avec moi. Je lui ai dit : «Je vais m'en aller». Elle répondit : Tu ne peux me quitter, plus tu essaieras, plus tu seras proche, comme collée à moi.

Le 4 septembre 1947

John est arrivé hier [Il s'agissait d'un membre actif de la Société théosophique qui avait été un instructeur d'Atmananda auparavant]. Dans quelle forteresse John vit, même s'il a sa propre profondeur ! Mais qu'en est-il de tout cela? Quand je vois toutes ses affaires et ma propre chambre pleine de livres, d'images et de je ne sais quoi, j'ai vraiment ressenti pour la première fois de prendre le sannyas ! Si on ne le fait pas, la société s'attend à ce que vous fassiez une chose, une autre et encore une autre. Il n'y a que la robe orange qui vous protège de ces demandes. Si je veux réellement être un sadhaka, je ne dois pas être troublée par quoique ce soit. Même ce soir, je sens la présence de Mâ, si forte et elle me manque tant ! Pourtant, elle a quand même dit : Faites chaque chose comme un service. Vous ne devez pas laisser tomber cela [vos activités] avant de ne pouvoir plus du tout travailler à cause de la force de votre absorption complètement en Dieu ...

Des gens vinrent et couvrirent Ma avec des guirlandes, elle en donna à tous ceux qui étaient présents. Quand je pensais qu'il n'y en avait plus et je ne regardais pas dans sa direction, elle me lança un morceau de guirlande avec deux grandes fleurs à chaque extrémité. Je regardais cela en demandant : «Qu'est-ce que c'est?». Ma répondit : main aor tum (moi et toi). Je ne pouvais l'entendre correctement et cela me fut répété trois fois. J'ai pensé que tout cela tombait vraiment bien, car je m'étais senti quelque peu oppressée par mon passé qui était remonté à cause de la visite de John. Je suppose que ce qu'on a en soi doit remonter à la lumière afin d'être dénoué, démêlé et éclairci. Sa grâce m'a particulièrement touchée ce soir- là ... Elle a dû voir tout ce qui dans mon passé me liait à John et l'a maintenant défait. C'est pourquoi l'abandon à un vrai gourou est si important ...

23 octobre 1947

John est parti hier. Je réalise qu'il n'y a rien qui puisse justifier que je m'identifie à la Blanca [le nom d'Atmananda auparavant] qui était tellement fascinée par lui à 16 ou 18 ans. Je ne peux plus considérer cette fille comme moi-même. Qu'est-ce que c'est que l'individualité ? Qu'est-ce qui lie les expériences ensemble ? Est-ce seulement le corps ? Mais lui aussi n'est plus le même. Chaque atome qui le compose doit avoir changé depuis. Mais il y a une structure qui se dégage d'elle-même et qui maintient une certaine forme. Si je ne peux m'identifier avec la Blanca d'il y a des années, il s'ensuit que ce que je semble être maintenant est également temporaire et ne représente pas du tout l'essence. Mais alors, qu'est-ce qui demeure?

24 décembre 1947

J'ai lu plus des entretiens récents de J.K (Krishnamurti) à Madras et je sens que je n'ai plus envie d'aller l'écouter. Cela me serait plus ou moins inutile et même probablement perturbant. Je trouve qu'il y a quelque chose qui manque en lui. Il ne pas donne pas le Tout, mais présente seulement un aspect, très probablement en réaction à la situation d'aujourd'hui, mais cela induit en erreur. Il vous emmène pour un bout de chemin, mais ensuite vous laisse courrir à vide et sans aucun soutien. Après tout, c'est sa propre intensité et expérience qui donne de l'impact à ce qu'il dit et quand il est parti, vous revenez virtuellement à votre état d'esprit précédent, induit et influencé par votre entourage qui est tout à fait contre vous. Je doute qu'il soit possible de maintenir cette conscience

tout le temps, à moins de vivre dans un environnment où les autres sont vraiment conscients. C'est pourquoi il est nécessaire -en dépit de ce qu'il dit- de vivre auprès de quelqu'un de réalisé autant que possible ou au moins de vivre dans une sangha, une sorte de couvent où les autres font des efforts dans le même sens que vous.

Mâ semble être bien plus réaliste et avoir un plus grand sens de ce qui marche vraiment quand elle dit aux gens de s'en tenir à leurs prescriptions dharmiques traditionnelles. L'Inde menace de devenir une imitation bon marché de la «civilisation» occidentale, qui, en fait, dans sa manifestation matérialistique actuelle n'est pas une civilisation du tout. En effet, elle est née de ce qui est superficiel et pas comme la culture indienne, des profondeurs considérables de la réalisation des Rishis. C'est ici qu'on doit trouver la base pour une nouvelle culture.

L'éducation ici est complètement occidentale, mise à part celle donné par un vrai Gourou à son disciple. Il n'est pas vrai, comme le dit J.K, qu'elle soit basée sur l'autorité. Cela peut en avoir l'apparence, mais en fait elle est fondée sur un amour qui vous submerge et un abandon complet qui accomplit l'annihilation de l'égo avec ses limitations inhérentes et son ignorance. J.K. a ses limites, car il refuse de reconnaïtre que c'est complètement différent d'aimer et d'être aimé par un Etre réalisé que par humain ordinaire accablé par son égo.

Ce n'est pas seulement une satifaction émotionnelle qui relie le disciple au Gourou. Cet amour des pus intimes, qui est réellement la révélation de son Soi le plus intérieur, absorbe votre esprit et vous devenez Cela. Ainsi donc, le Gourou est un véhicule qui vous fait monter de plus en plus à son niveau et alors c'est toute votre perspective qui se transforme -vous devenez déconditionné- libre.

De toutes façons, si l'on rencontre un tel grand Etre qui fait surgir votre amour, on ne se préoccupera jamais de ce que J.K. dit et c'est peut-être pour cela qu'il ne sera jamais confronté avec une telle situation, car après avoir trouvé un tel Etre, qui s'emcombrerai donc la tête à aller discuter avec lui ?

Malati souhaite aller à Bombay pour écouter J.K., mais sa position est différente. Elle ne prend pas dogmatiquement ce qu'il raconte, mais en retire ce qui fait sens pour elle et il y a une clarté en lui qui l'influencera probablement dans le bon sens. Elle se met, par exemple, en quatre pour préparer la cérémonie de la cordelette de Ravi [rituel d'initiation des garçons brahmines vers l'âge de douze ans qui en font des «deux fois né», avec entre autres le devoir de réciter le mantra de Gayatrî tous les jours] et se prosterne tant et plus devant Mâ, etc,... et ne se soucie pas du fait que J.K. tourne en dérision toutes ces choses. En cela elle est comme la plupart des Indiens dont la conscience est naturellement installée dans leur culture au-delà du temps et qui absorbent ainsi facilement des contradictions de surface. Les Occidentaux en sont incapables. Comme Mâ lui a dit, telle l'abeille elle va rassembler son miel de nombreuses fleurs.

Hatha-Yoga spontané Allahabad, Kumbha-Méla, 1er février 1960

Kriyânanda (un américain disciple de Yogananda Parmahamasa et qui a fondé un bon nombre de communautés spirituelles) : Est-ce que les femmes peuvent pratiquer siddhâsana ? (une posture de yoga similaire au lotus, mais avec les deux talons l'un sur l'autre au niveau de la ligne médiane : certains enseignants de yoga la déconseillent aux femmes)

Mâ : Quand ce corps a joué le jeu de la sadhana (les pratiques spontanées qui sont venues à Mâ quand elle était jeune femme dans les années 20), siddhâsana est apparue d'elle-même. Elle peut donc être pratiquée par les femmes aussi bien que par les hommes. Quand une âsana est pratiquée comme une expression naturelle de l'état intérieur, elle sera parfaite, c'est- à-dire que la position des jambes, des mains, des bras, de la tête -tout sera exactement comme cela doit être. Effectuer une âsana par un effort de volonté n'aura jamais la même perfection. Les âsanas sont reliées au rythme de la respiration et celle-ci l'est avec l'état intérieur à un moment donné. Quand les âsanas sont accomplies comme une pratique yoguique, c'est-à-dire avec l'ntention d'atteindre la révélation de l'union avec le Un qui existe éternellement, ce n'est qu'à ce moment-là qu'elles parviendront au résultat escompté. Si on les fait uniquement comme un exercice physique, elle procureront la santé et le bien-être, mais c'est tout -pas l'union véritable (yoga). Même quand on a atteint la perfection d'une posture particulière et que son essence s'est pleinement révélée, on doit penser : j'ai atteint ceci, mais qu'est-ce que ça vaut ? Ce n'est pas le but ultime  

Cette attitude est le vairagya (détachement). On s'efforce ensuite d'atteindre le stade suivant et ainsi de suite. On doit garder cette attitude jusqu'à ce que rien ne reste à atteindre, c'est seulement à ce moment-là qu'on parviendra à l'Ultime. Sinon, on est bon pour traîner lontemps à un niveau donné plutôt que de progresser rapidement vers le but final. On doit associer le hatha-yoga avec le râja-yoga (la gradation des excercices d'intériorisation jusqu'à la méditation et au samâdhi), sinon il s'agit d'un simple excercice physique.

Quand ce corps a effectué des âsanas, elles sont survenues spontanément, les jambes ont pris les positions justes d'elles-mêmes poussées par un pouvoir intérieur qui n'était pouvoir rien d'autre que la Shakti de l'Atma. Une fois, j'ai bougé ma jambe de façon volontaire et je me suis fait mal. Le trouble est resté, il est toujours là.

Lumières Allahabad, le 2 février 1960

Le professeur de chinois de l'université d'Allahabad, Mr Chow, demanda : Une fois, en méditant dans une pièce obscure, j'ai eu l'impression qu'elle était baignée par le clair de lune; mais lorsque j'ai ouvert les yeux, je me suis aperçu que j'étais dans le noir. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Mâ : Voir de la lumière est un bon signe. Tant que le chemin n'est pas éclairé, comment peut-on voir quelque chose ? Il en va de même dans le monde matériel, tant qu'il n'y a pas d'éclairage vous n'y voyez rien. A présent il y a la lumière à l'extérieur et l'obscurité au-dedans. Quand la lumière se répand sur le monde intérieur, celle du dehors s'efface. Cependant, il s'agit d'un stade où il y a encore une différenciation entre intérieur et extérieur; mais il y en a un autre après où il n'y a plus ni intérieur ni extérieur, l'ensemble des choses est vu comme un tout.

 

Continuité dans l'amour de Dieu, détachement et bonheur Poona, le 5 juillet 1961

Il a plu des cordes depuis plusieurs jours presque sans interruption. Ce matin, Mâ parlait du temps et de combien de problèmes chacun avait eu pour venir à elle. Elle dit alors: «Il n'arrête pas de pleuvoir. Si votre amour de Dieu pouvait pleuvoir comme cela, s'écoulant sans interruption, comme il serait beau ! On dit que la saison des pluies favorise l'amour et la dévotion à Dieu. Que le courant de votre dévotion pour Lui coule continûment comme cette pluie !».

Q : Pourquoi Dieu permet-il tant de souffrances dans le monde? Demandez à qui que ce soit ici : personne n'est heureux et pourtant tous veulent l'être.

Mataji : Si vous désirez les choses de ce monde, vous serez malheureux et si vous progressez vers Dieu, vous serez heureux. C'est la manière dont il vous enseigne à venir vers Lui. Si vous n'aviez pas de difficultés, vous ne penseriez pas à Lui. Mais vous désirez toutes sortes de choses et ainsi vous êtes malheureux. Il y a l'histoire de l'âne qui est une bonne illustration de la façon dont les choses fonctionnnent dans ce monde. Un dhobi (blanchisseur) possédait quelques ânes pour porter les habits dont il avait fait la collecte pour les laver. Comme il était pauvre, sa maison était trop petite pour garder les ânes à l'intérieur et il les laissait dehors pendant la nuit. Il ne pouvait même pas s'offrir assez de corde pour tous les attacher. Les ânes s'enfuyaient et le dhobi passait des heures à essayer de les retrouver. Il eut donc une idée astucieuse. Il noua autour d'une de leurs pattes un petit bout de corde et chacun, pensant par ce contact qu'il avait été attaché, resta debout au même endroit pendant toute la nuit. Il en va de même dans le monde. Vous sentez le contact de Mâyâ et vous imaginez que vous êtes liés. Vous pensez : comment puis-je faire sans mes enfants, mon mari, ma femme, mes parents, etc.et ainsi vous restez là où vous êtes et ne progressez pas vers Lui.

Ceux qui voudraient se procurer l'ouvrage original d'Atmananda en anglais, qui vient de sortir à Bénarès, peuvent écrire à Alvaro Enterría, Indica Books, D 40/18 Godowlia Varanasi 221001 UP, Inde. Le prix du livre en couverture souple (paperback) est de 400 Rps, en couverture cartonnée (hardback) de 500 Rps, ce à quoi il faut ajouter environ 300 Rps de port par avion, ce qui fait en Frs environ 110 Frs dans le premier cas et 130 dans le second; ils acceptent les chèques. Vous pouvez écrire en français de la part de Jacques Vigne et de Jay Ma à Alvaro: il a été éduqué au lycée français de Madrid, mais vit depuis une douzaine d'années à Bénarès où il pratique sa sadhana, s'est marié avec une indienne et publie des livres spirituels intéressants en anglais, espagnol et parfois même en français.

 

Anandamayi : une rose mystique

par Mahendranath Sircar, docteur en philosophie

J'ai rencontré Mâ pour la première fois en 1929 à Dacca où je m'étais rendu dans le cadre du Congrès indien de philosophie. J'étais tout à fait décidé à la rencontrer. C'était un de mes amis pour lequel j'avais beaucoup d'estime qui me l'avait conseillé. Il faisait partie de ses proches. On m'avait dit qu'Anandamayi était douée de qualités spirituelles rares. J'éprouve un grand intérêt à rentrer en contact personnel avec des hommes ou des femmes qui ont des dons spirituels, en particulier quand leur vision est authentique et n'est pas adultérée par de l'intellectualisme et des idées d'emprunt.

Anandamayi n'a guère eu le privilège de faire des études; elle est presqu'illettrée et n'a pas bénéficié dans sa jeunesse de la compagnie d'être spirituels. En tant que maîtresse de maison dans une famille d'humble condition, elle était occupée par la tenue du foyer. Elle n'avait pas de monde en dehors du sien et de celui de sa famille proche. Elle était une fille de village extrêmement simple, pas du tout compliquée et à cent lieues des manières d'être qui caractérisent la vie de la civilisation moderne. Cela fut mon impression lorsque je l'ai rencontrée pour la première fois dans une maison à Ramna, Dacca. Elle était assise seule dans une chambre plutôt grande et j'arrivai là-bas quand le soleil était déjà couché. Il y avait une lumière dans la pièce et après m'être enquis du lieu où se trouvait Mâ, on m'a invité à y rentrer, ce que je fis. Ma première impression a été d'un être humain doux, délicat et beau comme une fleur. Ce jour-là, elle n'était pas très communicative mais les mots même qu'elle échangeait produisaient un effet évident. Elle se mit à s'intérioriser et à s'enfoncer en elle-même. Elle devint complètement silencieuse, mais pas moins communicative; son silence était des plus éloquent. Anandamayi était belle dans son apparence mais à mesure qu'elle allait plus profond en elle-même elle devenait plus radieuse, manifestait plus son humeur et son état d'esprit et fondait sa douceur et sa grandeur silencieuse dans cette atmosphère de quiétude. Notre première rencontre s'acheva en silence.

La nouvelle de notre entrevue fut répandue dans le congès par un universitaire de Bombay. Les professeurs distingués de Bombay, Poona, Madras et d'autres parties du pays me demandèrent de les emmener chez Mâ. Le lendemain, nous étions tous réunis chez elle, la maison était pleine. Un professeur du Wilson College menait la discussion et j'étais l'interprète. Elle dura pendant trois heures et on posa toutes sortes de questions, mais surtout sur des sujets de philosophie. Les réponses de Mâ survenaient spontanément, immédiatement, comme si elles étaient là toutes prêtes. Elle n'avait ni hésitation, pas le moindre processus de pensée consciente, pas le moindre signe de nervosité en elle. Ses réponses tombaient à point nommé, elles étaient libres des lourdeurs techniques de la philosophie. Toute l'assistance s'est mise à aimer sa vive intelligence, son esprit de répartie et les expressions de son visage qui parlaient à la fois au coeur et à l'âme. On a entendu celui qui posait les questions dire que pendant tous ses voyages en Europe et en Amérique, il n'avait pas rencontré de femme si illettrée et pourtant si sage.

Vers la fin de la discussion, Anandamayi était à l'évidence immergée en elle-même et en un moment d'inspiration émit une ou deux phrase en sanskrit. On ne put les saisir et donc les noter. Toute l'assemblée était dans la joie, émerveillée par sa sagesse, son expression qui coulait de source et par la lumière de son sourire sur le visage.

J'ai revu Mâ quelques années plus tard deux fois à Bénarès. Elle me fit une impression presqu'identique, avec cette différence qu'elle était maintenant plus consciente et d'une humeur qui semblait plus calme (composed). L'inconscience et la spontanéité en elle étaient passées au second plan et elle était maintenant devenue une enseignante consciente et l'interprète de sa propre expérience ... A certains moments elle prenait son essor dans la région sublime de l'intuition et de l'Intellect et sentait la totalité de l'existence dans son extension maxima. Elle mettait en avant la non-division de l'existence et réalisait le silence transcendant avec un calme de l'Intellect teinté par la ferveur des émotions. J'ai eu une fois la chance de faire un voyage sur le Gange avec elle en avril dernier [probablement en 1945] et j'ai entendu une description éloquente, dans un état d'exaltation, à propos de son omniprésence et de son immanence en toute chose. Le fait qu'elle soit elle-même une avec le coeur de l'existence ne signifie pas qu'elle demeure sans cesse dans les plaisirs des hauteurs. Elle s'identifie souvent avec les misères de l'humanité et montre son souci de porter sur ses épaules son fardeau. Elle n'est plus maintenant inclinée à retomber dans ce silence qui lui est naturel, mais elle souhaite vraiment assumer un service dépourvu d'égo pour inspirer, guider et offrir un baume apaisant à l'humanité qui souffre. A présent, elle se sent totalement imprégnée de vie, de souffle et de félicité.

Elle se reconnaît elle-même dans cette pulsation cosmique qui exprime le fait d'être ici et maintenant, et pourtant elle est loin au-delà dans un silence inaccessible. Anandamayi a dit une fois : la satisfaction de chacun est ma satisfaction, le bonheur de chacun est mon bonheur. Les misères de chacun sont mes misères. A d'autres occasions, elle a dit : Il n'y a pas de misère, car je n'ai pas de misère. Le soleil et la lune sont mes formes. Agni (le Feu) et Vayu (le Vent) sont mes pouvoirs. En un autre moment d'inspiration, elle a dit : je n'attend pas que vous soyez prêts spirituellement. Comme le Gange qui s'écoule, je continue à répandre sans cesse, sur tous et tout ma compassion. C'est ma nature. C'est mon être ...

Son instruction principale est de développer un abandon (surrender) complet au Divin grâce au coeur. L'abandon ouvre l'être intérieur, lui insuffle une aspiration et le rend prêt à recevoir; finalement il permet l'identification de l'âme qui aspire avec le Divin dans cet espace qu'il y a au plus intime du coeur. Tout devient alors facile; en effet, les déformations de notre être sont alors enlevées et il peut se tenir debout, sans masque, dans la lumière et la splendeur divine. Une fois que l'être a la touche du Divin, les impressions s'approfondissent grâce à cette tendance ascendante de l'être qui se développe petit à petit. Une grande force descend, elle purifie et donne forme à l'être et le rend digne d'une réussite plus haute, c'est-à-dire la révélation de la sagesse profonde, d'une lumière non tamisée et du pouvoir certain.

L'être (physiquement) frêle d'Anandamayi se trouve illuminé par une lumière rare, ainsi qu'élevé par une rare vision. Elle est vraiment devenue une Rose spirituelle d'où se dégage une douceur peu commune, une délicatesse rare et des vagues d'une félicité excellente. J'ai vu une de ses photographies qui avait été prise juste après l'une de ses extases. On pouvait voir comme imprimé sur son visage un charme divin. C'est comme un clair-obscur spirituel à la tombée du jour, mi-conscient, mi-inconscient de la lumière qui se retire, un jeu d'ombre et de lumière divine. Elle était alors comme un Lotus, réceptivité pure dans la lumière du Soleil enveloppée par l'obscurité du crépuscule.

 

 

Nataraja

Par Monique Manfrini

Un pied levé

Et l'autre piétinant

Tu danses, entouré de flammes,

Le torse embrassé du serpent familier

Ton mouvement est Vie intense

Et immobilité sereine

La couronne de feu qui t'encercle

Sans jamais t'effleurer révèle ta puissance

Et la force de ta danse...

Tu relies ciel et terre

 

Ecrasant l'ignorance et la stupidité, vaincues,

Mais, élevant l'homme vers la vraie Vie

Cachée derrière Maya, le voile opaque

Dérobant le sens profond de ta danse.

Danseur de l'Univers,

Autour de toi gravitent

Les flammèches-planètes

Qui, sans cesse, s'agitent, meurent

Et renaissent, magiques,

Dans leur mouvement ordonné.

Bien que tu ne bouges pas,

Tout est équilibre

Mouvant autour de toi...

Nous t'admirons et vénérons

Ta beauté et ta Sagesse

O Dieu ascète qui danses

Pour nous révéler le Vrai

Blotti sous cette existence...

J'imagine ta danse, couronne

D'un pic de l'Himalaya, immaculée,

Sur fond d'azur bleu et doré,

Au point du Jour, éternellement

Renaissant de la création

Monique Manfrini 40 Chemin de Cézanne n°23 La Campagne Bleue 13016 Marseille

 

Le maître

par Silviane Le Menn

Le maître n'est rien

il est tout dans l'un

et un dans le tout

Il est la balle de ping-pong

qui renvoie sans cesse

l'être à sa propre image

Ouvert ou fermé

il cultive la rose

Humain et divin d'un pôle à l'autre

il suit l'éternel rythme

du flux et du reflux

Point d'interrogation vivant

il est

les pieds dans la terrre

et la tête dans les étoiles

Il est planté droit

à l'intersection de lui-même

à la verticale de son horizontale

dans l'axe de sa transparence

à la croisée du coeur avec le Coeur

Le maître n'est rien

et pourtant il est tout

Compris et incompris

il est danger et sécurité

Il va d'un extrême à l'autre

Il fait tout et son contraire

et trouve ainsi le Centre

la Voie du milieu.

Silviane Le Menn

29150 Dinéault

 

Les archétypes de l'union mystique dans l'hindouisme

par Jacques Vigne

Intégrer, unifier, totaliser, en un mot abolir les contraires et réunir les fragments est, dans l'Inde, la voie royale de l'Esprit.

Mircea Eliade

Mircea Eliade a passé plusieurs années en Inde et à même pratiqué pendant quelque temps le yoga à Rishikesh sous la guidance de Swami Shivananda. Il a écrit un livre sur le Yoga qui est devenu un classique et un ouvrage sur l'androgyne dont nous avons tiré la citation en exergue. Le monde intérieur comme extérieur repose sur les paires d'opposés (dvandvas), le but de l'évolution humaine est d'aller au-delà de la dualité de ces paires (a-davaïta). Dans ce long processus, la réussite du mariage intérieur est une étape importante.

Nous pouvons commencer par évoquer le rituel du mariage hindou tel qu'il est pratiqué encore couramment: le coeur de ce rituel correspond au moment où les époux se prennent par la main et tournent sept fois autour du feu sacré. Ceci évoque la construction d'une union spirituelle (l'ascension spiralée des sept chakras) autour de cette base qu'est le feu du foyer, ou le feu du désir. En effet, que deviendrait ce feu intérieur s'il n'était pas recouvert et dépassé par le tournoiement, le vertige ascendant du «deux» en train de devenir «un»?

On raconte une histoire à la fois jolie et profonde sur le mystique Toukaram : sa femme était plutôt irascible contre lui, car il ne rapportait guère d'argent à la maison. Un jour, Toukaram venait de finir de récolter les cannes à sucre dans ce qui était son seul champ; celui-ci était assez éloigné de sa maison et il revenait avec sa charette chez lui. En chemin, il rencontre de pauvres gens et, pris de compassion, il leur donne des cannes à sucre; puis d'autres cannes à d'autres mendiants et ainsi de suite jusqu'au moment où il parvint chez lui avec juste une seule canne qui restait dans la charrette. La femme apprit ce qui s'était passé et dans sa fureur se saisit de la canne et la brisa en deux sur le dos de Toukaram. Celui-ci devint très joyeux et dit:'Avant, il y avait un problème parce que nous n'avions qu'une canne pour deux, mais maintenant il est résolu car nous avons deux pour deux, chacun la nôtre!' La femme représente ici le désir physique qui veut toujours posséder plus, d'où la colère qui amène à briser le un en deux et produit un sentiment de frustration à long terme. Toukaram représente le mariage extérieur vécu spirituellement, ou même directement le mariage intérieur: dans le deux apparent, il ne voit que le un et en retire de la satisfaction, de la joie à long terme. Ce sont des points de vue différents sur la même situation concrète de départ.

Il existe dans l'hindouisme une représentation quelque peu étrange de l'union mystique, mais qui s'explique aisément si on connaît un tant soit peu le Yoga; il s'agit de celle de la déesse tantrique Chinnamasta (masta, tête chinna, coupée). On la représente nue, dansant sur Kama et Rati, le dieu et la déesse du désir allongés en union sexuelle au sein d'un lotus géant, et elle tient sa propre tête coupée entre les mains. De son cou sortent trois jets de sang; celui du centre nourrit sa propre tête, les deux latéraux alimentent ses deux compagnes qui avaient faim et soif et qui lui avaient demandé quelque chose pour se nourrir. Comme ils étaient en pleine mer et qu'elle n'avait rien d'autre, elle s'est tranché la tête et leur a offert son propre sang. La danse de Chinnamasta sur le couple en union représente la montée de l'énergie vitale. Le jet central correspond au sushumna, et le fait qu'il nourrisse la tête de la déesse elle-même exprime le rayonnement spirituel qui découle d'une montée réussie de l'énergie. Ce rayonnement profite également aux autres, d'où les deux jets latéraux alimentant les compagnes. Du point de vue non-duel, la vie de la nature où certains animaux mangent les autres et l'homme mange les animaux évoque le sacrifice incessant de la déesse-mère qui est à la fois celle qui mange et celle qui est mangée, c'est comme cela que Mâ Anandamayi avait interprété le symbole pour un visiteur qui lui avait posé la question. Dans la voie de la dévotion, bhakti, les fidèles sont en général considérés comme féminins, Dieu étant le seul homme, on retrouve cela dans le christianisme où c'est l'âme féminine qui s'unit au Christ ou au Père. C'est dans ce sens-là qu'il faut comprendre l'histoire de Krishna entouré des seize mille gopis (bergères); il correspond au Soi unique qui exerce sa fascination au plus profond de chaque âme. Les gopis peuvent aussi représenter les multiples facettes ou subpersonnalités du psychisme, chacune étant attirée à son niveau et à sa manière par le Soi. Mirabaï était une célèbre adoratrice de Krishna. On raconte qu'elle est venue un jour dans le haut-lieu de son culte, Vrindavan sur le bord de la Yamuna, en aval de Delhi. Elle voulait y rencontrer un moine réputé, le successeur du saint Chaitanya Mahaprabhu, mais celui-ci était un ascète très strict et lui fit répondre par son disciple qu'il ne voyait pas les femmes. Mirabaï a répliqué: 'Je croyais qu'ici il n'y avait qu'un seul homme, Krishna.' Le saint fut frappé par cette réponse et sortit avec grand respect pour la rencontrer.

La relation entre un ou une guru et ses disciples de l'autre sexe peut aussi être considérée comme un mariage spirituel. Me revient en mémoire un exemple où une fois, cela a même débouché sur un mariage légal. Upasani Baba était le disciple principal de Sai Baba de Shirdi, le saint le plus connu de l'Inde du début du XXe siècle. Il commençait à avoir lui-même un petit groupe de disciples femmes, mais leurs familles faisaient des difficultés et voulaient les reprendre pour les marier. Profitant du droit de l'époque inspiré par la loi musulmane et autorisant la polygamie, Upasani Baba épousa légalement cinq ou six d'entre elles le même jour. La cérémonie se déroula près de la statue de la divinité qu'ils adoraient, le maître prit d'une main la main de la statue et de l'autre côté demanda à ses disciples de lui tenir le bras. Les familles ont dû s'incliner, et il se trouve qu'un siècle après, l'ashram d'Upasani Baba près de Shirdi, au Maharashtra, est une des plus grande institution religieuse d'Inde pour les moniales. C'est comme si ce mariage spirituel était si stable qu'il et passé d'une génération à l'autre.

Le mariage intérieur n'est pas un but en soi, mais un moyen pour avoir une ouverture vers le divin. On peut mieux saisir cela en comparant la position des mains d'Arjoûna et de Shiva. Arjoûna, le guerrier qui pose les questions dans la Bhagavad-Gîtâ, voulait recevoir une arme miraculeuse des mains de Shiva et s'est donc mis à faire pénitence. Il est représenté debout sur un pied avec les mains jointes au dessus de la tête dans une ancienne sculpture (VIe siècle) taillée à même le rocher à Mahabalipuram en bord de mer, au Tamil-Nadou, nous y reviendrons à la fin de ce chapitre. Les mains jointes sont le signe naturel d'une humble requête. Quand elles sont au-dessus de la tête, elles marquent une intensification qui transforme la demande en imploration. On peut mentionner, en passant, le mouvement analogue des ailes des chérubins dans la Bible; elles se rejoignent au-dessus de leur tête, là où, dit-on, Dieu est assis. Cette rencontre permanente des mains ou des ailes le long de l'axe médian évoque l'union des canaux et le mariage intérieur.

A l'opposé, la première qualité de Shiva est, d'après le Shaiva Siddhanta, l'école shivaïte principale du Sud de l'Inde, qu'il ne joint jamais les mains en signe de demande ou d'obéissance. Quand on le représente, par exemple, à Chidambaram, sous forme de Nataraj, le roi de la danse, il a les quatre bras grand ouverts et l'impression d'expansion est encore augmentée par le prabhâ mandal, le cercle de flammes qui l'entoure. Le nom même du lieu où il danse signifie espace, ambaram, de conscience, chid. Pour nous résumer, on peut parler d'un double courant: la concentration sur un point donné des courants de sensations latéraux, exprimés par l'appui des mains l'une contre l'autre, amène à une absorption complète, puis celle-ci se tranforme soudain en explosion avec perception directe et immédiate de l'espace tout entier. C'est ainsi que le mariage intérieur réussi mène spontanément à son propre dépassement dans le Soi.

Mariage de Shiva et Shakti et expérience d'immortalité

Le sage et écrivain mystique du Maharashtra médiéval Jñaneshwar a commencé un de ses principaux livres, Expérience d'immortalité par un chapitre sur l'identité de Shiva et Shakti. Celle-ci correspond à la manifestation et Shiva à l'Absolu. Il continue ensuite par un chapitre sur l'unité du gourou et du disciple que nous avons cité dans Le maître et le thérapeute. C'est un des plus beaux textes de la littérature indienne sur ces sujets. Les images sont assez claires et poétiques en elles-mêmes et chacun peut les méditer comme il le sent.

D'entrée de jeu, Jñaneshwar présente Shiva et Shakti comme un couple plus que parfait: «Par amour, l'époux lui même est devenu l'épouse (verset 2). Shiva et Shakti sont si intimement unis qu'ils s'avalent l'un l'autre tout le temps afin de prévenir toute rupture dans leur unité; ils ne se séparent que pour mieux profiter (de la présence) l'un de l'autre dans leur amour réciproque.(v.3)... Ils ont engendré un enfant aussi grand que l'univers, mais ils sont toujours conscients qu'aucun sens de dualité ne doive entacher leur amour mutuel. Ils s'assurent que l'émergence de l'univers n'a pas lieu comme une troisième entité séparée d'eux-mêmes, et que l'unité originale continue à demeurer à tout jamais. (v.6, 7)»

«Il est impossible de décrire l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre -leur relation est tellement intime qu'on peut les découvrir en train d'exister ensemble dans l'atome et les particules subatomiques. Aucun des deux n'a d'existence indépendante et aucun d'eux ne peut produire même un brin d'herbe en l'absence de l'autre.(v.11,12) Ils deviennent tous les deux sujet et objet l'un par rapport à l'autre, et les deux sont subjectivité dans leur unité.(v.16).»

«Le discernement qui désirait faire une différence entre eux deux a été tellement submergé par l'intimité de leur relation qu'il en a perdu la face et s'est caché en se fondant dans leur non-dualité. (v.9) Lui qui par amour d'elle est devenu le spectateur et qui manifeste l'univers entier, perd sa forme en son absence et perd tout intérêt dans la manifestation de l'univers. (v.33) Shiva et Shakti, chacun met en avant la prééminence de l'autre en réduisant l'espace de sa propre influence. (v.32)»

«Shakti présente à son époux Shiva de la nourriture sous forme des objets multiples de l'univers et Shiva, ainsi éveillé, dévore non seulement l'univers apparent mais aussi Shakti elle-même qui lui a présenté les aliments. (v.36) La femme ayant épousé Cela qui perdure après que tout s'en soit allé et qui tient de là son autorité, et sans laquelle Cela n'est pas même conscient de lui-même, cette femme n'est pas différente deCela. (v.27) Le jour et la nuit sont tous deux inconnus du Soleil, de même une compréhension de l'unité essentielle entre Shiva et Shakti dissipe tout sens de dualité.(v.43)»

«Tout effort pour identifier les deux, Shiva et Shakti, mène à l'absolu silence des mots, de même qu'il est impossible de distinguer entre deux différentes rivières quand toute la région est inondée par les flots. (v.46)»

Ma Anandamyi disait qu'elle avait exploré dans sa jeunesse toutes les voies de sadhana pendant une période qu'elle appelait le «jeu de la sadhana». On lui a alors demandé quelle avait été son expérience du tantrisme de la main gauche. Elle a simplement répondu :«l'union de l'hommme et de la femme est à l'intérieur»

Le mariage de la conscience (Shiva) et de l'énergie (Shakti) peut être interprété du point de vue du bouddhisme théravada comme celui de de la respiration elle-même et de l'observation de cette respiration, celle-ci étant liée à l'énergie. Par ailleurs, la relation d'unité dans le cadre d'une polarité tenue par deux personnes divines pourrait faire parler de bi-unité. Celle-ci évoque fortement la tri-unité caractéristique de la Trinité chrétienne. Là, les personnes sont distinguées sans séparation et unies sans confusion, comme le dit la théologie traditionnelle. Il est intéressant de noter aussi qu'on peut repérer une tension analogue entre védanta et shivaïsme du Cachemire d'une part, et entre monothéisme juif orthodoxe et cabbale d'autre part. Dans le premier cas, védanta et orthodoxie juive ancienne, il y a une unité absolue (Brahman, YHWH) qui ne tolère aucune polarisation, alors que dans le second est développé un couple masculin-féminin, Siva-Shakti en Inde ou le Roi et la Reine dans la cabbale. Cette polarisation reste cependant une étape du pèlerin en route vers l'Unité; comme le dit Abhinavagupta en citant un auteur dont il ne donne pas le nom :«ayant réduit le multiple à l'Un, qui ne serait pas libéré des liens? iv».

Notes

i) Eliade Mircea, Méphistophélès et l'androgyne, Gallimard, Folio-essais, 1962, p.139

ii) Le Yoga Payot ainsi qu'un livre plus court, Patanjali et le Yoga dans la collection Maîtres spirituels au Seuil

iii) Jñnaneshwar Amritanubhava -Experience of immortality commentairy by Ramesh Balsekar (a disciple of Nisargadatta Maharaj) Chetana, Bombay, 1984, chapter 1- livre traduit enfrançais par Inner Quest, si mes souvenirs sont bons.

iv) Person to Person: on Abhinavagupta Père Jean Dupuche, communication faite à un séminaire à Bangalore en 1977 qu'il a eu l'amabilité de me communiquer

 

Nouvelles

- La version complète en anglais du journal spirituel d'Atmananda vient d'être publiée. Nous l'avons annoncé avec les détails pratiques pour ceux qui souhaitent se la procurer

- Jean-Claude Marol va bientôt faire sortir un nouveau livre sur Mâ Anandamayi. Tenez-vous au courant, quand nous en aurons l'information nous l'annoncerons.

- Le travail pour le site de Mâ en espagnol progresse. Il y a déjà en ligne In your heart is my abode de Bithika Mukerji. Jacques Vigne a avec lui le manuscrit de la traduction de Words of Mâ qu'il va falloir scanner ou saisir d'une façon ou d'une autre sur ordinateur d'ici un mois ou deux. Il est probable que l'ouvrage sera non seulement sur le site de Mâ, mais aussi sur un site organisé par l'Ambassade d'Espagne en Inde, ce qui permettra une meilleure diffusion dans le monde hispanisant. Un couple d'amis enseignants et philosophes vivant à Malaga mais qui ont étudié à Bénarès travaillent à traduire Matri Darshan de Bhaïji. D'après les estimations des démographes, dans le courant du XXIe siècle les deux langues les plus parlées dans le monde ne seront pas l'anglais, mais l'espagnol et l'arabe. Atmananda souhaitait qu'il y ait des textes de Mâ publiés en espagnol, maintenant son voeu se concrétise au moins par l'intermédiaire de l'internet.

- La Kumbha-Méla de janvier s'est bien déroulée malgré le foid. On estime à vingt ou vingt-cinq millions le nombre de personnes qui l'ont visitée, et l'organisation de Mâ était présente grâce à son camp. Une jeune française que nous connaissons, car elle a fait une retraite à notre ashram de Kankhal, a été filmée par une équipe de la 5 et passera probablement sur le petit écran vers fin mars ou début avril. Elle a choisi de laisser pour trois semaine son travail d'enseignante du français à l'Université de Bénarès pour faire du service en s'occupant des soins aux lépreux qui viennent en grand nombre pour la Méla.

- Un groupe d'une quinzaine de personnes réunies au départ par Initiations de Bruxelles viendra pour deux semaines de retraite début avril, principalement à l'ashram de Patal Dévi à Almora dans l'Himalaya avec Swami Nirgunananda, mais aussi quelques jours à Kankhal pour avoir des satsangs avec Swami Vijayananda. D'autres occidentaux se joindront probablement à cet évènement. C'est la première fois à ma connaissance qu'un groupe d'occidentaux investit ainsi un ashram de Mâ, et est réuni spécifiquement pour venir y faire retraite.

- Il est bien possible que Swami Nirgunananda retourne en France cet été, bien que je n'ai pas encore d'informations précises. Renseignements dans le prochain Jay Mâ, ou directement auprès de Claude Portal, 12 rue Lamartine 78100 Saint-Germain-en-Laye, Tél: 01 34 51 74 41

- Après quelques années d'existence, le Centre International de Kankhal se développe. De plus en plus de gens savent qu'il existe et il arrive maintenant qu'il soit plein en période ordinaire, c'est-à-dire en dehors des fêtes de l'ashram. Che va piano va sano...

- Jacques Vigne accompagnera un pèlerinage au Mont Kailash, à l'ouest du Tibet, du 1er au 21 septembre. Mâ avait été au Kailash en 1936 dans des conditions plutôt rudes (cf le cinquième volume des livres de Gurupriya Devi sur Mâ). Le présent voyage est organisé par Initiations (Montagne Saint-Job 90 1180 Bruxelles 00 32 2 395 48 11), avec l'aide de professionnels de Delhi et Kathmandou. Ce voyage sera certainement bien plus facile qu'à l'époque de Mâ car la plus grande partie du trajet est faite en 4x4, et la marche elle-même n'est que de six jours autour du Kailash et sur les bord du lac Mansarovar. Jacques Vigne reveindra ensuite, vers début octobre en France à l'occasion de la sortie chez Albin Michel de son nouveau livre sur Le Mariage intérieur, et peut-être d'un autre text sur L'écoute du silence où il rapproche le Yoga, la Bible et le christianisme. Il repartira vers l'Inde en mi-mars 2002.

 

Abonnements

Le renouvellement général des abonnements a eu lieu lors du numéro d'octobre dernier. Ceux qui ne l'auraient pas encore fait peuvent se mettre ne règle en envoyant un chèque de 90 Frs à l'ordre de Jacques Vigne à Nadine et José Laudebat-Sanchez, 210 rue Galliéni, 92100 Boulogne Tél 01 41 31 28 00

L'abonnement est jusqu'en décembre 2002, soit 6 numéros.

 

 

Table des matières

Paroles de Ma p.1

Réponses de Vijayananda p.2

La mort doit mourir Journal d'Atmananda p.4

Anandamayi, une rose mystique M.Sircar p.16

Nataraja poème par Monique Manfrini

Le maître poème par Silviane Le Menn p.22

Les archétypes du mariage intérieur dans l'hindouisme

J.Vigne p.23

Nouvelles p.31

Abonnements p.34