Jay Ma 83                Hiver 2006-2007

 

 

Paroles de Mâ

 

    Si quelqu’un n’agit pas pour l’amour de Dieu et qu’il n’assume pas d’un cœur joyeux toute responsabilité qui puisse lui incomber n’importe quand, il trouvera l’existence excessivement ennuyeuse et ne sera jamais capable d’accomplir quoi que ce soit. Le devoir de l’Etre humain – en particulier pour ceux qui ont fait de la Quête Suprême leur but seul et unique – est de travailler joyeusement pour élever le niveau du monde, avec la conviction que tout service est Son service. Le travail fait dans un tel esprit aide à purifier l’esprit et le cœur.

 

    Ecrivez-lui que son état occupe en fait souvent le kheyal de ce corps. Lui-même, par son propre effort de volonté, doit faire preuve d’un esprit fort et laisser tomber son attitude négative. Au contraire, il doit avoir la détermination de ressentir que ça sera possible, que la réussite finalement lui échoira. Il doit se dire en son for intérieur : «Quelque soit l’état dans lequel Dieu se plaît à me garder,  c’est à cela que je me résigne, en m’abandonnant à Celui dont je suis la créature, dont « ceci » est le corps. C’est tout. Avec un calme et une tranquillité parfaite, il doit rester complètement allongé dans ce qu’on appelle shavâsana,  la posture du cadavre et répéter silencieusement son mantra en rythme avec son souffle. Il n’y a qu’un Brahman sans second. (Ekam advaitam Brahman), c’est ce qu’il doit réaliser. Ecrivez-lui en des mots simples que pour lui, il n’y a pas besoin d’intermédiaires.

 

…C’est l’attachement au monde qui a apporté une telle détresse chez ce malheureux.  Rien d’autre que l’ignorance est à la racine de tout cela. Il doit continuer à donner de ses nouvelles à ce corps de toutes les façons qu’il peut : il n’a personne à qui il puisse confier ses perturbations et chagrins qui – chacun en son genre – ne sont que les fruits de ses propres actions passées.

 

Quelque soit le travail que l’on fasse, on doit le faire bien. Si l’on cultive l’habitude de faire tout bien, il y a bon espoir qu’on fera de même sur le chemin spirituel également. L’action est Lui, le responsable de l’action est Lui et personne d’autre.  En toute circonstance, on doit s’efforcer de développer cette attitude d’esprit. La Vérité, CELA qui EST, doit être adoptée complètement.

 

(Paroles extraites d’Ananda Varta, octobre 2006)

 

 

Le jeu de la sâdhanâ de Mâ

 

Extraits de En compagnie de Mâ

de AK Datta Gupta.

 

 

   Il y avait avec nous une Gujarati, Mademoiselle Maniben. Elle demanda : « Mâ, vous venez de vous référer à vos visions du passé et du futur. Comment les avez-vous ? Les voyez-vous avec vos deux yeux physiques ou (en indiquant l’espace entre les deux yeux) avec le troisième œil qui est ici ?

Mataji : Comment est-ce que je les vois ? Pourquoi pas ? Les yeux sont sur tout le corps. Ne savez-vous pas que tout est dans tout ? Les mains, les pieds, les cheveux, en fait chaque partie du corps peut devenir un instrument de la vision.  Bien sûr, il est tout à fait possible de voir à travers les deux yeux que tout le monde possède ; et l’existence d’un troisième œil est également vraie. Cela peut vous sembler étrange, mais est cependant exact.

    Une fois, ce corps a vécu seulement de trois grains de riz quotidien pendant quatre ou cinq mois. Qui donc peut vivre si longtemps avec un régime si réduit ? Cela semble un miracle, mais il en a été ainsi avec ce corps. Il en a été ainsi, parce qu’il peut en être ainsi. La raison, c’est que ce que nous mangeons ne nous est pas du tout nécessaire.  Le corps prend simplement la quintessence de la nourriture, le reste est évacué. En conséquence de la sâdhanâ, le corps se met à être constitué de telle sorte que, bien qu’il ne prenne rien physiquement, il peut prendre de l’environnement ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance. On peut maintenir le corps de trois façons sans nourriture : nous venons d’expliquer la première, la seconde, c’est que nous pouvons vivre d’air seulement. Car je viens d’indiquer qu’il y a tout en tout ; ainsi les propriétés des autres choses sont dans l’air également. Par conséquent, en n’inspirant que de l’air, on absorbe aussi l’essence des autres choses. Troisièmement, il peut arriver que le corps ne prenne rien du tout, mais que pourtant il soit maintenu inchangé en état de samâdhi. Vous trouverez donc qu’en état de sâdhanâ, il est tout à fait possible de vivre sans ce que nous appelons nourriture. De la même façon, la sâdhanâ peut effectuer de telles transformations dans le corps qu’en vertu de celles-ci, chacune de ses parties peut assumer la fonction des yeux. »…

    Une dame fit remarquer : « Mâ, je vous ai entendue une fois chanter et pleurer »

Mataji : Il n’y a rien qui soit uniforme en ce corps. Svabhava,  sa propre nature, suit son cours naturel. Le chant et les pleurs que vous mentionnez sont possibles à un certain stade de la sâdhanâ. Supposez que je m’assoie pour chanter. A cette époque mon idée était que c’était par la Grâce de Dieu que je prononçais Son Nom. Comme je continuais à répéter Son Nom, une autre idée m’a saisie et je pensais : « Hélas ! Je prie avec tant de ferveur et depuis si longtemps, et pourtant Dieu ne s’est pas révélé à moi ! » Ce sens de frustration m’a créé une douleur dans le cœur, et tout d’un coup mon visage s’est mis à être baigné de larmes. Ce sont, bien sûr, des états d’ignorance, car avec l’aube de la Connaissance même les prières et la sâdhanâ cessent.

     Quand les différents stades de la sâdhanâ se sont manifestés à ce corps, quelle variété d’expériences je n’ai pas eues ! Parfois j’entendais distinctement : « Répète ce mantra » ! Quand je l’obtenais, un questionnement s’élevait en moi : »S’agit-il du mantra de Ganesh, ou de Vishnou ? » Ou quelque chose comme cela. De nouveau, une autre question se  manifestait : « A quoi ressemble-t-il ? » En un instant, une forme se révélait. Chaque question trouvait sa réponse immédiate et il y avait une résolution immédiate de tous les doutes et méfiances. »

      « Un jour j’ai reçu de façon claire le commandement : « Tu ne dois plus t’incliner devant qui que ce soit ». J’ai demandé à mon conseiller invisible : « Qui es-tu ? » La réplique est venue ainsi : « Ta shaktî (ton Pouvoir) ». Je pensais qu’il y avait une shaktî distincte en moi qui me guidait en émettant des ordres de temps à autre. Comme tout ceci est survenu au stade de la sâdhanâ, la connaissance, jñâna, s’est révélée morceau par morceau. La connaissance intégrale dont ce corps était doué dès la naissance était brisée, pour ainsi dire, en divers fragments et il y avait quelque chose comme une surimposition d’ignorance. A cette époque j’étais mauni, j’observais le silence. Cela était aussi dû à un commandement particulier. Le père de ce corps était venu me voir, et je ne pouvais présenter mes respects, même pas à lui. Ce n’était pas que je refusais de le faire intentionnellement, mais ce corps s’abstenait de faire quoi que ce soit qui se serait opposé aux commandements qu’il recevait de temps à autre. Quand il s’est aperçu que je n’accomplissais pas mon devoir envers lui, il fut vexé. Mais comme j’étais mauni à cette période, je ne pouvais lui expliquer la situation. Il s’est mis à me considérer avec suspicion. Il était d’avis que si mes divers états d’âme et expériences étaient d’origine spirituelle, il n’y avait pas de raison pour que je manque de respect à ceux auxquels respect était dû. Ceci l’a amené à consulter différentes personnes à propos de mon état.

    A cette époque, Shivaratri, (la nuit de Shiva en février) est arrivée. En cette occasion, l’habitude était avec le père de ce corps de rester assis ensemble et de rendre culte à  Shiva. Il effectuait les quatre poûjâs correspondant aux quatre veilles de la nuit. Cette fois-ci aussi il accomplissait les poûjâs comme d’habitude et je l’accompagnais pour faire les préparations. Au début de la quatrième poûjâ qu’il célébrait aux intentions de ce corps, quelque chose d’étrange s’est passé : il s’est aperçu que tandis qu’il progressait dans le rituel, ce corps prononçait toutes les prières et mantras nécessaires automatiquement. Cela lui causa une grande surprise. Bien que ne disant rien, il ne pouvait s’empêcher de me regarder de temps en temps.

     Quoi qu’il en soit, continuons à parler de ma sâdhanâ. Après quelque temps, j’ai de nouveau entendu une voix à l’intérieur de moi qui me disait : « A qui veux-tu présenter tes respects ? Tu es toute chose. » Instantanément je réalisais que l’Univers était entièrement ma manifestation. La connaissance partielle a alors laissé la place à l’intégrale, et je me suis trouvée face à face au Un qui se manifeste comme multiple. C’est alors que j’ai réalisé ce pourquoi on m’avait interdit depuis si longtemps de m’incliner devant qui que ce soit. »

Moi-même : Combien de temps s’est écoulé entre ces deux stades ?

Mâtajî : Très longtemps. Cependant, durant cette période, différents vibhutis, phénomènes extraordinaires, se sont manifestés à travers ce corps. Ils sont apparus de diverses façons : parfois presque dans un état d’ignorance, par exemple je m’apercevais que dès que je touchais un patient particulier, il guérissait sous peu, mais je ne savais pas d’avance qu’il guérirait de cette façon. Parfois la manifestation se déroulait avec une connaissance mêlée d’ignorance, par exemple en voyant le patient, je me mettais à raisonner ainsi : « Je sais de mon expérience passée que mon contact a un effet de guérison ; si je touche le patient il peut être soigné ». Pour vérifier ceci, je le touchais et je m’apercevais qu’il était immédiatement guéri. D’autres fois enfin, les vibhutis, les manifestations extraordinaires se sont déroulées en toute conscience et connaissance de ma part. Ainsi je savais pour sûr que je pouvais soigner une maladie par simple contact, et je l’effectuais en ayant toute confiance dans le succès. »

Jiten Babou : « De quelle façon vos vibhutis se sont-ils manifestés ? Et comment se manifestent-ils maintenant ?

Mâtaji : Les vibhutis sont devenus une partie presque intégrante de mon svabhava, de ma nature propre.

Jiten Babou : Je ne vous suis pas vraiment.

Mâtajî : ‘Les vibhutis devenant une partie du svabhava’ signifie que tout est régulé par le svabhava ou le Soi Suprême. Il en était ainsi avec ce corps depuis la petite enfance. De telles révélations de secrets ne sortent pas toujours en provenance de ce corps.  Puisqu’elles viennent spontanément maintenant, je les laisse s’exprimer. Laissez-moi vous dire que ce que je suis maintenant, je le suis depuis mon enfance. Cependant, il y avait comme une surimposition d’ajñâna, d’ignorance quand les différents stades de sâdhanâ se manifestaient à travers ce corps. Mais quelle sorte d’ajñâna était-ce ?  C’était en réalité jñâna prétendant être ajñâna

    A ce stade de la sâdhanâ, vibhuti se manifeste d’abord en tant que joie qui vient de la récitation du Nom de Dieu. Quand les personnes expérimentent ceci, elles pensent qu’elles ont obtenu tout ce que la sâdhanâ peut livrer, et elles sont ainsi stoppées dans leur ascension. Mais celui qui continue à avancer sans se laisser submerger par de telles manifestations se trouve muni de divers pouvoirs miraculeux. Cependant, ces pouvoirs ne sont pas faits pour être déployés. On doit les garder soigneusement sous contrôle. Seul  peut connaître le vrai Soi celui qui garde vivante une soif insatiable du Divin, en ne se contentant pas de la possession de pouvoirs surnaturels – des pouvoirs qui lui permettent de guérir une maladie par un simple contact de la main ou qui mènent à l’accomplissement instantané de tous ses désirs. »

 

 

Les messages de Shrî Mâ

 

Extraits de Ces jours anciens avec Mâ Anandamayî

par Bithika Mukerji

 

«  Seul parler de Dieu est valable.

Tout le reste n’est que vanité et souffrance ! »

 

      Mâ se plaisait à répéter, partout et encore, cet énoncé lapidaire.

      Un jour, un jeune homme moderne très audacieux osa dire carrément à Shrî Mâ que la félicité pourrait être aisément expérimentée en prenant des drogues appropriées, aussi pourquoi devrions-nous aller vers autant d’austérité (tapasya) ?

      Shrî Mâ répliqua : « Oui, mais ces expériences sont passagères et non parfaites. Elles ont des répercussions déplaisantes. La félicité, selon les Ecritures, ne peut pas être provoquée artificiellement parce qu’elle n’est pas liée au physique ou au mental, ni même au niveau intellectuel. En effet, on ne peut rien faire pour nous y amener. On peut seulement se préparer et attendre cet évènement comme une réalisation. Ce n’est pas un état d’âme, mais on devient la nature même de la félicité. » Shrî Mâ était connue en général pour éviter la terminologie moderne concernant les états élevés de conscience. Je l’entendis une fois dire avec emphase : « Parler de l’expansion de la conscience sans référence à la foi et à la dévotion est pure indulgence euphorique (vilasa). Si vous laissez Dieu en dehors de vos intérêts dans la vie, alors vous vous désengagez du chemin qui mène à la paix absolue. »

      Tout comme Shrî Mâ ne tolérait pas la banalisation dans la vie de dévotion, elle mettait entre parenthèses tout épanchement émotionnel et tout étalage ou manifestations physiques de sentiments religieux. Je l’ai entendue dire à quelqu’un qui était enclin à ce genre de démonstrations : « On doit toujours garder le contrôle sur sa propre conduite et ses propres émotions. Si vous vous perdez dans ces flots de sentiments vous n’en obtiendrez aucun résultat favorable. Pourquoi ? Parce que certains spectateurs pourraient faire des remarques désobligeantes dont vous n’avez que faire. D’autres pourraient être sincèrement impressionnés au point de commencer à vous admirer. Cela n’incite pas non plus à une vie de sâdhanâ. Chacun doit procéder selon son propre chemin, sans se laisser distraire par des considérations en dehors du sujet. »

      Shrî Mâ insistait toujours sur la nécessité de l’intimité et de la force intérieure. Une sâdhanâ se devait d’être pratiquée loin des regards indiscrets, disait-elle, et elle ne devait pas non plus causer d’inconvénients pour les autres. Une femme lui demanda : « Mâ, je n’ai même pas le temps de m’asseoir tranquillement, ne serait-ce que dix minutes. Il y a toujours quelque chose ou quelqu’un qui va me solliciter alors que je suis enfin sur le point de me retirer en moi-même. » Shrî Mâ sourit et dit : « C’est ce qui arrive dans un ménage, mais laissez les choses et la famille vous occuper pendant le jour, et gardez les nuits pour vous-même. »


      A une autre personne qui lui exposait un problème du même genre, elle répondit : « Est-ce qu’un homme peut se planter debout devant la mer en pensant qu’il ira se baigner quand les vagues auront diminué ? Il doit se jeter à l’eau en bravant les déferlantes. »

      Un autre point sur lequel Mâ insistait était la constance intransigeante. Elle disait : « Ne renoncez pas à l’effort. Si vous tombez de sommeil, faites un petit somme ; si vous mourez de soif, allez prendre un verre ; mais revenez encore et toujours à votre nâma japa. Dites-vous bien : je dois, je dois finir mon nâma japa, peu importe si je suis dérangée une ou plusieurs fois. » (p.228-229)

      Durant l’un des satsangs de Mâ très courus à Varanasi, une question fut posée concernant les réincarnations. Pandit Vaidyanath dit : « Mâ, nous croyons en la réincarnation selon les lois karmiques. »

      Shrî Mâ : « En effet, il en est ainsi. »

      Question : « Mais les chrétiens croient en une seule naissance. Après la mort, ils vont attendre le Jour du Jugement quand Dieu décidera de leur destinée. »

      Shrî Mâ : « Oui, c’est la vérité. »

      Chacun se mit à rire en entendant Mâ souscrire à deux points de vues apparemment aussi opposés. Mais Mâ ajouta : « Bholanâth avait l’habitude de m’appeler la reine de la Cour d’Appel (Appealeshwarî), parce que j’ai toujours l’air d’être d’accord avec tout le monde. Le fait est que je vois clairement un rapport entre ces affirmations qui, prises singulièrement, mènent à la totalité ou à l’infinité. Que faut-il là-dedans rejeter et que faut-il accepter ? Les croyances appartiennent au domaine de l’esprit. L’esprit est modelé et déterminé par préférences inconscientes (samskâras). La tendance naturelle à aller vers un tas de croyances vient de préférences engrammées qui nous sont parfois inconnues. Tout ce que je vois c’est que si quelqu’un exprime une croyance et qu’il est convaincu que ce en quoi il croit est vrai, eh bien si tel  est son point de vue, c’est vrai ! » (p.231)

 

Ganga…mère divine

 

      Quand je contemple l’irrésistible variété, la profondeur, l’intensité et le flot ininterrompu des paroles (vani) de Shrî Mâ, j’ai envie de les comparer à l’avènement du Gange sacré dans notre pays. Aucun mot ne pourrait vraiment mettre en valeur le mystère de ce fleuve grandiose qui s’impose à notre premier regard dans toute sa majestueuse apparence, dans la beauté de ses eaux bleues profondes tombant en cascades dans la résonance de ses gorges, dans la progression joyeuse et dansante de ses ravins et de ses plaines au pied des chaînes de l’Himalaya. Ici le fleuve change de rôle. Ses eaux brillantes et scintillantes deviennent calmes et sereines. Le Gange s’écoule, profond, large et gracieux, permettant à son peuple de tirer de lui autant d’avantages qu’il peut en provenir de son abondante présence. Il leur permet de profiter de sa générosité, et même de l’exploiter, d’en abuser. Et puis silencieusement il se retire jusque dans l’océan. Même dans l’acte de se retirer, il se partage en d’incommensurables parcours, pour le bienfait de ses enfants toujours insatiables. Il arrive majestueux et son élégance regorge de plénitude, kilomètre après kilomètre, jusqu’à ce qu’il rejoigne l’océan pour se mélanger dans l’anonymat de l’immensité. A travers toutes les variations de son trajet, il maintient sa pureté. De Gomukh à Gangâsagar ses eaux sont sacrées et confèrent la paix à tous ceux qui viennent à lui. Pour les hindous, le Gange est considéré


 comme la mère divine appelée Gangâ, qui ne se refuse à personne. Chacun, de façon égale, est le bienvenu sur ses rives pour y trouver la sainteté, la paix, et la tranquillité. (p.232)

 

Les paroles de Mâ

 

      Je me souviens d’une conversation sur le futur de l’Inde entre un sadhou de la Mission  Ramakrishna et Mâ. Le Swamijî essaya longtemps d’obtenir quelques déclarations concernant le futur, mais Shrî Mâ éluda ses requêtes. A sa question : « Parviendrons-nous jamais à rejoindre les gloires du passé et à nous élever vers de nouvelles splendeurs dans le futur ? » Shrî Mâ répondit : « Si vous êtes si nombreux à penser que tel devrait être le cas, alors peut-être qu’une telle atmosphère pourra prévaloir et que vos rêves deviendront réalité. » Le Swamijî resta pessimiste. Il ajouta : « Les gens ne s’en soucient guère. Ils sont occupés à copier l’Occident. Quant à eux, les occidentaux, ils commencent à apprendre, à suivre nos chemins et à emmener tout le meilleur de l’Orient avec eux. » Shrî Mâ répliqua : « Pourquoi dites-vous ‘eux’ ? Ils sont aussi ‘vous’, n’est-ce pas ? » Cette réponse fournit au Swamijî de quoi ruminer et nourrir ses pensées. (p.232-233)

 

      En écoutant ses conférences, ses discours et conversations courantes à longueur d’année, je réalisai que Mâ évoquait à notre intention l’ancienne pensée des Upanishads, pensée de discrimination entre ce qui est plaisant (preyas) et ce qui est bon-en-lui-même (shreyas). Tous buts dans la vie, toutes valeurs guidant la conduite pouvaient être englobés par elle en une seule rubrique à la recherche d’une ultime vérité. Le fait de donner 10 minutes chaque jour, ou un jour dans une semaine à un programme de samyam (modération, abstention) faisait partie du comportement général d’une vie consacrée au souvenir de Dieu.

      Mâ semblait jauger avec subtilité et précision l’aura de tous ceux qui l’approchaient pour être sous sa conduite ; elle leur donnait le point de départ, peu importe le niveau où ils se trouvaient ; elle redonnait de l’espoir aux plus pessimistes des interlocuteurs. Parfois, elle les rencontrait avec indifférence, et c’était également admissible de sa part. Un jour elle affirma : « Si vous n’avez aucun intérêt et n’avez rien à demander, alors je n’ai rien à vous dire, mais si vous demandez et si je sens mon kheyâla, alors je vous dirai certainement les shreyas, les ultimes buts de la vie qui valent vraiment la peine pour tout être humain. » (p.233)

 

     

      Un idéal de renonciation imprégnait ses discours tel un fil entourant un bouquet de fleurs. Non pas qu’elle eut demandé à quiconque de renoncer à tout, au monde, à la société, à la carrière, à la famille, à la maison ou aux amis. Elle disait plutôt que si on pouvait arriver à abandonner le mental aux pieds du Seigneur, on n’aurait plus besoin de rien d’autre. Tout adviendrait au moment voulu. Cependant, elle accorda le plus grand respect à tous ceux qui avaient choisi d’être des renonçants, des hommes en robe orange. Graduellement, des gens de notre génération s’approchèrent de ce nouveau chemin ; en considérant notre sadhou-samaj, notre « société de sadhous », on doit reconnaître que précédemment, les gens en robe ocre-orange avaient plutôt été regardés avec méfiance. Il faut aussi rappeler que Shrî Mâ elle-même fut déçue par ces personnes un nombre incalculable de fois au cours des années, mais elle ne se départit jamais, même pas d’un iota, de son attitude respectueuse en la présence d’un sannyâsi (renonçant). Ces hommes et femmes étaient voués à être appelés très haut, et par conséquent ils méritaient le respect.


      Une question revenait sans cesse dans le voisinage de Mâ : « Est-ce qu’un homme peut voir Dieu ? »

      Shrî Mâ : « Bien sûr qu’il peut. Il apparaît devant les yeux des humains, exactement comme vous me voyez devant vous en train de vous parler, ainsi on peut voir Dieu et tenir une conversation avec Lui. »

 

 

      Shrî Mâ dit maintes fois qu’elle n’était qu’une spectatrice, qu’elle n’était pas ici pour faire quoi que ce soit ou enseigner à qui que ce soit. En fait, où était « l’autre » ? Elle était elle-même tout ce qui Est, même pour elle il n’y avait pas d’espace pour reculer, aussi qu’y avait-il pour elle à faire ou à dire ? En définitive, si on lui demandait de donner son avis, elle répétait ses mots habituels (vani) :

« Seul parler de Dieu est valable.

Tout le reste n’est que vanité et souffrance ! » (p.234)

 

 

Bindou et moi en quête de travail

 

      Didi avait été malade. Des douleurs de dos l’avaient clouée au lit. Plusieurs chirurgiens de bonne réputation vinrent la visiter. Leur diagnostic fut implacable : tuberculose des os. Afin d’immobiliser entièrement sa colonne vertébrale, ils préconisèrent d’utiliser un plâtre et voulurent que Didi se rende à Bombay pour la durée du traitement. Bhaiya libéra son appartement pour Didi et sa suite. Rénou se souvint qu’il y avait des groupes de femmes auprès de Shrî Mâ, toutes ferventes adeptes prêtes à s’acquitter de son kheyâla. Bien que Rénou et Gini aient admiré la riche installation de cet appartement avec sa vue magnifique donnant sur l’océan, pendant bien des jours elles ne surent pas qui était le propriétaire des lieux. C’était un exemple extraordinaire d’auto-effacement. La femme de Bhaiya, Lîlâben, s’était entièrement identifiée à l’attitude de Bhaiya envers les fidèles de Shrî Mâ. On put admirer son savoir-faire en matière de maîtresse de maison, de même que sa générosité et son dévouement pour Mâ. Leur maison à Villeparle devînt une annexe de l’ashram tel qu’il était alors. Les fidèles de Shrî Mâ se relayaient afin de venir à Sunayana House pour différentes raisons. Quiconque en mal de traitement médical était envoyé à Bombay aux bons soins du Dr. Surabhai Seth qui était le responsable médical du Nanawati Hospital de Villeparle. Pendant plus de quarante ans ces ferventes fidèles continuèrent à rendre à Shrî Mâ ce genre de services que le commun des mortels pourrait à peine imaginer. Shrî Mâ en arriva à compter sur Bhaiya comme sur un infaillible support de son kheyâla aux multiples facettes. Il pouvait tranquillement assumer et prendre en charge ses nombreux engagements concernant le personnel, les projets ou les voyages, choses que d’autres auraient considéré comme de lourds fardeaux. Non pas qu’il se fut agi en quoi que ce soit d’une corvée pour Shrî Mâ, mais Bhaiya avait l’art de rendre fluide n’importe quelle situation avant qu’elle ne se transforme en problème. Il était célèbre pour cela dans son propre travail. A ce moment là, il était le président-directeur général de la compagnie d’assurances New India Insurance Company. Une très grosse entreprise aux dires de ceux qui s’y connaissaient en la matière. (p.236-237)

      Bindou avait fait sa route de son côté et avait demandé à Mâ de consulter son kheyâla concernant son nouveau job dans le milieu de la finance.

      J’eus moi-même des expériences intéressantes à l’Université d’Allahabad, que je dus quitter à regret.


      Shrî Mâ vint à Varanasi peu après que je fus admise à la Banaras Hindu University. Elle sembla heureuse de me voir. Tout en me donnant une guirlande de petites fleurs blanches et odorantes, elle me parla de façon étrange : « Continue tes visites comme d’habitude, le sens du devoir vient au premier plan (quand on est dans une vie de service). » Ces quelques mots me firent réfléchir pendant très longtemps. Maintenant, je réalise qu’elle avait parfaitement raison. Il y avait deux sortes de personnes en service auprès d’elle. Celles du premier groupe étaient partout et si souvent avec Mâ que nous nous demandions comment elles pouvaient faire pour être en service également. Un personnage important parmi ces gens était le cher Patun (S.K.Datta) qui, non seulement continuait son emploi de haut-fonctionnaire du gouvernement, mais montait assidûment d’échelon en échelon dans sa position. Néanmoins, il fut l’un des plus proches compagnons de Shrî Mâ, toujours à ses côtés pour accomplir son kheyâla et pour assumer bien des responsabilités. J’appartenais pour ma part et manifestement au second groupe. Je m’investissais de plus en plus dans une carrière professionnelle. J’adorais enseigner et je pris la chose très au sérieux. Je m’intéressais beaucoup aux étudiants qui étaient à ma charge et je me dévouais à leur cause en m’investissant dans des extra-activités avec quelque succès. Pendant les courtes périodes de vacances, je retournais chez moi à Allahabad. Mes visites à Shrî Mâ devinrent moins fréquentes. Heureusement qu’elle venait souvent à Varanasi ce qui me permit de rester proche d’elle, mais je trouvais un sens de plus en plus significatif aux paroles qu’elle m’avait dites au tout début de ma carrière.

      Alors que Shrî Mâ était à Varanasi, une convocation arriva de l’Université d’Allahabad me demandant de me présenter une fois de plus devant un nouveau Comité de Sélection. Je me rendis à l’ashram après le collège et informai Shrî Mâ de cette nouvelle et du fait que j’aurai à me rendre à Allahabad pour cette entrevue. Shrî Mâ me dit : « A maintes reprises ils n’ont pas pris ta requête en considération, si tu acceptais cette convocation, ce serait comme si tu t’exposais à recevoir un nouvel affront, tu ne crois pas ? » Je répliquai : « Mâ, les temps ont changé quelque peu. J’ai acquis une certaine notoriété et il est évident que cette fois ils ont l’intention de remédier à cela. Mon père est enthousiaste à l’idée que je retourne à Allahabad. Je ne peux tout de même pas lui dire que je ne vais pas aller à cette convocation ! » C’est alors que Shrî Mâ eut ces mots décisifs à l’intention de mon père : « Dis à Baba que j’ai dit cela. »

      Durant tout le temps passé avec Shrî Mâ, je l’ai rarement entendue émettre une sentence aussi manifeste et sans aucune réserve. Elle se basait toujours sur son kheyâla et ne sortait en général que des phrases comme : « Ne serait-il pas mieux ? Ne pensez-vous pas ? Si vous considérez que c’est juste » etc…etc… Mais cette fois elle parla comme si elle s’adressait à lui directement, et en des termes sans équivoque.

      J’écrivis de nouveau à la maison pour avertir que je ne me rendrai pas à l’entrevue. En mon absence, ma collègue et amie fut confirmée dans le poste qu’elle avait obtenu finalement, ce qui fut bien aussi. Shrî Mâ m’avait demandé un jour s’il y avait une différence entre ces deux postes à l’Université. J’avais répondu que le salaire à la B.H.U. était moins élevé que celui d’Allahabad, mais qu’autrement c’était pareil. Etrangement, après trois mois environ, mon salaire de base fut augmenté de 50 roupies, en tant que reconnaissance particulière de mon diplôme de recherches. Désormais, c’était exactement identique au salaire de base de l’Université d’Allahabad lequel, à ce moment là, était de 300 roupies. Quoi qu’il en soit, la B.H.U. offrait des logements spacieux entourés d’un jardin sur le campus avec tous les services et leurs aménagements, ce qui rendait ce poste l’un des plus convoités du moment. (p.244)


 

 

 

15 minutes pour Mâ

 

      L’année 1957 vit le début du soulèvement des étudiants à la Banaras Hindu University. J’y fus impliquée dès le premier jour, mais ceci est une autre histoire. Plusieurs de mes collègues vinrent parfois avec moi à l’ashram. Aussi étrange que cela puisse paraître, peu d’entre elles participèrent à fond, ou tout au moins, ne s’impliquèrent pas autant que Padmâji et moi. Je fus toujours stupéfaite de voir l’indifférence démontrée par la plupart des gens qui gravitaient autour de Shrî Mâ. Ils la traitaient comme l’Image Mobile (chalanta vigraha) d’un temple. Ils lui obéissaient, recevaient une guirlande de fleurs, ou des sucreries, et s’en retournaient chez eux pour continuer comme avant. Elle était reconnue comme une Présence Divine, et par conséquent comme une source de bénédiction (kripâ). Une visite quotidienne pour faire le pranâm, comme on fait une visite quotidienne à un temple, suffisait à beaucoup de ceux qui se pressaient autour de Mâ. Elle était belle, affable, parlait de façon délicieuse, elle distribuait des fleurs, des fruits ou des douceurs, et ne posait aucune question. Parfois, si on lui demandait son avis, elle disait : « Donnez-moi 15 minutes de votre temps, chaque jour, à une heure de votre choix. Essayez de ne penser qu’à Dieu. Vous pouvez faire un japa, ou méditer, ou seulement rester silencieux. Ce créneau horaire de 15 minutes est comme une mince cale à insérer dans le perpétuel mouvement tournant du cycle de préoccupations qui fait le monde. Il serait bon que ce court instant de pause puisse se développer et se répandre, car par la grâce de Dieu il influencerait le rythme de votre vie entière ! »

      Les paroles (vani) de Shrî Mâ affirmant qu’elle n’était qu’une spectatrice étaient certainement vraies. Elle avait souvent répété qu’elle n’était pas venue pour faire quoi que ce soit, mais plutôt juste pour voir comment allaient les choses, tout comme un jardinier se promène dans les allées de son jardin en observant les différentes plantes fleuries et rampantes qui en rehaussent la beauté. (p.244-245)

 

 

Les dernières années de la vie de mon père

 

      Bien des années passèrent. Bindou maintenant avait un emploi. Quand Shrî Mâ vint à Allahabad, il n’en est pas moins vrai qu’elle opta pour la meilleure et la plus impromptue des organisations, en rappelant à Bindou qu’il lui avait promis de lui construire un petit cottage au 31 George Town, là où nous habitions. D’après le kheyâla de Mâ, Bindou était capable de lui construire ce cottage. Ce qu’il fit d’ailleurs en le situant sous un arbre immense non loin de la maison principale. Nous fîmes en sorte de le meubler et de le décorer en anticipant ainsi la venue de Mâ à Allahabad. Rénou avait demandé aux jardiniers de construire un ensemble de pièces de style villageois aux murs revêtus de terre à côté du cottage, où la nourriture sacrée (bogha) pourrait être cuisinée. Par la suite, Shrî Mâ avait pris l’habitude de passer ses après-midi dans l’une de ces pièces qui était fraîche et tranquille. Dans les années qui suivirent, bien des célébrations furent organisées dans notre maison, cependant, il me sembla que Mâ y venait de moins en moins depuis que son cottage avait été construit. Mais à bien y réfléchir, je réalisai que Shrî Mâ avait voulu ce cottage afin qu’il puisse devenir pour nous et notre famille plus tard, une fois privés de sa présence et de son darshan, un temple dans lequel elle avait résidé. Le culte divin de son Image, installé dans ce petit édifice, est depuis lors devenu une partie importante de notre vie de tous les jours. (p.247-248)


 

      Mon père avait dit qu’il nous accompagnerait à la gare pour me saluer en partant. Ce n’était pas son habitude, car il n’aimait pas cela. J’en fus quelque peu interloquée. Ma mère et des amis avaient emboîté le pas. Une fois dans le train, en me penchant par la portière et en voyant mon père droit dans ses bottes, sa canne à la main, je ne savais pas que je le voyais pour la dernière fois… Prémonition ou pas, je ne l’avais pas quitté des yeux cependant… Peu de temps après, je reçus un message de ma mère me demandant de me rendre à Allahabad immédiatement. En arrivant, je réalisai soudain que mon père n’était plus. Ma mère, comme beaucoup d’autres, avait suivi un régime durant la semaine. Mon père et elle avaient mangé un repas léger. Mon père s’était alors allongé pour faire sa petite sieste habituelle, tandis que ma mère s’était assise en méditation de 15 heures à 16 heures dans la pièce à côté. A 16 heures, elle fit un thé qu’elle alla lui porter. Elle fut surprise de le trouver immobile dans son lit et lui toucha l’épaule pour le réveiller. Bien qu’il ait eu l’air de dormir, elle comprit aussitôt qu’il n’était plus de ce monde. Par la suite, tout ce que fit ma mère nous sembla incroyable. Mais un jour, elle nous raconta en privé, qu’au moment où elle toucha mon père, elle sentit comme si Shrî Mâ lui attrapait le poignet avec force pour la guider ensuite dans tous ses mouvements. Il semblerait donc que ma mère fut sortie pour demander au jardinier Jagdeo d’aller chercher Madan, un ami de Bindou qui habitait au bout de la rue. Puis, elle téléphona à la famille du docteur et ami, Dr. Chatterjee, qui était absent. Elle demanda à sa femme de le faire venir dès que possible. Avant ce jour, ma mère n’eut jamais une occasion d’utiliser le téléphone pour appeler qui que ce soit, s’étant bornée à recevoir un ou deux coups de fil. Là, non seulement elle se chargea de téléphoner, mais elle obtint la ligne jusqu’à Varanasi en passant par l’interurbain. Elle était seule à la maison. Comment avait-elle fait pour localiser les numéros appropriés, pour appeler les standardistes, cela restait une énigme. Madan dit plus tard que lorsqu’il arriva, il la vit avec le combiné en main en train de parler avec Gyanvatijî. Finalement ma mère confia le récepteur à Madan et s’en alla jusqu’à la chambre de mon père où elle s’assit au pied du lit pour une grande partie des 24 heures suivantes. Nos amis et parents nous dirent plus tard qu’ils étaient restés émerveillés devant son expression sereine, et qu’ils comprenaient ce que c’était que d’être en présence de la grâce (kripâ). (p.250-251)

      Famille, amis, voisins, tout le monde arriva à Allahabad pour saluer une dernière fois mon père, voir son visage détendu encore en parfait état, et exprimer leurs condoléances. Quelqu’un fit remarquer qu’une telle mort n’était possible que pour un yogi d’une considérable élévation spirituelle, car ni son visage ni son corps ne montraient de traces de détérioration même après 24 heures. Ce fut ma première rencontre avec la mort. Jusqu’alors j’avais vu quelques corps de personnes aimées d’où la vie avait disparu, et j’en avais gardé le souvenir que leur visage était troublé. Aussi, après coup, je fus émerveillée de constater ce phénomène. Mon père n’avait pas dû se débattre pour lutter contre une crise cardiaque, car sinon ma mère l’aurait entendu ou ses draps auraient été en désordre. Apparemment il s’était éteint dans son sommeil. Shrî Mâ l’avait emmené aussi facilement que l’on cueille une fleur dans un jardin. (p.253)

      Quand l’Université ferma ses portes pour les vacances d’hiver, j’eus une étrange réticence à retourner au 31 George Town. Le vide laissé par la mort de mon père m’effrayait, mais Shrî Mâ vint nous trouver et il était impossible d’être triste en sa radieuse présence.

     


      Un jour, une jeune européenne vint lui rendre visite. Cette jeune fille apprenait le yoga en Inde. Mâ lui demanda de lui montrer quelques postures. Elle fit certaines démonstrations et ensuite s’étendit en shavâsana, la dernière posture de relaxation. Elle affirma qu’il était difficile de tenir cette posture correctement, car en dépit de tout, les muscles restaient tendus. Elle en fit la démonstration avec les jeunes filles qui étaient dans la pièce. Levant une main, ou un pied, ou même un doigt, elle dit : « Vous voyez, il y a très peu de résistance. Le corps devrait devenir comme s’il était sans vie au cours de cet exercice. » Shrî Mâ intervint : « D’accord, essayez avec moi. » Elle s’étendit sur son chowki. Son corps devint soudain aussi flasque que celui d’une poupée de chiffon. La jeune yogi la testa en lui soulevant la tête, puis un ou deux membres. Elle resta stupéfaite. Elle n’avait jamais vu une telle perfection, même pas chez son propre gourou. Shrî Mâ se mit à rire en se rasseyant. Elle dit : « Ces  postures servent souvent d’exercices aux gens qui ne les réussissent que jusqu’à un certain point. Dans la sâdhanâ visant à l’émancipation spirituelle, les postures se prennent tellement naturellement qu’elles sont exécutées comme elles doivent l’être. »

      Je me souviens d’une autre occasion. Nous étions tous assis dans la chambre de Mâ, quand soudain elle se leva de son chowki et joignit les mains en un namaskara pour saluer quelqu’un debout devant la porte. On le fit entrer. Ma mère reconnut en lui le frère aîné de notre prêtre de famille. On lui amena un petit tapis carré. Lorsqu’il fut assis, Shrî Mâ s’installa par terre dans une attitude de déférence envers une importante personnalité. Au cours de la conversation qui suivit, nous apprîmes que cette famille de prêtres était apparentée au prêtre de famille de Bholanathji. Shrî Mâ et Bholanathji avaient visité Allahabad une fois dans les années vingt. Ils s’étaient arrêtés, le temps d’une journée, dans le temple de Kâlî à Muthyganj. Bholanath et Mâ avaient rendu une petite visite de courtoisie à cette famille de prêtres. C’était stupéfiant de voir que Shrî Mâ avait reconnu cet homme dès le premier coup d’œil après au moins 30 ans. Shrî Târâcharan Bhattâcharya quant à lui, se souvint avec émerveillement de sa première impression à propos de Shrî Mâ.

      Quand Mâ quitta notre maison, nous avions beaucoup de choses à nous dire. Il était évident qu’elle était restée avec nous afin de nous aider à sortir de notre dépression, qu’elle nous avait soutenus avec bonté dans notre détresse d’avoir été soudainement plongés dans un chagrin profond. Rétrospectivement, on en vint à penser que Bindou avait souffert de sa première crise cardiaque à ce moment là. Il raconta calmement : « C’est comme si elle m’avait enlevé le poids que j’avais senti peser dans ma poitrine. » Ma mère n’était pas démonstrative, aussi continua-t-elle à rester calme et digne. Une fois, je l’entendis faire une remarque à une amie de son âge qui était venue en visite de condoléances : « Comment se comporter après la perte brutale de celui qui fut votre proche compagnon pendant près de 40 ans ? » Mais Shrî Mâ l’avait aidée depuis le premier jour. Quant à nous, au fur et à mesure que les années passaient, nous avions senti que le kheyâla de Mâ était resté constamment auprès d’elle, et auprès de chacun de nous. Nous sommes devenus très occupés par nos affaires et l’avons oubliée parfois, ce qu’elle ne fit jamais. A peine quelqu’un tendait la main qu’elle était aussitôt serrée dans une étreinte de soutien. Je dirais même que de temps en temps, au cours de nos pérégrinations, alors que nous aurions pu rester empêtrés dans l’engrenage du monde, nous en étions détournés par un kheyâla toujours vigilant. (p.254-255)


 

 

 

 

La Présence de l’Absence

(Conte vécu…en Mâ !)

par Mahâjyoti

 

            Aujourd’hui c’est le jour de mon Anniversaire…je suis seule, mais ‘ILS’ sont tous là !

            L’éloignement ne compte pas, l’effluve de leurs présences ne nous quitte jamais, celle des êtres aimés, des parents, de nos guides …et cette lumière de Mâ Anandamayî qui en TOUT nous soutient.

            Cette ‘présence de l’absence’, si proche du détachement et si fidèle en tout à l’enseignement des sages, cette ‘non-absence’, si proche du cœur qui s’est donné pour le bienfait de l’autre…m’effleure en cette belle journée solitaire.

            Cette pensée m’évoque une courte histoire d’un ami italien (Roberto Leoni, cinéaste et auteur) qui aimait à rêver avec les yeux ouverts…et que le Japon avait fasciné. Sa stupeur d’occidental qui avait cru tout voir, avait été marquée par cette nation, par ses textes philosophiques, sa poésie dénudée et par ses coutumes, par ses trains monorails qui arrivaient à l’heure, par l’art de composer les fleurs, par la cérémonie du thé, aussi longue et complexe qu’une messe chantée ! Véritable liturgie dans l’Art !

            Il avait découvert qu’à Tokyo (à l’époque) il n’y avait pas de numéro sur les portes des immeubles, et que pour qu’une lettre puisse être délivrée, l’adresse devait relever du parcours du combattant : Monsieur Untel, 3ème maison à gauche à partir du second croisement à droite, depuis la place où était le fleuriste, au 5ème arrêt du métro N°7…véritable chasse au trésor pour les facteurs qui n’étaient autres que des encyclopédies vivantes des quartiers en question.

            Mais par-dessus tout, la culture japonaise lui était apparue comme la définition même du triomphe de l’absence, avec ce ‘je ne sais quoi’ d’art et de poésie qu’on ne voit pas avec les yeux, mais qu’on perçoit avec l’âme !

            Quand on fait un cadeau au Japon, la confection est presque plus importante que le cadeau lui-même. Le cadeau est souvent banal, mais son emballage reflète une spécificité personnelle.

            Les poésies peuvent aussi être creuses, mais non pas la ‘griffe’ pour les écrire.

            L’obsession de l’unicité dans la présentation devient primordiale, le sujet certes est important, mais plus fondamentale encore en est l’exécution.

            Après avoir visité les musées, les usines, les studios de cinéma, les palais, mon ami voulut voir un temple des plus anciens. Le guide japonais l’emmena alors sur les rives d’un lac où trônait simplement un portique de bois rouge en forme d’arc de cercle.

            Lorsqu’il demanda où était le temple, le guide lui répondit : « Au-delà de cet arc… »

            Seuls le lac et le panorama s’étendaient à perte de vue, aussi le guide ajouta : « Nous avons construit l’entrée, tout le reste est le temple. Connaissez-vous quelqu’un capable de réaliser une œuvre aussi belle ? »

            Non certes ! Dans son rationalisme mon ami se sentit un peu frustré et inculte.

            Pour le réconforter, le guide lui parla des jardins célèbres d’un temple Zen de Kyoto où l’on ‘pouvait voir Dieu’, ou tout au moins entrer en contact avec lui, toujours selon cette étrange mais fascinante philosophie religieuse, ou  religion philosophique, qu’est le Zen, qui ne peut s’expliquer. Et mon ami de citer un célèbre aphorisme : si deux sages dorment appuyés contre un arbre et rêvent d’un papillon, est-ce que ce sont eux qui rêvent de l’insecte, ou bien est-ce le papillon qui rêve des deux sages ?

            Le lendemain, il alla voir ce temple et se retrouva dans un petit jardin de sable ondulé avec quelques pierres recouvertes de mousse. C’était là le ‘Jardin Extraordinaire’, l’image même de Dieu ! Aucune magnificence, aucun lustre clinquant…mais un ordre géométrique, poétique, visant à l’essentiel dans ce petit rectangle de sable immobile comme le temps, mystérieux dans son ‘manque’, dans son absence de tout, comme l’éternité.

           

            Mon ami demanda : « Mais, selon vous, c’est ça Dieu ? »

            Et le guide répondit seulement : « Pourquoi pas ? »

            Ce récit en mémoire me fait comprendre que la vraie spiritualité peut exister aussi bien dans la présence que dans l’absence, parce que si Dieu est en toutes choses, il devait être dans ces pierres, dans cette mousse et dans ce sable ! Moins on s’efforce de le représenter, plus il existe et peut nous apparaître.

            Un jour, dans un catalogue de ventes par correspondance, au milieu d’objets hétéroclites, mon ami eut son attention attirée par une offre singulière : une reproduction en miniature du fameux jardin de Kyoto, format 30x12 centimètres, dans un récipient de bois noir, muni de son petit râteau minuscule et de sa notice, pour le prix de 29 Dollars. Très recommandé aux hommes d’affaires stressés qui pourront se détendre les nerfs en dessinant à coups de râteau sur le sable, entre des petits cailloux, ces vaguelettes immobiles qui symbolisent la présence de l’absence, avant-dernier pas vers la pureté et la simplicité de cœur, en deux mots : l’unique façon de voir Dieu sur la terre !

            Nous n’en sommes pas encore arrivés à vendre notre âme par correspondance, noyée au milieu du sable dans un cadre de bois de quelques centimètres…mais l’enseignement de Mâ Anandamayî dans son dépouillement m’a replongée dans cette histoire vécue. Il n’est point d’illusion sans amour partagé, mais point d’absence si on a Sa présence intérieure permanente qui nous sert de guide, qui nous ouvre les yeux.

            Récemment, j’ai demandé à mon guide intérieur : « Etre un bon disciple par rapport à un maître, n’est-ce pas tout simplement être un cœur qui tourne autour d’une lumière ? »

            Il n’a pas répondu parce qu’il savait que son absence deviendrait sa présence si je savais comprendre l’enseignement reçu.

            En cette journée d’Anniversaire j’ai compris que le plus beau cadeau était de les avoir rencontrés, ceux dont l’Absence m’entoure de leur Présence.

            Et j’ai senti que le portrait de Mâ me souriait…

                                                                                                Mahâjyoti

                                                                             (Geneviève Koevoets – Un 4 Juin)

 

 

Le Soi du SILENCE

(Notre Ego, l’aimons-nous vraiment ?...)

 

C’est l’Ego de la joie quand il fourvoie nos cœurs

C’est l’Ego de la peine quand il se joue des pleurs

 

C’est l’Ego de la peur quand il trahit l’ami

C’est l’Ego de la haine quand il crée l’infamie

 

C’est l’Ego de l’amour quand il nous rend hideux !

C’est l’Ego du pardon quand il fait semblant de…

 

C’est l’Ego du pouvoir quand il sème la mort

C’est l’Ego du savoir quand il ruine l’effort

 

C’est l’Ego de nos doutes quand il joue les affreux

C’est l’Ego de l’ivresse quand nous parjurons Dieu !

 

C’est l’Ego du travail qui nous rend tous odieux

C’est l’Ego en famille qui nous rend malheureux

 

L’Ego du sacrifice où l’on se croit sincère

L’Ego de l’artifice où le faux se libère

 

Mâ nous dit que l’Ego, à travers son rejet,

Dépassant le mental, nous conduit au progrès

 

Dépourvus du désir d’auto-satisfaction

Il nous rendra ‘égaux’, sans ses limitations

 

Mâ dit que sans l’Ego, si on le veut vraiment

C’est l’aboutissement au non-attachement

 

Mâ dit que notre Ego est en définitive

La cause des naissances et des morts successives

 

Qu’il peut être, selon la loi universelle,

Force de volonté ou effort personnel

 

Pouvant ainsi créer notre propre salut

Comblant divinement notre soif d’absolu !

 

Notre Ego est-il donc source de tout le mal ?

Ce n’est pas toujours vrai, tout dépend du mental

 

Certains même prétendent que dans le samâdhi

Le mental de l’Ego s’en va, se purifie

 

Existe-t-il vraiment ? N’est-ce qu’une illusion ?

L’étouffer carrément, est-ce la solution ?

 

Dans le ‘tien’ et le ‘mien’ tout en co-existence

Est le renoncement, mais aussi l’attirance

 

L’Ego est à la fois changeant et immobile

Quand les nœuds sont mêlés, tout est plus difficile

 

Dans notre société, hagarde et sans scrupules

Sans lui ne semblons-nous pas un peu ridicules ?

 

Orgueil ou décadence ? Fini les apparences

Amour ou abstinence, lâcher-prise ou puissance ?

 

L’Ego ? Pauvres de nous…il ne reste, à mon sens,

Si on y tient vraiment, que le SOI du SILENCE !

 

                  Mahâjyoti (Geneviève Koevoets)

(Inspiré par le livre « L’Enseignement de Mâ Ananda Moyî »)

 

 

 

 

Nouvelles

 

- Un concert pour les œuvres de Mâ s’est déroulé fin septembre à Londres, en présence de certains swamis de l’ashram dont Bhaskarananda et Jyotirmayananda. Il a réuni 800 personnes. Félicitation aux organisateurs, dont Madhavi de Bombay qui a pris l’initiative et Christopher Pegler de Londres qui s’est occupé de ce projet en plus de son travail pour le site de Mâ.

- Une retraite avec 22 Français a eu lieu à Dhaulchina pour cinq jours pleins en octobre. Il s’agissait d’un groupe de Yoga de la Drôme  venu avec leur professeur J. Margier, ce dernier étant déjà passé à Dhaulchina auparavant. Un campement avait été organisé pour doubler la capacité des chambres, avec une tente pour la salle à manger aussi, moyennant quoi tous les participants ont pu être logés sur place, pour la première fois autant de monde pendant cinq jours dans l’histoire de cet ashram. Ils ont profité d’une vie dans la nature, des satsangs avec Nirgunananda et d’une pratique régulière. Le groupe avait visité Kankhal et Kédarnath auparavant.

- Un autre groupe français avait fait en août une retraite d’une semaine avec programme régulier durant la journée et satsang avec Vijayânanda le soir. C’était la première fois qu’une telle retraite de groupe était organisée à Kankhal pour des Occidentaux en dehors de la Samyam Saptah. Mathieu, sa femme et la revue Infos-Yoga étaient les organisateurs à partir de France. Mathieu avait participé déjà à Kankhal à une Samyam Saptah en présence de Mâ en 1980, et était revenu plusieurs fois depuis.

- Les 92 ans de Swami Vijayânanda vont être fêtés dans quelques jours. L’arthrite aux genoux et au dos le gêne pour marcher, mais il continue à rencontrer les visiteurs au satsang du soir, qu’il n’y en ait qu’un ou deux ou un groupe d’une trentaine de personnes. Il participe aussi aux réunions de la Sangah, il voudrait bien ‘prendre sa retraite’ de ces délibérations administratives, mais les fidèles de Mâ ne sont pas de son avis, il continue donc à les assumer de son mieux…

- Vigyānānand (Jacques Vigne) reviendra en France après 6 ans en mars 2007 pour neuf mois de tournée. Son livre Inde intérieure doit en principe sortir pour le Salon annuel du Livre à cette époque, dont le thème sera précisément l’Inde. On trouvera son programme sur www.jacquesvigne.fr.st 

- Un lexique sanskrit de termes spirituels et religieux a été préparé par Sylvain du Québec et mis sur le site de Mâ www.anandamayi.org  Le vocabulaire pouvant être au début une difficulté, ce travail sera le bienvenu.

 

 

Nouveaux abonnements

 

Le renouvellement général des abonnements aura lieu lors du numéro de mars 2007. Pour ceux qui ne reçoivent pas le Jay Mâ et voudraient s'abonner maintenant,  ils peuvent le faire pour neuf numéros jusqu'en mars 2009, en faisant un chèque de 18 € à l'ordre de Jacques Vigne et en l’envoyant à :

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Table des matières

 

Paroles de Mâ

Le jeu de la sâdhanâ de Mâ  AK Datta Gupta

Les messages de Shrî Mâ Bithka Mukerji

La Présence de l’Absence Mahâjyoti

Le Soi du Silence Mahâjyoti

Nouvelles

Nouveaux abonnements

Table