Le texte ci-dessous représente des
entretiens entre Swami Nirgunânanda et Claire Landais, de Paris qui est venue en visite en avril 2002 pour
un mois entier à Dhaulchina. Il s'agit d’un ermitage de Mâ Anandamayî à une
altitude de plus de 2000 m, dans la région himalayenne du Kumaon, au-dessus
d’Almora. Pendant de longues conversations avec Swâmîjî, elle a pris des notes
en français, puis les a mises au propre, et les a envoyées en Inde pour
révision. Comme celui-ci ne sait pas le français, j'ai traduit ces notes en
anglais. Claire a noté ce que Swâmîjî a dit sans mentionner le contexte et
donc, à certains endroits, la suite logique des choses a été perdue. Néanmoins,
Swâmî Nirgunânanda a essayé de se souvenir de ces contextes particuliers et a
donné la présente forme aux échanges qu'il a eus avec elle. J’espère que ce
petit livre sera utile aux fidèles français de Mâ et à tous ceux qui ont
rencontré ou rencontreront Swâmîjiî, que ce soit lors de ses tournées en France
en été ou pendant le reste de l'année à l'ermitage même.
Jacques Vigne
Dhaulchina , le 2 janvier 2004
Question : Est-ce qu’on vous avait confié des tâches
spécifiques quand vous étiez avec Ma ?
Swamiji :Dès le premier jour de ma vie auprès de Mâ, on m'a confié la rédaction des réponses aux lettres de ses fidèles. Il y avait des milliers de lettres et sans aucune exception elles contenaient des questions sur des sujets spirituels ou de la vie du monde. Je devais lire ces lettres, en extraire l'essentiel, demander les réponses de Mâ et les écrire aux fidèles respectifs. Des gens de toutes les couches sociales écrivaient à Mâ à propos de leurs problèmes et de leurs doutes et la priaient de leur donner des solutions.
Q. Etaient-ils satisfaits des réponses ?
S. A mon sens, oui. Mon expérience, c'est que personne n’a réécrit à propos des mêmes problèmes. A ce propos, une parole de Mâ me revient à l’esprit : " Ce corps ne répond pas à vos questions. C’est vous qui répondez. ". Les questions sont les vôtres, les réponses sont les vôtres. Ceci ne fait que sortir de la bouche de ce corps."
Quel est le sens spirituel de
notre vie ?
Le but spirituel de la vie, notre devoir aussi, c’est d’être heureux perpétuellement. La vie de l'être humain commence avec une note de malheur. Pourquoi un nouveau-né crie-t-il? Parce qu’il se sent malheureux d'avoir à faire face à un monde inconnu ; il ne se sent pas en sécurité. Peut-être voudrait-il retrouver le confort rassurant qu’il connaissait dans le sein de sa mère. Ce sens d'insécurité et de malheur imprègne toute la vie.
Comment peut-on rendre les
autres heureux ?
D'abord, rendez-vous heureux vous-même. Votre bonheur va se répandre chez les autres : vous ne pouvez donner de l'argent à un mendiant que si vous en avez. Seul l'amour peut rendre les autres heureux. On dit : "Aime ton voisin comme toi-même". D'abord, ressentez de l'amour pour vous-même.
Est-ce que ce n'est pas une
attitude égoïste ?
Comment peut-on être égoïste sans connaître le Soi ? [Ici, Swâmîjî joue
sur les mots anglais, égoïste se disant selfish et Soi se disant Self] Comment pouvez-vous vous aimer sans d'abord vous connaître ? Regardez
ces rhododendrons (le coin de Dhaulchina est plein de rhododendrons en fleurs,
ceux-ci ont la taille d'arbres. Ils offrent une vue magnifique en février, mars
et avril.) Est-ce que vous pensez qu'ils fleurissent pour vous ? Non, ils
ne se soucient pas de vous, et pourtant vous êtes heureuse de les regarder. On
doit cependant se souvenir d'une chose, que son bonheur ne doit pas être au
prix de la souffrance de quelqu'un d'autre.
Quelle est la
différence entre activité
spirituelle et non spirituelle ?
Apparemment, il y en a, mais en fait,
il n'y en a pas ! Ce qu'on considère être activité spirituelle pour une
religion particulière peut ne pas l'être aux yeux d'une autre religion. La
différence réside dans la manière dont on les accomplit et dont on les
considère.
Est-ce qu'on peut considérer l’art comme une activité spirituelle ?
Bien sûr, c'est une activité spirituelle. Par l'intermédiaire de sa peinture, l'artiste exprime et établi le lien entre les mondes intérieur et extérieur. Il fait ceci pour son propre plaisir et il en a de la joie.
Que pouvez-vous dire d'une personne
qui ne s’aime pas elle-même et n'aime pas sa propre image ?
Des gens peuvent dire qu'ils n’aiment pas leur propre image ou qu'ils
ne s’aiment pas... D’accord, certaines personnes peuvent ne pas aimer leur
image. Mais malgré tout ils s'aiment eux-mêmes. Quand quelqu'un n’aime pas
quelque chose ou une autre personne, il existe à arrière-plan de son mental
d’autres objets d'amour. Quand Mâ a quitté son corps, je voulais me suicider
parce que Mâ n'était plus physiquement avec moi, c'était parce que je m'aimais
moi-même que je désirais que Mâ soit avec moi !
Comment puis-je vivre sans Mâ ?
En aimant le Soi. Le but de la
vie, c'est de se connaître soi-même, d’entrer en soi-même. D’habitude, on désire connaître toujours plus
les gens qu'on aime et on ignore le Soi. Quelqu'un a demandé à Mâ : "Mâ, est-ce que vous nous aimez autant que
nous vous aimons?" "Vous m’aimez parce que je vous aime", répondit Mâ. "Vous ne pouvez vous
figurer l'amour que j'ai pour vous !" L'amour de Mâ commence là où notre
imagination s'arrête. En d'autres occasions, Mâ a dit : "Aimer Mâ signifie
s'aimer soi-même." Il est un fait simple que nous ignorons toujours, c'est
que jamais nous ne sommes sans amour. Mes souvenirs font partie intégrante de
mon existence. Tant que Mâ est dans mes souvenirs, je ne suis pas « sans
elle ».
Pour
vous , qui est Mâ ?
Un jour pendant
un satsang, quelqu’un a demandé " Mâ qui êtes vous ? "
J’étais très heureux car c’était aussi ma question, la question de tout le
monde. Elle a répondu : " Ce que vous pensez, je le
suis. " Mon problème était résolu ainsi que celui de tous ceux qui
avait entendu la réponse. Elle pouvait être Lord Krishna pour l’un, Lord Shiva
pour un autre ou ma mère…
Mais cette question a continué à être posée. Elle est devenue une controverse. On disait que c’était une question normale de la dévotion. C’est la seule question qui a été posée plus de 1000 fois ! Elle avait répondu la première fois à cette question à l’âge de vingt ans. Elle était une femme au foyer dans le Bengale rural et conservateur. Un cousin qui était proche d'elle la lui a posée. Elle a répondu : Purna Brahma Nârayân puis elle a ajouté : Nârayân, Nârayanî Les gens connaissaient cette réponse et pourtant lui ont redemandé bien des fois… C’est qu’ils ne la croyaient pas, ils doutaient.
Comment aimer Mâ ?
Il n’y a pas de technique particulière pour aimer. Pour chaque activité de la vie, nous avons besoin d'apprendre de quelque part ou de quelqu'un. Mais aimer est la seule activité que nous ayons de naissance. J'ai débuté ma vie en aimant ma mère. A ce moment-là, le monde m’était tout à fait inconnu. Ma mère était le seul objet de mon amour. Puis, le monde objectif s'est insinué dans ma vie. Mon amour pour la mère a été dilué parmi d'autres objets d'amour. Pour entreprendre quelque chose de nouveau, nous avons besoin d'un professeur, mais aimer est un savoir-faire naturel. On pense que Mâ est spéciale, c’est pour cela qu’on souhaiterait avoir une technique spéciale. Ou bien, il se peut que notre instinct naturel pour aimer se soit terni à cause du nuage des objets avec lesquels nous avons été en relation dans le passé. Si nous pouvons aimer une chose ou une autre, pourquoi avons-nous besoin d'une méthode spéciale pour aimer Mâ ? Mâ a dit : "Soyez comme un enfant qui ne connaît rien, si ce n'est sa mère."
Mâ aime tout le monde de la même façon, mais nous voulons plus. Un enfant nouveau-né ne fait aucune distinction entre les objets avec lesquels il entre en relation.
Tout le monde aime la simplicité. Il n’y a pas de spécification de la
simplicité. Mâ est l’incarnation de la simplicité, du naturel, mais cette
simplicité même, nous l’avons perdue dans la complexité des processus du monde.
Nous avons égaré ces qualités ou il se peut qu'elles se soient déposées à la
base de notre conscience, là où nous ne pouvons plus les voir. En Mâ, nous les
reconnaissons. Essayons de les extraire des recoins les plus cachés de notre
cœur et de les faire revenir à la surface. Expérimentons ce sentiment qui nous
permettra de dire : " Mâ, je ne peux rien faire sans
vous ". En agissant ainsi, un jour pourra venir où je serais capable
de retrouver mon Soi ainsi que cet amour qui était apparemment perdu.
Swâmîjî, suivez-vous une pratique spirituelle particulière et si
oui, dans quel but ?
A mon sens, les pratiques spirituelles ne sont pas faites avec un but imaginaire, mais pour dissoudre ce qui recouvre la pureté naturelle en moi. C'est ce voile qui obscurcit ma vision de l'amour. Le point central autour duquel gravite toute ma vie, c'est mon amour pour Mâ.
Avez-vous besoin de tout
abandonner pour cela?
Mâ elle-même dit : "Vous n'avez pas besoin de quitter quoi que ce soit, les choses vous quitteront" Ce dont vous n'avez pas besoin s'en ira automatiquement. Un petit enfant aime son nounours. Par la suite, il l’abandonne, et devient passionnément attaché à quelque autre jouet en oubliant ceux du début. Mais souvenez-vous, les jouets changent pour l'enfant, mais non son amour pour les jouets.
Que pensez-vous du monde
autour de vous ?
Le monde existe vraiment, et ce pour que j'en aie l’expérience dans mon amour. Les expériences sont incrustées dans les souvenirs et deviennent une partie de moi-même ; je sais que je m’aime moi-même et dans ce cas, je dois aimer le monde.
Pourquoi éprouve-t-on de la tristesse ?
Parce qu'on perd la conscience de son unicité, parfois, on devient triste. On cherche toujours à comparer son existence avec celle des autres et on se fait des reproches, alors on tombe dans la tristesse. L’unicité est au-delà de toute comparaison.
Comment évaluez-vous l'état spirituel de Mâ?
En ai-je
besoin ? A mes yeux, elle est un être humain parfait. Mâ n'est pas une
déesse abstraite - pour moi bien sûr, je ne suis pas opposé à ce qu’affirment
les autres à ce sujet. Je sais bien que j'ai des lacunes dans mes comportements
et mes activités et la perfection de Mâ m’aide à les voir. J’essaie de
rectifier mes défauts en apprenant à me comporter comme elle, dans ses manières
de faire humaines. En outre, pour quantifier quoi que ce soit, on a besoin
d'avoir une unité de mesure. Mâ n'étaient pas une déesse à mes yeux, bien que
les gens qui disent ainsi puissent être dans le vrai ; elle était ma mère.
Elle était un être humain parfait, on peut dire au moins qu'elle a été
quelqu’un qui n'a commis aucune erreur dans sa vie. Quant à son niveau
spirituel, je ne serais pas capable d’en sonder la profondeur ni d'en évaluer
la hauteur car il est certain que moi-même, je n'ai aucune unité de mesure pour
m’en rendre compte. Elle est simplement ma mère et j'ai besoin d'elle plus que
de toute chose.
Mâ
n'avait pas fait d'études. Comment expliqueriez-vous sa sagesse ?
Dans les mots mêmes de Mâ : " La vie est le plus grand des livres. Pour celui qui en a pénétré la profondeur, votre science, philosophie, dharma et Ecritures ne restent pas inconnus" La vie est un grand livre. Mâ n'a jamais étudié, mais elle était pleine de sagesse. Elle a vu la vie telle qu’elle était. La vie nous donne des réponses, tandis que parfois, les Ecritures nous embrouillent.
Pourquoi les
gens partent-ils en pèlerinage ?
Notre vie est en elle-même un pèlerinage vers
la joie. Nous sommes tous des pèlerins, que nous soyons croyants ou incroyants.
Si je ne crois pas en Dieu je crois à quelque chose que j’aime fortement...
Nous allons vers un lieu saint pour le voir, le sentir, l’aimer parce que nous
avons cet amour à l’intérieur mais nous ne sommes pas capables de le sentir.
Est-ce que cela vous fait du bien de partager
vos souffrances et vos plaisirs ?
Nos
émotions ont envie de s'exprimer à l'extérieur. C'est une partie intégrante de
la nature humaine de partager l’amour, la peine avec les autres.
Un homme -ou une femme- ne peut pas vivre seul. Bien que je sois heureux tout
seul à Dhaulchina, si quelqu’un vient et que je peux partager, je suis encore
plus heureux ! En ce qui concerne la souffrance, je l’assume toute seule.
Je ne souhaite pas infecter les autres avec mes douleurs.
Swâmîjî, suivez-vous le chemin de la bhakti ?
Oui. Pouvez-vous me dire le nom de quelqu'un, dans l'histoire globale
des religions du monde, qui n'ait pas suivi le chemin de la dévotion dans son
voyage spirituel? Bien sûr, vous pouvez citer des personnes qui ont suivi,
défendu et soutenu le chemin du discernement, appelé aussi connaissance. Mais
si je vous demande pourquoi ils ont
suivi ce chemin même, la réponse sera aussi simple que cela, : "Parce
qu’ils l’ont aimé". La base commune, c’est l’amour. Cela peut être l'amour
pour le but, ou aussi pour le chemin. Ceux qui suivent la bhakti, la voie
dévotionnelle essaient d'abord d'établir une relation humaine entre eux-mêmes
et le visage bien-aimé, de Dieu ou de la Réalité ultime telle qu'ils se la
figurent, et ensuite essaient de la purifier et de l'élever. Je pars du point
de vue humain parce que je le connais, et par la pratique, je peux le sublimer
jusqu'au niveau divin. Une fois que j'ai établi cette relation entre moi et mon
objet d’amour, si quand même je pose la question "Qui es-tu ?", je ne serai plus capable de goûter
l’essence de cette relation qui a été établie. De cette manière, je mets des
distances entre mon objet d’amour et moi plutôt que je ne l'attire. Je coupe la
relation avant de l’élever et de la sublimer.
Qu'est-ce que la sâdhanâ ?
De grands enseignants, maîtres, saints et différents sages ont défini la sâdhanâ, la pratique spirituelle, de façon variée. Mais la définition la plus simple que j'ai trouvée jusqu'à présent vient des lèvres de Mâ. Svadhan praptir upay holo sadhana. C'est-à-dire : "la voie pour retrouver votre propre trésor est appelée sâdhanâ". En sanskrit, sva- signifie son propre soi et dhan-signifie richesses, trésor. On peut donc dire dans le langage de Mâ, que la sâdhanâ, c'est de redécouvrir ses propres richesses.
Est-ce que Mâ était en faveur d’une voie de sâdhanâ particulière ou
exclusive ?
La voie de Mâ bien sûr, si elle
en avait une en particulier, incluait tout sans aucun cadre ou dogme. Une dame
aspirante spirituelle chrétienne a demandé à Mâ une direction pour la vie
intérieure. Mâ s'est enquise de la doctrine spirituelle qu'elle suivait. La
dame a répondu qu'elle était chrétienne. Mâ dit : "Je suis aussi une
chrétienne, une musulmane et une hindoue" Mâ demandait toujours aux
aspirants de suivre leur propre voie et leurs Ecritures.
Pouvez-vous parler d'une pratique intérieure prescrite par Mâ indépendamment
de toute doctrine spirituelle particulière ?
Voici une histoire
que je répète souvent : une fois, Mâ voyageait en train avec une dame pour
l'accompagner. Il y avait d'autres passagers dans le même compartiment. A cette
époque, elle n'était pas très connue dans le monde spirituel indien. Quelques
jeunes gens rentrèrent aussi dans le compartiment. Ma avez une personnalité
magnétique et attirante. Ils voulaient lui adresser la parole. Quand Mâ s'est
engagé dans la conversation, ils restèrent
suspendus à ses lèvres. Ils se rendaient compte que c’était une personne
spirituelle même s’ils ne la connaissaient pas. Quand ils ont dû descendre, Mâ
leur a demandé : " Vous ne me donnez rien? (C’est la tradition
en Inde de donner quelque chose aux moines errants). Les gens se mirent à
cherchaient dans leur porte-monnaie. Elle disait : " Non, non,
je vous demande juste du temps à Dieu chaque jour, seulement cinq minutes par
jour."
Mâ demandait
souvent 5, 10, 15 minutes par jours pour elle, toujours à la même heure. C’est
la meilleure des pratiques. Elle est suffisante. Aucune autre pratique n’est
nécessaire. Mais en fait c’est très difficile. Même pour un ermite c’est très
difficile. Offrir 5 minutes à Mâ, c’est s’offrir 5 minutes à soi-même. On ne le
fait jamais c’est difficile. Offrir vraiment, sans rien attendre, pas de
reconnaissance, pas de gain, pas de résultat. Ce n’est pas un
investissement pour satisfaire des attentes futures ! Peut-être faut-il
avoir pour seule attente que cela fasse plaisir à Dieu et à Mâ.
Vous devez tout
le temps être en alerte pour cela. Voici une autre histoire : Il y avait
un zamindar ( grande propriétaire terrien) à Dehra-Dun, qui était un buveur
invétéré. Il avait grand plaisir à chasser les tigres. Il aimait beaucoup Mâ.
Un jour elle lui a demandé s’il accepterait de lui donner quelque chose :
Cinq minutes chaque jour à heure fixe, pour la vie. Il lui a dit, "vous ne
m’avez jamais rien demandé, alors d’accord". Une nuit, il partit à la
chasse au tigre, il avait tendu un piège et soudain le léopard est arrivé, il
leva son fusil et était sur le point de tirer mais les yeux tombèrent sur sa
montre : c’était l’heure précise qu’il avait abandonnée à Mâ. L’homme laissa
tomber son fusil, il a fermé les yeux et pendant cinq minutes il a pensé à Mâ.
Quand il a réouvert les yeux, le léopard était parti. On doit tenir ses
engagements de cette façon.
Est ce qu'il y avait des rejets
dans la vie de Mâ ?
Mâ ne rejetait jamais qui ou quoi que ce
soit car elle voyait Dieu en tous et en toutes.
Comment peut-on être sûr de
la pratique spirituelle juste pour soi-même ?
Trouver
la pratique spirituelle juste pour soi-même est un long travail. On doit suivre
de façon stricte les instructions données par le Gourou. C'est le Gourou qui
connaît le chemin approprié pour son disciple. Pendant onze longues années,
j'ai dû chercher après le départ de Mâ. J'ai pratiqué différentes voies et
méthodes par moi-même. Bien sûr, j'ai eu des résultats apparents mais ils ne me
satisfaisaient pas. A un moment, il m'est apparu à l'esprit de rechercher les
instructions spécifiques données par Mâ. J'ai commencé mon voyage à reculons
dans les voies de ma mémoire afin de récapituler les interactions que j'avais
eues avec Mâ et d'identifier précisément la voie spécifique qu'elle m'avait prescrite.
Est-ce que Mâ est votre
Gourou ?
Est-ce
que j'ai besoin d'une autre définition de Mâ ? Oui, j'ai appris beaucoup d'elle
Que
pouvez-vous dire de votre initiation ?
Bien sûr, je suis initié mais Mâ
n'est pas mon gourou. Le premier mantra que j'ai obtenu a été de Mâ et non du
gourou. Mes mantras d'initiation sont différents du mantra que j'ai reçu de Mâ.
Tout en me donnant le mantra, elle a
dit : "Ce n'est pas ton initiation et ce corps n'est pas ton gourou."
Elle ajouta aussi. "Ce corps ne demande jamais à quiconque de prendre la dikshâ
et ne refuse jamais quand on la lui demande." Quant à moi,
j'avais besoin d'un mantra et je l'ai obtenu avant l'initiation formelle.
Quand alors avez-vous pris la dikshâ ?
Mâ m'a demandé de la prendre.
Est-ce que Mâ ne s'est pas contredite
alors ?
En apparence,
on peut avoir cette impression. En fait, j'ai été aussi choqué quand Mâ m'a
demandé de prendre la dikshâ. Mais après, mes doutes se sont clarifiés.
Il arriva qu'un jour, elle m'appela et me dit : "Ton initiation est fixée
pour demain matin à l’aube." J'étais tout à fait choqué de l'entendre dire
cela. Je pensais ne jamais avoir de dikshâ. Cela m'a fait souffrir de
penser que Mâ se contredisait. Je fus envahi par l'émotion et me mis à pleurer.
Elle m'a demandé la cause de cet état pitoyable. Je lui ai dit : "Mâ,
comme vous avez dit que la dikshâ est donnée simplement à celui qui la
demande, il se trouve que moi-même, je suis tout à fait satisfait de mon
mantra. Je l’ai reçu de vos lèvres et je n'ai jamais voulu de dikshâ de
vous. Cela me bouleverse de voir que vous allez contre ce que vous m'avez dit
dans le passé." Elle dit : "Connais-tu vraiment ce qu'il y a de caché
dans les profondeurs de ton esprit ?" Mâ m'expliqua alors que je
souhaitais cette initiation au fond du cœur mais que je ne m'en rendais pas
compte.
Existe-t-il des
pratiques qui soit vaine ?
Tout ce que
nous faisons porte ses fruits. Rien n’est en vain. Parfois, les résultats ne
correspondent pas à notre attente. Il n'y a pas d'échelle de temps en
spiritualité. Les transformation spirituelles sont lentes et profondes, et
elles peuvent ne pas être reconnues si on se fie aux apparences.
Quel doit être
l'axe principal dans le chemin de la dévotion ?
Essayer de
faire confluer la volonté individuelle avec la volonté divine. On
raconte l’histoire suivante : un jour, un groupe de voyageurs traversait un
grand fleuve. Arrivé au milieu du fleuve, l’orage éclate, la tempête se lève.
Le bateau se remplit d’eau et risque de sombrer. Un sadhou à bord puise l’eau
du fleuve avec son pot et la reverse dans le bateau ; tous les passagers
sont furieux et ont peur que le bateau ne sombre dans la rivière. Néanmoins, la
tempête s'apaise soudainement. L’embarcation s'approche de la rive. Le sadhou
commence à écoper… Les gens, étonnés,
lui demandent pourquoi il écope maintenant alors que tout va bien .
Il répond qu’il essaie toujours d’aider Dieu dans ses desseins. Il se trouvait
que maintenant, la tempête s'était atténuée ; ceci est également la volonté de Dieu, en retirant l'eau du
bateau, il a facilité la sortie des passagers de celui-ci. Telle doit être
l’attitude de l'aspirant.
Qu’est-ce qui attirait le plus chez Mâ ?
Son amour inconditionnel pour tous.
Que signifie amour inconditionnel ?
Un amour sans aucune attente de retour.
Comment peut-on apprendre
quelque chose à propos de l'amour inconditionnel ?
Nous avons besoin d'apprendre de quelque part presque toutes nos actions mentales ou physiques, mais la seule chose pour laquelle nous n’avons pas besoin d’enseignant, c’est l'amour. Nous sommes nés avec lui. Il est avec nous tout le temps. Le désir nous pousse à l’action et pour cette action, ne devons utiliser notre intelligence. La seule l'action qui n'a pas besoin d'intelligence, c’est l’amour. Nous avons commencé à aimer avant même le développement de notre intelligence, mais au fil du temps l'amour avec lequel j'étais né a été recouvert par l'invasion des objets dans mon champ mental. Notez bien que nous avons perdu notre enfance physique, mais les impressions de l'enfance sont toujours à l'intérieur de nous. Essayons d'aller à l'intérieur et d’y trouver l'amour.
Dites-moi quelque chose à propos de la méditation.
Considérons d'abord ce que nous voulons dire par méditation. Les gens en général prennent le mot sanskrit dhyân comme synonyme de méditation. Dans les Ecritures, on dit : dhyânah nirvishayah manah c'est-à-dire « dhyân se trouve dans l'état d'esprit sans objet » (nir, no vishayah, objet, manah, mental). Dans les mots de Mâ, achinta hi param dyân, « l'absence de de pensées est dhyâna » (achinta, absence de pensées ; hi, vraiment ). Elle a dit aussi, comme nous l'avons mentionné : dhyân kara jay na, dhyân hoi « dhyân survient, on ne peut l’effectuer ». En outre, dans ses Yoga soutras, (aphorismes sur le Yoga), Patanjali décrit dhyân comme l'avant-dernier, le septième stade des pratiques yoguiques. Un aspirant est supposé s'établir progressivement dans la succession de yama, niyama, âsâna, prânâyama, pratyahara et dhârana. Il doit atteindre l'état de perfection en pratiquant chacun de ces états. C'est seulement alors que l'état de dhyân mène à l'état de samâdhi qui représente la culmination de toutes les pratiques spirituelles. On ne doit pas mélanger les concepts de dhyân et de méditation.
Maintenant, considérons ce qu’est le but de la méditation. En bref, on peut dire que la méditation aide à contrôler le mental. Tout le temps, nos sens sont en relation avec le monde objectif et les impressions qui en proviennent alimentent incessamment le mental qui tourne autour d'elles. Cette agitation du mental est la cause de toutes nos misères et de notre sentiment d'esclavage. De façon intéressante, c'est aussi dans le mental qu'on ressent le bonheur. Ce dont nous avons besoin pour être heureux, c'est l'attention juste [right mindfulness]. Dans ce but, nous avons besoin de contrôler le mental. Pour le contrôler, il faut d'abord le connaître. Ainsi, on peut dire que le but de la méditation est de : (a) connaître le mental, (b) donner forme à ce mental (ses) libérer le mental.
Nos organes des sens, c'est-à-dire la vue, l’ouïe, l’olfaction, la parole, le goût et le toucher sont en relation constante avec les objets, ils rapportent leurs impressions au mental et les inscrivent sur la surface de la conscience (ici, il s'agit de la conscience des objets). Le mental est engagé en fait également avec les organes des sens, il est en mouvement constant, ce qui a pour résultat la perte de l’attention juste. Parfois, il y a soit une surimposition ou une succession très rapide d’impressions, qui font que la conscience des objets est incapable de discerner correctement et les impressions perdent de leur clarté. Si vous déplacez une torche allumée selon un trajet circulaire, vous verrez un anneau de feu ; dans un film, des photographies a priori immobiles sont projetées sur l’écran avec une telle vitesse qu'en fait, vous voyez un film. Tous ces phénomènes sont des illusions. A cause des limitations de nos organes des sens pour enregistrer la réalité, des illusions sont perçues. Par la pratique méditative, nous pouvons identifier les impressions réelles. On doit se souvenir que le mental est agité dans l’espoir de se débarrasser de l'agitation. Le mental cherche constamment le bonheur, la paix et l'amour. Toutes nos activités sont dirigées vers un seul vecteur qui a pour nom « bonheur perpétuel ». N'oublions pas qu’apparemment, nous n'avons pas d'autre instrument que le mental pour atteindre cet état. Etant donné que le monde des objets est impermanent, est-il possible d’atteindre l'état de permanence en partant de ce monde transitoire dont je suis une partie intégrante ? Si oui, comment ? Quel rôle le mental joue-t-il dans ce contexte?
Sans vouloir entrer dans une psychologie complexe, une définition simple du mental comme base de travail peut être utile pour répondre aux questions ci-dessus. Le mental est un sac de pensées et nos conceptions abstraites, ces pensées mêmes sont l'enregistrement conscient des impressions des interactions des organes des sens avec la réalité. Les impressions sont stockées dans différentes couches de mémoire et sont toujours dans un état actif. Les souvenirs stockés entrent en relation les uns avec les autres, donnant naissance à plus de nouvelles impressions qui, elles, peuvent ne pas être le résultat d'interactions directes des organes des sens avec le monde extérieur. Ainsi, le volume des impressions augmente en progression géométrique et au hasard. On peut dire que les permutations et combinaisons de ces réactions stimulent des impressions stockées et les efforts du mental pour les enregistrer incessamment rend celui-ci hyperactif, d’où l'agitation. Avec la pratique de l’enregistrement contrôlé des impressions, on peut établir une stabilité dans le mental. Ceci s'appelle « donner forme au mental ». Une fois que le mental est formé, le sentiment d’emprisonnement disparaîtra, et on aura des expériences de félicité, de paix et bonheur (qui sont tout le temps ici en nous, à l'intérieur).
Quel est le rôle de la poûjâ (culte) dans la voie de la dévotion ?
Essayons d'abord de comprendre ce qu'on veut dire par poûjâ. La poûjâ est un ensemble d'actions effectuées avec amour, pas simplement un rituel. Cela me rappelle
une des expériences que j'ai eues avec Mâ. Elle m'a demandé d'effectuer la poûjâ de la déesse Kali dans le temple qui lui est dédié à notre ashram de
Delhi à l’occasion de chaque nuit de nouvelle lune pendant un an. A cette
époque, j'ignorais tout à fait les rituels des poûjâs. Trois jours avant
la première poujâ, Mâ m'a appelé sur la terrasse de l'ashram de Vrindâvan et
m’a dit qu’un prêtre de Bénarès devait venir m’enseigner les détails de la poûjâ. Elle me donna en fait toutes les instructions possibles
précisément, y compris comment cuire la nourriture pour offrir à la déesse et les aliments qu’on
devait préparer.
Elle se mit ensuite à me montrer comment peler et couper les pommes de
terre, les aubergines et d'autres légumes. C'était l’heure du darshan du soir
de Mâ (son apparition devant les fidèles) et ceux-ci attendaient Mâ en dehors du bâtiment, ils étaient des
centaines à être là. Je pensais en mon for intérieur : "Quelle perte de
temps pour un sujet aussi insignifiant ! Elle pourrait facilement me dire quoi
faire à la place de le montrer ! Je suis assez intelligent pour faire comme
elle dit." Mais bien sûr, voir Mâ faire tout ceci en pleine attention et
avec une perfection méticuleuse était
en soi une scène digne d'être contemplée. Après avoir fini, elle dit : "Ta
poujâ a commencé dès maintenant. Tout ce que tu fais, si c’est fait avec
amour pour le divin, cela s'appelle poûjâ." Tout ce qui est fait avec amour est la clé de la perfection.
Quelle est le rapport entre perfection et bonheur ?
Une histoire : un jour un grand violoncelliste va jouer en concert. Il accorde son instrument dans sa loge, il joue. C’est parfait. Tout d’un coup, il a soif. Il n’y a pas d’eau dans sa loge. Il descend un instant au bar du théâtre. A ce moment-là, un petit garçon entre dans la loge. Il joue du violoncelle. Pour de bons musiciens, c’est de la très mauvaise musique mais pour l'enfant, c'est un plaisir immense. Il y a mis tout son cœur et il trouve la musique qu’il extrait des cordes très belle. Pour le maître, ces sons seraient pénibles, mais l'enfant est très heureux. Il est très difficile de généraliser la notion de perfection. Tout est parfait en son genre. Notre vie est une magnifique composition. La vie de Mâ était la plus belle composition qui soit. Il y avait de la beauté dans tous ses gestes, comportements et paroles.
Quel est le sens de votre nom
Nirgunânanda, et qui l’a choisi pour vous?
Ni signifie « non » et gun signifie « attribut » ou « qualité ». Nirgunânanda signifie donc « la félicité de la non-attribution ». Quant au choix du nom, j'ai entendu l’histoire suivante de la bouche même de Swâmî Bhaskarânanda quand il m'a initié au sannyâs. Brahmacharis Bharatjî, Kusumjî et Tapapanjî étaient trois ascètes, des aînés de notre ashram. Après avoir achevé trois années de disciplines et pratiques intenses et austères, ils devaient recevoir une initiation dans une catégorie particulière d’ascètes, avec de nouveaux noms. Ils souhaitaient que la première partie du nom de Mâ soit aussi la première partie de leur nouveau nom. Le nom de Mâ était Nirmalâ. On décida ainsi que tous les trois nouveaux noms devraient contenir nir en tant que première partie. Mâ elle-même a sélectionné les noms Nirmalânanda pour Tapan, Nirvanânanda pour Kusum et Nirgunânanda pour Bharat.. C'est une tradition répandue et aussi une directive scripturaire que la première syllabe du nom d’origine doit être aussi la première syllabe du nouveau nom. Or, le pandit qui menait la cérémonie était très méticuleux dans l'observance des instructions de s Ecritures. Il émit une objection à propos de ces nouveaux noms. Deux brahmachâris ont refusé catégoriquement de changer leur nom. Mâ était embarrassée, elle essaya de trouver un compromis. Elle demanda au pandit si cela conviendrait que seul un des noms soit modifié pour être en accord avec les instructions scripturaires. Le pandit accepta. Mâ a demandé à Bharat, le futur Bhaskarananda s’il serait d’accord d’abandonner le nom qui avait été prévu. Comme c’était Mâ elle-même qui demandait, il a accepté.
Quand j'ai souhaité prendre le sannyâs, j’avais sélectionné le nom Shanmbhavânanda. Cela va bien avec la tradition. Je m’appelais Shantivrat, j'ai donc choisi un nom qui commençait par un « Sh », en fait c’était un nom qui n'était pas commun, c'était un nom "moderne". Il faisait référence à une épithète de Shiva, Shambu [être paisible] et de sa parèdre Shambavî. Dans la pratique quotidienne, je rend un culte au Shrî Yantra qui est associé à Shambhavî. De plus, c'est une référence au Shambhavi moudra dans la voie du Yoga où les yeux sont ouverts, mais l'attention est dirigée à l'intérieur. Ceci représente une pratique de l'unité entre le monde extérieur et intérieur, ce qui est signifiant pour moi. Swâmî Bhaskarânanda était celui qui devait me donner l’initiation au sannyâs et le nouveau nom. Au début, j'étais réticent à prendre le nom qu'il me proposait, mais quand il m'a raconté l'histoire, je l’ai accepté : c’était un grand honneur pour moi de recevoir ce nom même qui avait été choisi par Mâ et que mon dikshâ âchârya me l’ait offert.
Est-ce que le chagrin qui vient du passé est inévitable ?
Le chagrin et les souffrances
sont toujours des choses du passé. Toutes les religions nous enseignent des
manières d'échapper aux souffrances et d'être dans un bonheur perpétuel. Il me
faut vous raconter une des expériences grâce auxquelles j'ai appris la manière
d'échapper au chagrin.
A Calcutta il y a un endroit appelé Dhapa qui a toujours été utilisé comme une
déchetterie. Il y a quelque temps, je passai en voiture avec un ami près d'une
ville nouvelle proche de Calcutta. Je
remarquai une cité neuve, propre avec des routes larges, une architecture
moderne, des parcs et des jardins. Avant d'embrasser la vie ascétique, j'avais
résidé à Calcutta pendant pratiquement vingt-cinq ans et j'étais tout à fait
familier avec les endroits dans et autour de la ville. Je me renseignais sur ce
lieu, et mon ami m’a dit que cette ville nouvelle avait été construit sur la
déchetterie de Dhapa. Ce fut une révélation pour moi. Si je creuse profondément
dans le sol de cette belle cité toute neuve, des couches entières d'ordures qui
y ont été jetées depuis deux cent ans
en ressortiront. Mais pourquoi donc devrais-je le faire, quand je peux
profiter de la beauté d'une ville moderne et propre, en laissant les déchets
par-dessous ? Nous ne serons pas capables d'effacer les souvenirs du passé,
mais nous pouvons nous construire une
vie belle et heureuse en laissant de côté la tristesse du passé, là où elle
est. Notre vie doit être comme une cité moderne construite sur des dépôts
d'ordures.
Comment prenez-vous le décès
de Marol ?
[Claire était une amie de Marol, et réfléchissait sur sa mort précoce de cancer survenu six mois auparavant sa venue à Dhaulchina, c'est-à-dire en octobre 2001. Marol a été un fidèle de Mâ en France pendant des années. Il était écrivain et a publié à Paris trois livres rassemblant des paroles de Mâ ; il avait rencontré Nirgunânanda près de Paris il y a quelques années, et depuis cette époque, communiquait régulièrement avec lui]. La première fois, je l'ai rencontré quinze minutes seulement. J'avais entendu dire que Marol était un écrivain, un poète, un dessinateur d’humour spirituel et plein d’esprit, quelqu'un qui avait du génie. Je désirais le rencontrer. Nous avons parlé de nos points de vue respectifs sur Mâ. Il soutenait une manière de voir qui était tout à fait différente de la mienne, mais je l'écoutais. Je n'ai pas émis d'objections à son point de vue parce que je crois que chacun est dans la vérité à partir de la où il en est. Il en fit de même quand j’exprimais ce que j'avais à dire. Je ne sais pas pourquoi, mais Marol s'est mis à m'aimer. Il avait l'habitude de dire que j'étais son frère, son ami, son enseignant et son fils. Moi aussi, j'ai trouvé quelque chose de très attirant chez lui, il m'a donné beaucoup plus que ce que j'attendais. La dernière fois que je l'ai vu à Paris, il était très malade et je savais qu'il ne survivrait pas, mais on ne peut pas lancer ce fait à la figure de quelqu'un. Depuis ce moment-là, il a pris l'habitude de m’appeler une ou deux fois par jour, où que je sois, cela pouvait être en Suisse, en Italie, en Angleterre, à Dehli ou à Almora. Malheureusement, pendant les derniers jours, il ne pouvait communiquer avec moi. Les lignes téléphoniques étaient trop mauvaises. J'ai été informé de son décès par Jacques Vigne qui enfin a pu me joindre.
Ma vieille mère âgée de quatre-vingt-seize ans est aussi décédée en juillet 2001. Cela a été également un choc momentané pour moi. Mais j'ai pu le gérer de la même manière. A chaque fois que je sentais leur absence, j'ai essayé de me souvenir des bons moments passés avec eux. A la fois ma mère et Marol sont vivant dans ma mémoire et je peux être avec eux dès que je le souhaite.
Ce qui nous rend heureux, c'est d'avoir une relation avec nous-mêmes ; mais tout seul, nous ne sommes pas capables d'avoir cette relation ; nous ne pouvons faire l'expérience de cet amour que nous avons en nous-mêmes sans aimer quelqu'un d'autre. Ainsi, nous avons des relations et nous existons dans les autres comme dans des miroirs. Ce miroir que Marol a été semble avoir été brisé dans le monde extérieur, mais le miroir intérieur est toujours intact.
Comment avez-vous ressenti le
départ de Mâ ?
Lorsque je l'ai appris, cela a été le plus grand choc de ma vie. C’était quand je revenais du pèlerinage du Mont Kailash, nous venions de traverser la frontière chinoise et étions entrés dans le territoire indien, un militaire qui escortait les pèlerins nous a annoncé la nouvelle. Au début, je ne pouvais y croire. Le militaire me dit que cela avait été diffusé à la Radio nationale indienne le 27 août 1982 dans la soirée. Il m’a semblé que le ciel m'était tombé sur la tête. J'avais le mental paralysé, en état de choc. Une chose dont je me souviens, c'est que j'ai désiré me suicider en sautant d'une falaise dans les hautes montagnes. Un des moines plus âgé de notre ashram qui venait par-derrière m’a vu et m'a sauvé de ce suicide
Comment vous êtes réconcilié
avec ce fait du départ de Mâ ?
Cela m'a pris longtemps, mais maintenant, je sens que j'aime Mâ de la même manière que lorsqu'elles étaient dans sa forme physique. Si je prétends aimer Mâ, je dois aimer ses paroles également. Elle a dit : "Souvenez, où que vous soyez, à chaque instant, ce corps vous regarde constamment ; mais vous ne voulez pas me voir, qu’y puis-je?" Cette parole de Mâ m'a apporté une grande consolation et j'ai été pénétré de la conviction que Mâ était toujours avec moi.
Les souvenirs de Marol me
rendent triste. Comment puis-je dépasser cela ?
C'est tout à fait naturel de ressentir de la tristesse lors d’un deuil. Y a-t-il un moyen de le ramener la vie ? Vous ne pouvez défaire ce qui est inévitable et destiné. La mort peut être la fin de la vie physique de celui que vous aimez, mais pas de votre vie. Vos souvenirs sont des parties intégrantes de votre vie. Ils resteront vivant tant que vous le serez. Celui que vous aimez est mort mais non pas votre amour pour lui. Souvenez-vous, vous aimez quelqu’un parce que vous aimez l’aimer. C’est l'amour pour vous-même qui vous fait aimer les autres. Ramenez dans le présent les souvenirs du passé et soyez avec eux.
Qu’est-ce que fait Marol ?
,Marol ne fait plus aucune action avec son corps. Vous pouvez imaginer
qu'avec son corps subtil il est avec Mâ et qu’avec Mâ il est heureux. Vous
aimez Mâ ? Oui, alors vous aimez son corps, son esprit et aussi ses
paroles. Mâ disait qu’elle est partout. Elle est donc aussi avec Marol.
Qu’est-ce que pense Marol à présent?
Quand Marol était là, vous ne saviez pas non plus ce qu’il pensait.
Vous saviez juste ce qu’il en exprimait, et ce n’était pas le tout de son monde
intérieur.
Comment avoir des échanges avec Marol ?
L’amour, dans son essence véritable, n’attend rien. D'abord,
demandez-vous pourquoi vous désirez échanger avec lui ? C'est l'évidence que
vous ne pouvez revenir sur sa mort. Mais votre amour pour lui vous fait désirer
échanger avec lui. Vous avez ses souvenirs à l'intérieur, avec leur aide,
ramenez-le à la vie dans votre imagination. C’est quelque chose que l'on fait
souvent pendant la vie quotidienne quand celui qu'on aime n'est pas
physiquement présent auprès de soi.
Mâ a dit que nous devrions être comme des enfants, le mais la réalité, c'est que nous avons grandi. Comment est-ce possible ?
Il est vrai qu’en passant à travers l'enfance et adolescence, nous
avons atteint l'état adulte.. Mais les
souvenirs de notre enfance et de son innocence sont toujours en nous. Essayez
d'emprunter de nouveau les chemins de la mémoire, de récupérer ces souvenirs et
soyez avec. Si vous ne pouvez vous reconvertir en un enfant, vous pouvez tout
de même essayer de sentir ce que ça fait d'être un enfant.
Les émotions créent des problèmes dans la vie comment les gérer ?
Toutes les émotions ne sont pas en problématiques. Avant d'aborder ce sujet, essayons de trouver la place des émotions dans notre vie. Les émotions sont des états mentaux qui proviennent des interactions que nous avons avec le monde des objets. Ce monde des objets n'est pas seulement en dehors de nous, nous l'avons aussi à l'intérieur. Or, la question se pose de savoir si nous pouvons effacer ces émotions qui sont à la racine de nos problèmes ? Est-ce que nous avons même besoin de les effacer ? La réponse à ces deux questions est simplement "non". Examinons à présent quelques émotions l'une après l'autre :
Le désir : Les désirs sont des signaux en retour de notre vie même, celle-ci serait paralysée sans désirs et semblerait dépourvue de sens. En tant que tel, les désirs ne peuvent être appelés la racine du malheur. L'accomplissement de désirs nous procure le bonheur. On dit qu'il faut mériter avant de désirer [first deserve, then desire]. Mais la plupart du temps, nous désirons quelque chose que nous ne méritons pas, voilà la racine de nos problèmes ! Ce qui est nécessaire, c'est de poser les limites à nos désirs. Et la culmination de tous nos désirs, c’est Dieu.
La colère : L’envie non satisfaite est la mère de la colère. En d'autres termes, on peut dire que quand notre attente rencontre un obstacle, la colère vient. Nous avons besoin d'un objet contre lequel nous mettre en colère. Que Dieu soit l’objet de notre colère, de cette manière, nous pourrons avoir un souvenir constant de Lui.
L'avidité : Il y a
une différence entre l'avidité et les désirs. Nous sommes poussés à posséder
plus que ce que nous avons déjà. En tant que tel, et il n'y a rien de mauvais
là-dedans tant que cela ne s’opère pas aux dépens du bonheur des autres. Soyez
avides de la grâce de Dieu.
Egoïsme : projeter son propre moi devant les autres afin d'établir son
existence même est inhérent à la nature humaine. Mais des fois, nous nous
projetons afin de prouver notre supériorité sur les autres. Quant la personne
en face agit de même, c'est là que commence le choc des egos. Souvent, on dit qu'il
faut se débarrasser de l'ego et que ce sera la fin de tous les problèmes. Il se
peut que ce soit une notion savante, mais est-ce praticable ? Mon existence
même dépend de ce sens de l’ego, d’un soi fonctionnel. Comment serait-il
possible de se débarrasser de ce soi par ce même soi ? L’ego ne causera
pas de problèmes tant que je ne cherche pas à prouver ma supériorité sur les
autres. Défiez en combat singulier l'ego de Dieu et voyez comme vous vous
amuserez !
La jalousie : c'est une expression de complexe d’infériorité, un état mental de frustration. Ceux qui ne possèdent pas sont toujours jaloux de ceux qui possèdent. On n'est jamais content de ce qu’on a et on devient fou de ce qu’ont les autres. Soyons satisfaits avec ce qui a été offert par Dieu.
Ces états émotionnels ne sont rien que le résultat des interactions de nos sens avec le monde des
objets et sont transitoires. Ils viennent comme des tempêtes et s'en vont. Si
l'on essaie de considérer ceci du point de vue du témoin, on sera moins
malheureux.
Est-ce que des changements de voies sont à conseiller dans la pratique
spirituelle ?
Si on a commencé sur une voie juste, la question de la changer ne se pose pas, même jusqu'à la fin. Il n'y a pas de voie spirituelle qui soit mauvaise en elle-même. Il y a une chose qu'on doit toujours garder présent à l’esprit, c'est que le but spirituel n'est pas limité par le temps. Une fois que j'ai commencé à suivre une voie, je dois continuer à essayer d'avancer dans sa direction avec une attention imperturbable et de la sincérité. La vie est trop brève pour tester au hasard des chemins spirituels les uns après les autres.
Quelle est la signification des mots sâdhanâ et tapasyâ ?
Ce sont des mots sanskrits. Le sens littéral du mot sâdhanâ est
pratique spirituelle, celui du mot tapasyâ pénitence. Mâ les définissait à sa
façon ; elle disait, comme nous l'avons mentionné : swa dhan praptir holo sadhana, cad « la manière de retrouver son
propre trésor, voilà ce qu'on appelle sâdhanâ ». Pour tapasya, elle disait :tapasya holo tap saha, cad « endurer, s’adapter à la ‘chaleur’ du monde, voilà la
tapasyâ ». En sanskrit, swa signifie soi-même et dhan richesse ou trésor. Tap veut dire chaleur et saha endurer ou s’adapter. Le plus grand des trésors, celui auquel on
aspire à tout jamais, c’est la félicité
ou la paix qui réside au-dedans de nous. Nous les oublions pour les rechercher
dans le monde ; la sâdhanâ montre la voie vers l'intérieur à un aspirant
spirituel et le rend capable de reconnaître son propre trésor.
En général, les gens font du
mot tapasyâ un synonyme de souffrance durant le travail
spirituel. Si le but ultime de la
spiritualité, c'est un état de félicité et de bonheur perpétuel mais qu’on
l’associe avec la souffrance, on ne
pourra expérimenter la félicité pure.
On doit comprendre clairement la différence entre tapasyâ et souffrance. Prenons par exemple une comparaison :
Deux personnes travaillent à casser des cailloux pour gagner leur vie
au jour le jour. L’un d’eux est un moine qui désirait acheter une guirlande de
fleurs pour son dieu bien-aimé : comme il n’avait pas d'argent, il s’est
mis au travail. L’autre est un ouvrier ordinaire payé à la journée. Le moine,
tout en accomplissant son labeur, imagine son dieu avec la guirlande autour du
cou et prend plaisir à son travail tandis que l'autre pense seulement à ce que
la nuit tombe pour que s’achève son
labeur. Tous les deux font le même travail, y dépensent la même énergie et en
retireront le même salaire. Pour le moine, le travail est de la tapasya, pour l'autre, le même labeur est de la souffrance.
Dans le monde chrétien, on
nous en enseigne de souffrir. Comment considérez-vous ce point de vue ?
Ils doivent avoir leurs raisons. Je ne suis pas un chrétien, je n'ai pas pensé à cela.
Comment trouver de la joie
dans sa sâdhanâ ?
Si on effectue la sâdhanâ comme un jeu, on y trouvera de la joie.
Est-ce qu’il est possible de
considérer la sâdhanâ comme un jeu ?
Bien sûr, c'est possible. Très souvent, Mâ a utilisé l'expression de sâdhanâ kâ khel "le jeu de la sâdhanâ". Essayons d'abord de comprendre ce qu’est un jeu. Le jeu est une suite d'actions dans le temps qui nous donnent du bonheur du début à la fin. Jeu et compétition ne sont pas des notions équivalentes. Quand nous entrons en compétition, notre bonheur dépend du résultat final c'est-à-dire de la victoire ou de la défaite, alors qu'en jouant avec un véritablement bon esprit, la victoire ou la défaite n’ont pas d’importance. Si nous prenons la sâdhanâ comme jeu, nous pouvons éprouver de la joie en la faisant quel que soit le résultat final.
Qu'est-ce que vous pensez de
la profession spirituelle ?
Une profession, c'est une manière de gagner sa vie, la spiritualité, c'est la vie elle-même. Je ne crois pas au professionnalisme en spiritualité.
Est-ce que la chance joue un rôle en spiritualité ?
Je ne pense pas voir rencontré Mâ par hasard ou par chance. Il se peut que j'aie eu au fond du cœur l'aspiration constante et intense d’être avec quelqu’un qui était l’incarnation de la perfection, de la pureté et de l’amour sous forme humaine. Je n’en étais pas conscient.
Comment puis-je connaître ce
qu’il y a à l’intérieur de moi ?
Pas l'introspection. Nous avons toutes les ressources à l'intérieur de nous. Nous essayons tout le temps de connaître le mental des autres mais pas le nôtre. Je vois le monde extérieur mais je ne réussis pas à me connaître moi-même. Il y a l'histoire suivante : dix amis voyageaient ensemble sur la route, ils atteignirent une rivière et il n'y avait pas de bac pour les faire traverser. Il la passèrent à la nage et arrivèrent à l'autre rive. Le chef demanda à quelqu'un de compter les membres du groupe pour confirmer que personne n'a été emporté par le courant de la rivière ; l'homme s'est mis à compter et n’a trouvé que neuf personnes. Ils étaient tristes d'avoir perdu un de leurs compagnons et se mirent à pleurer. Un moine passant par là les vit et leur demanda la raison de leur chagrin. Celui qui avait compté dit qu'il y a avait dix membres dans le groupe et qu'après avoir traversé la rivière, le dixième manquait. Le moine sourit et dit: "Vous êtes le dixième". Nous prenons en compte tout le monde et toute les choses, mais nous ne nous connaissons pas nous-mêmes. Je trouve du bien et du mal dans les autres et je sens comparativement une supériorité ou une infériorité chez moi sans me soucier de réellement m'étudier moi-même. Je ne peux reconnaître quelque chose chez l’autre seulement quand j'ai l'impression de quelque chose de similaire en moi. Se surestimer est mauvais, mais se sous-estimer est encore pire. Si vous ne pouvez pas trouver le chemin pour aller à l'intérieur de vous-même, priez Dieu pour cela.
Comment faire face au complexe
de peur ?
La sensation d'insécurité est la mère de la peur. Nous sommes nés avec elle ; à la naissance, le bébé crie parce qu’il a peur de la nouveauté autour de lui. Il subit un changement d'état. Mais peu à peu, il se met à faire face aux modifications et a moins peur. On peut utiliser la peur dans les pratiques spirituelles. Parfois, elle nous retient et nous évite de commettre de mauvaises actions. On dit : "Crains ton Seigneur". Dans l'amour comme dans la peur, il y a le souvenir constant de l'objet de vous aimez ou bien craignez. Ayez peur de Dieu, et vous vous en souviendrez constamment. C'est à vous de savoir utiliser votre peur. L’amour peut la neutraliser. Si j'essaie d'avoir un peu d'amour pour celui dont j'ai peur, j’en serai moins effrayé. Il est vrai que la plus grande peur, c'est la frayeur de la mort. Personne ne peut y échapper. Mais il me reste à être témoin de ma mort ; j'ai vu des gens mourir devant moi, je connais la mort des autres, mais certainement je ne serais pas là pour voir ma propre mort. Tant que je vivrai, la mort restera morte à mes yeux. Mâ dit : "La mort doit mourir" La peur est toujours dans le futur, mais elle a ses racines dans le passé. Quelqu'un peut dire qu’il a peur du passé, cela signifie en fait qu’il craint que celui-ci ne revienne à l’avenir. Si vous aimez le présent, la mort mourra. La mort est un concept du futur. Yama est le fils du dieu-soleil. Il est le seigneur de la mort. Dois-je avoir peur de Dieu? Vivez dans le présent et soyez heureuse : la mort prendra son temps pour venir, quand, où et comment, je ne sais pas.
Pourquoi échouons-nous parfois dans nos efforts, bien que nous
soyons sincères ?
La plupart du temps, cela est dû au fait que nous avons surestimé nos capacités. Le succès dans nos efforts dépend de notre sincérité, de notre capacité et de notre méthodologie. Quand ces trois éléments se complètent, c'est alors qu'on peut espérer obtenir le résultat désiré. Si, sur le chemin qui mène à ma destination, un grand arbre tombe et bloque le sentier étroit, n’est-il pas conseillé de trouver une manière de contourner l'obstacle plutôt que de dépenser mon énergie à des efforts futiles pour retirer l'arbre ?
N’éprouvez-vous pas de l'ennui
à rester au même endroit, en vivant le même de vie depuis tant d'années ?
L'ennui et l'amour sont deux pôles opposés. Le monde est transitoire et change à chaque instant ; simplement, nous n’avons pas le regard pour remarquer ces changements. Souvenez-vous de notre promenade la nuit dernière au clair de lune : lorsque nous sommes revenus à l'ashram, j'ai perdu la trace du sentier habituel et j'en ai découvert un nouveau. Chaque matin vient avait un jour nouveau et frais, chaque crépuscule amène une nuit nouvelle. Je ne ressens jamais d'ennui en face des sommets enneigés de l’Himalaya qui s'étendent sur les horizons est et nord. Je n'ai jamais éprouvé d'ennui avec les prairies tout autour. Il y a un oiseau particulier ici. Il chante durant toute la nuit. Le son de cet oiseau m’attire particulièrement au crépuscule, j'attends impatiemment le son mélancolique qu’il produit ; je n'ai jamais vu l'oiseau, ni ne connaît son nom, mais je suis amoureux du son. Il a été mon compagnon depuis seize ans. Cela m'importe peu de savoir s'il s'agit du même oiseau ou non. Le son est le même Quand vous êtes amoureux de quelque chose ou de quelqu'un, vous trouvez quelque chose de nouveau en lui à chaque instant.
Dans la pratique spirituelle,
est-il nécessaire que le corps et l'esprit soit en accord ?
Bien sûr, c'est nécessaire l'état physique agit sur l'état mental et vice versa. Tant qu'il y a identification du corps avec le soi physique, un état de bien-être est obligatoire dans la recherche spirituelle.
Pourquoi est- ce la plupart du temps
pendant la méditation qu’on se sent troublé?
Voilà une bonne question ! Considérons d'abord ce qui survient pendant
la méditation. Ici, nous parlons de la méditation avec objet : nous
choisissons d'abord un objet, essayons de focaliser l'attention sur lui et de
le contempler. L'objet peut être visuel, auditif, olfactif, gustatif ou
sensible. De façon répétée, nous ramenons notre attention à lui. Pendant l'état
d'éveil, les sens sont en interaction
constante avec le monde au dehors et le mental est occupé par des séquences
rapides qui font intervenir ces
objets ; ainsi, nous nous retrouvons avec une attention dispersée. Dans
l'état contemplatif, quand nous choisissons un objet qui correspond à un sens
particulier et que nous coupons les interactions des autres sens momentanément,
les souvenirs emmagasinés des interactions de ces sens sont activés et remontent en surface. Le monde
extérieur est remplacé par le monde intérieur. On doit se rappeler que se séparer des interactions des
sens ne signifie pas les désactiver. Par exemple, s'asseoir en silence ne rend
pas quelqu'un sourd ni ne dénie sa capacité auditive. Simplement, il y a
absence d'objet d'audition. Prenez par exemple ce réveil à quartz dans ma
chambre. Il n'y a pas de son perceptible qui en provienne. Mais chaque nuit, je laisse ce réveil dans l’armoire
car dans le silence de la nuit, le son de ce réveil paraît être un roulement de
tambour et il est perturbant. Ce n'est pas que ce son apparemment inaudible se
soit accru durant la nuit ou qu'il y ait eu aucun changement dans ma capacité
auditive. Ma réceptivité auditive n’a pas été perturbée à cause du silence
environnant.
Vous avez dit que Mâ ne blessait jamais personne. Pouvons-nous en faire
autant ?
Certainement, nous pouvons y arriver. On blesse les autres soit
physiquement, soit mentalement. Les agressions physiques sont produites par la
colère et celle-ci a sa racine dans les attentes, l'avidité et la jalousie. Par
une introspection convenable, on peut essayer de minimiser ces facteurs.
L'agression mentale a ses racines dans la tendance à miner et minimiser l'autre
afin de projeter une image de soi plus grande que la réalité ou de se poser
comme quelqu'un qui a raison par rapport à l'autre qui a tort. Ma avait
l'habitude de dire que chacun avait raison de son point de vue. Prenez par
exemple une dame qui est une fille pour sa mère, une mère pour sa fille et une
femme pour son mari. Tous les trois points de vue sont justes dans le cadre des
relations avec cette dame, mais la manière dont ils se concrétisent n’est pas
la même. Est-ce qu'il y a lieu de se disputer à propos de la validité d'une
relation en prouvant que les autres sont fausses ?
Est-ce que l'art peut être un
instrument de pratique spirituelle ?
Oui bien sûr, mais cela dépend du point de vue de l'artiste et du but pour lequel il pratique son art. Celui-ci est l'expression de son monde intérieur. Le monde extérieur avec lequel il est en relation produit des impressions à l'intérieur. Celles-ci, en s'additionnant avec la constitution mentale de l'artiste, prend forme et se traduit en tant que création. En outre, l'artiste, quand il est absorbé dans son travail, a une grande concentration mentale. En d'autres termes, on peut dire qu’il a l’attention juste pour le travail spécifique qu'il est en train de faire et cet état d'esprit peut être facilement appelé un état méditatif. Grâce à la pratique, cet état sert à former le mental. Ensuite, c'est l'affaire de l'artiste de savoir comment il va utiliser cet entraînement mental.
Comment peut-on distinguer entre activité spirituelle et non
spirituelle ?
Nous avons déjà mentionné qu'il n’y avait pas réellement besoin de
tracer une ligne de démarcation entre les activités spirituelles et non
spirituelles. C’est le point que j'ai observé et appris durant mon association
avec Mâ : la vie en totalité est spirituelle. Cela est devenu ma
conviction. Avant la seconde guerre mondiale, il y a avait une seule Allemagne.
Le mur de Berlin a été érigé et à ce moment-là, nous avons vu la division entre
l’Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest. Quand ce mur a été démoli, nous avons
eu de nouveau une Allemagne unie. Le mur n'était là ni au début ni à la fin. Ce
n'était qu’une séparation temporaire. De même, dans notre vie, la classification de nos activités entre
« spirituelles » et « non spirituelles » ne peut être
soutenue jusqu'au bout.
Comment définiriez-vous l'intuition et la pensée ?
Les deux suivent la logique de la corrélation entre la cause et les effets mais leur base de départ est différente. La première fait appel à l'inconscient alors que la seconde se fonde sur le conscient.
Quelle est la place de la
grâce dans le travail spirituel ?
En sanskrit, la grâce s'appelle kripâ. D'après certaines écoles, cette grâce doit être atteinte par nos actions. Il y a une autre école qui croit en une grâce sans aucune cause derrière, c'est ce qu’on appelle ahetuki kripa, hetuki signifiant cause, raison. Mâ donne une définition très belle de la grâce. Elle a dit : "kripâ signifie karo, pao " karo voulant dire « fais » et pao « trouve » ; elle a aussi ajouté : "La grâce de Dieu se déverse constamment sur vous. Si vous gardez votre récipient tourné vers le haut, il se remplira, si vous le gardez tourné vers le bas, la grâce sera gâchée." Il n'y a pas de conditions dans la grâce de Dieu. Il octroie sa grâce à tous sans différence. Ce qu'on doit comprendre, c'est que sa grâce est toujours ici avec nous. La plus grande de ses grâces, c'est que je sois doué de la capacité de concevoir le fait même de la grâce. Les pratiques spirituelles sont un moyen de saisir cela.
Quel rôle joue la foi en spiritualité ?
C'est la condition la plus importante du travail spirituel. Avant de
donner sa foi à quoi que ce soit d'autre, on doit avoir foi en soi-même. Mâ dit
: "atal bishwas" « une foi, bishwas, ferme comme le roc, atal, est nécessaire pour l'aspirant ».
Notre foi est toujours vulnérable. Nous gardons foi en Dieu quand tout va bien,
dans notre soi-disant confiance, nous aimons penser : "Que ta volonté soit
faite". Mais que quelque chose de fâcheux survienne, nous nous exclamons
aussitôt : "Mon Dieu, qu’as-tu fait !" En tant aspirant, j'ai besoin
d'avoir la conviction que tout ce qui arrive est la volonté de Dieu et que
c’est pour mon bien.
J'aime être indépendante et j'ai envie d'une liberté sans aucune obligation, même celle de discipline spirituelle.
Avant de dire quoi que ce soit, il faut que j’essaie de comprendre ce
que vous venez de dire. Qu'est-ce que l'indépendance ? Sentir, penser et
agir librement. Si quelqu'un vous demande de faire quelque chose, vous acceptez
ou non., s’il insiste vous vous mettez en colère. Ce n'est pas une expression
d'indépendance. Vous êtes en fait sous le coup de l'irritation ou de la colère.
Derrière votre désir d'indépendance, il y a aspiration intérieure constante au
bonheur perpétuel. Dans la poursuite du bonheur, si vous vous mettez en colère,
le but même d'être indépendant se trouve mis en péril. La rationalisation, et
l'équilibre des modèles d’interaction avec le monde à la fois intérieur et
extérieur réduit le sentiment de malheur dans notre vie. Si vous obtenez votre
bonheur aux dépens de quelqu’un d'autre, ce n'est plus du bonheur.
Apporter cet équilibre dans
la vie, cela revient à y introduire une discipline et un contrôle de soi. Ceci
n'est possible que par la pratique ; au début, cela peut sembler une sorte
d'obligation qui vous est imposée, mais ensuite, avec l'habitude, cette
impression de carcan s'évanouit. On dit qu’il faut ramasser une épine pour
extirper celle que vous avez dans le pied, et ensuite rejeter les deux.. Votre
soi-disant indépendance est enracinée dans votre désir d'indépendance. La
liberté authentique est la liberté des liens du désir. En ce monde, vous ne
pouvez vivre seul. Vous devez dépendre de quelque chose ou de quelqu’un :
notre vie est sous le signe de la
symbiose. Celle-ci n’est pas contradictoire avec la liberté. Tant que
notre conscience se projettera sur les objets, notre espoir de liberté restera
toujours très éloigné, comme à l’horizon. Plus nous essaierons de nous en
approcher, plus il s’enfuira loin.
Vous faites bien de dire que vous aimez la liberté : cela signifie que vous en avez le goût à l'intérieur. Sinon, comment pourriez-vous l’aimer? Essayez de rentrer à l'intérieur et vous découvrirez qu’elle est là, simplement ; la pratique spirituelle montre le chemin de la liberté.
Pour venir à Dhaulchina, vous m’avez demandé comment organiser votre voyage, et je vous ai répondu. Vous auriez pu venir sans mon aide, mais cela aurait été moins confortable. Il y a un autre endroit dans la région qui s'appelle Dhaula-Dévî, beaucoup de gens se trompent et perdent une journée avant d'arriver ici : parce qu’en fait ils ne se sont pas souciés d’être guidés, ils ont eu des ennuis. Pour suivre la voie spirituelle, vous avez besoin d’un guide qui vous assiste de son expérience. Ayez confiance, essayez et acceptez-le. Il n’agit pas sur votre indépendance, mais il rend votre voyage vers l'indépendance plus facile.
Est-ce que les restrictions sur l'alimentation sont obligatoires dans
la pratique spirituelle ?
Avant de répondre à cette question, essayons de répondre à une autre : pourquoi prend-on de la nourriture ? La première réponse est simple, nous mangeons pour vivre. Notre vie est orientée vers l'action. Pour cette action, nous avons besoin de nourriture ; celle-ci est la source de l'énergie. De fait, la nourriture a trois utilités. Le métabolisme, l’apaisement de la faim et la satisfaction. Il y a un proverbe en Inde qui dit que la nourriture constitue le mental. En d'autres termes, on peut dire qu’il y a une relation intime entre la nourriture et le mental. Si l’on essaie de contrôler le mental, le contrôle de la nourriture est nécessaire. Un aspirant est supposé manger pour vivre et non pas vivre pour manger. La plupart du temps, on mange plus que nécessaire ; pour un aspirant, la quantité de nourriture absorbée doit être basée sur le besoin et non sur le désir.
Qu'en est-il de la nourriture végétarienne ou non?
Les habitudes alimentaires dépendent de différents facteurs. Il y a des
variations dans la situation géographique, les conditions climatiques, la
disponibilité des aliments, la quantité de travail à fournir, etc., et tout
cela influence les habitudes alimentaires des personnes ; en Inde, on
recommande la nourriture végétarienne pour les aspirants spirituels. De plus,
d’après les règles alimentaires prescrites pour la pratique du Yoga, les épices
fortes sont interdites. La nourriture doit être bien cuite, facile à digérer,
agréable à regarder et elle ne doit pas être avariée. Cela peut vous sembler
étrange que l'état mental du cuisinier et la manière dont la nourriture
est préparée joue aussi un rôle
important : par exemple, si vous préparez un plat en étant de mauvaise
humeur et que vous préparez le même à une autre occasion avec amour, le goût de
ces deux plats ne sera pas le même.
Qu'en est-il de la poûjâ ?
Il y a des définitions variées et détaillées de la poûjâ dans nos Ecritures. Une définition simple de la poûjâ, c'est qu'il s'agit d'une action accomplie avec amour pour faire plaisir à quelqu’un. De façon conventionnelle, poujâ signifie effectuer des rituels et des offrandes à Dieu accompagnées de mantras afin de lui faire plaisir.
Qu'est-ce que l’abandon
[surrender] ?
C’est de tout consacrer, y compris soi-même, sans conditions au Bien-Aimé ou à Dieu, voilà ce qu'on appelle l’abandon. C'est le stade le plus élevé de la dévotion. Dans cet état, il y a une cessation complète de la volonté individuelle et dépendance totale à la volonté divine. Je vais vous raconter une histoire authentique à ce sujet :
Au Bengale, il y a avait un savant réputé du nom de Shashi Bhusan Sanyal ; il était un contemporain du grand saint de l'Inde d’alors, Shrî Ramakrishna. Il était un puits de science et de sagesse, il faisait autorité sur des domaines aussi variés que les différentes formes de médecine, la science, les mathématiques, la philosophie, les religions et les Ecritures. Shrî Ramakrishna envoyait ses disciples brillants comme Vivékânanda ou Abhédânanda pour étudier le védanta chez lui. Bien que Shrî Sanyal fût disciple d’un autre saint fameux de l'Inde, Swâmî Shivarâma, il avait le plus grand respect pour Shrî Ramakrishna. Il n’acceptait jamais d’honoraires de ses étudiants et pratiquait les trois branches de la médecine, l'homéopathie, l’allopathie et l'ayur-véda pour gagner sa vie. Il était le seul membre salarié d’une famille de trente-cinq personnes. Une fois, Ramakrishna lui a demandé de ne plus pratiquer la médecine et d’essayer de dépendre complètement de la grâce de Dieu même pour ses besoins matériels. Il a pris le vœu de ne rien demander à personne et a commencé à pratiquer âkâsh vritti [la tendance, vritti, du ciel, âkâsh, de celui qui jamais ne demande ni ne mendie quoi que ce soit, même pour ses besoins quotidiens et qui s’abandonne complètement à la volonté de Dieu]. Vous pouvez imaginer quelle période difficile il a eue à traverser pour nourrir trente-cinq bouches affamées avec deux repas par jour sans aucun revenu. A certains moments, la famille avait à jeûner pendant des jours entiers mais personne ne le savait. Il ne perdit pas son équilibre mental et n'a pas dévié non plus de son vœu malgré toutes ces difficultés. Un jour, pendant qu'il enseignait, un facteur lui a apporté un pli recommandé d'une personne inconnue de Bénarès. Il l’a ouverte, a sorti la lettre, l'a lue et a poursuivi le fil de son enseignement. Des larmes coulaient à flots de ses yeux. Les étudiants étaient étonnés de voir cela et pensaient que c'était tout à fait inconvenant pour un homme comme lui qui était établi dans l'état le plus haut du védanta de tant souffrir après avoir lu une lettre ! Ils avaient vu cette même personne porter son jeune enfant mort dans les bras sans aucun signe de chagrin ni de larmes aux yeux. Swâmî Abhédânanda (qui s'appeler alors Kali Mâharâj) ne put s’empêcher de demander à Shrî Sanyal la raison de sa souffrance. Il tendit la lettre à l’étudiant : "Ce ne sont pas des larmes de souffrance, je suis ému par la grâce du Seigneur et ne peux m'empêcher de pleurer. Tu peux lire ce qui est écrit et te rendre compte par toi-même." Le pli venait d'une personne bien connue de la célèbre famille Mitra du quartier de Chowkhamba à Bénarès et contenait 500 roupies en liquide. Il y était écrit que la personne avait vu en rêve le Seigneur Shiva lui apparaître et lui dire qu'un fidèle à Calcutta avait vraiment besoin d'être aidé ; il avait jeûné avec toute sa famille durant ces derniers jours. Le Seigneur lui avait donné le nom et l’adresse de Shrî Sanyal en rêve, sur la base de quoi Mitra avait envoyé la lettre ainsi que l'argent avec l'espoir qu'elle atteindrait la personne à laquelle elle était destinée. Ce n'est qu'alors qu’il parla à ses étudiants de sa situation financière misérable. Il savait à l'évidence que beaucoup de gens auraient pu venir à son secours au moindre signe de sa part mais il voulait s’abandonner complètement à la volonté de Dieu et avait la ferme croyance que Celui-ci s'occuperait de ses besoins matériels. Il s'était abandonné à Dieu par amour pour lui.
Il y a une autre sorte d'abandon qui résulte de la peur. Supposez qu’un homme avec un revolver m’attaque pour une raison ou pour une autre. Pour sauver ma vie, je lève les mains et me rends à lui. Ce sont les circonstances, et non pas l'amour qui m'obligent à effectuer ce geste de reddition dans l’espoir de sauver ma peau. Et je ne suis pas sûr que l'agresseur m’épargne ou non. L'abandon est une conviction de toute la vie, et non une solution de facilités pour un temps limité. Prenons un autre exemple – on dit très souvent qu'un homme qui craint Dieu s’abandonne à Sa volonté. Il peut être honnête en parlant ainsi pour la période actuelle. Si son jeune enfant est sur son lit de mort et que le docteur a abandonné tout espoir, la seule option qui lui reste est de tout abandonner et de prier Dieu. Mais si le garçon meurt, immédiatement, il va s'exclamer : "Dieu, qu'as-tu fait ?" C'est un abandon motivé. L'abandon authentique est la fusion de la volonté individuelle avec celle de Dieu sans aucune arrière-pensée.
Comment un gourou peut-il aider son disciple ?
La manière dont un maître aide ses étudiants ressemble à celle dont un
répétiteur entraîne ses élèves. Un gourou montre la voie pour que ses disciples
soient exposés aux potentialités latentes qu'ils portent en eux.
Est-ce que les relations que nous entretenons dans le monde nous aident dans notre développement spirituel ?
Bien sûr qu'elles nous aident ! Toutes les relations ont leur essence dans l'amour. Le monde n’est pas quelque chose qui soit en dehors du domaine de Dieu. Si Dieu qui est tout amour a créé le monde, cela doit être par amour pour sa création. Rien de mauvais ne peut venir de Dieu. Le bien et le mal existent seulement dans notre perspective. Un aspirant établit avec Dieu d'abord un type de relation qu'il connaît bien du point de vue du monde, et ce, quelle que soit la religion qu’il suive ; avec cette pratique, il essaie d'élever la relation jusqu'à son essence. L'instrument de base qui nous est confié, c'est la compréhension des relations du monde, tout simplement. Une célèbre prière récitée en Inde par presque tous les aspirants spirituels est la suivante : tvameva mâtâ cha pita tvameva, tvameva bandhu cha sakha tvameva… « tu es la mère, le père, le frère et l’ami... » ici, les relations qu’on cite sont des relations du monde qu’on expérimente dans la vie ordinaire et de façon superficielle sans aller jusqu'à leur essence profonde. Avec la pratique, nous explorons le nectar essentiel des dites relations. Si nous pouvons les vivre d'une façon symbiotique -plutôt que parasitaire comme nous le faisons souvent- ces relations du monde nous rapprocheront de Dieu. Mâ disait souvent : « Aimez les enfants à la maison comme des incarnations de jeunes dieux et déesses ». Elle ajoutait : "yatra nârî tatra Gaurî, yatra jîva tatra Shiva ». « Là où il y a la femme, il y a Gauri, là où il y a l'âme individuelle, il y a Shiva » A ce propos, il faut que je vous raconte une histoire : Le saint Eknath était un grand fidèle vishnouïte. Le nom du Seigneur était toujours sur ses lèvres quand il était engagé dans les travaux de la maison. Il servait son père handicapé comme son dieu bien-aimé. Un jour, il était en train de nourrir son père en chantant constamment le Nom du Seigneur. Celui-ci est apparu devant lui, sur le pas de la porte mais il a continué à servir le vieil homme. Il a offert une brique au Seigneur et lui a demandé de rester debout dessus pendant qu’il terminait le service de son père. Vittal accepta cette requête et fut content de rester debout sur la brique elle-même. Jusqu'à nos jours, la célèbre statue de Vittalnath à Pandarpur est sur une brique en souvenir de cet épisode. La relation d’Eknath avec son père avait été élevée à un tel niveau que même le Seigneur se devait d'apparaître devant lui.
Voici une autre histoire : Un yogi avait pratiqué des austérités et pénitences et avait acquis certains pouvoirs paranormaux. Un jour, alors qu’il méditait sous un arbre, un oiseau fit ses besoins sur lui. Le yogi regarda l’oiseau avec colère, et celui-ci en fut réduit en cendres. Après s’être levé et y avoir pris un bain, il s'en alla au village voisin pour mendier sa nourriture quotidienne. Il parvint à une maison et frappa à la porte en demandant l’aumône ; la voix d'une jeune femme vint de l'intérieur en le priant d’attendre quelques instants jusqu'à ce qu’elle en finisse avec le travail dans lequel elle était engagée à présent. Après quelques instants, il frappa de nouveau à la porte et la même demande vint de l'intérieur. Le yogi s'impatienta, et enragé, frappa une troisième fois à la porte. Soudain, une femmes avec la nourriture dans les mains se tint devant le yogui qui la regardait avec colère à cause du retard. La dame s'excusa pour cela, mais l’ire du yogi n’en fut point diminuée pour autant. La dame fit alors remarquer au yogi qu’elle n'était pas l'oiseau de la forêt et que ce regard coléreux n'aurait pas d'effet sur elle. Le yogi fut abasourdi par cette simple réflexion et se mit à penser que la dame était une personne spirituellement très avancée pour être ainsi au courant à distance de ce qui y était arrivé à l'oiseau et lui a demandé des informations sur ses pratiques spirituelles, par la force desquelles elle avait été capable de connaître de façon subtile ce qui s’était passé au loin. La femme répondit qu’elle servait simplement son mari avec tout son esprit, ses paroles et ses actions. Le retard avait été causé par le fait qu'elle devait donner son repas à son mari. Aussitôt qu’elle avait fini ce service, elle était venue avec des aumônes pour le yogi.
Quel rôle le silence et la
solitude jouent-t-il dans la pratique spirituelle ?
Avant de répondre à ces questions, essayons d'abord de définir ces deux termes d’une façon simple et compréhensible : solitude signifie le fait d’être seul ; il y a deux aspects à cela, mental et physique. On peut se sentir esseulé dans une atmosphère de foule et vice-versa. On peut ressentir la solitude réelle quand les deux aspects physiques et mentaux évoluent en parallèle. En d’autres termes, la solitude réelle nous aide à être libres des objets du monde extérieur et aussi intérieur. Le fait d'être seul ne doit pas être confondu avec l'état de mélancolie.
Le silence signifie l'absence de bruit ou l'abstention de paroles. Le premier aspect est physique et le second mental ; en sanskrit, silence se dit "maun". C’est un terme dérivé de manas, le mental, ainsi, le silence consiste non seulement à s'abstenir de paroles, mais aussi de pensée. Le silence physique aide jusqu'à un certain point à réduire le mental au vrai silence. Après ces préliminaires au sujet de la solitude et du silence, examinons maintenant leur rôle dans la pratique spirituelle. Lorsque vous vous retirez dans un endroit solitaire, vous vous débarrassez jusqu’à un certain point des perturbations auditives et visuelles qui vous perturbent dans le monde. Ceci représente une manière directe d'avoir un contrôle sur votre mental. Le silence physique vous aide à éviter les perturbations auditives - en solitude, on n’a personne à qui parler, il y a donc une restriction automatique de la parole. Vous serez d'accord avec moi que la plupart du temps, nous conversons par habitude et non par nécessité et nous gâchons ainsi beaucoup d’énergie. On aurait pu la préserver et l’utiliser de façon à atteindre le but de la vie. Une fois que vous êtes habitués au silence, votre capacité d'introspection augmente de façon signifiante. Mâ soutenait toujours l'utilité du silence. Dans ses ashrams, on s'attend à ce que les membres observent le silence de huit heures quarante-cinq à neuf heures du soir. Vous remarquerez que quand nous observons le silence, les activités du mental ne s'arrêtent pas pour autant et que le besoin de s'exprimer existe au début, c'est ainsi qu’on a recours au langage des signes. En outre, observer le silence ne désactive pas pour autant votre sens auditif, et vous pouvez être perturbé à cause de cela. La solitude est une grande aide de ce point de vue. Mes trois ans d’observance du silence à l'époque de Mâ, et seize ans de retraite en solitude à Dhaulchina ont été de grandes aides dans ma pratique spirituelle. Un silence et une solitude initialement forcée doivent devenir habituels. C'est alors seulement qu’il est possible de ressentir la félicité qui en découle. Il est presque impossible d'avoir un contrôle sur tous vos sens simultanément. Mais si vous contrôlez complètement l’un d’eux, les autres vont suivre. Souvenez-vous, le vrai silence, c'est l'état de samâdhi.
Mâ a dit : "Soyez comme
un enfant qui jamais ne grandit." En tant que tel, ceci n'est praticable ni psychologiquement ni physiologiquement. De plus, cette parole de
Mâ semble nier le rôle de l'intelligence dans la spiritualité.
Vous avez soulevé un point important : je dois citer une autre
parole de Mâ en rapport avec cela. Elle a dit : "Vous avez assez joué avec
votre intelligence dans cette vie. La victoire ou la défaite, quelles qu'elles
soient, elles sont arrivées. Ne serait-ce qu'un instant, regardez-Le et sautez
sur Ses genoux, vous n'avez pas besoin de penser à quoi que ce soit." Oui,
ici, elle dénie apparemment l'intelligence ; dites-moi quel rôle
l'intelligence joue dans l'amour ? Est-ce que vous avez jamais rencontré une
expression comme "amour intelligent"? Est-ce qu'un enfant a besoin
d'appliquer son intelligence quand il aime sa mère? Je ne veux pas dire que
l'intelligence n'a pas de rôle dans la vie, elle a son importance quand elle
est à sa place. Je ne pense pas que le travail spirituel soit un jeu à jouer
avec son intelligence, mais jouer le jeu de la vie intelligemment aide à
réussir l'objectif ultime.
Je suis d'accord qu’il est impossible -à la fois physiologiquement et
psychologiquement- de revenir à mon enfance passée. Mais je porte toujours en
moi mes impressions de l'enfance, je peux essayer de reprendre les chemins de
ma mémoire, de déterrer ces impressions, d'être avec elles est de ressentir à
nouveau mon enfance. En agissant ainsi, je goûterai le nectar de l'amour que
j'avais perdu dans les jeux de l'intelligence. Ceci n'est ni impraticable ni
impossible.
Parfois je ressens que mon cœur est comme une pierre. Je ne sens pas
d'amour pour quoi ou qui que ce soit.
Votre cœur ne peut jamais être comme une pierre car une pierre n'a pas
de cœur pour ressentir ! Ce que nous appelons le cœur est le siège des
émotions dans le mental et non l'organe
physiologique qui réside dans la cage thoracique. Sans rentrer dans la
signification littérale de ce que vous avez dit, je comprends bien l'état
mental auquel vous faites allusion ; ceci est tout à fait naturel dans
l'esprit humain. Maintenant, essayons de voir pourquoi cela arrive. Dans un tel
état, le mental perd son calme naturel à cause des perturbations qui
proviennent au hasard du monde des objets extérieurs et intérieurs. Cet état
peut être le résultat de frustrations. Vos attentes ne sont pas comblées et
vous n'êtes pas capable de définir exactement ce que vous souhaitez à ce
moment-là. Vous avez une attention dispersée. Comme nous sommes dans un monde
relatif, nos envies et dégoûts sont aussi relatifs. En toile de fonds de
l'aversion envers quoi que ce soit, il
y a une aspiration intérieure pour aimer quelque chose d'autre que parfois
nous ne pouvons pas définir, et ainsi, nous éprouvons de la confusion. Si votre
cœur est comme une pierre, ce serait l'état du mental le plus désirable, cela
voudrait dire que vous n'avez pas de pensée, et cet état d'absence de pensées
est un autre nom du samâdhi, le but de tous les efforts humains.
Comment peut-on développer son amour pour Dieu?
C'est très simple : d'abord établir une relation avec Dieu et ensuite
la nourrir de tout votre cœur, vous sentirez sa proximité. Essayez de lui
établir un siège permanent dans votre cœur.
Quels sont les conditions de base sur le chemin de la dévotion ?
L'amour de Dieu, une foi totale en Lui et une pratique infatigable selon les conseils du gourou, voici quelques éléments de base du chemin de la dévotion.
Est il possible d’aimer sans rien attendre en retour ?
Bien sûr, c'est possible. Vous le faites tout le temps sans le savoir.
Vous ne pouvez dénier que c'est vous-même que vous aimez le plus. La toile de
fond de vos amours des objets, c’est votre amour pour le soi. Qu’attendez-vous
de votre propre soi ? Vous aimez regarder votre image dans le miroir. Est-ce
que vous vous attendez à ce que cette image vous aime en retour?
Comment développer l'amour en moi ?
La question de développer l'amour ne se pose pas : la seule chose
qui nous soit demandée, c’est de sentir
qu’il est déjà en nous dans toute sa gloire: avec la pratique, on peut acquérir
et développer une faculté particulière en soi. Nous sommes nés avec l'amour. Le
côté objectif du monde l’a voilé et c'est pour cela que nous sommes incapables
de le sentir dans sa plénitude. Il n'y a pas de qualification ou de
quantification de l'amour bien que souvent, nous l'objectivons. Par la
pratique, nous serons capables de le dévoiler, et cet amour resplendira alors
dans sa pleine gloire.
Pourquoi aimons-nous ? Parce
que nous savons que c'est l'ambroisie permanente, le remède pour toutes nos
souffrances et douleurs en ce monde. S'il en est ainsi, est-ce que l'amour peut
quand même aboutir à la douleur ? Il n'est pas rare en effet d’observer autour
de nous que l’amour finit dans la
douleur. Ici, la définition même de l'amour n'est pas tenable. Pourquoi en
est-il ainsi ? C’est parce que notre compréhension de l'amour est erronée.
L'amour se manifeste en action, mais n'est pas l'action elle-même. Aucune
action ne peut être perpétuelle. Elle commence, continue pendant une période
donnée puis s'arrête. Ainsi en est-il de notre amour quand nous le prenons
faussement pour être une action. Quand nous considérons l'amour comme un objet,
il ne peut être perpétuel. Notre monde est transitoire. Tout change sous le
coup du Temps. Mon objet d'amour du moment ne demeure pas dans le moment
suivant. Ainsi va mon amour quand je le considère du point de vue des
objets ; le résultat en est de nouveau
la douleur. Ces faits nous poussent à voir l'amour sous un jour
différent, au-delà de la compréhension conventionnelle. L'amour n'est pas dans
l'objet mais j'ai besoin d'un objet pour projeter mon amour afin de le sentir
en moi seulement.
Comme vous l'avez dit auparavant, il y a ni qualification ni quantification
de l'amour. Pouvez-vous préciser ?
Voilà une bonne question ! La quantification est possible dans le cas d’un matériau ou d'un objet. Pour mesurer quoi que ce soit, vous avez besoin d'une unité. Maintenant, dites-moi quelle est l’unité d'amour par laquelle vous pouvez le quantifier? Vous aimez pour vous faire plaisir et faire plaisir à votre bien-aimé en même temps. Il est aussi naturel que vous aimiez plus d'une personne. Si vous dites à quelqu’un que votre amour pour lui est moindre que celui que vous avez pour un autre, est-ce que cela lui fera plaisir à entendre ? Quand vous donnez quelque chose aux autres, il y aura une baisse quantitative de cet objet dans votre stock. Mais quand vous donnez de l’amour aux autres, est-ce que vous en avez moins pour autant ? Maintenant, vous pouvez juger par vous-même si oui ou non il est faisable de quantifier l'amour.
Maintenant, considérons les qualifications de l'amour. La qualification est toujours comparative et par degré. Ici, de nouveau, nous sommes en face des mêmes difficultés que dans le cas de la quantification.
Qu'est-ce que le japa et
comment nous aide-t-il dans la pratique spirituelle?
Une façon simple de dire, c’est d’affirmer que le japa correspond à la répétition de noms ou de mantras reliés à Dieu. On peut l’effectuer de trois manières, mentalement, à voix basse ou à voix haute. Un autre nom du japa, c'est le souvenir constant de Dieu. A chaque fois que vous souvenez d'une personne, son image avec ses qualités se met à jouer sur l'écran de votre conscience. Vous sentez cette proximité et la relation entre vous se renforcent pour q finalement vous vous identifiez avec elle. Les Ecritures suggèrent que quand on pratique le japa, on doit contempler la signification même du Nom ou du mantra. C'est la pratique spirituelle la plus facile.
Que pensez-vous des pratiques spirituelles ayant une motivation ?
Aucune pratique spirituelle n’est en vain. Vous considérez la prière
comme une pratique spirituelle. Est-ce qu’elle n'a pas une motivation ? Dans la
Bhagavad-Gîtâ, Krishna définit quatre genres de fidèles, celui qui est
complètement perdu, celui qui pose des questions, celui qui a une motivation et
le sage. Quoi que vous ayez dans votre esprit, vous vous souvenez constamment
de lui.
Qu’en est-il de l'adoration des statues : est-ce que Dieu y est présent
?
Est-ce que votre bien-aimé est dans la photographie que vous portez
toujours avec vous ? Qu'en est-il de la statue de la Vierge Marie avec l'Enfant
Jésus dans ses bras qu'on voit dans chaque église, sur les autels ? Essayez
d'obtenir la réponse en vous-même et vos doutes se dissiperont. Si vous êtes
croyant, vous croyez aussi dans l'omniprésence de Dieu. Si Dieu est partout,
n'est-il pas dans la statue ou l'image ?
Pourquoi un même Dieu est représenté de trois façons, dans la statue,
le yantra et le mantra ?
La statue représente la forme, le corps physique de Dieu, le yantra est
la représentation géométrique de Dieu sous forme de corps subtil et le mantra
représente la forme la plus subtile ou corps causal. Un aspirant choisit la
forme d’après sa constitution mentale. Il est plus facile de commencer avec la
forme physique puis avec la pratique on peut s'élever du physique vers le
causal.
Est-ce que vous avez peur de Mâ ?
Pourquoi aurais-je peur de quelqu'un que j'aime ? Quand je me sens en sécurité dans l'amour de Mâ, la peur
(c'est-à-dire le sens d'inquiétude) n'a plus de place en moi. Peur et amour ne
peuvent être ensemble en même temps. J'ai peur de quelqu'un, à ce moment précis
je n’ai sûrement pas d’amour
envers lui.
Dans de nombreuses Ecritures sacrées, on demande à l'aspirant de craindre Dieu. Comment
expliquer-vous ceci ?
Quand vous n’êtes pas vraiment établi dans l'amour de Dieu, un sens de
peur de Lui peut vous aider dans votre pratique spirituelle. Il vous empêchera
de faire de mauvaises actions.
D’après la mythologie, Krishna a été adopté par Yashoda. Il était en
enfant imprévisible. Un jour, il est parti avec ses amis sur les rives de la
Yamouna et s'est mis à manger du sable. Ceux qui étaient là ne pouvaient
l'arrêter, et ils ont donc appelé sa mère. Elle est venue avec un bâton pour le
battre et lui a demandé s'il avait avalé le sable ou non, mais Krishna n'a pas
tremblé parce qu'il savait que sa mère jouait la comédie Elle était tout amour
pour lui.
L'amour est la clé de notre bonheur. L'amour n'est pas un objet. Un objet
change, mais pas l'amour. Vous ne pouvez le toucher physiquement, mais vous
sentez qu’il vous touche dans le cœur. Quand vous attendez un retour à l’amour,
il se dilue. Vous vivez avec la peur de perdre cet amour. Avec une pilule amère
dans la bouche, vous ne pouvez pas avoir le goût du miel.
Qu'est-ce que Mâyâ ?
Bien qu'il s'agisse d'une question très brève, la réponse n'est guère
simple. Dans la mesure où nous sommes enchaînés par Mâyâ, est impossible
de s'en extraire pour comprendre ce que Mâyâ est. Néanmoins, pour la
compréhension intellectuelle, voyons ce que Mâ a dit à propos de cette Mâyâ.
Elle a affirmé : "Mâyâ signifie
Mâi c'est-à-dire ‘le moi, l’ego’ et
âyâ signifie ‘il est venu’." Quand l'ego vient entre moi et Dieu, cela obscurcit la vision claire
que j'en ai, voilà ce qu'on appelle Mâyâ. En d'autres termes, le voile de l'ignorance primordial chez les
êtres vivants est appelé Mâyâ.
Est-ce que AUM est un mantra ?
D’après nos Ecritures, c'est le son primordial et la cause première de
toute la création en expansion. On l'appelle aussi le Shabda Brahma ou la représentation de la réalité sous forme de son. Les Védas
l’appellent le premier mantra et tous les autres mantras sont des dérivés de
cette forme primordiale.
Est-ce qu’un guru peut donner la réalisation ?
La réalisation n'est pas un objet qu'on peut transmettre d’une personne
à l'autre. Du Gourou on peut au mieux recevoir une compréhension
intellectuelle, et encore ceci reste
dans le monde objectif. La réalisation est subjective. Le Gourou peut vous
aider à éveiller vos potentialités intérieures afin que vous puissiez marcher
sur le chemin de votre réalisation. Le Gourou peut dire : "Tu es
Cela" mais c'est à vous de réaliser : "Je suis Cela".