Jay Mâ n° 69                    été 2003

 

 

 

 

 

 

 

Paroles de Mâ



Ces paroles de Mâ ont été traduites  par Jean-Claude Marol dans son livre La saturée de joie (Dervy , 2001). Nous en citons ici  certaines, rendues avec le style de traduction de Marol qui ne manque pas de sel.

Les approches par lesquelles les humains ont réalisé le Soi sont d'une infinité variété ; et chaque variété comporte d'innombrables aspects. Tous ces modes de recherches m'apparurent comme des parties de moi-même. (p.37)

- Vos réponses sont tellement en accord avec nos Ecritures que vous n'avez pas étudiées... Comment est-ce possible ?
Mâ a répondu :
- Il y a le grand livre de la vie. Si on s'y plonge profondément, toutes les vérités expliquées par les Ecritures sont là, prêtes à se révéler ! (p.38)

Une direction donnée permet atteindre un but donné ; tout le reste, par ailleurs, demeure hors d'atteinte. Mais quand la différence s'évanouit entre ce qui s'atteint et ce qu'il y a  hors d'atteinte, alors Cela se révèle!... Le mystère de l'univers se révèle à qui sait savourer le non-quoi-que-ce-soit. (p.57)

 

 

A la question de. "Quel est le vrai darshan ?" Mâ a répondu une fois : "voir ce qui une fois vu enlève tout désir d'en voir plus haut, entendre ce qui une fois entendu enlève tout désir d'en entendre plus !" (p. 65)

Vous vous émerveillez vis-à-vis de celles et ceux qui renoncent au monde... En réalité, c'est vous qui renoncez à tout ! Quel est ce tout ? Dieu , ni plus ni moins ! le laisser de côté est la renonciation suprême! (Et le retranscripteur note : à ce moment-là la, elle éclate de rire !) (p. 77)

Dans le domaine spirituel, vous savez vous sentir libre de toute obligation ! Vous réservez  aux autres domaines de votre vie votre grande capacité à être dépendant... (autres rires !)  (p. 78)

 

Une histoire de Mâ :

Les ânes d'un pauvre blanchisseur étaient laissés libres la nuit. L'homme n'avait pas assez de corde pour les attacher tous, et les ânes s'échappaient; il devait chaque matin leur courir longtemps après. Il eut un soir une idée. Il toucha le jarret de ses ânes avec son petit bout de corde et les retrouva le lendemain matin à la même place. Ils s'étaient crus attachés ! (p. 82)

Une femme lui demande : "Mâ, vous êtes toujours dans la béatitude. Comment faites-vous pour maintenir cette béatitude ?" Mâ rit : "comment gardez-vous vos jupons en place ? Même dans le chagrin, même dans la tempête, vous ne perdez pas votre sari... Le maintenir est si lié à votre vie, même s'il glisse un tant soit peu, vous le réajustez aussitôt. Pour la béatitude,  c'est pareil, elle vient d'elle-même !" (p. 82)

Ce corps ignore comment on instruit Il converse simplement avec ses pères et mères... Tirez de ce que vous dit ce corps ce qui vous conduira à la joie ultime, et pas seulement ce qui vous arrange ! (p.159)

Soyez-en sûrs, où que vous en soyez, de là peut surgir l'éveil ! Ne vous figez pas sur des idées que vous êtes dans le péché, ou empêtrés dans l'imposture et qu'il n'y a plus d'issue. A chaque instant, en toutes circonstances, tenez-vous prêts à prendre la direction de l'ultime. Qui sait à quel moment vos dons, votre serviabilité, vos gestes de respect, refléteront enfin votre entière consécration à l'Un?
Cela survient (p. 168)


Si l'initiation est transfert de pouvoir, le mantra n'est pas son seul support : des fleurs, des fruits, des gâteaux peuvent aussi servir à cela ! (p.170)

Si vous balancez un seau, l'eau s'agite. Posez-le, l'eau se repose. Essayer de poser votre corps. Si vous rester longtemps immobile, avec une réelle détermination, votre mental finira par se calmer. L'agitation est dans sa nature, mais aussi la stabilité. Restez assis longtemps et répétez un des noms de Dieu. Le mental gambadera ici ou là, mais ne relâchez pas votre effort. Si le mental refuse de céder, pourquoi céderiez-vous ? (p. 171)

Les vieilles feuilles tombées au pied de l'arbre fournissent un excellent engrais. Rien n'est vain, sachez-le ! (p. 172)

 

 

 

 

Ma rencontre avec Gurdjieff et quelques réflexions sur le tantrisme de la main gauche

par Vijayânanda

 

 

    Nous publions pour la première fois en français ce texte que Vijayânanda a écrit  il y a déjà longtemps, en fait, il était à Dhaulchina dans les années 60, et qui a été publié à Bombay à la fin des années 70 sous le titre de In the Steps of the Yoguis (Sur les traces des yogis). Il y raconte son itinéraire avant d'arriver à Mâ et parle aussi de certains aspects de l'Inde. Pour ce numéro, nous avons choisi le compte-rendu de ses contacts avec Monsieur Gurdjieff et les réflexions que cela lui a inspirées à la lumière de l'enseignement de Mâ qu’il suivait déjà depuis une quinzaine d'années quand il écrit ces lignes. Nous publierons dans les numéros suivants d'autres extraits intéressants de ce livre, que nous avons repris directement des manuscrits français de Vijayânanda.

 

 Un autre enseignant spirituel auquel ma recherche m'a mené à cette époque était Monsieur Gurdjieff, le "maître"  russe. Quel étrange personnage ! "Un "maître" de la sorte la plus inhabituelle, tel qu'on en rencontre simplement  rarement", ceci, au moins, était comment l'un de ses principaux disciples parlait de lui, avant de m'introduire au "maître". Une fois de plus, cela a été  ma chance particulière dans ce domaine - en travaillant  grâce à mon ami le docteur M. – j’ai pu être guidé vers ce monde stupéfiant de Monsieur Gurdjieff. Le docteur M.  lui-même n'était pas à Paris à cette époque mais il m'avait donné une lettre d'introduction à C. à l'Institut Pasteur ; C. a été mon second maillon dans la chaîne. Le troisième a été Madame de S., le "gardien du seuil".

     Madame de S. était une grande dame russe avec un air majestueux et impressionnant. Ses grands yeux, qui regardaient de façon pénétrante dans les vôtres, vous donnaient le sentiment qu'elle pourrait vous hypnotiser si elle en ressentait l'envie. Elle avait le rôle d'interprète entre Monsieur G. et ses élèves, car le français du maître était quelque peu élémentaire, souvent obscur et incompréhensible. C'était elle aussi qui communiquait les instructions du maître et les expliquait ; en réalité, elle semblait avoir la responsabilité entière du fonctionnement spirituel et pratique de l'organisation. En fait, on avait l'impression que c'était elle qui était le "Maître" réel et que Gurdjieff était présent simplement comme un spectateur amusé regardant les bizarreries des poupées humaines avec lesquelles il pourrait bien jouer lui-même s'il le voulait...

   Dans son appartement de la rue N. Madame de S. me reçut avec une grande cordialité. Dès le départ, elle a adopté un ton de familiarité affectueuse comme si j'avais déjà été accepté dans le cercle des disciples. Mon premier contact avec le "Maître"  allait  être une invitation à dîner à sa table. Dans la mesure où je me considérais moi-même comme un initié presque inconnu,  je fus profondément ému par ce grand honneur.

     Ainsi donc, le jour dit, je me suis présenté à l'appartement de la rue N  et me suis trouvé en face du célèbre gourou russe. Mr G. est un homme de taille moyenne, avec une tendance à la corpulence. Il semble tout à fait âgé, probablement plus de 60 ans, il est complètement chauve et avec une moustache longue et pendante. Sans aucune prétention, il ne donne pas la moindre indication de vouloir jouer le grand homme ou de  faire  impression. Il semble vivre dans un état de relaxation permanente, à la fois physique et mentale. Il parle un français rudimentaire qui consiste presque entièrement en des noms communs et des adjectifs, et souvent dépourvu de verbes et d’articles. De temps en temps, il s'adresse en russe à un compatriote parmi les disciples, et celui-ci  traduit si nécessaire. Il sourit presque tout le temps, il s’agit d'un sourire ironique, peut-être même légèrement moqueur.

      On m’introduit au Maître... Il prononce un jugement sur moi en quelques paroles dont la signification précise m’échappe. Je lui demande s'il acceptera de prendre la responsabilité de me guider dans le monde de l'esprit. Sa réponse est une question :

"Est-ceque vous fumez ?"
"Non, ou au moins, seulement une bouffée de pipe de temps en temps, ou de façon excessivement rare, une cigarette".

"Bien, alors", dit-il, "faites-vous une idée de combien vous avez pu économiser en ne fumant pas, donnez-moi l'argent et  alors je prendrai la responsabilité de vous guider".
Est-ce qu'il plaisante ? Ou est-ce qu'il peut parler sérieusement. ? Je préfère considérer cela comme une plaisanterie car je ne peux avoir qu’une pauvre estime pour un "maître" qui est prêt à vendre sa sagesse pour de l'argent. Néanmoins, des années plus tard en Inde,  j'ai découvert, du point de vue de la tradition hindoue, qu’il n'y avait rien d’insultant dans une telle demande. C'était l’usage, auparavant, de donner au Gourou la  dakshina, c'est-à-dire, un paiement pour son enseignement. Néanmoins, je n'ai jamais vu quelque chose de tel parmi les grands sages d’aujourd'hui que j'ai rencontrés. Gurdjieff semble avoir fait la cuisine lui-même, ou au moins s’être impliqué  pour y mettre la dernière touche, car je le vois, la louche à la main, en train de remuer quelque chose dans  la casserole sur le réchaud.

 

   Le moment est venu de manger et nous nous mettons à table. A côté du Maître et de Madame de S. il y a nombre de gens que je ne connais pas. Depuis le début, G. met chacun à l'aise. Il n'y a rien de formel, pas de cérémonie d'aucune sorte. Je me sens complètement  à la maison. Il y a de nombreux petits plats, hors d’œuvres, etc., la plupart délicieux mais qui me sont tout à fait nouveaux. Peut-être sont-ils russes, grecs ou du Caucase, car le maître est en fait un grec caucasien ; ou peut être sont-ils faits d’après des recettes qu'il a rapportées d'Inde, du Tibet ou de Mongolie.

     Ce qui m'a stupéfait, néanmoins, et même choqué, c'était la boisson. Elle était servie dans des petits verres, plutôt comme des verres à vin de par leur taille. Il n'y avait pas d'eau sur la table ni même de vin, seulement cette portion avec un haut degré d'alcool. Vodka, peut-être ? De toute façon vous pouviez manger ou non, mais boire, il le fallait. Il n'y avait pas d'échappatoire. Le maître lui-même prenait soin que chacun vide son verre et le remplissait immédiatement. Il n'y avait pas de place pour les récalcitrants.

      Moi-même, j'étais un buveur d'eau, et je ne vivais pas cela comme un manque à ma personnalité ! En des occasions très rares, je prenais un peu de vin, mais j'avais en horreur les boissons alcoolisées. Je n'avais jamais été capable de comprendre comment on pouvait prendre plaisir dans ce liquide qui mettait la bouche en feu, induisait des contractions douloureuses de l’œsophage et produisait des étranglements et des hoquets. À cette occasion, j'ai essayé de manœuvrer, pour échapper à la torture, mais le Maître était implacable. Tout ce que j'ai réussi à faire était d'échapper éventuellement à une tournée ou de laisser quelques gouttes dans mon verre.

     Néanmoins, en dépit de mon inexpérience en alcool, je ne suis pas devenu ivre. Je ne suis même pas devenu bavard. Était-ce peut-être l'influence du maître ? Peut-être avait-il ajouté dans la boisson une sorte d'antidote ? Peut-être seulement était-ce que je pouvais supporter l'alcool mieux que je me l'étais imaginé. Il est possible aussi qu'il y ait eu un élément délibéré dans la technique du maître d'alcooliser un disciple ou un nouveau venu, car l'alcool  induit un état de relaxation mentale et de loquacité et cela rend ainsi facile d'évaluer la personnalité et le tempérament de quelqu'un qui est sous son influence.

     À chaque tournée, nous portions un toast. Ce n'était pas un toast de banquet conventionnel, néanmoins ; c'était un toast aux "idiots"... Ainsi, par exemple, quelqu'un disait  "je bois à l'idiot sans espoir". Cela n'est pas aussi ridicule qu'il y paraît. Car le but de toute discipline spirituelle est, après tout, de transcender  pensée et langage et, au bout du compte, de réduire le mental au silence. C'est pourquoi le spirituel "idiot" se trouve à l'autre extrême de celui qui lui correspond dans le monde ; car, tandis que le second est en bas de l'échelle sociale, le premier en a atteint le sommet par la réalisation spirituelle. Or, l'espoir est la variable centrale qui motive notre fonctionnement de pensée. Abandonner tout espoir et tout désir, c'est se libérer soudainement de toutes les ombres qui nous illusionnent. C'est alors que le Réel qui est le Bonheur parfait se révèle spontanément.

     Après le dîner, je pris congé du Maître ; mais plus tard dans la soirée, il devait y avoir une rencontre des disciples à laquelle j'étais invité. D'abord,  je suis allé chez Madame de S. Nous nous sommes rassemblés là-bas pour des exercices spirituels et pour des instructions sur des sujets tels que les méthodes de méditation. Ensuite nous sommes allés chez G. pour la rencontre. Je ne peux guère la décrire. Elle n'avait absolument aucune ressemblance avec aucune autre rencontre à laquelle j'avais assisté ou dont on m'avait parlé. C'était plus comme cocktail. Nous étions debout, nous nous déplacions, parlions, rions, plaisantions... Et  nous buvions encore un coup! Les verres étaient plus petits cette fois-ci mais la liqueur était plus forte. Malgré le chahut et  la confusion, G. veillait à ce que l'on vide les verres consciencieusement. J'ai saisit l'occasion d'un instant où son attention était engagée ailleurs pour repasser mon verre au voisin qui était plus porté que moi sur ce genre de liquides, mais hélas !, le maître m'a pris la main dans le sac, et m'a regardé avec réprobation. "Je voulais vous inclure dans le cercle ésotérique, mais maintenant vous ne serez que dans l'exotérique", me dit-il, ou quelque chose dans le même sens. C'est ainsi que je fus déboulonné... Nous étions vingt ou trente dans une chambre ordinaire d'appartement. Presque tous étaient jeunes ; il n'y avait pratiquement pas de personnes plus âgées. La plupart de ceux qui étaient présents m'étaient inconnus mais la plupart semblaient venir de milieux aisés. Il y avait des docteurs, des écrivains et des artistes. Certains avaient à l'évidence une foi profonde dans leur maître, mais la plupart semblaient avoir trouvé quelque chose de bon dans cet enseignement puisqu'ils revenaient chez G. pour ces rencontres et les suivaient régulièrement.

    Le Maître était entouré par de nombreuses jolies filles. L'une d'entre elles, était particulièrement jeune (pas plus de dix-huit ans) et particulièrement jolie; elle semblait être la favorite. Les médisants insinuaient que les contacts du maître avec ces "jeunes esprits " n'étaient pas limités aux sphères mystiques ou même platoniques.

     Alcool et femmes? Etait-ce cela que cette section de la haute société parisienne venait chercher ? Certainement pas. Pas cela. Ou, au moins, pas "seulement" cela. Il y avait plein d'endroits à Paris où l'on pouvait trouver facilement de telles occasions de se distraire. Loin de moi l'idée de porter un jugement sur le maître russe. De fait, mes contacts avec lui ont été trop brefs pour me donner le droit de le faire, après quelques jours j'ai battu en retraite pour ne jamais revenir. En ce qui concerne la vie spirituelle, je ne suis,  hélas, qu'un conformiste vulgaire. Mon idéal du sage est le type classique de l'ascète pur "comme une goutte de rosée", "lumineux et transparent comme un saphir". J'ai choisi de prendre la grande route, la route qui mène l'esprit à sa dissolution dans l'Absolu, grâce à un travail de purification et de raffinement.

    Il est vrai, néanmoins, que l'Absolu transcende à la fois le bien et le mal et qu'il y a une route suivant un parcours négatif à travers nos esprits. Des écoles de pensée qui ont essayé d’exploiter le dynamisme de l'union sexuelle afin de nous rendre capables de transcender nos limitations humaines ont existé de tout temps.

    La Bible parle des horreurs des cultes de Baalzebut et de Moloch, les enfants d'Israël étant chargés de les déraciner afin de les remplacer par le culte d’El-Elyon, le Seigneur suprême. Dans la Grèce ancienne, les voies dionysiennes et apolliniennes semblent avoir existé côte à côte. A notre époque aussi, un bon nombre de ces différents mouvements apparaissent et fleurissent en Inde. Le vamâchâra est une branche de l'école shakta. "Cet horrible vamâchâra" comme Vivékananda l'appelait, a pris comme objet de son adoration tout ce que l'Inde orthodoxe a en horreur ; l'union sexuelle, l'alcool et la viande. Il offre à ses fidèles, non pas la renoncement au monde comme un moyen vers le bonheur et la libération, mais bhokti-mukti, les plaisirs du monde et la libération en même temps. Les aghorapanths sont un groupe de yogis parmi lesquels même le cannibalisme n'est pas inconnu. Ils ont pratiquement disparus aujourd'hui, bien qu'on peut toujours en  rencontrer  dans la région montagneuse de Girinar au Goujarat. Il y a aussi un autre groupe qu’on appelle aussi les sahajikas et qui sont associés à la voie vishnouïte. Chez eux, les disciples entretiennent des relations amoureuses, et quand le maître demande à une disciple : "As-tu trouvé ton Krishna. ?", le sous-entendu est, "est-ce que tu as trouvé un amant parmi les disciples ?"

   La plupart des membres de telles sectes, si même ils réussissent à s'élever au-dessus des instincts animaux, ne le font qu'afin de maîtriser des arts magiques inférieurs, tels que l'art de la séduction, de dominer l'autre comme un esclave ou de tuer un ennemi par des moyens surnaturels, etc..

   Toutes ces voies sont difficiles et dangereuses, elles ne sont pas adaptées à l’esprit Occidental. Il est vrai qu'on ne peut discuter le fait que le maître n’est plus sujet aux conventions sociales et aux critères de bien et de mal ou à la loi morale ou religieuse ; mais, étant identifié au "bien parfait", il n'accomplira que des actions en règle générale qui sont au-delà de tout reproche ; à ce sujet Ramakrishna, avec son langage familier, donne ce commentaire : "un danseur parfait ne met jamais un pied de travers", et de fait, ni en Inde ni à Ceylan, je n'ai rencontré un sage parfait qui allait à l'encontre du code moral ou des conventions sociales.

    Néanmoins, des histoires et  légendes parlent de yogis ayant exercé librement leur droit d'être "au-delà du bien et du mal". Vimalakirti, un des disciples laïque du Bouddha avez atteint un tel degré de perfection qu'il pouvait fréquenter les cabarets et d'autres lieux de débauche impunément. C'est du moins ce que nous dit le Vimalakirti Nirdesha. Il était aussi tellement doué comme dialecticien qu’aucun des grands disciples du Maître ne pouvait lui faire face…..

    Une autre histoire nous parle du grand Shankaracharya, célèbre par sa sagesse et sa pureté. Un jour, voulant donner à ses disciples une leçon, il en prit une douzaine avec lui dans une taverne et commanda de la liqueur. En Inde, on a une grande vénération pour les gourous et l’on considérait Shankaracharya comme un maître du plus grand ordre, mais boire du vin est considéré comme une faute grave  même parmi les laïcs, et les disciples se demandaient s'ils devaient suivre l’exemple de leur maître. Beaucoup d'entre eux décidèrent de boire mais ceux qui avait plus d'expérience s’abstinrent. Shankaracharya ne fit pas de commentaires et après avoir quitté la taverne continua à marcher comme d'habitude, entouré par ses disciples. Il rentra ensuite chez un forgeron et commença à avaler des braises rougeoyantes. Inutile de dire qu’à ce moment-là, aucun de ses disciples n’osa suivre son exemple.

     En une autre occasion, Shankaracharya a prouvé sans aucune contestation possible qu’il était au-delà du bien et du mal. Afin d'accomplir sa mission – qui était de rétablir le brahmanisme orthodoxe dans une Inde qui subissait alors l'influence bouddhiste – il sillonnait en tous sens le pays, en s'engageant dans des discussions religieuses avec des moines bouddhistes et avec des représentants d'autres groupes. A cette époque-là, ce qu'il y avait en jeu dans ces discussions était beaucoup plus qu'une simple bataille de mots. Il n'était pas rare que le perdant soit obligé de se brûler vif ou de se noyer dans la mer.

    Une de ces joutes philosophiques eut lieu un jour avec un célèbre  brahmane appelé Madan Mishra. Ce dernier était un représentant de l'école du Purva Mimansa qui considérait que l'accomplissement des rites sacrificiels prescrits par les védas était suffisant en lui-même pour l'obtention du but suprême et qu'il n'y avait pas besoin du renoncement au monde que Shankaracharya prêchait. L'enjeu sur lequel on s'était mis d'accord a été le suivant : si Madan Mishra était battu, il devrait renoncer au monde, devenir un moine (sannyâsin) et vivre selon les enseignements de l'école de Shankaracharya. Si, au contraire, ce dernier était battu, il devrait abandonner la discipline monastique et vivre une existence  dans le monde.

   La joute oratoire commença et dura pendant plusieurs jours jusqu'au moment où, finalement, Madan Mishra fut obligé d’avouer sa défaite. Sa femme, néanmoins - une femme intelligente - intervint et affirma que la victoire de Shankaracharya n'était pas complète. Un homme et son épouse étaient un, soutenait-elle, et Shankaracharya se devait encore de vaincre la femme. Shankara accepta le défi. La femme amena la discussion sur le Kâma Soutra (- qui règle les relations sexuelles) et Shankara,  qui avait toujours vécu une vie de chasteté des plus strictes,  était complètement ignorant de ce sujet. Cependant, il refusa d’admettre sa défaite et demanda qu'on reporte la discussion pour lui permettre  de s'informer.

    Shankara ne pouvait pas, bien sûr, s’autoriser à avoir des relations sexuelles ; son corps physique était un corps de yogui, pur depuis l'enfance. De plus, son prestige en tant que réformateur en aurait été considérablement affecté ; mais il contourna la difficulté. Le râja voisin venait de mourir. Il sortit de son corps physique qu’il laissa dans la jungle sous la  garde de quelques-uns de ses disciples,  et entra dans le corps du râja. On peut imaginer la surprise des ministres et des reines  quand elles ont vu revivre le roi au moment même où ils allumaient le bûcher funéraire. Mais ce n'était rien comparé à leur stupéfaction quand ils s'aperçurent que ce roi, qui avait été un homme très ordinaire, parlait et se conduisait désormais comme un grand sage. Le moment où ils ont suspecté la vérité ne s'est pas fait attendre : quelque yogui avait dû effectuer un transfert de conscience - et comme ils étaient prêts à payer n'importe quel prix pour conserver avec eux un gouvernant si exceptionnel, ils envoyèrent des soldats avec pour ordre de fouiller le pays  et de brûler immédiatement les corps dépourvus de vie qu'ils pourraient trouver.

    Pendant ce temps le roi, Shankara, eut le temps de profiter des reines, de goûter aux plaisirs de la Cour et finit par oublier complètement ce qu'il avait été dans le passé. Les disciples, quand ils virent que leur maître ne revenait pas, envoyèrent l'un des leurs à sa recherche. Il  réussit à entrer dans le palais, malgré les gardes et récita au roi - Shankara - une hymne que lui-même avait composée à la gloire de l'Atman. En entendant cela, Shankara s'est souvenu de son identité véritable et entra de nouveaux dans son corps qui revint à la vie au moment même où des soldats du roi qui l'avait trouvé étaient sur le point de le jeter aux flammes.

   Maintenant, tout à fait au courant au sujet des relations sexuelles, Shankara retourna auprès de Madan Mishra et  reprit la discussion avec sa femme qui a été finalement vaincue comme son mari l'avait été. Les deux prirent le sannyas, l'initiation monastique, et  furent en fait du nombre de ceux qui ont soutenu le plus ardemment le mouvement védantique.

   Parfois, il est vrai, un gourou peut demander à son disciple, dans des circonstances exceptionnelles, d'accomplir ou de subir un acte répréhensible qu'il considère indispensable à son progrès. Ceci est illustré par les deux histoires suivantes :

La première est au sujet de maître Chih-Yueh (adaptée du Takatsu Tripitaka) :

   Le maître de la loi, Fa-Hui étaient un moine bouddhiste chinois qui avait fait de grands progrès dans le monde de l'esprit. Mais il n'avait pas encore atteint la réalisation complète. Un jour, une religieuse lui conseilla très sérieusement d’aller à Kucha dans le Turfan, au monastère de la "Fleur d'or" où demeurait Chih-Yueh,  un maître renommé qui, dit-elle, lui enseignerait le dharma suprême.

 

 

   Fa-Hui suivit son conseil. Il alla voir Chi-Hueh qui le reçut très cordialement et après lui avoir offert un pichet plein de vin, l'invita à boire. Fa-Hui protesta avec véhémence qu'il ne pouvait pas s'obliger lui-même à avaler quelque chose d'aussi impur ; là-dessus, le maître Chih-Yeh le prit par les épaules, le fit se retourner, et sans autre forme de cérémonie, lui montra la porte. Toujours avec le pichet en main, Fa-Hui se dirigea vers la cellule qui lui avait été assignée. Dans cette cellule, il réfléchit avec sagesse : "après tout, j'ai fait tout ce chemin simplement pour chercher son conseil. Il se peut qu'il y ait quelque chose dans sa manière d'arranger les situations que je ne comprends pas. Je pense quand même qu'il vaut mieux que je fasse ce qu'il m'a conseillé."

   Sur ce, il avala tout le vin du pichet d'une seule traite. Complètement ivre, malade et misérable, il perdit finalement conscience. Quand il se réveilla, dégrisé, il se souvint qu'il avait brisé ses vœux monastiques et dans sa honte complète,  commença à se battre lui-même avec son bâton. En fait, il était tellement désespéré qu'il était prêt à mettre fin à ses jours. Le résultat de cet état de désespoir, néanmoins, fût qu’il atteignit l’Anagami Phala (le « fruit du Sans-retour »),  l'avant-dernier stade de la réalisation spirituelle mentionné dans les Ecritures bouddhistes, le stade suprême étant celui d’Arahant.

    Quand il se présenta de nouveau devant le maître Chi-Yueh, celui-ci lui demanda :
"est-ce que tu l'as eue ?"
"Oui, je l'ai eue" répondit Fa-Hui.

 

   La seconde histoire va dans le même sens. Nanda, le cousin du Bouddha, avait pris l'habit monastique, mais il accomplissait ses pratiques sans enthousiasme et avait un désir profond de retourner à la vie du monde. Etant mis au courant de cela, le Bouddha lui demanda si c'était vrai qu'il souhaitait revenir à la "vie inférieure" et si cela l'était, quelle pouvait en être la raison. "Vénérable",  répondit Nanda, "le jour où j'ai quitté la maison, une jeune fille du pays des Sakyas ( le royaume qui était gouverné par le père de Gautama Bouddha), en fait la plus belle des jeunes filles du pays, ses cheveux moitié dénoués, s'est retournée pour me regarder partir et a dit, "Puisses-tu revenir bientôt, jeune maître." Je pense à elle, ô Vénérable. C'est pourquoi je n'ai pas d'intérêt dans les pratiques spirituelles et je pense bien les abandonner afin de retourner à la "vie inférieure".

    En utilisant ses pouvoirs surnaturels, le Maître prit Nanda par la main et le transporta au royaume de Sakka, un autre nom d’Indra, le roi des dieux. Là-bas, cinq-cent apsaras, des nymphes d'une beauté divine, servaient le roi des dieux. On les appelait : "celles aux pieds de colombes." Le Bouddha demanda à Nanda si elles étaient aussi belles que la fille des Sakyas. "Comparée à ces nymphes", répliqua Nanda, "la plus belle des Sakyas ressemble à une guenon dont on aurait coupé le nez et les oreilles." Ramenant Nanda sur terre, le Maître promit alors que s'il pratiquait de façon intense et consciencieuse, il pourrait conquérir ces nymphes divinement belles. Sous peu, les autres moines devinèrent que le vénérable Nanda accomplissait ses rites religieux dans le but de gagner les cinq-cent nymphes et il devint l’objet de leur dérision. Envahi par le chagrin, la honte et le dégoût, Nanda se réfugia dans la solitude et mit toute sa ferveur dans ses pratiques spirituelles. Très rapidement, il  réussit à atteindre l’illumination finale. Et il va sans dire qu'il oublia complètement les nymphes et la fille des Sakyas car, comparée à la joie de l'illumination, les plaisirs des mondes d'ici-bas et de l'au-delà ne sont rien.

 

    Il existe de nos jours - et j'en ai rencontré - des êtres humains ayant essayé et réussi. J'ai vécu parmi et je suis encore sous la direction spirituelle d'un des plus grands d’entre eux. (Vijâyananda parle de Mâ Anandamayî, mais il ne voulait pas mentionner son nom dans ce premier livre général sur son itinéraire intérieur par délicatesse, son souci étant de ne pas gagner d'argent avec le nom de son maître.) Est-ce du védanta ou du Yoga ? Du bouddhisme ? A moins que ce ne soit de la kabbale, du soufisme, ou peut-être de la théosophie ? Tous ces propos ne sont que des mots, des étiquettes sur des flacons. Et souvent l'étiquette est fausse, le flacon vide. C'est en nous-même que se trouve la solution du problème. Ce qui est réel en nous ne peut pas mourir. Ce qui est au centre de notre conscience est identique en tous les êtres. Ce qui est la base et le support de toute chose, qui ne peut être atteint ni par la souffrance ni par la mort, est aussi l'essence même de notre personnalité. Mais faut-il aller pour cela à Ceylan ou aux Indes ? Certes non ! Mais peut-être était-ce mon destin d'aller au pays des grands sages. Peut-être aussi les conditions extérieures y sont plus favorables à l'introspection, et à une vie de recherche intérieure. Mais mon objectif immédiat, c'était de rencontrer un de ces grands sages "qui a réussi" et de bénéficier de ces conseils. Mon programme était de visiter d'abord Ceylan, et si possible de vivre une courte période  dans un monastère bouddhiste. Après, ce serait l'Inde, mais je comptais me limiter au sud car les trois grands sages célèbres, Ramana Maharshi, Râmdâs et Shrî Aurobindo vivaient dans le sud. En outre, mon temps disponible était limité à un mois de séjour……

 

 

 

 

Ma rencontre avec l’Occident à la lumière de l’enseignement de Shrî Mâ


par Bithikâ Mukerjî

 

 

 

 

        

Invitation à l’étranger

 

            Le Pr.Sivaraman [un professeur de philosophie à l'Université de Bénarès qui s'intéressait aussi beaucoup à la rencontre des religions et qui a ensuite émigré au Canada] avait cependant une inhibition envers la forme féminine du Gourou. Quand il en fit part à Shrî Mâ, il l’entendit lui dire : « Regardez au-dedans de vous, le Gourou réside en votre cœur, vous n’avez qu’à écouter ce qui vient de vous-même. » Le cher Professeur en fut bouleversé et il reconnut Mâ pour être ce qu’elle était.

Il me demanda de participer avec lui à la grande poujâ la nuit de mahâshivaratrî à l’ashram. Shrî Mâ avait introduit une nouvelle façon de la célébrer en installant une douzaine de réceptacles pour contenir chacun un shivalingam décoré de fleurs, de guirlandes. L’ashram avait accueilli presque 200 participants qui devaient ensuite se baigner dans le Gange. Les chants (kîrtans) durèrent toute la nuit, dans l’envoûtement de l’encens, des fleurs et des sucreries distribuées comme prasâd. La magnificence et la quiétude de cette manifestation étaient rendues uniques par la présence de Mâ qui présida de nombreuses autres poujâs.

 

            Le Dr.Sivaraman avait prié pour pouvoir être appelé dans une université étrangère où il aurait pu enseigner dans sa langue habituelle, l’anglais. Il eut l’impression que Shri Mâ l’aiderait à exaucer sa prière, si bien que lorsqu’il reçut deux invitations à la fois pour le Canada et la Suisse, sa femme eut l’idée de lui faire proposer ma candidature pour aller à sa place à la Graduate School du Château de Bossey qui dépendait de l’Université de Genève. J’en fus flattée et confuse. C’était très généreux de sa part, lui qui était un nom prestigieux déjà à cette époque, alors que personne n’avait jamais entendu parler de moi dans le monde universitaire, et encore moins à l’étranger. Je me demandais comment j’allais pouvoir traiter tous ces problèmes de dialogue entre les religions, mais il me répliqua sur un ton badin : « Soyez seulement vous-même ».

            Mais voilà que maintenant, cela me posait un problème. Je savais que Shrî Mâ n’approuvait pas ceux qui s’en allaient à l’étranger. Je l’avais entendue dire maintes fois à des jeunes qu’il était préférable de rester dans leur propre pays, même au prix de modestes conditions, plutôt que d’aller vivre à l’étranger dans l’abondance. Pour être honnête, elle donnait le même avis aux étrangers qui demandaient à se transférer en Inde. Elle semblait considérer le bagage culturel de chacun comme crucial en tant que formation. Il est plus facile de nager dans le sens du courant plutôt que contre. Sachant cela, mon problème était : comment puis-je demander à Shrî Mâ la permission d’aller à l’étranger à mon âge ?

            En fin de compte, après mûre réflexion, quand je vins m’asseoir devant elle lors de mon entrevue privée, je m’expliquai au sujet de cette offre pour Genève, et je lui dis : « Mâ, j’en ai assez des conditions de travail dans mon collège. J’ai là une occasion unique de me rendre à l’étranger et d’apprendre davantage sur le monde universitaire. J’ai très envie d’accepter cette invitation. Maintenant parlez-moi de votre kheyâla, dois-je y aller ou pas ? » (p. 292) 

 

 

L’enseignement de Mâ sur les religions

 

            Shrî Mâ demeurait silencieuse. Je m’étais rendue jusqu’au Kalkaji Ashram de Delhi pour obtenir sa permission d’aller enseigner à l’étranger. Elle était à demi-inclinée sur son chowki. Elle me regarda quelques instants et me posa ensuite plusieurs questions concernant cette assignation. Elle parla d’une voix douce qui m’était à peine audible. J’en ai des frissons en écrivant, et en me souvenant de cette incomparable indulgence à propos de la complaisance envers moi-même sous-entendue dans ma requête. A ce moment-là, je n’appréciai même pas le fait qu’elle avait interrompu son silence pour me parler longuement. Je m’empressai de répondre à ses questions, en lui expliquant tout sur ce discours des chrétiens par rapport à celui des autres religions, et en lui parlant de mon déplacement au Château de Bossey. Je ne fus pas surprise de voir qu’elle comprit instantanément le contexte en général et tous ses problèmes en particulier. Elle parla de la situation et de comment elle se développerait pour moi ultérieurement. Je pris des notes en hâte dans un calepin. L’endroit où nous étions était peu éclairé et j’écrivis sans trop bien voir ce que je faisais, car en même temps, je regardais le visage de Mâ et les gestes délicats de ses mains magnifiques, qui soulignaient toujours son discours de façon expressive.

            J’exposai à Shrî Mâ ma propre compréhension du christianisme disant que j’aurai à entamer le dialogue avec ses porte-parole.

 

            Je lui demandai : « Mâ, comment peut-on expliquer la personnification de l’Etre Suprême en tant que Dieu ? »

            Shrî Mâ : Quoi que l’on puisse dire, Personnel, Impersonnel – Le Seigneur est Lui-même tel qu’Il est. Il est la réalité absolue, omniprésente dans l’univers, autant que demeurant au plus profond de l’être (antaryâmin). Il est au-delà de toute compréhension, et en même temps, Il est le Soi intérieur en chacun, n’est-ce pas ? Lui seul est (qu’on le considère comme inconnu, ou à connaître) Celui qui est sans nom, sans forme. Cependant, tous les Noms sont Siens, Il est présent partout et universellement manifesté. Où n’est-il pas ? Quand on touche la main de quelqu’un, il dit : « Ceci est moi ». Même ses vêtements indiquent sa présence.

 

            Toutes les religions reconnaissent Sa présence, elles prennent leur source en lui. Comment saisir cette immensité ? Prenons l’exemple d’une personne seule dans le tourbillon des relations (irradiant de lui) : il est le père, le fils, le mari, le frère, etc. Il en est ainsi dans toutes les religions. Ce sont toutes des relations intimes et chacune est unique en elle-même.

            Question : Les chrétiens croient que le Christ est une Incarnation,  la seule Incarnation envoyée pour sauver l’humanité. Il est le seul médiateur entre Dieu et l’homme.

            Shrî Mâ : D’accord, il est certainement juste pour les chrétiens de croire cela, pourquoi pas ? La foi perd de sa vigueur spirituelle si elle est universalisée. Ce n’est pas nécessaire d’en arriver là. La miséricorde illimitée de Dieu est répandue partout, Lui seul sait ce qui est bon pour chacun de nous. Si chaque individu regarde son propre voyage spirituel, alors il peut apporter l’aide la meilleure à ses compagnons de route.

 

            Chaque communication de la Vérité est un évènement unique. Aucun de ces évènements ne peut être comparé à un autre. En célébrant cette Vérité, les communautés religieuses (sampradaya) se forment ou prennent tournure. Les communautés également sont nécessaires. Elles fournissent la cohésion, l’unité générale des objectifs à atteindre, et elles donnent du courage à ceux qui ont un moral faiblissant. C’est une bonne idée que d’appartenir à une communauté et de marcher sous sa conduite pour obtenir l’illumination. Il n’est pas nécessaire de se méfier de la foi de nos amis chercheurs de Vérité.

            Question : Les chrétiens restent attachés très fortement à l’unique évènement historique de l’Incarnation du Christ. Ils sont engagés dans leur mission.

            Shrî Mâ : Pourquoi devrions-nous poser des limites à l’infini, ou des restrictions de temps à ce qui est intemporel, c'est-à-dire l’éternel ? L’infini a des moyens infinis pour se révéler lui-même. Personne n’a le droit de dire ‘c’est seulement ainsi et pas autrement’. Bien que, à proprement parler, un tel credo est aussi admissible, car chaque optique est concevable. Après tout, quelle est l’étendue de ce que l’on peut rejeter - à l’intérieur de l’ensemble de la Vérité ? Réclamer l’exclusivité est une façon de renforcer sa propre foi et sa dévotion, mais dénigrer la loyauté des autres est déplacé, injustifié. Le véritable pèlerin devrait apprécier les efforts de ses amis grands voyageurs.

            Question : Si quelqu’un croit en une seule et unique Incarnation, comment peut-il comprendre la vérité des autres manifestations ?

            Shrî Mâ : L’Incarnation est vraiment seule et unique, c’est une descente, une venue, une approche, un avènement, chacun étant unique à sa façon. Comme je l’ai dit, il n’y a rien ni personne à part Dieu. Le vrai nœud de la question est qu’il faut aller de l’avant ! Pour avancer dans une direction, il est exigé un effort suprême, constant, déterminé, sans faille. Se détourner de ce but par comparaisons et contrastes équivaut à ralentir, à moins que certains ne soient habitués à un renforcement de leurs objectifs dans un esprit d’unité, de communion. L’Un englobe tous les chemins menant à la réalisation de cette vérité.

            Question : Mâ, on ne peut pas croire en l’Un, en l’Unique seulement. Une créature, un être, sont séparés de Dieu pour toujours.

            Shrî Mâ : Oui, bien sûr. Comme Dieu ne peut pas être saisi par l’esprit, Il est séparé pour toujours. Etre humain veut dire habiter dans le monde des images mentales. Le mental limite la compréhension. Dieu est séparé de l’être parce qu’il demeure au-delà des idéalisations du mental. Ce qui est suprême est, par conséquent, au-delà encore. Aussi, il est juste de dire ‘Dieu et sa créature’. La compréhension de la séparation est elle-même la ligne de partage [italiques ajoutées par Bithikâ]. Il est votre soi le plus profond, votre témoin le plus intérieur, votre vous le plus intime.

            Question : Est-ce qu’un médiateur est nécessaire pour connaître Dieu ?

            Shrî Mâ : Oui, mais Dieu lui-même se révèle comme le Gourou (Médiateur). Le Gourou est Dieu lui-même. Lui seul connaît les exigences du vrai disciple. Pour invoquer la présence du Gourou on doit devenir un vrai disciple.

            Question : Est-ce que tous les chemins ont la même valeur ?

            Shrî Mâ : Oui, pour autant qu’un chemin soit suivi de façon concentrée, sincère et persévérante. Cependant, il existe des chemins et sentiers qui se révèlent être des déviations. Quelqu’un naît avec certaines prédilections (samskaras) qui façonnent les attitudes. La façon de vivre est un amalgame d’actions, de croyances et de connaissances (karma, bhakti, jñâna). La façon dont on organise sa vie déterminera le chemin à suivre. Dans la sphère de la recherche de Dieu, l’aide fixe de façon inévitable, même si quelqu’un est ignorant et ne distingue pas clairement la voie juste, notre chemin est réorienté dans la bonne direction par le Gourou qui apparaît immanquablement de façon à apporter de l’aide et à montrer la route. Ce sont les propres efforts de chacun et la sincérité qui doivent être évalués, pas les faits.

            Question : Comment peut-on savoir si on n’est pas en train d’errer sans but ?

            Shrî Mâ : Quiconque est sur le chemin en quête de Cela est touché par la paix de la vérité. Dans ce domaine où celui qui cherche trouve, il n’y a aucune possibilité pour qu’un véritable effort soit fait en vain, ou qu’un manque de sincérité produise des résultats. L’effort est requis parce que l’homme utilise sa volonté pour atteindre des buts matériels. Ainsi la volonté peut également devenir comme des courroies qui conduisent l’homme au-delà de ses limites.

En réalité, seule la miséricorde de Dieu prévaut. Quand on fait un pas vers lui, Il en fait dix vers nous. En fait, Il est constamment avec nous. La recherche en elle-même devient, par conséquent, la conclusion.

 

            Dans tout mon dialogue avec les autres religions, ce sont ces mots de Shrî Mâ qui me servirent de planche de salut. Au fur et à mesure de mes études et de mes recherches dans les années qui suivirent, ils prirent une signification toujours plus grande pour moi. En juxtaposition avec les courants de la pensée occidentale, j’appris à reconnaître la richesse et l’importance de l’héritage oriental. Ceci me permit de tenir d’éloquentes conversations avec le Professeur George B. Grant, philosophe bien connu au Canada à cette époque. Soit dit en passant, je peux dire que, bien que Shrî Mâ ne m’eut pas donné le ‘feu vert’ pour m’en aller, elle dut avoir un kheyâla à ce propos, car je reçus pas mal d’invitations pour me rendre à des conférences dans les années qui suivirent, jusqu’à ce qu’un jour, je fus obligée d’en décliner deux ou trois qui ne me convenaient guère. Il n’en est pas moins vrai que mon souhait d’aller à l’étranger, exprimé en présence de Mâ, me submergea d’opportunités pour mon propre épanouissement. (p.292 à 295)

 

 

Au Château de Bossey

 

            Après mon vol Bombay-Londres, mon installation eut lieu au Crosby Hall (Chelsea), un vaste foyer pour universitaires du monde entier. Mon séjour en Angleterre fut plaisant, la circulation automobile n’y était pas encore gênée par les embouteillages comme maintenant.

            C’est en octobre 1972 que je me transférai en Suisse, au Château de Bossey, peu distant de Genève, dans un environnement splendide aux  couleurs de l’automne. Cela me prit bien deux bonnes semaines pour m’acclimater à l’atmosphère de la maison, car la session 1972-73 consistait en à peu près une cinquantaine d’étudiants du monde entier provenant de 26 pays, représentant un vaste panorama de l’héritage culturel et religieux. Certains étaient adultes et déjà prêtres, ou sur le point d’être ordonnés, mais cependant singulièrement ignorants quant aux autres religions, et n’ayant retenu de l’hindouisme que le fait qu’on y adorait les vaches comme des créatures sacrées, et que le système des castes y était redoutable. Malgré les discours, conférences avec traductions simultanées brillantes, séminaires, discussions, la comparaison des religions du monde n’amenait guère à un véritable rapprochement. La Graduate School de Bossey n’était pas un groupe d’harmonieux fidèles. Néanmoins j’étais très appréciée par mes élèves et les invitations en week-end furent enrichissantes : Montreux, le Château de Chillon, Zermatt, le Mont Blanc (à peine entrevu dans les nuages), la musique occidentale, la neige…

            La nuit de Noël fut célébrée à Bossey avec un service œcuménique élaboré. Je me rendis à la Messe de Minuit. Je m’étais déjà familiarisée avec ce rituel et j’étais contente d’y assister, avec probablement plus de dévotion que bien des chrétiens.

           

            Un ami, Nicholas, m’invita en Angleterre dans le Yorkshire, après Noël. Ses parents étaient charmants et je fus accueillie comme ‘l’enseignante indienne de Nick’.

            Je garde de bien nombreux souvenirs de ces jours passés dans cette jolie contrée. Un jour, nous fûmes tous peinés de savoir que l’une des secrétaires venait d’apprendre la mort subite de sa mère en Amérique. Je me rendis dans son bureau et la trouvai assise à sa machine à écrire, parfaitement hébétée devant une page blanche. Lorsque je m’approchai, elle se retourna soudain, m’entoura de ses bras et fondit en larmes. C’était une jeune américaine volontaire, tout à fait capable de se prendre en charge, c’est pourquoi je fus très touchée autant que surprise de sa réaction. Je lui dis tous les mots appropriés dont je pus me souvenir et que Shrî Mâ disait à l’occasion de ce genre de deuils.

            Je dis : « Nous prierons ensemble ». Elle me regarda de façon confuse et me confia : « Je ne sais pas comment on prie ». Je restai avec elle jusqu’à l’heure où elle eut à prendre l’avion pour se rendre en Amérique. C’était une gentille fille mais insensible à la qualité de la dévotion. Il y en avait beaucoup comme elle, mais ce genre de modernité ne m’était pas antipathique. Si les gens d’aujourd’hui pouvaient être heureux et auto-suffisants, qu’ils le soient. Dieu est trop précieux pour venir sur commande dans la vie de chacun

 

Extaits de Bithikâ Mukerjî;  My days with Mâ Anandamayi

 Indica; Bénarès, 2002, p.299 à 308

 

 

 

Mâ est ici et maintenant

par Isabelle Trublet

 

     Isabelle a découvert l'Inde et Mâ lors d'un voyage aux sources du Gange organisé par Terre du Ciel et Jacques Vigne. Depuis, elle vient très régulièrement au groupe de Claude Portal les premiers dimanches de chaque mois à Saint-Germain-en-Laye ; elle y anime en particulier les kirtans. A la demande de Jacques Vigne, elle nous fait part ici de quelques réflexions sur la manière dont Mâ est entrée dans sa vie.

    Elle a sélectionné aussi des paroles d’Atmânanda dans le livre de Madou rapportant des entretiens avec Atmânanda, A la rencontre de Ma Anandamayî  (disponible sur le site de Mâ  www.anandamayi.org/ashram/french) Ces paroles lui ont semblé particulièrement signifiantes. Nous les publierons dans le prochain numéro.

 

    Mâ est entrée dans ma vie il y a sept ans, à l'occasion de mon premier voyage en Inde ; je rencontrais - et ce n'était pas prévu - Swami Vijayânanda qui me parla  du bouleversement qu'Elle avait opéré dans sa vie ("tous mes désirs sont tombés"), si fort qu'il avait tout quitté. En le regardant, en l'écoutant, je me dis que celle (à la fois maître et mère) qui avait suscité une telle transformation ne pouvait qu'être authentiquement divine. Jusque-là, j'ai douté de l'existence de vrais guru et n'avait jamais envisagé le Divin sous forme féminine ; je commençais à comprendre que je réduisais l'infini à un point de vue (le mien !) aussi étroit que déformant, à des représentations issues d'une personnalité, d'une culture, d’une religion, d’une éducation particulière qui me masquait la vérité. Cette forme nouvelle du Divin, non seulement féminine mais aussi enjouée, rieuse, non plus sévère mais charmeuse, me le faisait paraître presque familier, attirant et accessible, Elle pouvait changer aussi, je le sentais, ma façon de vivre, de voir toute femme et de me voir moi-même ; ce n'était, bien sûr, qu'un autre point de vue mais dont j'avais besoin pour me débarrasser d'idées reçues. Si le chemin menait vers la joie, pouvait se trouver au cœur du quotidien, dans la joie, s’il s'agissait d'être pleinement soi-même, cela m'intéressait beaucoup ! J'avais envie de m'approcher de cette femme sainte, splendide, rayonnante, de lui ressembler. Mais je n'étais pas prêt à lui céder la place ! J'achetai un livre sur Elle - dont j’abandonnais vite la lecture, de photos que je rangeais dans un tiroir à mon retour en France... Pourtant je me retrouvais de passage à Kankhal l'année suivante, heureuse d'y revenir, de revoir Swami  Vijayânanda.

 

     Par la suite, Elle m'a donné de rencontrer, en France le plus souvent, d'autres messagers fervents : des guides, des amis, pour partager la joie d'être avec Elle, entretenir le feu, attiser l'envie d'être le plus souvent possible en sa compagnie ; des témoins radieux, venus transmettre l'amour de Mâ, leur émerveillement, attester par leurs récits, leur sourire, de tous leur être qu'Elle est "ici et maintenant". "Mâ is here and now” affirmait Swami Bhaskarânanda à Epernon en août 2001. Elle a dit : je suis toujours avec vous ; c'est vous qui ne voulait pas me voir, que puis-je y faire ?" ( traduction de  I am ever with you dans le livre de Bithika Mukerji  In your heart is my bode parole n° 45). Aujourd'hui, quand je regarde ces photos, ces paroles, des écrits sur Elle, quand je chante ses noms, quand je pense à Elle, essaie de retrouver sa présence dans le silence, je me tourne vers la Lumière, oublie le reste, et la joie peut jaillir. Mâ n'est pas la seule qui me rappelle à la vie ; pourtant, Elle seule suffit. Elle joue de multiples rôles, et ce à la perfection ; ce que je perçois ne représente sûrement qu'une infime partie de la totalité. Elle est l’amie sur laquelle je peux toujours compter, le guide de toute confiance, le centre stable auquel je peux me référer, l'inspiratrice, l’élévatrices, la force ou la souffrance qui me secoue pour me réveiller, la source qui me relie à tant d'êtres, le miroir qui me répète inlassablement que mon vrai visage est infiniment beau. Son sourire me rappelle que j'ai mieux à faire que de m'agiter pour rien, que je suis invitée à vivre une vie incomparablement plus vaste, qu'Elle ne me lâchera pas. Même si je suis trop encombrée pour recevoir pleinement ce qu'Elle me donne, je crois grâce à Elle à cette réserve inépuisable, à cet amour infini, à cette possibilité de retrouver mon être essentiel qui me sont offerts - en toute générosité. Je lui offre ces mots en humble témoignage de reconnaissance : om Mâ Shri Mâ Jay Jay Mâ.

 

 

La mystique du silence
par Jacques Vigne

 

Ne donnons ici une page de nouveau livre de Jacques Vigne paru en juin aux éditions Albin Michel Spiritualités : La mystique du silence. Il s’agit d’un extrait de la première partie : Ermite en Himalaya. Shrî Mâ recommandait les périodes de solitude et disait en jouant sur les mots en hindi : ekant na honé sé kant nahi miléga « Si l’on n’est pas solitaire, on n’obtiendra pas le Bien-Aimé. » Le livre comporte une seconde partie Je suis qui compare mystique juive, chrétienne et védantique à propos du Nom que le Seigneur s'est donné à lui-même sur le Sinaï en réponse à la question de Moïse; et une troisième partie, la plus développée, qui couvre en sept chapitres les enseignements sur l'Ecoute du silence dans les principales traditions spirituelles.

 

 

   Le mot moine vient du grec monos qui signifie seul. Par ailleurs l'Absolu étant unique peut être évoqué par le terme Seul: en sanskrit par exemple, kevalam signifie à la fois seul et Absolu. Il s'agit d'un phénomène qu'on peut qualifier d'universel[1].

   A priori, la solitude correspond à une période intensive de l'itinéraire spirituel, permettant d'atteindre un certain niveau. De même, un étudiant qui prépare un examen se concentre sur ses livres et a tendance à rester isolé pour travailler intensivement.  Reste à savoir quel niveau on veut atteindre. Les étudiants en troisième année de médecine peuvent travailler comme infirmier, mais la plupart choisissent de continuer jusqu'au diplôme de médecin, car ils

savent qu'ils pourront alors rendre des services que ne peuvent    

rendre des infirmiers. Certains même décident de devenir médecins spécialistes et ils deviennent capables d'intervenir  -en opérant par exemple à cœur ouvert ou dans le cerveau- comme ne peuvent le

faire des médecins ordinaires. Il y a un certain nombre de gens qui rêvent de pouvoir passer des périodes en solitude. Dans mon cas, ce rêve se réalise.

   On reproche souvent aux ermites de fuir le monde et sa lutte pour la vie. Certes, cela peut être parfois vrai, les misanthropes existent, mais ce genre d'apprenti solitaire ne tient en général pas longtemps dans ce type de vie. Le souvenir de leurs échecs dans le monde devient très intense et ils ne tiennent pas le choc de se retrouver à temps plein en face des côtés sombres d'eux-mêmes. Ceux qui prétendent que la vie de solitaire est une solution de facilité prouvent simplement par là qu'ils ne s'y sont pas essayés sérieusement. Il faut comprendre aussi que dans le monde la plupart des gens se fuient eux-même, qui dans les plaisirs de la consommation, qui dans le travail ou le désir, voir la névrose de reconnaissance sociale ou certains dans des actions qui paraissent assez nobles de l'extérieur mais qu'ils utilisent comme prétexte pour ne pas faire face à eux-même. Il y a une très belle ode mystique de Rumi dont le refrain dit simplement :'Arrête-toi ici!'[2]. C'est ce que fait l'ermite. Il sait 'se déposer' -comme on dit dans certaines provinces pour 'se reposer'...

   Dans la vie habituelle, on est entouré de toutes sortes de supports qui tiennent la place symbolique de la mère nourricière. Le mari est ainsi entouré par sa femme qui elle-même est également soutenue financièrement par son époux. Les religieux ont tendance à se regrouper dans une institution-mère, qui les nourrit et protège. L'ermite, lui, mange seul ce qu'il a préparé de ses propres mains. Il n'a pas l'illusion d'être pour cela complètement indépendant du reste du monde, car il sait bien qu'il n'a pas cultivé tout ce qu'il mange, et que peut-être il vit de donations de fidèles. Mais il a quand même plus d'indépendance que beaucoup d'autres.

    S'il monte en solitude, ce n'est pas par orgueil, c'est par humilité. Il ne fait que se laisser aller à une inspiration forte comme une aspiration, un courant d'air ascendant qui le porte comme l'oiseau près d’un col en montagne. A partir d'un certain niveau d'intensité intérieure il s'aperçoit qu'il ne peut être au four et au moulin à la fois, qu'il a chaque pied dans deux barques qui s'écartent, et il décide de s'asseoir dans celle de la solitude pour la grande traversée. A ce moment-là il se retire -s'il a la chance d'en avoir la possibilité; mais à long terme, ne crée-t-on pas sa propre chance? N'invente-t-on pas ses propre possibilités? On parle traditionnellement de passer «quarante jours», c'est-à-dire de nombreux jours dans le désert. Il s'agit aussi d'une «mise en quarantaine» : on veut être sûr qu'on n'a pas développé certaines maladies de l'âme, et le fait de rester «quarante jours» à s'observer nous permet de vérifier ce que nous avons ou non comme maladie en germe au fond de nous. Dans l'Eglise grecque vers le Ve siècle, on avait tellement confiance dans les moines et ermites que c'était parmi eux qu'on recrutait les évêques. C'est une tradition qui a tendance à perdurer jusqu'à nos jours dans l'Eglise copte.

   Pourquoi être ermite en Himalaya particulièrement? Il y a en fait deux sources principales pour les religions du monde: Jérusalem et l'Himalaya. De nos jours, Jérusalem n'est pas si paisible, les tensions là-bas occupent une bonne place des nouvelles internationales. Pour les non-dualistes, les védantins, les bouddhistes, l'Himalaya est la source. L'Himalaya tibétain fait moins parler de lui que Jérusalem, mais a en fait de sérieux problèmes avec l'occupation chinoise, qui ne seront vraiment résolus que quand il retrouvera son indépendance complète[3]. L'Himalaya népalais et indien continue une vie traditionnelle,  et même la région des montagnes au-dessus de Delhi a gagné un statut de province indépendante en novembre 2000 sous le nom d’Uttaranchal, « la région nord », ce qui lui permettra de mieux protéger sa personnalité. Parler de vie traditionnelle ne veut pas dire que tous les sadhous de l'Himalaya soient des saints, loin s'en faut. Comme les paysans locaux, la plupart fument beaucoup de marijuana, le chanvre poussant un peu partout.  Comme eux également, ils sont souvent illettrés et ne connaissent guère leurs propres Ecritures sacrées. Certains sont même des délinquants ou d'ex-agitateurs politiques qui se cachent de la police sous un habit de sadhou dans des régions reculées de montagnes. Mais de même que les mauvaises herbes servent de terreau aux fleurs et font ressortir leur beauté, de même cette masse de sadhous en eux-même peu recommandables créent une toile de fond de vie solitaire d'où se détachent quelques vrais saints.

 

 

 

 

 

L'amour - médecin de l'âme

 

par Marion Mantel

 

L'art de la Médecine de l'Âme ne s'étudie pas à l'université.

Il ne peut non plus être compris par la lecture des livres spécialisés, ou appris lors des stages de week-end.

Il n'y a pas de diplôme de maîtrise de cet art subtil, car l'apprenti médecin de l'âme reste, pour toujours, humble disciple du seul vrai maître apte à montrer le chemin : l'Amour.

Maître Amour - certains préfèrent l'appeler Dieu, le Soi, l'essence, l'être ou simplement la vie - est très exigeant concernant le choix de ses élèves.

Il n'accueille ni les orgueilleux, ni les paresseux, ni les arrogants, ni les ignorants …

Maître Amour n'adresse pas la parole à ceux qui croient tout savoir, ni à ceux qui s'imaginent tout pouvoir.

La peur le rend stupéfait, la colère muet.

L'Amour répond à l'appel du courageux disciple de la vie, qui est prêt à s'engager dans une voie sans but, dans un enseignement sans savoir, dans une pratique sans maîtrise.

Nul besoin de doctorat, de baccalauréat, ou de dons particuliers.

Être homme, femme ou enfant - tous sont admis.

Les animaux, les arbres et les fleurs, les océans et les ruisseaux, le vent et les montagnes, le feu et l'espace seront vos compagnons de classe et vos tuteurs.

Car, contrairement à l'homme, les autres participants à la création n'ont jamais oublié leur origine, la source de leur existence.

« Je pense, donc je suis » n'est pas leur devise.

« JE SUIS » leur suffit.

 

Si vous n'êtes pas encore parmi ceux qui ont joyeusement invité Maître Amour dans leur maison, il vaudrait mieux que je vous avertisse sur quelques traits de son caractère :

D'abord, Maître Amour choisit toujours la meilleure chambre - celle du cœur.

Il exige une propreté impeccable dans cette pièce et que c'est vous seul qui ayez droit d'y entrer et de faire le ménage !

Maître Amour est très, très sensible au bruit - si c'était lui, le maître de la maison, il ordonnerait le silence en permanence.

Il a une nature insatiable - surtout en ce qui concerne la nourriture.

Si vous ne le nourrissez pas suffisamment, Il meurt !

Pour son régime particulier, vous devrez lui servir de la joie en permanence, de la compassion sans limite, de l'émerveillement sans retenue et surtout : l'abandon à Sa Volonté.

La forme particulière de ces mets exquis l'importe peu : le murmure d'un ruisseau, le chant d'un oiseau, le saut d'un dauphin, le sourire d'un enfant, les larmes d'une mère … le menu est sans fin.

Ne craignez pas de vous répéter lors de la préparation des repas, car ce qui importe, c'est la qualité des ingrédients - et, je vous ne le cache pas - également la quantité.

Maître Amour préfère manger tout cru. Toute nourriture dénaturée ou trop cuite L'écœure.

Et, surtout, n'oubliez pas de Lui parler !

Vous pouvez Lui parler de n'importe quoi - à condition qu'il s'agisse de choses vraies.

Soyez sincère avec Lui, car Il l'est avec vous.

Ah oui, j'ai presque oublié de vous dire la chose la plus importante :

Une fois installé dans la chambre de votre cœur, Maître Amour ne bougera plus jamais !

 

C'est donc un locataire à vie !

Si tout cela ne vous fait pas peur, et que vous aspirez sérieusement à vous joindre à toutes les autres familles d'accueil, vous pourrez soumettre une demande formelle à Maître Amour.

Cela se fait habituellement par écrit, oralement, ou en l'esprit.

La prière et la contemplation silencieuse sont les méthodes les plus efficaces, si vous voulez qu'Il réponde vite.

Il aime aussi le chant ou la danse, et, si vous Lui offrez un tableau peint par vos soins, Il s'en réjouira !

Vous pourriez choisir n'importe quelle langue, Il les comprend toutes.

Une fois que ce mystérieux visiteur sera installé chez vous, vous n'aurez plus à vous inquiéter : Il s'occupera de tout !

Consultez-Le en cas de doute, ou si la tâche que la vie vous propose d'accomplir vous semble trop lourde.

Il fera le travail à votre place - et même beaucoup mieux !

Il soignera les malades, Il consolera les malheureux, Il prendra votre main pour vous guider dans la traversée du désert…

Il vous bercera dans Ses Bras en chantant des douces mélodies venues d'ailleurs…

Il vous inspirera foi et endurance, lorsque l'océan illimité reste votre seul refuge et que la rive n'est plus d'aucun secours…

Il vous montrera toujours et toujours la Lumière Infini…

Il vous portera encore et encore vers la Source d'Amour Qui Guérit…

 

Marion étudie l'enseignement de Mâ depuis plusieurs années ;

 elle vient d'achever le dernier d'une série de cinq livrets intitulé

 La source inépuisable de la joie;

 

 ce dernier texte en est extrait.

mariananda@free.fr

 

 

 

Programme de Swami Nirgounananda   en Europe

été 2003

 

Et il y a eu quelques changements et adaptations de programmes de Swamiji, mais les points forts restent les mêmes :

Du 26 juillet au 3 août : Epernon. contact Claude Portal 12 rue Lamartine 7800 Saint-Germain-en-Laye 01 34 51 74 41 ou en vacances en Auvergne : 04 71 50 93 87

En Suisse :  Lama Rigdzin 77 Chantemerle 2502 Bienne 00 41 32 322 18 28 dates à confirmer
 Du 17 au 23août : Terre du ciel domaine de Chardenoux 71500 Bruailles 03 85 60 40 30

Du 21 au 27 : Saint-Germain-en-Laye contact Claude Portal cf ci-dessus
Du 1 au 4 septembre : Assise contact Claude Portal

Du 4 au 9septembre (pleines journées du 5 au8) Les Courmettes contact Michel Tauziède domaine des Courmettes 06140 Tourettes-sur-Loup 04 93 24 17 00,  ou Michèle Cocchi, 0661142058  ou Geneviève Koevoets, 04 93 44 63 82
Après le 10 :Birmingham-Londres contact Christopher Pegler 

 

 

 

Renouvellement des abonnements

 

Nous avons renouvelé les abonnements au Jay Ma pour deux ans soit huits numéros. Pour ceux qui auraient oublié de le faire, ils peuvent envoyer un chèque de 16 € à l'ordre de Jacques Vigne à l'adresse suivante :

 Mme Magali Combal.

 en prenant soin de signaler clairement un éventuel changement d'adresse : faites-le maintenant pour ne pas oublier, cela évitera du travail à l’équipe de Jay Ma - nous vous  rappelons que nous sommes tous des bénévoles. Les éventuels bénéfices vont à l'ashram de Mâ, en particulier pour soutenir la publication anglaise d’Amrita Varta. Cela a été le cas pour l'exercice précédent, et nous avons ainsi pu verser 20000 roupies à Brahmachari Panuda qui s'en occupe à Bénarès. En cas de problème spécifique, n'hésitez pas à vous adresser à :

Shre Shree Ma Anandamayee Ashram

Dhaulchina 263681 Almora UA

Inde

 

 

Table des matières

 

 

 

Paroles de Mâ                                                                                                                                                           p.1

Ma rencontre avec Gurdjieff et quelques réflexions sur le tantrisme de la main gauche par Vijayânanda                      p.4

Mes contacts avec l’Occident à la lumière de l’enseignement de Shrî Mâ par Bithikâ Mukerjî                                   p.18

Mâ est ici et maintenant par Isabelle Trublet                                                                                                             p.27

La mystique du silence par Jacques Vigne                                                                                                                p.30

L'amour - médecin de l'âme par Marion Mantel                                                                                                       p.34

Programme de Swami Nirgounananda   en Europe                                                                                                    p.35

Renouvellement des abonnements                                                                                                                              p.38

 

 



[1] Michel Jourdan La vie d'ermite Albin Michel/Spiritualités vivantes étudie la vie érémitique dans les principales traditions et le livre récent de Dominque du Moizon A la rencontre des ermites d'aujourd'hui  aux éditions Nouvelle Cité parle des ermites actuels en France, il en a dénombré environ trois cent.

[2] Rûmî Odes mystiques  Kliencksieck 1973, p.93

[3] Edwar Lazar,editor Tibet The Issue Is Independence Full Circle Delhi 18-19 Dilshad garden GT Road Delhi 110095 Inde