Jay Ma 84                                      Printemps 2007

 

 

Paroles de Mâ

 

– Peut-on déposer aux pieds du Seigneur ce qu’on fait au bureau, dans ses affaires, etc.?

– Efforcez-vous d’exécuter tout travail dans un eprit de consécration. Essayer de s’abandonner est tout autre chose que l’abandon qui arrive sans effort. De même que faire du japa n’est pas du tout la meme chose que le japa qui arrive spontanément. La pratique constante de l’abandon à Dieu amènera finalement à s’abandonner à Lui.

 

– Pourquoi le mental est-il instable même après avoir prononcé le vœu de sannyâs ?

        Parce que votre indifférence aux plaisirs du monde n’est pas encore parvenue à maturité. Consacrez chaque parcelle de votre énergie et de votre force à essayer de réaliser Dieu. Tout ce que fait Dieu est parfait.  Puisque vous avez obtenu cette bénédiction qu’est le corps humain, utilisez-le à atteindre la réalisation de Dieu. Essayez de toutes vos forces et vous réussirez sûrement. Beaucoup de gens ont l’habitude de regarder en arrière tandis qu’ils avancent. Ne revenez pas sans cesse sur le passé, car cette habitude freinera votre progrès. Continuez votre travail sans vous préccuper des résultats. Ne sollicitez pas Dieu sans cesse ! Sans aucun doute vous récolterez les fruits de votre labeur. Si vous méditez concentré sur un seul but, Dieu se révèlera certainement à vous. Utilisez les pouvoirs de votre mental et de votre ego pour accomplir votre sâdhanâ. Dépêchez-vous de vous engager dans les execrcices spirituels, et la lumière viendra à vous. Ne vous souciez pas des résultats de ce que vous entreprenez. Brûlez vos désirs au feu du discernement et du renoncement, sinon faites-les se dissoudre dans la dévotion. Utilisez un de ces deux moyens.

         Lequel est le meilleur ?

        Cela dépend de ce qui convient le mieux à chaque personne. Ce qui est consumé par le discernement et le renoncement peut l’être aussi par la dévotion.

        Mes désirs n’ont ni envie de brûler ni de se dissoudre. Que faire ?

        Celui qui prétend ne pas vouloir, en réalité le veut. La nature même de l’homme est de vouloir. Pourquoi êtes-vous pris au filet ? Ce n’est pas dans ce filet que votre désir s’apaisera.

 

« En compagnie de Mâ Anandamayî»

Par Bithikâ Mukerjî

Le livre de Bithika Mukerjî En compagnie de Mâ Anandamayî vient de  paraître, traduit par Mahâjyoti et Vigyânânand. Nous en avons déjà publié de larges extraits, nous en  remettons d’autres ci-dessous et rajoutons la présentation qui se trouve au dos du livre. On peut commander l’ouvrage directement aux

Editions Agamat : 122 Résidence Parc des Eaux Vives – rue L. Bourgeois – 91120 Palaiseau –Tel/Fax : 0169315022 – Email agamat.bouanchaud@gmail.com  pour 23€ port compris.

 

Quatrième de couverture

 

Mâ Anandamayî était certainement la femme sage la plus célèbre du XXe siècle. D’après un védantin respecté de Rishikesh : « Elle disait en toute humilité ‘je ne suis qu’une petite fille, je n’ai jamais été éduquée’, mais j’ai entendu le bouillonnement du véda-védanta sortir de ses lèvres divines ».  Bithikâ Mukerjî depuis son enfance a été proche d’elle, elle a passé la plupart de ses vacances et de sa vie en sa compagnie. Elle est donc bien placée pour donner ses témoignages personnels et ceux de sa famille dans ce volume. Elle est de plus la meilleure biographe de Mâ, connaissant à fond ce milieu bengali dont elle et Mâ sont originaires. En plus de l’aspect de concentration de toute une vie sur l’enseignement de Mâ, Bithikâ a été professeur de philosophie à l’Université Hindoue de Bénarès, elle est donc capable de situer l’enseignement de Mâ Anandamayî dans le cadre des rishis et mounis de l’Inde ancienne et des doctrines qui en ont découlé. On trouvera certainement du charme à l’évocation d’une sage évoluant avec facilité et naturel dans un monde indien en voie de modernisation et pourtant restant très traditionnel, avec tous ces sadhous, ascètes, hommes politiques, chercheurs spirituels occidentaux,  femmes et enfants qui venaient la visiter jour après jour. Par ailleurs, notre époque est traversée au moins de puis un siècle par un courant puissant visant à redonner au sacré féminin la place qu’il mérite. Il s’agit d’un rééquilibrage social, psychologique et métaphysique, pouvant entre autres contribuer à limiter la violence tristement mâle qui agite le monde, y compris celui de la religion. Si l’Occident découvre le besoin de savoir gérer un pluralisme religieux réel, l’Inde n’en donne-t-elle pas l’exemple depuis des millénaires ?

A lire et à méditer…

 

Voici maintenant des extraits du texte principal :

 

Festivités

 

      Beaucoup d’évènements importants eurent lieu au 31 George Town. Mariages, anniversaires, célébrations,  visites de haute qualité.

      Un jour, on reçut un message disant que le Premier Ministre Pandit Jawaharlal Nehru, qui visitait la demeure de ses ancêtres « Ananda Bhâvan », souhaitait instamment voir Shrî Mâ et assister à son darshan. Accompagné de son secrétaire privé Upâdhyajî, et de sa fille Mme. Gandhi, il arriva le soir dans une limousine. Il n’y avait pas d’escorte pour sa sécurité, ni aucune voiture pour le précéder ou le suivre. Panditjî, Indirâjî et Upadhyajî furent accompagnés jusqu’au cottage de Mâ, où ils s’assirent un moment.

      Il fut bientôt temps pour Shrî  Mâ de se rendre sous le pandal (tente) pour le satsang. Comme Panditjî ne prononça aucun mot d’adieu, on comprit qu’il n’était pas pressé de s’en aller mais qu’il nous accompagnerait jusqu’à l’estrade, où Shrî Mâ prit place avec ses invités. Les habitants d’Allahabad furent très contents de voir le Premier Ministre. Ils l’acclamèrent et quelques-uns demandèrent même un discours. Pandit Jawaharlal Nehru sourit et dit que cette fois-ci il était venu pour écouter et non pour parler. Cette déclaration plut à l’assistance qui se prépara ainsi à écouter l’allocution de Haribâbâjî. Shrî Mâ commença le satsang en entonnant un chant religieux (kîrtana) pendant quelques minutes. Le Premier Ministre semblait très à l’aise, mais il avait un autre engagement au Holland Hall de l’Université d’Allahabad, et après quelque temps il salua et s’en alla. (p.102-103)

 

 

La famille s’agrandit

 

      La célébration de l’anniversaire de Mâ, début mai, démarra une série d’heureux évènements dans la famille. Babou s’était marié en Novembre 1961, et à peu près à ce moment là, la famille arrangea un mariage pour Bindou. Ce dernier avait décliné toute idée de convoler en justes noces jusqu’à présent car il souffrait d’arthrite depuis l’époque où il était au collège. Ni la science, ni la  médecine n’était en mesure de soigner cette maladie à l’époque. Au lieu de lui prescrire des exercices pour la zone affectée, les médecins avaient choisi d’immobiliser pendant six mois dans un plâtre la partie inférieure de sa colonne vertébrale. Il eut lui-même la sagesse de se débarrasser de ce carcan, mais le mal était fait. Toute sa vie, il souffrit de cette erreur initiale. A l’époque du mariage de Babou, il s’était bien établi dans sa vie professionnelle, obtenant prestige et standing jour après jour. Alors qu’il conduisait Shrî Mâ de Varanasi jusqu’à notre maison à Allahabad, elle-même le persuada de se marier. Swami Paramânanda, qui était assis sur le siège arrière, avait abordé la question et Shrî Mâ avait saisi l’occasion pour lui dire qu’il fallait adopter une position nette et claire dans la conduite de vie. Si quelqu’un avait des penchants pour la religiosité, alors il fallait qu’il fuie les embrouillaminis du monde. Par contre, profiter de la vie dans le monde sans en assumer les responsabilités n’était pas juste non plus. Bindou marmonna quelques excuses, mais Shrî Mâ passa outre assurant qu’il devait choisir entre une vie de renoncement complet ou une vie d’homme au foyer. Elle se mit à rire et dit : « Il faut que tu prennes ta décision avant de passer le portail de ta maison ! » On entendit alors Bindou murmurer entre ses dents son choix de rester un homme ordinaire.

      Tout d’abord le pauvre Bindou fut très malheureux. Il était jusqu’alors comme un roi sans couronne à Allahabad et il jouissait d’une immense popularité, ce qui lui faisait dire : « Si je me marie, je vais devenir comme tout le monde. »


 

 

      Il n’aurait pas dû se faire de souci. Il demeura ce qu’il était et sa femme s’avéra être si belle que cela lui donna un charme de plus. (p.103-105)

 

 

Mémoires vives (au hasard des souvenirs…)

 

      Après avoir rejoint la Banaras Hindu University, je ne fus plus en mesure de suivre Shrî Mâ dans ses voyages. Je continuai cependant la routine de me rendre aux célébrations d’Anniversaire. J’assistai au Samyam saptah à Sukhtal, car Mâ m’avait fait demander. Je me rendis également à Vrindavan pour un autre Samyam saptah, parce que les brahmachârinîs m’avaient dit que Shrî Mâ avait remarqué mes absences répétées. Je n’avais pas vu Mâ depuis longtemps. En arrivant à l’ashram je trouvai que le satsang était en cours dans le hall. Je demeurai debout sur le pas de la porte pour avoir son darshan. Shrî Mâ me regarda depuis l’estrade au loin où elle était assise et délibérément elle tourna la tête de l’autre côté. Sur le moment je fus amusée par sa réaction si humaine. Mais tandis que je m’inclinai pour le pranâm, je me dis en moi-même : « Tourner la tête ne te vaudra rien de bon, tu ne peux pas nous délaisser et nous n’avons pas d’autre refuge que toi. » Quand je relevai la tête et me remis debout, je sentis son regard sur moi rempli d’une très belle expression, comme si elle avait approuvé mes sentiments. Indéniablement, je me souviens très clairement de cet incident. (p.105)

 

 

      Bien des situations embarrassantes se développèrent quand les mahâtmâs devinrent de fréquents visiteurs de nos ashrams. Shrî Mâ déplaça tous ses rendez-vous afin de rester libre pour les satsangs ultérieurs. Les jeunes filles qui entouraient Shrî Mâ étaient à chaque fois mécontentes car il leur fallait se tenir à distance pendant que les sadhous étaient au satsang avec elle. La vie devint extrêmement difficile quand Shrî Krishnânanda Avadhutjî devint un ardent fidèle de Mâ. C’était un grand renonçant à la réputation exemplaire, et il semblait assurément ne pas aimer la vue des jeunes filles qui entouraient toujours Mâ. Aussi chaque fois qu’il venait la voir, elle demandait clairement que nous quittions la pièce pour attendre dehors. Cette situation donna lieu à un incident plutôt amusant. Nous étions à Puri à cette époque-là. Ce devait être durant une période de vacances car beaucoup d’entre nous étaient là. A travers la fenêtre ouverte de la chambre de Shrî Mâ, nous vîmes Avadhutjî s’avancer sur la rive, le long de la mer, ce qui nous fit déguerpir rapidement dans la pièce voisine et dans la véranda adjacente. Seuls les jeunes hommes, dont Abhayda, Vibhuda et Bindou purent rester. Quand Avadhutjî se fut assis dans la chambre de Mâ, elle demanda à Bindou de chanter un Bhajan car le jeune Swamijî était friand de musique religieuse.  Bindou commença par le chant bien connu « man ko range jogi sache rang me (ô ascète, trempe tes vêtements dans la vraie couleur du détachement. La robe orange seulement n’est pas suffisante) ».

      Quand Bindou chanta de sa voix mélodieuse, on put voir Shrî Mâ s’agiter sur son chowki, nous regarder à la dérobée et rapidement détourner les yeux pour fixer l’océan au loin. Avadhutjî, assis immobile, sembla goûter le chant. Il fit donc son pranâm devant Shrî Mâ et s’en alla. Avec un soupir de soulagement, notre petite troupe se rua dans la pièce pour trouver Mâ n’en pouvant plus de rire. Elle était presque en train de gronder Bindou pour le choix de son chant et lui disait, tout en essuyant des larmes de rire sur ses joues : « Bindou, Bindou, comment as-tu pu t’asseoir ainsi sous le nez d’un sadhou et chanter cette chanson ! Je ne sais pas comment j’ai pu me retenir. Grâce au ciel les jeunes filles n’étaient pas là, car sinon, si elles avaient eu seulement l’ombre d’un sourire, j’aurais perdu tout contrôle. Vous verrez que ce sadhou ne reviendra pas ! » Le pauvre Bindou secoua la tête et assura qu’il avait choisi ce chant sans aucune arrière-pensée et sans rien de particulier que Shrî Mâ ne sut déjà. Inutile de dire que le révérend Swamijî ne le prit pas non plus comme une atteinte personnelle.

      O combien attachant était le comportement de Shrî Mâ avec toute sa suite de jeunes autour d’elle, ô combien circonspecte était son attitude vis-à-vis des ascètes, et tout cela vécu si gentiment et si joyeusement. L’allégresse était le mot d’ordre de notre expérience durant ces jours anciens passés auprès de Mâ Anandamayî. (p.105-106-107)

 

      Un jour Didou (Chhabi Chowdhary), Bunidî et moi étions en visite avec Shrî Mâ à Bishtupur. Il nous fut dit que c’était le kheyâla de Mâ qui continuait à aller de l’avant sans son habituel environnement de jeunes filles, mais accompagné seulement de Swamijî (Paramanandaji) et de Didi. On nous dit à toutes trois de retourner à Calcutta et d’attendre que Mâ nous rejoigne. Sans même qu’il nous soit donné de protester, Didou et moi commencèrent tristement à faire nos bagages. Bunidî restait inconsolable à la pensée de ce départ. Elle pleura à nous en fendre l’âme. A Kharagpur Junction, on monta dans le train tandis que Shrî Mâ et ses quelques fidèles restaient sur le quai pour nous regarder partir. Didou et moi étions penchées à la fenêtre, mais Bunidî s’était effondrée dans un coin et essayait de sécher ses larmes. Au départ du train, Shrî Mâ saisit dans une main un pan de son chaddar (châle) et commença à l’agiter en guise d’adieu comme un mouchoir. Elle continua à trottiner, presque à courir le long du train, tout comme nous l’avions toujours fait lorsqu’elle partait en voyage et que nous demeurions sur le quai. Je me mis à crier : « Bunidî, Bunidî, regarde Mâ ! » Bunidî bondit alors et se pencha à la fenêtre (qui n’était pas encore munie de barre de protection à cette époque). Elle se mit à rire en voyant Shrî Mâ agiter son coin de châle en courant le long du train en marche. Ainsi Mâ put voir le visage rieur de Bunidî avant de nous quitter. Cette dernière vint se rasseoir, disant : « Elle a fait cela juste pour me faire rire, mais je n’en reste pas moins contrariée. » Cependant, son humeur avait changé.

 

      Shrî Mâ n’approuvait jamais les trop grandes effusions chez les jeunes qui l’entouraient. Les larmes, les bouderies, les ressentiments, elle ignorait tout cela, ou bien traitait le tout de cent façons différentes. Néanmoins, le cas de Bunidî était exceptionnel. Nous avions tous admiré son engagement au service de Mâ. Parmi les jeunes filles, c’était elle qui évaluait le mieux le kheyâla de Shrî Mâ et qui agissait en conséquence. Elle avait souffert de crise d’asthme assez violemment, mais elle se présentait toujours soignée et pimpante et ainsi elle s’occupait des vêtements variés de Shrî Mâ. Les souvenirs m’assaillent… Bunidî était une personne qui se sentait heureuse quand Mâ était joyeuse et rayonnante. Si Shrî Mâ devenait grave ou sérieuse, Bunidî essayait de détourner son kheyâla vers quelque chose de léger et d’amusant, afin que Mâ puisse sourire ou éclater de rire.

      Bunidî, en dépit de ses petites défaillances, était irremplaçable en tant que gardienne des vêtements de Shrî Mâ. Cette dernière vécut dans un perpétuel désordre quand Bunidî ne fut plus là. Les autres jeunes filles qui vinrent après elle ne furent jamais à sa hauteur. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour rendre un hommage à Bunidî qui fut entièrement dévouée à Mâ, et qui fit office de sœur aînée pour l’ensemble des petites jeunes comme moi à l’époque, je veux parler de Gini, Târâ, Buba et bien d’autres. En y repensant, je réalise que jamais notre expérience de vie enrichissante auprès de Shrî Mâ n’avait été plus intense que grâce à cette amitié entre nous toutes. (p.107-109)


 

L’organisation du courrier

 

      La lecture et la réponse au courrier en compagnie de Mâ étaient toujours un moment très riche de satisfactions. Le sac de lettres, sans cesse plus gros, que Didi transportait avec soin, faisait partie intégrante de ses propres bagages. De temps à autre, elle demandait à Shrî Mâ d’accorder un moment à ce travail. Importantes ou urgentes, les lettres étaient lues et Mâ y répondait quand l’occasion le demandait, bien que la plupart d’entre elles ne contenaient en général que des nouvelles provenant de fidèles adeptes qui désiraient seulement rester en contact avec Mâ. Shrî Mâ elle-même avait développé un plan d’organisation pour traiter tout le courrier en une seule séance. Cinq ou six d’entre nous devions sortir toutes les lettres du sac et nous les distribuer, en général selon le langage, tel que Bengali, Hindi, Gujarati ou Anglais. Après quoi nous devions les lire attentivement, en faisant ressortir les passages importants ou bien en résumant. Shrî Mâ s’asseyait sur son chowki, tandis que nous étions assises en demi-cercle devant elle. L’une après l’autre nous devions ‘lire’ nos lettres à haute voix et prendre note des réponses. Mâ était très rapide. Elle accordait toute son attention à chaque correspondant et s’occupait de chacun avec le plus grand sérieux. Certains correspondants étaient plutôt prolixes. Il y avait jusqu’à cinq ou six missives provenant de la même personne dans le sac. Il ne fallait pas en négliger une seule. Mâ les écoutait une par une et dans l’ordre chronologique où nous les avions rangées. Parfois certaines lettres nous amusaient, mais elles n’éveillaient pas l’ombre d’un sourire chez Mâ. Elle leur prêtait la même attention sérieuse, mais elle applaudissait de joie quand nous arrivions à vider le contenu du sac en une seule séance et elle s’écriait : « Maintenant Didi va être heureuse. »

      Les réponses de Shrî Mâ sont des écrits conservés précieusement dans la collection unique des paroles (vani) de Mâ, élaborée par Didi. Je vais en reproduire ici quelques-unes à titre d’exemples pour montrer le soin et l’intérêt apportés par Shrî Mâ pour chacun de ses correspondants.

      A une femme qui écrivit sur sa vie privée en des termes angoissés, disant qu’elle était en colère contre Mâ pour son indifférence, Shrî Mâ répondit :

      « Ce corps vous a causé de la douleur, mais ne pensez rien de ce corps, n’en tenez pas compte si vous le pouvez. Tout en vous ne devrait s’engager que dans la recherche de Celui qui est l’Absolu. Lui seul est compassion et miséricorde. Il vous fait même signe de venir vers Lui. Vous, ma mère (la correspondante), vous vous sentez offensée, mais cela a aussi le bon côté. »

      « Il vous a été donné cette vie humaine, précieuse. Ne perdez pas votre temps en de vaines pensées. Rendez service autour de vous avec la conviction que toute pratique représente les différents aspects de Dieu. Faites en sorte que ‘la colère même’ vous devienne familière. Pensez que c’est à Lui que vous rendez service, à Lui, à Lui seul. Si vous parvenez à maintenir cet esprit de service, vous verrez que vous serez enrichie par l’amour, la dévotion et le respect envers Lui. La vie est courte. Est-il intelligent de gâcher son temps en de vaines pensées qui créent des obstacles ?  Ne dites jamais ‘Je ne peux pas’. Toutes les relations sont éphémères après tout. On ne sait pas de quoi demain sera fait. C’est à chacun de faire ses bagages pour se préparer au voyage de la vie. »

 

Pour affronter ce long voyage il faut vous préparer

Car c’est tout seul sur le chemin que vous voyagerez.


 

      « Vous avez envie de gronder ce corps ?  Pourquoi pas ? Quoi que vous pensiez vous êtes la bienvenue ici. C’est mon kheyâla qui, puisque ce corps ne peut rien faire pour personne, en devenant l’objet de votre réprimande, il rend quand même quelques petits services (seva). » (p. 109-110-111)

 

L’accident

 

      Et ainsi, aussi bien par écrit que de vive voix Shrî Mâ répondait, parfois même par des mots d’esprit qui lui étaient propres. Elle prit part à de vives discussions sur les quatre ashrams de la vie, soit la première période de brahmacharya (strict célibat), puis la deuxième grhasthasrama, quand l’étudiant retourne chez lui pour se marier, pour observer les règles religieuses, les traditions sociales et morales, puis une fois en couple, après une vie commune de rectitude, pour s’isoler en sâdhanâ dans les ermitages de la forêt en laissant les enfants s’occuper des traditions, arrivant ainsi au troisième stade, le vanaprastha (se détacher, vairagya, pour suivre le chemin des comportements spirituels et des services inhérents à la sâdhanâ). Après quoi vient la période de sannyâsa (stade final du renoncement en quête de la vérité et de l’amour pour toute l’humanité). J’avais beaucoup à apprendre.

 

      La cérémonie d’ouverture au Shrî Mâ Anandamayî Seva Hospital fut présidée par le Premier Ministre d’alors, Smt. Indirâ Gandhi.

      Bindou devait y venir pour chanter et bien que le kheyâla de Shrî Mâ l’ait incité à ne pas s’éloigner avant sa participation, il partit en voiture et eut un grave accident en capotant sur une flaque d’huile. A la fin de la cérémonie où Indirâ Gandhi entourée de notables se montra gracieuse et compétente, je fus surprise en rentrant à l’ashram de voir le chauffeur de Bindou, derrière les cordons de policiers, nous faire signe de le suivre pour aller au chevet de ce dernier qui avait été blessé et souffrait énormément. A l’hôpital, le chirurgien orthopédiste diagnostiqua une légère fêlure dans le bas de la colonne vertébrale due au terrible choc quand la voiture se retourna. Lorsque Shrî Mâ fut mise au courant de l’accident, il nous sembla qu’elle s’attendait à une telle nouvelle. Son kheyâla ne l’avait-il pas avisée…mais elle ne souffla mot.

      Dans l’après-midi, au moment creux où l’ashram observe une période de répit entre le déjeuner de midi et le satsang du soir, Shrî Mâ quitta tranquillement sa chambre et s’en alla. Vimaladî (Dayânandajî) qui était dans l’entrée, fut surprise de la voir debout devant elle sans ses sandales ni son chaddar (châle). Sans même lui donner le temps de réagir, Mâ lui demanda de préparer une dose d’un médicament dont elle connaissait les ingrédients. Quand cette petite pilule fut confectionnée, Shrî Mâ attrapa le bras de Vimaladî et commença à descendre l’escalier. Vimaladi réalisa que Mâ allait sortir. Elle se désengagea de l’étreinte et courut chercher les sandales et le châle de Mâ qui, ainsi accompagnée de Vimaladî en plein étonnement, s’achemina le long de la petite route. Aussi étrange que cela puisse paraître, pas un de ses fidèles qui étaient nombreux autour de l’ashram quand Shrî Mâ y résidait, ne la vit s’éloigner.

      En arrivant à la grande route principale, elles aperçurent Pataldâ qui allait s’y engager également. Naturellement, il fut surpris de voir Shrî Mâ. Elle lui demanda : « Savez-vous où habite Bithou [le surnom de Bithikâ Mukerjî] à la Banaras Hindu University ? Pouvez-vous m’y amener ? » Avant même qu’il ait pu répondre par l’affirmative, un ami en voiture s’arrêta auprès d’eux. Il se rendait à l’ashram. Il s’extirpa rapidement de la voiture en tenant deux guirlandes en guise d’offrandes. Shrî Mâ les prit en disant : « Tout enchaînement dans les évènements (samyoga) est de bon augure. » (Plus tard, elle les énuméra, comme par exemple : elle put sortir sans qu’un tas de gens ne lui pose toutes sortes de questions ; on ne l’arrêta pas pour fixer des rendez-vous ; elle rencontra Pataldâ au moment voulu et il était l’une des seules personnes à connaître ma propre maison à la B.H.U. ; dans son véhicule un chauffeur plein de bonne volonté se présenta juste à temps, et par surcroît avec deux guirlandes au lieu d’une seule comme on en apporte habituellement.

      Nous fûmes fort étonnés, à l’Université, à la vue de Shrî Mâ qui entrait tranquillement par la porte du jardin. Elle hésita un instant devant les marches de l’escalier. [Elle suivait la règle des sannyâsis de ne pas pénétrer dans les maisons individuelles où les familles habitaient] Patalda affirma avec véhémence : « Mâ, ces maisons appartiennent à l’Université. Les membres du personnel vont et viennent, ce ne sont pas des résidences permanentes, c’est plutôt comme une dharamshâlâ. »

      De toutes façons, Shrî Mâ eut le kheyâla d’y entrer. Elle fut bien vite devant le lit de Bindou, et commença à trouver à redire à tous mes aménagements : « Regardez-moi ce lit, comment peut-on être confortable dans un lit aussi étroit ! Amenez-moi un autre chowki beaucoup plus large. » Tandis que nous nous précipitions pour exécuter ses ordres, elle fit en sorte que Vimaladî, à notre insu, mette son médicament dans la bouche de Bindou tout en lui faisant signe de l’avaler. Elle lui parla de l’accident. Elle posa alors doucement ses mains sur sa poitrine en frottant par quelques mouvements vers le bas. Elle offrit les guirlandes à Shyamoli et Bindou, en se référant à la coïncidence qu’il y en ait eu justement une paire pour le couple qu’ils formaient.

      Shyamoli, trouvant Shrî Mâ si proche et si abordable s’aventura à parler de la situation actuelle de Bindou. Elle dit : « Mâ, il ne va pas nous permettre de stopper le flux ininterrompu des gens qui viennent le voir. Des douzaines parmi ses collègues de bureau sont déjà venus le visiter et d’autres vont suivre car les nouvelles vont vite dans le voisinage. Le médecin lui a dit de se reposer mais on n’arrête pas de le déranger. »

      Si Shyamoli s’attendait à une marque de compassion, elle dut être déçue, car Shrî Mâ lui sourit tout en répondant : « Voyez-vous, il est si charmant dans ses manières d’être que toutes sortes de gens s’inquiètent pour lui. »

      Quelques minutes plus tard, Shrî Mâ s’en alla, nous laissant nous étonner et nous émerveiller de sa grâce divine (kripa) et de sa courtoisie. Très vite ma mère remarqua chez Bindou que sa respiration faible était devenue normale et qu’il semblait ne plus souffrir de cette douleur qui le faisait se ressentir comme dans un carcan. Il était étendu très relaxé et à son aise désormais. Il progressa très rapidement, à tel point que le jour suivant il persuada son chauffeur Kapoor de le conduire à l’ashram. Il monta les escaliers menant à la chambre des audiences sans aucune aide. Tout le monde fut surpris de le voir et on s’exclama de joie devant sa guérison. Shrî Mâ rit et lui tendit une guirlande. Il vint jusqu’à elle et s’inclina dans un pranâm. Quand il releva la tête ses joues avaient légèrement rougi. Shrî Mâ dit : « Pourquoi cet effort supplémentaire ? » Elle mit les mains sur sa tête et ses épaules en un geste de bénédiction. Elle demanda aux jeunes filles d’aller chercher un harmonium. Quand on le lui amena, Bindou entonna un ou deux chants pour Shrî Mâ. Son kheyâla en l’écoutant chanter l’avait sorti des conséquences de cet accident, qui, au dire de chacun, aurait pu lui être fatal. (p.113-114)

 

 

 

 

   A propos de la félicité


    Ananda, la félicité,  est le langage de la réalisation ; dans ânanda, il y a ni Soi ni Brahman mais une unité homogène, non brisée, un sentiment de joie unifiée, akhand-aika-rasa, qui touche chacun dans son omniprésence. Chaque vie est enrichie dans la mesure où elle s'approprie la joie intense de l'être (Taittirîya Upanishad II. 7). La vérité de cette affirmation est un objet d'expérience pour chacun. Plutôt que la souffrance,  la joie de vivre est le fait de la vie. Le chagrin est une aberration, une négation de la véritable forme de la vie. Il vient de l'autre, alors que la joie de vivre est enracinée dans le Soi. La peur prend son origine dans l'anxiété pour l'autre, (ainsi que les attentes à leur égard, le désespoir, les déceptions, les deuils à leur propos, etc.) qui assombrit constamment  le débordement naturel de joie qui est la nature de l'être humain. En cela, il est identique à Brahman, à la grande Réalité, et ainsi il est à son tour en contact avec l’ensemble du monde. Qui peut être "autre" par rapport à celui qui appartient à tout  lieu car personne n'est dépourvu de cette étincelle de la joie de Brahman. Pour le cœur  en expansion qui a accueilli le monde entier et a trouvé la Félicité en lui, il ne peut être question de souffrance.

     La question d’ânanda touche le nœud  réel du cœur de l’être humain. On n'a pas de doute sur la réalité de sa propre existence, et on est donc capable d'imaginer Brahman comme sat. On est aussi conscient de soi-même et on peut comprendre l'idée de chit ; mais ânanda est tellement fragmenté, tellement diffus, une expérience si ténue dans la vie qu’il est difficile de la faire se relier au concept du Brahman Suprême. Pour cette raison, la tradition développe le point de vue que sat et chit révèlent Brahman mais ânanda est le voile qui le cache ; pourtant, ce voile n'en est pas moins indicateur de sa présence.

    Le terme ânanda  est utilisé comme synonyme pour ananta, l’infini, dans la définition qu’en donne la Taittiriya, car ce qui est fini ne peut être de la nature de la félicité. Seule l'infini, où il n'y a aucune trace ni ombre d'"autre" peut être identifié avec la joie  suprême. La Taittiriya Upanishad déclare (II. 8. 1) :

 

Cela est de la nature  d'une saveur ;

En l'expérimentant, l'être humain rentre dans une extase suprême.

 

    On explique alors à l'élève que c'est en lui qu’il y a effectivement ce bonheur Suprême, mais qu'il est intermittent et de forme complexe dans l'expérience qu'il en a actuellement. Tout ce qu’on lui demande, c'est de suivre son Enseignant dans son énonciation de la nature de Brahman et cet enseignement selon lequel ce Brahman réside caché sous forme de Conscience-Témoin dans la grotte de son propre cœur. S'il y a mise en présence directe avec cet "homme dans le cœur" qui est le même que "l’homme dans le soleil", tout s’accomplit d'un seul coup[1], il y a la tranquillité même de la plénitude, et l'expérience de félicité suprême d’être son propre Soi (Taittiriya Upanishad III 9.1.)

 

     Pour étayer ce qui a été  dit, nous allons citer quelques versets (21 à 29)  d'un commentaire de la Taittiriya Upanishad, le Taittiriyaka-vidyâ-prakâsha ( l'exposition de la connaissance de la Taittiriya ) que Bithikâ a traduit en entier en seconde partie de son livre :

      Il s’agit d’un texte écrit vers le XIVe ou XVe siècle par Vidyâranya, dont le nom signifie  "forêt de connaissance". C’était, dit la tradition, le premier ministre du début de l’histoire  du royaume de Vijayanagar qui a résisté avec succès, aux invasions musulmanes et qui a fait vivre la tradition hindoue dans le sud de l'Inde pendant plusieurs siècles. Au comble de sa gloire, il est allé se retirer dans la forêt, puis a été nommé le Shankarâchârya de Shringeri au Karnataka, devenant ainsi le chef d'une des quatres lignées fondées par le premier  Shankarâchârya. Il est aussi l'auteur d'un célèbre texte védantique, le Panchadashi, dont le nom signifie "quinze" car il est constitué de quinze chapitres. Les cinq derniers sont consacrés  à ânanda, la félicité. Voici maintenant les quelques  versets que nous citons. Nous en avons révisé la traduction à partir du texte sanskrit.  On remarquera que dans les premiers, Vidyâranya est en faveur d’une pratique parallèle du védanta et  du Yoga :


 « La vision tournée vers l'extérieur consiste en l'apparence du monde ainsi qu’en la notion de sa réalité. Par le discernement, on dissipe cette fausse réalité du monde ; par le Yoga, on retire l'apparence même du monde.

Après s’être débarrassé de la vision tournée vers l'extérieur, ce qu'on voit par la vision tournée vers l'intérieur, c'est cette mystérieuse conscience du "Je" qui nous est chère et qu’on considère comme Brahman.

En voyant celle-ci, si on demande "Par l’obtention de l’Ultime, qu’y a-t-il de si extraordinaire pour celui qui a la Connaissance ?", on répondra alors que  l’accomplissement de toutes les plénitudes simultanément est ce qu'il y a d’extraordinaire.

Toutes les créatures désirent constamment les plaisirs des objets ; tous ces désirs proviennent de la félicité de Brahman - cela est affirmé dans un autre texte  (Brihad-Aranyaka Upanishad  IV.3.32)

"Les objets extérieurs sont la source de la Félicité" : à cause de cette illusion, tous les êtres vivants désirent les objets, (emportés qu’ils sont) par leur vision tournée vers l'extérieur.

En obtenant l'objet désiré, l’esprit (dhî) revient au cœur,  où il expérimente la félicité de Brahman pour un instant, puis il se remet  à désirer l’extérieur.

A cause de cette impermanence, des traces de félicité subsistent dans l'expérience de ces objets. Le plaisir perçu dans les objets est l’effet de l’illusion, en réalité, il n’y que la félicité de Brahman.

Ceux qui sont pourvus de discernement contemplent constamment avec leur vision tournée vers l’intérieur cette félicité de Brahman, et toutes leurs  expériences temporaires de félicité se fondent dans cette continuité (ou immédiateté,  nirantara).

Celui qui connaît la réalité obtient simultanément tous les désirs sous forme de Brahman, nous avons entendu ( le témoignage des Ecritures) à propos de cet avantage extraordinaire qu’il y a à parvenir à Brahman. »


 

 

 

 

Conclusion

 

   Si l’on entend par conclusion une réponse définitive à un problème spécifique, on ne peut que reprendre dans ce livre le plaidoyer pour une meilleure compréhension de ce problème et chercher à mettre en valeur son intérêt majeur non seulement pour l'Orient mais aussi pour l'Occident. En cet âge d'accélération et de progrès, tout est rendu possible en principe à tout moment. Il n'y a pas de sujet qui ne soit global dans ses implications à notre époque. Nous avons étudié la modernité et nous avons trouvé que le monde Occident est sous tension, partagé qu’il est entre un sentiment d’enthousiasme pour les grandes réussites de la science et l'angoisse venant du fait qu'il prend un chemin sans retour. Nous avons  vu aussi que les tentatives d'occidentalisation du langage de l'advaïta allaient au-delà des limites de la conception traditionnelle de la manière dont la vie doit être vécue aussi bien dans la cité que dans la forêt. L'Inde contemporaine, en choisissant la cité, a certainement opté pour "ce qui est agréable" preyas, plutôt que "ce qu'on doit préférer", shreyas ; mais est-il possible de parler de renoncement dans un environnement qui affirme rendre possible l'obtention de la plénitude pour tout un chacun dans le monde et non pas en s'en éloignant ?

    Devons nous rappeler ici que mâyâ correspond exactement à cette situation consistant à rester fascinés, suspendus à l'ordre extérieur qui nous est donné, avec même une complaisance métaphysique à le considérer comme ultime? La philosophie védantique dit qu'il en est effectivement ainsi, mais il y a  dans les expériences des plaisirs du monde les germes qui nous permettent de dépasser le pouvoir de mâya. Le védanta nous dit que notre propre existence, sat, et notre conscience, chit,  établissent une continuité avec Brahman. Avec la félicité, ânanda, nous en venons à une séparation entre le royaume de mâyâ et celui de Brahman. Il n'y a pas de continuité dans l'expérience de joie pure ; chaque expérience est une totalité en soi. Elle ne laisse rien derrière pour la faire perdurer d’un moment de plaisir à l’autre. Elle disparaît sans laisser de traces, mais reste cependant un fort désir pour sa répétition. L'importance réelle du plaisir dans le monde vient du fait qu'il ramène l'attention à ce que précisément il n'est pas. La fragmentation de la joie doit évoluer inévitablement vers l'accomplissement et la plénitude. Que le monde soit donc là où il est, astu samsâra eva, car lui seul peut nous montrer la voie vers la Félicité de l'Etre, mais en oubliant la leçon du discernement, il y a la crainte que nous oubliions également le message qui nous rappelle vers notre véritable maison, vers ânanda, la Félicité.

 

Citations et résumé de Bithikâ Mukerjî :

 Neo-Vedanta and Modernity,

 Ashutosh Prakashan Sansthan, Varanasi 221005, Inde, 1983


Lewis Thomson

Journal d’un poète intégral

 

J’ai pu rencontrer récemment Richard Lannoy dans sa maison près de la mer du côté de Southampton. Il était proche d’Atmânanda, et a fait une série de phtos de Mâ en 1954 d’où il a tiré un beau livre pour le centenaire de celle-ci en1996, avec un texte intéressant. Il est spécialiste d’art, mais s’intéresse aussi à la psychologie et son livre de synthèse sur l’Inde The Speaking Tree à Oxford University Press est toujours réédité depuis 30 ans et reste une référence sur le sujet. Il a épousé une indienne dont il est maintenant veuf. Il prépare actuelement un ouvrage appelé ‘Epiphanie’sur les manifestations du spirituel dans l’art moderne. Il vient aussi de finir un troisième livre sur le poète et sâdhaka Lewis Thomson qui a aidé Atmânanda à se relier à Mâ Anandamayî. Il s’agit de son journal spirituel dont nous rendons ci-dessous quelques extraits.

 

 

 

5-4-1944

(Ces cinq pages ont été écrites au lit, à l’hôpital, où je me remettais d’une typhoïde) [Thomson est décédé cinq ans plus tard à Bénarès, au cœur de l’été, à  l’âge de 40 ans]

Dernièrement, pour la troisième fois je pense, visite chez Mâ Anandamayî.

Shri Aurobindo a dit d’une photographie d’elle : une incarnation de Pureté et de Beauté. Elle a réalisé le Sachidananda, le plus au niveau possible. Le fidèle qui m’a communiqué cela m’a dit qu’il le tenait d’un fidèle de Shri Aurobindo. Plus tard, Ajit Basu m’a appris que c’était Dilip Kumar Roy qui avait demandé à Shri Aurobindo quel était l’état de Shri Anandamayî et qu’il a dit : « Elle flotte constamment dans la conscience de Sachindananda ».

   Le même fidèle, qui semble sérieux, intelligent et bien informé, m’a dit qu’elle ne donnait pas d’initiations, mais que certain avaient des visions d’elle.  Cependant, il affirme qu’elle donne des conseils à certains sâdhakas et peut toujours aider ceux qui stagnent dans leur sâdhana…..

    Pendant que j’étais assis simplement à un mètre d’elle lors du sankirtan à Dashashvamedh Ghat,  elle m’a regardé dans les yeux durant plusieurs secondes. ­–Un regard indescriptible qui a éveillé en moi des larmes d’émotion profonde. Dans ce regard, en quelque sorte, m’est venu à l’esprit qu’il y avait la reconnaissance de l’Unité, de l’Un, et pour un instant il a semblé absorber, oblitérer, ma conscience entière.

    Un peu plus tard elle demanda qu’on me donne une guirlande qu’elle avait portée et peu après une personne qui l’éventait m’en a donné une autre. Elles étaient toutes les deux de jasmin.

    Après quelque temps Mère se leva, et, avec la foule qui se pressait derrière elle commença à descendre les gradins pour retourner à la barque sur la rivière par laquelle nous étions venus du temple près d’Assi. Après avoir descendu avec difficulté peut-être une demi-douzaine de marches, elle se retourna  soudain, remonta et se perdit dans la foule. Elle fit pradakshina [le tour] de la murti [statue] autour de laquelle tant de gens s’étaient perdus en extase. Un vieil homme avait été soutenu mais avait refusé de s’arrêter avant d’être tombé plusieurs fois au sol et d’avoir été étendu par terre. Un fidèle me dit qu’il n’y avait pas de doute qu’elle ait fait cela comme un exemple.

 

13-4-44

Sens fort de la présence de Shri Anandamayî − sa note particulière, la richesse active, saturée. Un parfum chaleureux aussi, comme une présence physique. − C’est très puissant et enveloppant, mais quand j’essaie de le définir, je me trouve en dehors d’elle.

Thomson retrouve Mâ et probablement Atmânanda à Almora

 

4-6-44

Chaque mouvement à chaque phase de conscience tend continuellement à s’auto-perpétuer − et à son niveau particulier peut donc produire une hypnose profonde et une hallucination (par ex. la sexualité). Ce n’est que ‘verticalement’ et d’un centre plus profond que l’individualité, que la réorganisation de la conscience est possible.

 

27-8-44

[Après avoir expliqué un de ses rêves]

La perfection de la tradition hindoue, c’est que contrairement au christianisme, elle n’a jamais perdu la maîtrise sur la relation entre la conscience centrée psychiquement du monde antique qui, dans les Védas, en Egypte, en Crète, en Scandinavie, dans les pays celtiques, connaissait les dieux directement, et aussi l’esprit pur dont tout ceci était la manifestation. Elle n’est pas aveuglée par l’Ishvara, le Démiurge [Créateur], la voie intermédiaire pour un cosmos donné pour le  Suprême de tous les mondes possibles.

 

31-8-44

Mata Anandamayî. Fraîcheur simple, enfantine dans sa façon de s’exprimer et de rire.

 

1-9-44

Il n’y a pas de véritable fondation pour la relation à ce monde que l’abandon au Suprême. Sinon il n’y a que l’impureté et l’incomplétude sans fin de son ego et de celui des autres.  L’abandon est la seule pureté, la seule lumière et guide dans l’obscurité de ce monde. Mon esprit peut voir cela, mais hélas, je n’ai pas la force de le mettre en pratique. − De quelle force a-t-on besoin pour s’abandonner ? Simplement la force de notre faiblesse effective, que l’ego ne peut pas accepter. Mais aussi la joie et pureté intrinsèques de notre ego -  la seule force véritable, authentique et désintéressée qui soit.26-9-44

Poème  Pollen de fleur écrit le 13.

Novalis « Le génie est le pouvoir de traiter des objets imaginés comme réels…et les réels comme s’ils étaient imaginés ».

Et Picasso « On laisse les objets imaginés s’habiller avec des apparences réelles ».

La Connaissance védantique revient au fait que le réel est la perfection de ce qui est imaginé (Pure merveille) − comme je l’ai décrit : La Poésie est la Source et la Substance de tout ce qui apparaît.

 

Comment étais-tu Mâ ?

(Par Mahâjyoti)

 

La 1ère ride vient d’un cri

La 2ème d’un pleur

La 3ème quand tu ris

La dernière quand tu meurs.

 

Comment étais-tu Mâ ?

 

Comment étais-tu Mâ quand tu avais 20 ans ?

Un être de blancheur, pureté et candeur

Qui savait soigner l’âme aussi bien que le cœur

Et dont l’Enseignement doublé de l’exigence

Distribuait tout l’AMOUR dont elle était l’essence !

 

Savoir fleurir

Savoir sourire

 

Comment étais-tu Mâ à la fin de ton temps ?

Les rides avaient creusé un sillon de bonheur

Faisant se refléter la ‘Lumière Intérieure’

Et point ne se voyait le fait d’avoir vieilli

Puisqu’en Elle le ‘SOI’ à TOUT s’était UNI.

 

Savoir souffrir

Savoir vieillir

 

La 1ère ride : un cri

La 2ème ride : un pleur

La 3ème quand on rit

La dernière quand on meurt !

 

 

 

Mahâjyoti

(Geneviève Koevoets)

                                               2005

 

 

Force ou Courage

 

Il faut de la FORCE pour affirmer son opinion

Il faut du COURAGE pour l’assumer jusqu’au bout.

 

Il faut de la force pour prendre une décision

Il faut parfois du courage pour en assumer les conséquences.

 

Il faut de la force pour avancer

Il faut du courage pour accepter de s’être trompé.

 

Il faut de la force pour choisir

Il faut du courage pour renoncer.

 

Il faut de la force pour accepter les épreuves

Il faut du courage pour en rire.

 

Il faut de la force pour dénoncer

Il faut du courage pour se taire.

 

Il faut de la force pour gagner sa vie

Il faut du courage pour affronter la misère.

 

Il faut de la force pour dire non

Il faut du courage pour être capable d’affirmer son opinion sans violence.

 

Il faut de la force pour affronter les autres

Il faut du courage pour s’affronter soi-même.

 

Il faut de la force pour réussir

Il faut du courage pour se surpasser.

 

Il faut de la force pour endurer l’injustice

Il faut du courage pour l’arrêter.

 

Il faut de la force pour aimer

Il faut du courage pour s’en aller.

 

Il faut de la force pour vivre

Il faut du courage pour survivre.

 

                                    Texte anonyme

(Ce superbe diaporama (1415 Ko)

Fleuri et musical, est signé :

Jacky Questel - Novembre 2005

Photos Erick Dronnet

Musique Rieu ‘Fleurs du Printemps’)

 

Il est à disposition chez Mahâjyoti

koevoetsg@wanadoo.fr  qui en a relevé le texte.

 

Nouvelles

 

 

-         Nous avons déjà mentionné la parution du livre de Bithikâ Mukerjî dans le texte ; on pourra se reporter au début des extraits pour les détails.

-         Swami Nirgunananda sera en France pour un programme à Terre du Ciel prévu depuis longtemps du 7 au 12 août sauf erreur, contact Terre du Ciel Domaine de Chardenoux 71500 Bruailles 03 85 60 40 30 entre 14h et 16h infos@terre-du-ciel.fr. Il passera aussi un week-end à Genève contact Jamshid Anvar  00 41 22 776 19 18 jamshid@bluewin.ch et près de Bruxelles à l’Université de Louvain-la-Neuve du 25 au 30 août. Contact Paul et Christine Neeffs  christine.neeffs@belgacom.net  Nous publierons dans le prochain numéro des extraits de satsang  avec Swamiji.

-         Une samyam saptah (semaine de retaite) a eu lieu a l’ashram de Bhimpura, sur les bords de la Narmada,   fin janvier autour de Swami Bhaskarananda à l’occasion de son anniversaire. Beaucoup d’Occidentaux étaient là, et pour la première fois dans ce genre d’événement, il y a eu des enseignements réguliers en anglais.

-         Vigyânânand (Jacque Vigne) est de retour en France pour une dizaine de mois. Son programme de conférences et stages est disponible à www.jacquesvigne.fr.st ou en téléphonant à Mahâjyoti   koevoetsg@wanadoo.fr . Il passera en direct à RFI (Radio France Internationale) le mardi 1er mai de 11h30 à 12h, ainsi qu’à l’émission de Michel Cazenave sur France-Cuture « Des vivants  et des dieux » qui sera enregistrée à la même période et diffusée à une date non encore déterminée. Il est diffcile de dire d’avance si une partie de ces interviews portera ou non sur Mâ. Le livre Inde intérieure est paru aux éditions du Relié et était présent au Salon du Livre de Paris dont le thème cette année était l’Inde. Il s’agit du rassemblement de 20 ans d’articles et études de Vigyânânand sur la spiritualité et la psychologie de l’Inde expliquée aux Occidentaux.

-         Orianne Aymard est venue pour trois mois en Inde dans les ashrams de Mâ pour faire le travail sur le terrain d’une thèse de doctorat qu’elle prépare sur le culte de Mâ après sa mort. Elle est de Paris, mais travaille à l’Université de Montréal avec le Pr Mathieu Boisvert qui est un visiteur régulier de l’ashram de Kankhal.

 

          Renouvellement général des abonnements

 

A part pour ceux qui ont réglé ces derniers mois pour 9 ou 10 numéros, nous voici venu au moment du renouvellement général des abonnements. Pour ceux qui souhaitent se réabonner,  ils peuvent le faire pour huit numéros jusqu'en mars 2009, en envoyant un chèque de 16 € à l'ordre de Jacques Vigne à :

Nadine et José Sanchez

L'Olivette

26 Hameau Beausoleil

Chemin de la Sainte Croix

84110 Vaison-la-Romaine – 0490121983 – nagajo3@yahoo.fr

 

Il se trouve que Jacques Vigne donnera à Vaison le 26 avril une conférence organisée par José et Nadine.

Il est possible aussi de s’abonner pour recevoir le ‘Jay Mâ’ par email. Envoyer alors 8 € pour 8 numéros jusqu’en mars 2009 à Nadine et José Sanchez,  avec le chèque toujours au nom de Jacques Vigne,  en avisant Mahâjyoti (koevoetsg@wanadoo.fr) qui se chargera de vous l’envoyer et de vous l’illustrer.  Cette formule a l’avantage d’éviter les problèmes fréquents de numéros qui n’arrivent pas à cause des postes indiennes qui ne sont pas à la hauteur.



[1]  L’identification de "l'homme dans le coeur" et de " l’homme dans le soleil" peut évoquer en Yoga l'ouverture du canal central entre le chakra du cœur et celui du troisième œil. Ce canal central est déjà évoqué dans la Maitreyi Upanishad à propos de la sortie du corps au moment de la mort, cette fois-ci par le sommet du crâne.