Jay Ma   n° 87      Hiver 2007-2008

 

 

 

       


Paroles de

 

Sentez Dieu au-dessus de votre tête,  et faites d’un cœur joyeux vos tâches quotidiennes, ces tâches qui arrivent en une suite ininterrompue. Tout ce que vous voyez en ce monde est le produit de la volonté. Par la patience et la stabilité, donnez davantage de vitalité à vos bons loisirs…Il faut du temps pour édifier une habitude utile. Ne perdez pas courage si vos premières tentatives aboutissent à des échecs. Restez ferme et ayiez le courage de continuer sur le bon chemin. Si vous ramenez vos pensées vers Dieu un peu chaque jour, cela éveillera en vous un désir intense  de Lui.  Soyez simples et droits, exercez-vous à  la pureté dans vos pensées et vos actes, et vous aurez bien posé les premières bases d’une vie spirituelle.

 

Si vous ne vous écartez pas de la bouculade et de la confusion de la vie, vous ne pourrez pas réaliser Dieu. Pour ceux qui désirent le réaliser, les Himalyas sont un lieu de prédilection; la nature y est dans toute sa magnifique splendeur et sa paix sublime. Dans un tel milieu, il est facile de contempler l’Infni et de s’examiner soi-même. Pour ceux qui font reposer leur sâdhanâ sur la culture de la bhakti, ou de quelque autre noble sentiment, c’est le bord de  la mer qui est préférable. Là en effet on peut voir les vagues se succéder comme les émotions. Elles vous frappent au cœur et vous conduient vers celui qui est au-delà de toutes les impulsions émotives. Pour ceux qui commencent leur sâdhanâ, il est utile de trouver un joli coin dans un beau paysage. Pour celui qui vit en famille, un endroit consacré dans une pièce de la maison a beaucoup d’avantages.

 

 

Mais pour un être évolué, dont le cœur déborde d’amour pour Dieu, qui Lui a tout donné et qui Le découvre partout,  tous les endroits sont également bons. Maîtrisez vos pensées vagabondes, essayez de vous élever au-dessus des fluctuations de la vie, et vous verrez disparaître toute votre anxiété au sujet du lieu propice à la sâdhanâ. (Extraits de Aux sources de la joie)

 

En compagnie de Anandamayî

 

Par Bithika Mukherjee

 

L’enseignement de sur les religions

 

            Shrî demeurait silencieuse. Je m’étais rendue jusqu’au Kalkaji Ashram de Delhi pour obtenir sa permission d’aller enseigner à l’étranger. Elle était à demi-inclinée sur son chowki. Elle me regarda quelques instants et me posa ensuite plusieurs questions concernant cette assignation. Elle parla d’une voix douce qui m’était à peine audible. J’en ai des frissons en écrivant, et en me souvenant de cette incomparable indulgence à propos de la complaisance envers moi-même sous-entendue dans ma requête. A ce moment-là, je n’appréciai même pas le fait qu’elle avait interrompu son silence pour me parler longuement. Je m’empressai de répondre à ses questions, en lui expliquant tout sur ce discours des chrétiens par rapport à celui des autres religions, et en lui parlant de mon déplacement au Château de Bossey. Je ne fus pas surprise de voir qu’elle comprit instantanément le contexte en général et tous ses problèmes en particulier. Elle parla de la situation et de comment elle se développerait pour moi ultérieurement. Je pris des notes en hâte dans un calepin. L’endroit où nous étions était peu éclairé et j’écrivis sans trop bien voir ce que je faisais, car en même temps, je regardais le visage de et les gestes délicats de ses mains magnifiques, qui soulignaient toujours son discours de façon expressive.

            J’exposai à Shrî ma propre compréhension du christianisme disant que j’aurai à entamer le dialogue avec ses porte-parole. Je lui demandai : « , comment peut-on expliquer la personnification de l’Etre Suprême en tant que Dieu ? »

            Shrî  : Quoi que l’on puisse dire, Personnel, Impersonnel – Le Seigneur est Lui-même tel qu’Il est. Il est la réalité absolue, omniprésente dans l’univers, autant que demeurant au plus profond de l’être (antaryâmin). Il est au-delà de toute compréhension, et en même temps, Il est le Soi intérieur en chacun, n’est-ce pas ? Lui seul est (qu’on le considère comme inconnu, ou à connaître) Celui qui est sans nom, sans forme. Cependant, tous les Noms sont Siens, Il est présent partout et universellement manifesté. Où n’est-il pas ? Quand on touche la main de quelqu’un, il dit : « Ceci est moi ». Même ses vêtements indiquent sa présence. Toutes les religions reconnaissent Sa présence, elles prennent leur source en lui. Comment saisir cette immensité ? Prenons l’exemple d’une personne seule dans le tourbillon des relations (irradiant de lui) : il est le père, le fils, le mari, le frère, etc. Il en est ainsi dans toutes les religions. Ce sont toutes des relations intimes et chacune est unique en elle-même.

            Question : Les chrétiens croient que le Christ est une Incarnation,  la seule Incarnation envoyée pour sauver l’humanité. Il est le seul médiateur entre Dieu et l’homme.

 

Shrî  : D’accord, il est certainement juste pour les chrétiens de croire cela, pourquoi pas ? La foi perd de sa vigueur spirituelle si elle est universalisée. Ce n’est pas nécessaire d’en arriver là. La miséricorde illimitée de Dieu est répandue partout, Lui seul sait ce qui est bon pour chacun de nous. Si chaque individu regarde son propre voyage spirituel, alors il peut apporter l’aide la meilleure à ses compagnons de route. Chaque communication de la Vérité est un évènement unique. Aucun de ces évènements ne peut être comparé à un autre. En célébrant cette Vérité, les communautés religieuses (sampradaya) se forment ou prennent tournure. Les communautés également sont nécessaires. Elles fournissent la cohésion, l’unité générale des objectifs à atteindre, et elles donnent du courage à ceux qui ont un moral faiblissant. C’est une bonne idée que d’appartenir à une communauté et de marcher sous sa conduite pour obtenir l’illumination. Il n’est pas nécessaire de se méfier de la foi de nos amis chercheurs de Vérité.

            Question : Les chrétiens restent attachés très fortement à l’unique évènement historique de l’Incarnation du Christ. Ils sont engagés dans leur mission.

            Shrî  : Pourquoi devrions-nous poser des limites à l’infini, ou des restrictions de temps à ce qui est intemporel, c'est-à-dire l’éternel ? L’infini a des moyens infinis pour se révéler lui-même. Personne n’a le droit de dire ‘c’est seulement ainsi et pas autrement’. Bien que, à proprement parler, un tel credo est aussi admissible, car chaque optique est concevable. Après tout, quelle est l’étendue de ce que l’on peut rejeter - à l’intérieur de l’ensemble de la Vérité ? Réclamer l’exclusivité est une façon de renforcer sa propre foi et sa dévotion, mais dénigrer la loyauté des autres est déplacé, injustifié.  

 

Le véritable pèlerin devrait apprécier les efforts de ses amis grands voyageurs.

            Question : Si quelqu’un croit en une seule et unique Incarnation, comment peut-il comprendre la vérité des autres manifestations ?

            Shrî  : L’Incarnation est vraiment seule et unique, c’est une descente, une venue, une approche, un avènement, chacun étant unique à sa façon. Comme je l’ai dit, il n’y a rien ni personne à part Dieu. Le vrai nœud de la question est qu’il faut aller de l’avant ! Pour avancer dans une direction, il est exigé un effort suprême, constant, déterminé, sans faille. Se détourner de ce but par comparaisons et contrastes équivaut à ralentir, à moins que certains ne soient habitués à un renforcement de leurs objectifs dans un esprit d’unité, de communion. L’Un englobe tous les chemins menant à la réalisation de cette vérité.

            Question : , on ne peut pas croire en l’Un, en l’Unique seulement. Une créature, un être, sont séparés de Dieu pour toujours.

            Shrî  : Oui, bien sûr. Comme Dieu ne peut pas être saisi par l’esprit, Il est séparé pour toujours. Etre humain veut dire habiter dans le monde des images mentales. Le mental limite la compréhension. Dieu est séparé de l’être parce qu’il demeure au-delà des idéalisations du mental. Ce qui est suprême est, par conséquent, au-delà encore. Aussi, il est juste de dire ‘Dieu et sa créature’. La compréhension de la séparation est elle-même la ligne de partage [italiques ajoutées par Bithikâ]. Il est votre soi le plus profond, votre témoin le plus intérieur, votre vous le plus intime.

            Question : Est-ce qu’un médiateur est nécessaire pour connaître Dieu ?

 

Shrî  : Oui, mais Dieu lui-même se révèle comme le Gourou (Médiateur). Le Gourou est Dieu lui-même. Lui seul connaît les exigences du vrai disciple. Pour invoquer la présence du Gourou on doit devenir un vrai disciple.

            Question : Est-ce que tous les chemins ont la même valeur ?

            Shrî  : Oui, pour autant qu’un chemin soit suivi de façon concentrée, sincère et persévérante. Cependant, il existe des chemins et sentiers qui se révèlent être des déviations. Quelqu’un naît avec certaines prédilections (samskaras) qui façonnent les attitudes. La façon de vivre est un amalgame d’actions, de croyances et de connaissances (karma, bhakti, jñâna). La façon dont on organise sa vie déterminera le chemin à suivre. Dans la sphère de la recherche de Dieu, l’aide fixe de façon inévitable, même si quelqu’un est ignorant et ne distingue pas clairement la voie juste, notre chemin est réorienté dans la bonne direction par le Gourou qui apparaît immanquablement de façon à apporter de l’aide et à montrer la route. Ce sont les propres efforts de chacun et la sincérité qui doivent être évalués, pas les faits.

            Question : Comment peut-on savoir si on n’est pas en train d’errer sans but ?

            Shrî  : Quiconque est sur le chemin en quête de Cela est touché par la paix de la vérité. Dans ce domaine où celui qui cherche trouve, il n’y a aucune possibilité pour qu’un véritable effort soit fait en vain, ou qu’un manque de sincérité produise des résultats. L’effort est requis parce que l’homme utilise sa volonté pour atteindre des buts matériels. Ainsi la volonté peut également devenir comme des courroies qui conduisent l’homme au-delà de ses limites.

 

En réalité, seule la miséricorde de Dieu prévaut. Quand on fait un pas vers lui, Il en fait dix vers nous. En fait, Il est constamment avec nous. La recherche en elle-même devient, par conséquent, la conclusion.

 

            Dans tout mon dialogue avec les autres religions, ce sont ces mots de Shrî qui me servirent de planche de salut. Au fur et à mesure de mes études et de mes recherches dans les années qui suivirent, ils prirent une signification toujours plus grande pour moi. En juxtaposition avec les courants de la pensée occidentale, j’appris à reconnaître la richesse et l’importance de l’héritage oriental. Ceci me permit de tenir d’éloquentes conversations avec le Professeur George B. Grant, philosophe bien connu au Canada à cette époque. Soit dit en passant, je peux dire que, bien que Shrî ne m’eut pas donné le ‘feu vert’ pour m’en aller, elle dut avoir un kheyâla à ce propos, car je reçus pas mal d’invitations pour me rendre à des conférences dans les années qui suivirent, jusqu’à ce qu’un jour, je fus obligée d’en décliner deux ou trois qui ne me convenaient guère. Il n’en est pas moins vrai que mon souhait d’aller à l’étranger, exprimé en présence de , me submergea d’opportunités pour mon propre épanouissement. (p.292 à 295)

 

Au Château de Bossey

 

            Après mon vol Bombay-Londres, mon installation eut lieu au Crosby Hall (Chelsea), un vaste foyer pour universitaires du monde entier. Mon séjour en Angleterre fut plaisant, la circulation automobile n’y était pas encore gênée par les embouteillages comme maintenant.

 

C’est en octobre 1972 que je me transférai en Suisse, au Château de Bossey, peu distant de Genève, dans un environnement splendide aux  couleurs de l’automne. Cela me prit bien deux bonnes semaines pour m’acclimater à l’atmosphère de la maison, car la session 1972-73 consistait en à peu près une cinquantaine d’étudiants du monde entier provenant de 26 pays, représentant un vaste panorama de l’héritage culturel et religieux. Certains étaient adultes et déjà prêtres, ou sur le point d’être ordonnés, mais cependant singulièrement ignorants quant aux autres religions, et n’ayant retenu de l’hindouisme que le fait qu’on y adorait les vaches comme des créatures sacrées, et que le système des castes y était redoutable. Malgré les discours, conférences avec traductions simultanées brillantes, séminaires, discussions, la comparaison des religions du monde n’amenait guère à un véritable rapprochement. La Graduate School de Bossey n’était pas un groupe d’harmonieux fidèles. Néanmoins j’étais très appréciée par mes élèves et les invitations en week-end furent enrichissantes : Montreux, le Château de Chillon, Zermatt, le Mont Blanc (à peine entrevu dans les nuages), la musique occidentale, la neige…

            La nuit de Noël fut célébrée à Bossey avec un service œcuménique élaboré. Je me rendis à la Messe de Minuit. Je m’étais déjà familiarisée avec ce rituel et j’étais contente d’y assister, avec probablement plus de dévotion que bien des chrétiens.

            Un ami, Nicholas, m’invita en Angleterre dans le Yorkshire, après Noël. Ses parents étaient charmants et je fus accueillie comme ‘l’enseignante indienne de Nick’.

            Je garde de bien nombreux souvenirs de ces jours passés dans cette jolie contrée. Un jour, nous fûmes tous peinés de savoir que l’une des secrétaires venait d’apprendre la mort subite de sa mère en Amérique. Je me rendis dans son bureau et la trouvai assise à sa machine à écrire, parfaitement hébétée devant une page blanche. Lorsque je m’approchai, elle se retourna soudain, m’entoura de ses bras et fondit en larmes. C’était une jeune américaine volontaire, tout à fait capable de se prendre en charge, c’est pourquoi je fus très touchée autant que surprise de sa réaction. Je lui dis tous les mots appropriés dont je pus me souvenir et que Shrî disait à l’occasion de ce genre de deuils.

            Je dis : « Nous prierons ensemble ». Elle me regarda de façon confuse et me confia : « Je ne sais pas comment on prie ». Je restai avec elle jusqu’à l’heure où elle eut à prendre l’avion pour se rendre en Amérique. C’était une gentille fille mais insensible à la qualité de la dévotion. Il y en avait beaucoup comme elle, mais ce genre de modernité ne m’était pas antipathique. Si les gens d’aujourd’hui pouvaient être heureux et auto-suffisants, qu’ils le soient. Dieu est trop précieux pour venir sur commande dans la vie de chacun

 

En route pour le Canada

           

            Le moment vint où il fallut quitter le Château de Bossey. Echanges d’adresses. Promesses de se revoir.

            Ce fut le tour des Universités de Leiden et d’Amsterdam, où l’assistance n’était pas très intéressée par le langage de la philosophie hindoue, à part pour ce qui concernait le hatha-yoga et la méditation transcendantale. C’était un peu comme si j’avais été prête à servir des plats succulents, alors que les clients ne demandaient rien de plus que des patates bouillies. L’unité religion-philosophie n’était pas encore prise en compte à ce moment là.

 

L’obtention de mon visa pour le Canada était dépendante mon état de santé, à cause de mes anciens problèmes de tuberculose, et pour l’obtenir, je fus obligée de me soumettre à un examen médical complet. L’ironie du sort voulut que, bien que ne souffrant de rien ni d’aucune réminiscence de cette maladie, on me détecta néanmoins un nodule cancéreux.

            Mon opération et le suivi médical furent vécus par moi de façon extrêmement sereine et pleine d’espoir, grâce aussi à l’entourage de mes nouveaux amis du Canada. Une infirmière fut affectée à mon service de façon permanente. Après deux jours, je me risquai à la questionner : « Pourquoi me demandez-vous si souvent si je sais ce qu’il m’est arrivé ? »  Elle me répondit : « C’est que… on ne voit pas souvent des patientes comme vous. Vous êtes si calme et réservée que les médecins et nous-mêmes, nous nous demandons si vous réalisez les conséquences de votre opération. »

            Je ne sais vraiment pas ce à quoi ils s’attendaient de moi. Il s’agissait d’une expérience tout à fait personnelle, que je n’aurais voulu partager avec personne. D’autre part, je ne me sentais pas du tout bouleversée. Qu’en savaient-ils de la quiétude intérieure qui enveloppe quelqu’un grâce au souvenir constant de son ishta mantra et à la présence permanente de la personnification de ce mantra [sous forme du Gourou]. D’une certaine façon, ce fut amusant de voir à quel point l’assistante sociale qui me fut envoyée un jour pour bavarder avec moi, demeura perplexe. Je crois que les médecins m’envoyèrent aussi un psychiatre, mais je fis mon possible pour convaincre tout le monde que je me sentais bien et que j’étais très reconnaissante de leur prévenance. (p.318)

 

Le retour en Inde

 

            L’été venu, je décidai de  rentrer à la maison. Bindou, Shyamoli, ma mère et ma sœur m’attendaient à Bombay pour m’emmener aussitôt en voiture à Pune, au darshan de Shrî .

            Chacun fut très heureux de me voir et de me poser un tas de questions sur mes voyages, mais je leur dit rien sur mon état de santé. A la fin de la journée les visiteurs de l’ashram s’en allèrent et seuls les occupants demeurèrent. Je demandai une entrevue privée à . Didi et les autres jeunes filles rentrèrent dans leurs chambres. Shrî était étendue sur son chowki dans la véranda. Je m’assis par terre auprès d’elle et je lui dis : « , j’ai de mauvaises nouvelles à vous donner. » Après quoi, je la mis au courant de ce diagnostic inattendu de cancer et de l’opération que j’avais dû subir. Shrî s’assit sur son chowki et me posa certaines questions très pertinentes.           Comme à son habitude, elle évalua la gravité de la situation, et la durée du traitement post-opératoire qui était parti pour traîner au moins trois ans. Je lui expliquai : « , je n’arrive pas à me décider à parler à ma mère de toute cette catastrophe. Comme vous le savez, elle m’a soignée pendant ma terrible maladie précédente, ma tuberculose, et cela si courageusement et avec tant de compétence. Comment puis-je lui dire que, tout compte fait, je souffre d’une maladie encore pire ? Je vous en prie, parlez-lui en à ma place. »

            Shrî accepta, m’enlevant de ce fait un fardeau de sur les épaules. J’allai me coucher cette nuit là plus légère et tranquille. L’après-midi suivant, il arriva que toute ma famille vint s’asseoir dans la chambre de . Il n’y avait pas d’étrangers, mais seulement quelques résidents de l’ashram. Shrî parla à ma mère sur un ton vif : « Venez ici, mère, avez-vous déjeuné ? » Ma mère acquiesça. Shrî ajouta : « Vous parlerai-je du courage de votre fille et de sa force morale ? Il y en a très peu comme elle. Vous pouvez en être fière. » Shrî continua sur ce ton, survolant l’argument d’une façon ou d’une autre, avec un tel doigté, que ma mère fut complètement détournée du thème principal. Je jetai un coup d’œil vers Bindou, son visage était rouge et je compris qu’il avait capté le message. Shyamoli et ma sœur avaient fondu en larmes, mais ma mère, grâce à la compassion sans limite, à la grâce enveloppante de , échappa au choc de réaliser la situation brutalement, et au contrecoup du traumatisme. Ma mère était loin d’être stupide, elle était tout à fait capable d’estimer les répercussions de mon opération. Les paroles de Shrî avaient tout juste fait partir la peur et l’angoisse inhérente à cette situation. Cela se passa devant mes yeux et je sus que ma prière avait été entendue. Ma mère continua à écouter . Elle avait même une lueur de satisfaction sur son visage. Shrî s’en référa à un récent cas d’opération du cancer dans l’ashram. Le patient était une personne éminente, un érudit, mais il avait été si effrayé qu’il avait demandé à de venir à Bombay avec lui et de rester en ville pendant le temps de son hospitalisation. Shrî dit alors en me désignant : « Regardez cette jeune femme, toute seule en pays étranger. » etc.…etc.…Je me sentis embarrassée devant cette pluie de louanges imméritées dont elle me couvrait. Imméritées parce que je n’avais jamais eu peur, et inappropriées à la situation que j’avais affrontée.

            Tout fut bien qui finit bien. Gurupriya Didi aussi exprima de l’inquiétude, les yeux pleins de larmes, mais au moins je me sentais relaxée et heureuse. Shrî me demanda si elle pouvait parler aux autres de ma maladie et de mon opération si on le lui réclamait. Je répondis : « Oui, maintenant que ma famille le sait, je n’ai pas d’objection à ce que d’autres personnes en soient informées. » J’avais remarqué qu’au Canada les gens étaient effrayés d’appeler cette maladie par son nom. En général ils préféraient camoufler la chose en utilisant des termes techniques, mais je ne voyais aucune raison d’adopter ces mesures. Je suis sûre que toute personne souffrant de ce qu’on peut appeler une maladie mortelle, aimerait tout simplement le savoir afin de l’affronter selon son état d’esprit. (p.319-320)

 

Matri-satsang…conversation avec

 

            Je fus de retour en Inde juste avant le janmotsava de 1977, passant de Dehra-Dun, à Hardwar et Kankhal pour voir Shrî . Puis, je partis pour Allahabad où je retrouvai la Banaras Hindu University non sans quelque nostalgie due au départ des anciens amis qui l’avaient quittée. Les célébrations de l’anniversaire de eurent lieu à Bangalore en 1978. J’emmenai ma mère et ma sœur en pèlerinage dans les temples du Sud. Parmi la véritable pléiade des robes oranges, Shrî resplendissait de candeur angélique tout de blanc vêtue.  A l’unanimité, ascètes, sadhous, mahâtmâs, lui accordaient leur dévotion. Les membres de cette immense congrégation restaient assis des heures pour l’entendre et ne pas perdre une bribe de sa conversation.

            Les réponses de contenaient toujours un enseignement pratique. Ses paroles étaient comme des faisceaux de lumière qui illuminaient l’esprit…à tel point que certains se sentaient capables d’entreprendre une sâdhanâ immédiatement, peu importe en quelles circonstances. Ses mots (vani) maintes fois répétés ‘ Se souvenir de Dieu uniquement est la seule chose requise des êtres humains’ étaient vibrants de vérité dans sa voix, accompagnés par son regard brillant d’encouragement et de totale compréhension. Chaque auditeur devenait convaincu, sur le moment du moins, qu’il était capable de marcher sur le sentier le plus abrupt, surtout que n’avait jamais cherché à arracher quiconque de sa condition humaine. Combien de fois ne l’a-t-on pas entendue dire : « Commencez n’importe quoi, mais commencez. Le reste suivra. Si vous ne pouvez pas croire en Dieu, au moins alors ouvrez votre esprit et priez-le pour qu’il illumine votre cœur par sa présence. Je vous dis de commencer parce que c’est votre nature de vous efforcer de faire quelque chose dans le monde, par conséquent votre effort est nécessaire dans cette dimension aussi. C’est vrai, rien n’arrive à moins que Dieu ne le veuille, mais votre propre connaissance ne le sait pas. Vous êtes habitués à prendre des décisions et à agir en fonction d’elles. Ainsi il vous incombe de commencer dans cette dimension également. Croyez-moi, si vous faites un pas, Dieu en fera dix vers vous. Cette idée de séparation est néanmoins seulement une façon de dire. La vérité est qu’Il est toujours avec vous. Le fait que vous ne le sentiez pas dans votre être intérieur correspond à une distance artificiellement créée, et qui a besoin d’être dissipée. »

            Ce que l’on écrit ne peut pas recréer l’atmosphère incandescente du matri-satsang. Quand on entendait parler de la sâdhanâ dans ses formes les plus simples, cela semblait facile dans son accomplissement, tout comme la réalisation de Dieu semblait à la portée de tous.

            Tous les mahâtmâs qui occupaient l’estrade acclamèrent Shrî avec des ovations puissantes. Elle était la personne la plus importante pour eux. Je me souviens de ce que disait Swami Chinmayânandajî : « Que peut-on dire sur  ?  

 

Quand le soleil se lève à l’orient, est-il nécessaire de le montrer du doigt aux autres ? Il est à lui-même sa propre preuve. »

Swami Chidânandajî assuma la tâche difficile de traduire pour elle, bien que le hindi fut compris de façon plus répandue désormais que durant ses premières visites dans le Sud de l’Inde. (p.332)

 

Traditions et rituels

 

Les célébrations terminées, nous partîmes pour Madras afin de commencer notre pèlerinage. Le Professeur Sivaraman et sa femme nous avaient invités. Padmajî se joignit à nous, ce qui faisait un groupe de six en comptant ma mère et ma sœur. Le professeur Sivaraman fut accueillit avec respect à Chidambaram où l’on se souvenait avec reconnaissance de son père qui avait été un érudit et fervent fidèle shivaïste.

            Nous vîmes le fameux panneau de sculptures de Dakshînamurti et beaucoup d’autres précieuses représentations que nous aurions ratées si nous n’avions pas été guidés par Parvathyjî et Sivaramanjî (le Professeur et son épouse). Nous fîmes l’expérience de la très intéressante ligne de démarcation qui existe entre les pèlerins vishnouïstes et leurs homologues shivaïstes. Chaque temple célèbre hébergeait les deux formes de Dieu, c'est-à-dire Narâyâna et Siva. Au temple de Chidambaram, nous nous assîmes un moment dans l’enceinte pour attendre le prasâd (la nourriture sacrée) que Sivaramanji avait fait demander pour nous. Je remarquai que bien des gens qui venaient pour le darshan de Siva Natarâja tenaient une feuille de palmier contre le côté gauche de leur visage alors qu’ils s’approchaient du sanctuaire intérieur. A leur retour, ils entraient dans un autre sanctuaire, désormais à leur droite, et qui était consacré au Seigneur Narâyana ou à Govindarâjâ.  

 

Je demandai à Parvathyji l’explication de cette singularité. Elle nous expliqua que les shivaïstes, en entrant, n’étaient pas sensés ‘voir’ Govindarâjâ avant d’avoir présenté leurs respects à Natarâjâ (Siva). Après avoir présenté leurs hommages à Siva, c’est en sortant qu’ils pouvaient également présenter leurs respects à Govindarâjâ. Les vishnouïstes procédaient de façon diamétralement opposée. La même habitude avait cours dans les temples qui hébergeaient Govindarâjâ  comme divinité principale. Tous les temples, automatiquement, abritaient de nombreuses images de Dieu. Chacune était placée après l’image principale à l’intérieur du sanctuaire.

            Ce type de comportement pouvait seulement fonctionner là où la croyance dans l’unité était aussi forte que la préférence et la loyauté envers la propre ishta devatâ de chacun. (p.333)

            Shrî vint à Varanasi au début de 1981. Plusieurs jeunes femmes de son entourage souhaitèrent arranger un ati-rudra yajña. De tels rituels de tradition védique avaient été l’apanage des hommes pendant des milliers d’années. Cependant Padmâjî connaissait un jeune collègue, Pandit Vamadeva Mishra, très qualifié en la matière, qui fut très honoré d’aider pour la cérémonie, et accepta de venir jusqu’à l’ashram de .

            Dans la soirée, l’attendit dans la pièce du bas qui ouvrait sur la véranda. Je me souviens que Narâyana Swamijî était en train de lire à haute voix un article qu’il avait écrit sur Gurupriya Didi, qui venait de disparaître. Il était monté jusqu’à la chambre de en disant : « , voulez-vous écouter ce que j’ai écrit sur Didi ? » Shrî répondit qu’il pouvait lire jusqu’à l’arrivée de la personne que nous attendions tous. L’article en question était bien écrit, dans un langage très poétique et fort élogieux pour Didi. J’admirai son style et sa présentation. C’était une très longue rédaction. Il en lut la moitié jusqu’à ce que  l’on entendit quelqu’un arriver derrière la porte de la véranda. Swamijî s’arrêta immédiatement et demanda ce que pensait de son exposé. Elle répondit : « Oh ! Vous ne m’aviez pas demandé à ce que je porte un jugement sur votre récit. Il contient beaucoup d’erreurs et beaucoup de choses ne furent pas exactement comme vous les avez présentées, mais puisque vous m’avez demandé d’écouter, j’ai écouté sans toutefois relever les erreurs. »

            Narâyana Swamijî resta un peu interloqué, mais pas autant que moi. A dire la vérité, l’étendue et la profondeur d’un acquiescement à l’ordre temporel n’avaient pas à être jugées ou évaluées par nous. Mais c’était si naturel pour nous de réagir que nous en arrivions à oublier que nous étions devant une personnalité énigmatique qui, de quelque façon que ce soit, ne se laissait pas gouverner par de vulgaires critères de comportement. (p.236-237)

            Vamadevajî exprima donc sa volonté d’aider à organiser l’évènement que représentait l’ati-rudra yajna, l’un des plus grands sacrifices rituels de notre tradition védique, qui devait avoir lieu en avril pendant onze jours. Nourriture et logement furent prévus pour 50 personnes. Padmâjî fut chargée de la délicate mission de tenir les comptes.

            Les membres du comité me demandèrent de rédiger un samkalpa (intention, objectif) pour le yajña. Ils en avaient déjà proposé un de vive voix qui exprimait leurs sentiments intérieurs, c’est-à-dire : « Afin d’honorer Shrî et de rechercher sa grâce dans nos vies. » Quand on lui lut ceci, affirma que, dans ce cas là, elle n’aurait rien de plus à ajouter sur cette intention et qu’ils pouvaient continuer tout seuls. Ils auraient dû s’y attendre. Shrî ne démontrait jamais aucune acceptation, ni appréciation à de telles louanges. Je me mis à y réfléchir quelque peu et changeai les propos en : « Comme rite propitiatoire envers l’Etre Suprême qui est l’Ishta de l’humanité tout entière. »

Shrî ne souleva aucune objection à cela, ce qui nous permit de l’utiliser au moment opportun. (p.339)

 

Je suis avec vous pour toujours

 

            1982 fut l’année du décès de Shrî mais aussi, auparavant, de l’ardha [demi] Koumbha-Méla à Allahabad. Nous savions que Shrî allait venir. Elle arriva en voiture le 9 janvier. Nous avions arrangé la maisonnette dans notre jardin pour elle, afin qu’il soit le plus confortable possible en ces journées d’hiver. Bien que fatiguée, assise sur son chowki, elle sembla prête à recevoir un peu de monde pour un darshan. Les mahâtmâs lui demandèrent de venir pour l’ouverture de la cérémonie sur le site de la Koumbha-Méla. Ils lui promirent de prendre soin d’elle. Shrî sourit et dit : « Ce corps n’est jamais dérangé. Si vous souhaitez l’emmener à la Méla, faites-le si vous voulez. »

            Avant que Shrî ne s’en aille pour aller jusqu’à l’endroit de la Koumbha-Méla, elle parla un long moment de notre famille. S’adressant à la petite foule de ses fidèles, elle parla de façon très élogieuse de mes parents et de nous tous. Je me sentis réellement si embarrassée, que je quittai l’assemblée en prétextant que j’avais du travail à faire ailleurs. Ceci était un comportement très inhabituel de la part de Shrî , car lorsqu’elle était chez nous, elle nous avait plutôt habitués à de

légères réprimandes ou à des gronderies pour nos fautes et pour nos péchés par omission. (p.350)

            Revenons-en au 10 Janvier 1982. Shrî , pendant un long moment, fit des compliments à Bindou sur son attitude qui refusait de trouver des fautes, sur son esprit de service. Nous aurions dû réaliser qu’elle était en train de prononcer un discours d’adieu, au lieu de nous sentir simplement heureux qu’elle soit fière de nous.

Le soir tombé, Shrî s’en alla jusqu’à l’endroit du campement. Je retournai à Varanasi. Notre ashram dressait toujours ses tentes au nom de Shrî à la Koumbha-Méla. Cette année là, il plut à torrent, ce qui perturba l’organisation et abîma bien des aménagements et structures temporaires. Ma sœur nous raconta que rien ne semblait marcher droit, ce qui était un évènement incroyable en ce qui concernait Shrî , car nous savions par expérience que jamais rien n’allait de travers lorsqu’elle était près de nous. Nous n’avons jamais eu aucun sens de prémonition pouvant nous faire penser que les éléments présageaient un futur de mauvais augure pour nous. Ma sœur nous dit qu’une fois qu’elle était près d’elle, Shrî se leva avec difficulté de son chowki, et s’appuyant sur son bras, elle marcha jusqu’à la fenêtre de la tente et regarda au dehors le spectacle de désolation. Ce fut l’un de ses regards qui englobait tant de choses qu’il en devenait difficile à décrire. Cela ne dépendait pas entièrement de son mouvement de tête imperceptible, ni même de celui de ses yeux, et cependant elle semblait embrasser du regard toute la vue autour d’elle dans sa totalité. Rénou eut l’étrange sensation que ce ne fut pas seulement une façon habituelle de regarder comment allaient les choses, mais plutôt un geste d’adieu. Elle s’était mise en communion étroite pendant un long moment avec ce lieu de la confluence des deux rivières sacrées. Plus tard, on se rappela de ce que Didi nous avait raconté à propos de semblables gestes d’adieu dans des endroits que savait qu’elle ne reverrait plus.

Avant de quitter le campement, Shrî invita tous les mahâtmâs réunis à la Méla, à une grande fête, ainsi que tous les gens de la ville qu’elle connaissait. Elle n’oublia, ni ne négligea personne. Pendant presque un demi-siècle elle était venue participer à la Koumbha Méla de Prayag. Il s’agissait cette fois de sa dernière visite.

Shrî continua à être souffrante et faible, mais nous recevions toujours des nouvelles de ses incessants voyages. Il n’y avait guère de répit entre ses déplacements dans les différentes parties du pays. Nous fûmes surpris d’apprendre que Shrî allait se rendre si loin, à Tripura, à la fin du mois de mars. Lorsqu’elle revint de ce long et exténuant voyage, elle sembla vraiment épuisée et malade. Tripura était l’endroit de sa naissance. Eut-elle le kheyâla de visiter l’endroit où elle était née (janmabhoûmi) avant de se retirer du monde ? (p.353)

Les célébrations pour l’anniversaire de eurent lieu à Kankhal en 1982. Etendue sur son chowki elle recevait toujours les fidèles qui se pressaient pour la voir.

Notre Kanyapîth eut des problèmes. Nous manquions d’argent, l’inflation ayant créé des dégâts dans notre budget. Mon idée aurait été de faire un appel de fonds dans notre petite revue, mais nous avait toujours défendu de réclamer de l’argent. Les bramacharinîs et moi-même, avions décidé de lui en parler en lui présentant nos problèmes monétaires aussi succinctement que possible, et en lui avouant que nous recherchions tous les moyens pour obtenir des contributions. avait répondu que ‘le yajña avait coûté trop cher’, puis l’une des filles, Jayâ, l’avait invitée à venir auprès de nous pour se reposer et nous avions renoncé à lui parler d’argent.

Shrî me regarda, alors que j’étais debout au pied de son lit. En se référant à ce qui venait d’être dit, elle rétorqua : « Elle (Jayâ) ne sait pas de quoi elle parle. Ces jeunes filles ne se rendent pas compte de la gravité de la situation. »

Je m’empressai de dire la première chose qui me vint à l’esprit : « , dans cette situation, que devrions-nous faire ? » Shrî continua à me regarder pendant quelques secondes. Elle ne répondit pas. Je me souviens toujours de son regard que je ne comprenais pas, car c’était un regard de compassion. Elle semblait être désolée de nous voir plongées dans tant de confusion. Elle savait (alors que nous ne le savions pas à l’époque) qu’il ne nous serait donné aucun raccourci dans notre expérience, faite des chocs et des traumatismes que la vie nous réservait. Cependant, en revenant à Vârânasî, les membres du Kanyâpîth trouvèrent un chèque de 25.000 roupies de la part d'un nouveau fidèle ; d'autres contributions suivirent, qui résolurent ainsi le problème financier.

            Il fut décidé qu’on ne demanderait pas à Shrî de venir dans le grand hall de l’ashram pour les célébrations d’anniversaire en début mai. Tout devrait se tenir dans ses appartements. Une grande tente fut montée devant la maison. Plusieurs décorateurs professionnels construisirent un genre de chariot en guise de trône sur lequel on pourrait placer le lit de .


            Quand le chariot prit forme, Udasji, l'assistante personnelle de Mâ qui avait succédé à Didi, trouva cela très désobligeant. Elle ordonna aux ouvriers de le démonter immédiatement, disant : « Pourquoi un chariot ? Tenez-vous à ce que s’en aille ? » Le chariot fut démantelé et enlevé. La pluie tomba à verse la nuit de la poûjâ. La toile de tente n’était pas suffisamment imperméable pour contenir un tel déluge. Les gens qui s’étaient rassemblés là, ne savaient où aller. Quelques-uns seulement purent trouver refuge dans la chambre de . Le kîrtan chanté par une poignée de jeunes filles était inaudible à l’extérieur. L’atmosphère de solennité habituelle ne put être atteinte. La congrégation des fidèles, désireuse de s’asseoir tranquillement pour rendre un hommage respectueux à leur ishta-devatâ lors de cette importante nuit, fut obligée de se disperser afin de chercher un abri de fortune. Nous n’avions jamais fait l’expérience d’une telle nuit d’anniversaire.

            Le matin suivant, il nous fut dit que Shrî avait affirmé que les ashrams ne devaient pas s’efforcer d’organiser des poûjâs auprès d’elle dans l’avenir. Une telle poûjâ pouvait très bien être offerte au portrait dans le hall. Nous pensâmes que Shrî s’en référait à l’inconfort subit par tout le monde, et voulait s’assurer que la direction de l’ashram aurait pris de meilleures dispositions. Personne ne comprit la chose pour la prophétie qu’elle contenait.

            Quand les célébrations furent terminées, chacun retourna à son travail. C’était mon dernier darshan avec Shrî . Comme de coutume, nous fîmes nos pranâms, nous reçûmes quelques signes de respect comme prasâd, et nous partîmes en espérant revoir Shrî radieuse lors de notre prochaine visite.

 

Les nouvelles de ses voyages continuèrent à nous parvenir. Enfin, elle retourna à Dehra-Dun et demeura à Kalyanvan du 5 au 24 Juillet. Elle semblait complètement repliée sur elle-même. Elle ne répondait pas aux messages ni aux lettres. Bhâskarânanda lui demanda de dire quelque chose en réponse aux centaines de demandes de renseignements que l’on recevait chaque jour. Shrî dit : « Vous devrez tous vous efforcer de vivre votre vie en étant à la hauteur de la grâce de votre Gourou. »

            Le 24 juillet, elle se rendit à l’ashram de Kishenpur. Elle avait cessé d’absorber toute nourriture depuis environ 3 mois. Elle prenait quelques petites gorgées d’eau de temps en temps. Ces quelques nouvelles ne nous semblèrent pas très sérieuses. Nous avions tellement souvent entendu parler de son abstinence de nourriture, nous l’avions aussi vue ne manger presque rien et malgré cela être resplendissante. Elle n’avait jamais souffert du manque de nourriture avant, mais cette période de diète absolue n’était décidément pas en accord avec son kheyâla habituel. Nous n’avions jamais vu ses états physiques, que ce soit pour le jeûne, les entorses, fractures, souffrances ou douleurs déranger son expression sereine. Ainsi, nous nous sommes mis à la prier de renoncer au jeu (lîlâ) de la maladie au plus vite.

            Ma sœur Rénou et ma mère étaient à Delhi avec Bindou et Shyamolî. Ma mère avait dû subir une opération à l’œil qui, malheureusement, n’avait apporté aucun soulagement. Le 27 août, Rénou reçut un message de Nirmalâ et Shantâ qui avaient été à Delhi faire quelques courses importantes. Elles avaient l’intention de remonter en voiture jusqu’à Dehra-Dun et Rénou pouvait aller avec elles, si elle voulait voir pour la dernière fois. Ces amies intimes avaient senti que la fin était proche.

Ainsi Rénou fut parmi les quelques personnes qui veillèrent dans la chambre de Shrî le dernier jour. Personne ne put rien faire pour alléger les souffrances de . Il était évident qu’il ne s’agissait pas d’un problème médical, parce que même les médecins réunis autour de son lit ne trouvèrent rien pour y remédier. Eux-mêmes ne purent faire autre chose que de la prier de faire jouer son kheyâla en vue de sa guérison. Rénou apprit qu’au lieu de répondre à la prière du Dr. Surabhai Seth pour sa guérison, lui  avait dit : « Prenez soin de Paramânanda. »

            L’ânandamayi svaroûpa (personne, essence de la béatitude) de Shrî était totalement en suspens. Elle rendit son dernier soupir dans l’agonie, sous les regards impuissants et désespérés de ceux qui furent si proches d’elle par leur dévotion et leur fidélité. Notre tradition ne nous apprend pas à associer la souffrance à la divinité. En quelque sorte, Shrî nous avait habitués depuis quelques mois à la possibilité de ce rapport. Elle qui était la joie personnifiée s’était montrée sombre et triste durant ces derniers mois. L’énigme de sa majestueuse et cependant si bienveillante personnalité était soudain remplacée par ce grand mystère qui, pour nous, prenait l’aspect de la souffrance. Il serait bon que nous méditions tous là-dessus toute notre vie.

            Pour l’heure, à chaque fois que je me souviens de cette soirée du 27 août 1982, je reste stupéfaite devant mon insensibilité. A Varanasi, je n’avais ressenti aucune sorte de chagrin vers 8 heures du soir.

            Le matin du 28 Août, Premlatâ vint me donner les nouvelles qu’elle venait juste d’entendre. Un voisin amena un journal avec ses gros titres. Premlatâ était prête à faire le voyage. Je fis rapidement mon sac et l’accompagnai jusqu’à Hardwar par le Doon Express. Nous avons rencontré d’autres personnes qui avaient pris ce train à différentes gares. Les services du chemin de fer firent les choses avec beaucoup de noblesse, permettant à des centaines de gens de monter dans le train sans avoir de réservations et même sans avoir de billets. On me dit que ce fut le cas dans toute l’Inde. Les trains furent même retardés parfois pour permettre à certains de courir afin de sauter dedans.

Traduit de l’anglais par Geneviève Koevoets et Jacques Vigne

Extrait de ‘En compagnie de Anandamayî’ (Ed. Agamat)

 

VOYAGES…VOYAGES…

 

Par Mahâjyoti (Geneviève Koevoets)

 

Et si tout simplement on en venait aux propos de Anandamayî sur ce qui est le MERVEILLEUX (chamatkâra), le supra-normal non perceptible par les sens ou par le mental ordinaire et qui appartient au domaine du mental supérieur ?

            Qu’est-ce que la chance, ou la malchance ? Les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être et on ne sait jamais si tel événement est heureux ou pas…

            Cela me rappelle une histoire chinoise, d’auteur inconnu, merveilleusement exposée dans un diaporama musical et fleuri…la parabole du cheval…

 

            Il était une fois, la main de la destinée :

            Un vieux paysan chinois avait un cheval

            Un jour l’animal s’enfuit et ne rentre pas.

           

Les voisins disent : « C’est pas de chance ! »

            L’homme répond : « Chance ou malchance, qui pourrait le dire ? »

            Et voilà que quinze jours plus tard, le cheval revient à la ferme,

            suivi d’une dizaine de chevaux sauvages.

            On dit au paysan : « Tu as bien de la chance ! »

            L’homme déclare : « Chance ou malchance, qui le sait vraiment ? »

            Le fils du paysan saute sur une des montures,

            part à fond de train, tombe et se casse la jambe.

            Pour sûr, c’est de la malchance.

            Mais le père branle la tête : « Chance ou malchance, on verra bien ».

            La guerre civile fait rage dans la province.

            Une bande de soldats passe dans le village, emmenant de force

            tous les jeunes gens en âge de porter un fusil.

            Seul le garçon à la jambe brisée ne part pas.

            « Chance ou malchance, qui pourrait le dire ? »

            En effet souvenons-nous de cette parabole :

            Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être.

            On ne sait jamais si tel événement est chance ou malchance :

            Il faut attendre la fin de l’histoire…

            Ou la fin de la vie…

            Alors en se retournant on verra mieux ce qu’il en était…

            (Auteur inconnu)

 

Et quand on revient à ce que nous dit Anandamayî dans le livre sur son Enseignement : « Ce qui est, EST ».

            Que des doutes nous assaillent, c’est naturel. Qui peut dire quand se lèvera le voile devant nos yeux ? La vision réelle est celle où voyant et vu n’existent plus. Elle est sans yeux et ne peut pas être perçue avec des yeux ordinaires, mais seulement avec les yeux de la sagesse. Et dans cette vision sans yeux, il n’y a pas de place pour la ‘di-vision’.

            L’instant de la naissance détermine ce qui se passera dans la vie, mais l’Instant suprême, qui se révèle au cours d’une sâdhanâ, conduit à l’achèvement des actes et par conséquent de notre karma. Essayer de capter cet instant, tout est là…En réalité tout est CELA.

            Un yogî peut attraper quelque chose qui est de l’autre côté d’un mur, simplement en tendant la main. Dès que cela devient possible, le mur n’est plus là, bien qu’il existe, et même si le mur n’existait pas, il pourrait assumer les fonctions d’un mur. Au-delà du voile se trouve la chose, mais devant nous c’est le voile qui se présente…

            Ainsi disait  !

           

          VOYAGES…VOYAGES…en Inde, au pays de , au plus profond du SOI…Voyages qui ont fait ressortir de chacun la recherche, l’aspiration, l’envie de comprendre pour encore mieux aider, le goût d’aller plus loin pour encore mieux comprendre…la joie de pouvoir remettre en ordre le puzzle intérieur ! Si tout se casse encore, c’est qu’on n’était pas prêt !

Mahâjyoti

            (Geneviève Koevoets)

            En voyage à travers la fenêtre du rêve…

 

 

     Le Yoga de la Parole

 

Par Babacar Khane

 

      J'ai rencontré Babacare Khane au congrès européen de yoga de Zinal en Suisse en août dernier. Babacar est très connu dans le milieu du yoga, il a commencé à pratiquer celui-ci avec Swami Yogânanda Parmahamasa, donc avant 1950,  il vit en partie au Sénégal à Dakar mais il est très souvent en France pour des stages de yoga, dont Zinal tous les ans. Nous avons pu parler et échanger des livres, il m'a offert le sien qui s'appelle Le Yoga de la parole. Nous en reproduisons ici un poème sur la joie et deux sur le silence.  Vigyânânand

 

Joie

 

O joie, qui es-tu ?

Je te cherche à gauche et à droite.

Je te cherche dans le temple du silence.

Je te cherche à travers l'amitié, je te cherche à travers l'amour.

O joie, qui es-tu ?

Je respire pour me rapprocher de toi,

Je donne pour que tu viennes,

Je pardonne pour que tu penses à moi,

Je mange, dors,  ris, pleure pour que tu m'aimes.

O joie, ô joie, ô joie !

Dois-je rêver ou travailler comme un âne ?

Dois-je me discipliner ou me laisser aller ?

Dis-moi ce qui est mieux, ô joie !

Je suis la joie, je suis la joie.

Je suis la vie, je suis la sève, je suis le sang, je suis la pensée.

Le silence

 

Tu es le commencement de toutes choses,

Tu es aussi la fin de toute chose.

Silence, silence, afin que le silence parle.

Le silence parle à travers les nuages majestueux,

Le silence est la nuit de l'agitation,

Le silence est le support du sage.

Le yogui combat pour te conquérir,

Le penseur également te cherche.

Le monde est partout dans le silence

Bien qu'il ignore le silence.

 

Le silence est avant et après la naissance,

Oui, avant et après la naissance de toute chose.

Même l'agité qui t'ignore te cherche,

Après la grosse dépense physique,

Après tout effort violent.

On pense à toi, ô silence,

O silence, tu es à moi, je suis à toi,

O silence, ô silence, ô silence.

 

Dieu du silence

 

O Dieu du silence, je me dissous dans l'océan du silence,

A travers l'éternité, le présent, le passé et l'avenir.

Le sanctuaire de mon corps est dédié à ta gloire,

L'autel de mon coeur est embaumé du parfum de ta présence.

 

Le tabernacle de mon âme est sanctifié par le silence,

Le silence coule en moi, inonde mon corps et ses cellules,

Je bois le silence sans ma bouche, je le respire sans mes narines

C'est le voile de mystère des mystères de la création.

 

 

Par le silence, on peut parler sans parler à tous,

On peut comprendre toutes les langues, sans langue,

On peut aussi entendre tous les rythmes sans les oreilles,

On peut voir tout ce qui existe sans les yeux.

 

Le Dieu du silence est le Dieu des dieux.

Par-delà les vicissitudes de la vie quotidienne,

Il nous révèle un secret jamais dévoilé,

Il parle des beautés les plus rares.

 

C'est à présent ma seule vraie prière :

Le silence de mon corps, de mon esprit de mon âme

Je pénètre directement au sein du paradis

Par le portail du silence à jamais ouvert.

 

Avant la naissance c'était le silence,

Après la mort, ce sera le vrai silence.

Je suis enfant du Dieu du silence

Qui m'appelle en son sein de silence.

 

Babacar Khane

 

Nouvelles

 

-         Les 93 ans de Swami Vijayananda ont été fêtés le 26 novembre à Kankhal. D’après les personnes qui étaient présentes là-bas, il était en grande forme. Caroline Abitbol qui a déjà passé 5 mois auprès de lui en 2006-2007 est de nouveau à Kankhal pour la saison.

-         Le livre de Swami Vijayânanda  Un Français dans l’Himalaya, traduit en italien par Mahâjyoti (Geneviève Koevoets) a été publié en novembre à Milan par MC Editrice. Via Vigevano 45  20144 Milano  michela.bianchi@mceditrice.it -  Mahâjyoti  était là-bas comme interprète de Vigyânânanda lors de ses conférences de présentation au Musée Léonardo da Vinci, à la Fnac et pour l’assister dans une interview  sur RAI 3, le France-Culture italien.

-         Swami Nirgunananda viendra à Terre du Ciel pour l’Ascension pour participer au Congrès annuel sur l’Inde. 1er-4 mai http://www.terre-du-ciel.com/  infos@terre-du-ciel.com 03 85 60 40 33 

Vigyânânanda accompagnera un pèlerinage au Mont Kailash du 30 mai au 20 juin à partir de Kathmandou puis via Lhassa. Contact koevoetsg@wanadoo.fr Il recevra également un groupe qui compte déjà 20 personnes à Kankhal auprès de Vijayânanda du 10 au 18 août. Contact Françoise  Estèves 0877497328 04 78 06 28 19 de préférence entre18h et 20h ou le mercredi toute la journée.

-         Un congrès sur Yoga indien-Yoga européen organisé par la Fédération Italienne de Yoga aura lieu à Assise du 1er au 4 mai 2008. Vigyânânanda et Râm Alexander devraient y être présents pour parler de et de ses conceptions sur le Yoga et la sâdhanâ. Les grands mouvements spirituels de l’Inde y seront représentés. L’organisatrice, Antonietta Rozzi, a été longtemps responsable du Congrès européen de Zinal et est proche de Swami Chidânanda. Les langues du congrès seront l’anglais et l’italien. http://www.sarvayoga.org/    info@sarvayoga.org   Tél 0039-(0)187971385 (c’est le contact d’Antonietta Rozzi qui parle couramment le français)

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     Nous avons déjà procédé au renouvellement général des abonnements. Pour ceux qui auraient oublié de se réabonner ou voudraient s‘abonner pour une première fois,  ils peuvent le faire pour 5 numéros (sur papier) jusqu'en mars 2009, en envoyant un chèque de 10 € à l'ordre de Jacques Vigne à :

Nadine et José Sanchez-Gonzalez

L'Olivette

26 Hameau Beausoleil

Chemin de la Sainte Croix

84110 Vaison-la-Romaine

Tel : 0490121983 –

Email : nagajo3@yahoo.fr                                          

Il est préférable cependant de s’abonner pour recevoir le ‘Jay ’ par courriel. Envoyer 5 € pour 5 numéros jusqu’en mars 2009 à la même adresse indiquée ci-dessus, tout en ne manquant pas d’aviser Mahâjyoti (Geneviève Koevoets) une fois le paiement envoyé – koevoetsg@wanadoo.fr  C’est elle qui se chargera de vous l’envoyer par EMAIL. Cette formule a l’avantage d’éviter les problèmes fréquents de numéros qui n’arrivent pas à cause des problèmes postaux en Inde, semble-t-il.

Table des matières

 

Paroles de                                                                           

En compagnie de Anandamayî par Bithika Mukherjee      

Voyages…Voyages  par Mahâjyoti (Geneviève Koevoets)

Le Yoga de la Parole par Babacar Khane                               

Nouvelles                                                                                

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