Swami Nirgunananda
Extraits d’interventions et de questions-réponses
lors de la retraite à Epernon
en 2004
« Mâ, qui êtes
vous ? »
Ce matin, nous avons
commencé par la question que se posent venant de tant de dévots : « Mâ, qui
êtes vous ? ». Les gens commencèrent à poser cette question quand Mâ avait 20 ans. La même question continua d’être posée
jusqu’à ses derniers jours. Pourtant la question n’est toujours pas résolue, il
n’y a pas de réponse définitive à cette question. Parce que ces questions
étaient posées à Mâ par des personnes différentes, dans des contextes
différents, et parce qu’elle est une mère, elle devait répondre. Les réponses
données par Mâ étaient variées en termes de langage et de contexte, l’essence
restant la même. Dans sa vie, nous avons vu qu’elle répondait tout le temps aux
questions des dévots ; quand ils venaient la voir, à la première occasion
ils posaient une question, spirituelle ou relative au monde. Mâ devait répondre
à toutes ces questions. Vous pouvez trouver les paroles de Mâ dans nombre de
recueils ; aucune n’est issue de discours. Elle n’en a jamais donné et n’a
jamais écrit quoi que ce soit.
Ces recueils sont en
fait des réponses à des questions qu’on lui posait. On peut dire que c’était
une des activités principales activités de sa vie. En ce qui me concerne, les
questions des dévots ne m’ont pas été épargnées non plus, parce que j’étais
censé écrire des lettres pour elle ! Chaque lettre contenait jusqu’à 10
questions. Je devais les lire devant elle, recevoir les réponses et les
transmettre à l’expéditeur. C’est donc aussi mon expérience qui m’a fait voir
que Mâ répondait à des questions.
Qu’a dit Mâ à ce
sujet ? Je cite : « Ce corps ne répond pas à vos
questions » ; Elle ajoutait : « Les questions sont vôtres,
les réponses sont vôtres ». Comment cela peut-il être ? L’expérience
de tous ceux qui se sont approchés de Mâ montre qu’ils ont reçu des réponses
satisfaisantes. Mâ répétait pourtant : « Ce corps ne répond pas à vos
questions ». Cela semble contradictoire, n’est ce pas ? Elle aurait
pu facilement dire : « Dieu parle à travers moi. » ; cela
aurait pu être une réponse satisfaisante.
Elle n’a jamais dit
cela. Elle disait : « La question est vôtre, la réponse est vôtre,
seulement cela passe par les lèvres de ce corps ». Elle n’a jamais fait
référence à Dieu dans ce contexte. Comment réconcilier ces
contradictions ? Par votre propre expérience de vie ; oubliez la
philosophie, oubliez les écritures, oubliez les paroles des saints. Pouvez-vous
réconcilier cela à partir de l’expérience de votre propre vie ? […]
J’ai eu l’opportunité
de rencontrer un monsieur qui est venu me voir avec une question que je n’avais
jamais entendue. Du fait que je suis habillé en safran et de plus ayant appris
que j’avais été auprès de Mâ quelques temps, il pensait que je pouvais être une
(la) personne adéquate pour répondre à sa
question. Il m’a dit que c’était une question très personnelle. Alors qu’il
était sur le point de parler, je lui ai dit : « S’il vous plaît, arrêtez !…
Avant que vous n’exprimiez votre question, laissez moi vous demander : « Avez-vous
posé la même question à d’autres personnes ? ».
Il m’a répondu par
l’affirmative.
- « Pouvez vous me nommer ces personnes ? »
- « Mahesh
Yogi, Swami Chinmayananda (Un des plus grands connaisseurs de la philosophie
védantique du 20è siècle), Swami Chidananda, Swami Bhaskarananda (qui est chef
spirituel, non le successeur de Mâ) de la sangha (l’organisation). »
- « Et bien,
Monsieur, je me vois dans l’incapacité de répondre à cette question et même à
l’entendre ! »
-
« Pourquoi ? »
- « Les
personnes que vous avez citées sont toutes des sortes de luminaires dans le
monde spirituel contemporain, ils ont dû vous donner des réponses ? »
- « Oui. »
- « Et pourtant
nous n’êtes toujours pas satisfait, et vous me reposez la question. Vous n’avez
donc pas besoin de solution. Vous avez besoin que je donne mon accord à ce que
vous voulez … que je donne un signe d’assentiment. »
Et puis je lui ai
demandé : « Etes vous prêt à faire tout ce que je vous
demande ? »
- « Comment puis
je dire oui avant de savoir ce que vous allez me demander ? »
- « Qu’est ce
que cela veut dire ? Que quelque part dans la profondeur de votre esprit,
vous chérissez une solution à votre convenance, et si la réponse donnée par
tous ces grands Maîtres n’entre pas dans le cadre de votre convenance, vous ne
pouvez l’accepter. Cela signifie que vous aviez la réponse en vous-même. »
Il n’y a donc rien de
contradictoire dans la phrase de Mâ : « La question est vôtre, la
réponse est vôtre. » Je pense que vous avez connu ce type
d’expérience toute votre vie.
Q : « Comment savoir que la réponse est
bonne ? »
R : « Lisez le livre, le livre qui n’a pas encore été écrit, le
livre de votre vie. Vous avez lu tous les livres disponibles de par le monde.
Vous pouvez, bien sûr, emprunter la solution de vos problèmes à un de ces
livres et oublier le plus grand des livres qui soit : le livre de votre
vie. Cela ne vient pas de moi, je cite simplement une des paroles de Mâ. […]
C’est votre vie
elle-même, pas la vie de Nirgunanada, pas la vie de Mâ Ananda Mayi ni celle des
maîtres décédés, mais votre vie. Nous
ne prenons même pas la peine d’y pénétrer. Si vous le faites, vous aurez votre
réponse. Pour cela, il faudra vous retirer du monde extérieur, plonger en
vous-même ; pas dans le « Grand Soi », le « Soi » des
philosophies. Commencez d’abord par votre « soi » grossier, concret,
vos activités et pensées concrètes. Essayez et vous verrez que vous pourrez
retirer des joyaux de votre vie.
Hier, nous étions en
train de « questionner la question », que la force de cette question
n’était pas si grande que ça. Essayons d’investiguer la question plus en
profondeur, pour la rendre plus légère. Nous finirons par l’éliminer. Pour
extraire quelque chose du sol, on le secoue et on finit par le sortir. Comme
nous en faisons l’expérience chaque jour dans notre vie, cette question en
amène une autre.
« Mâ, qui êtes
vous ? » Elle a donné une
réponse à cette question ; elle a répondu en disant : « Pûrna Brahma Nârâyanâya » (
Nârâyana est le nom du dieu suprême).
Une autre question
était : « Mâ, pourquoi êtes vous ici ? »
Vous savez, je suis
venu ici de l’ashram de Mâ. Si quelqu’un de l’extérieur vous demande :
« Qui est cet homme en rouge ? ». Vous allez
répondre : « C’est un swami, un moine qui vient de
l’Inde ».
Immédiatement suivra
une autre question : « Que vient il faire ici ? ».
L’enchaînement des questions va continuer. Cela arrivait avec Mâ. Les gens lui
demandaient également : « Pourquoi êtes vous ici ?», « Quel
est le but de votre venue ? » Ici,
signifie votre naissance, votre vie.
D’une façon ou d’une
autre, Mâ devait répondre. Notez bien la question : « Mâ,
pourquoi êtes vous venue ? » ; cela sous entend :
« pourquoi êtes vous née ? ». On peut élargir la question :
« Pourquoi vivez vous ici ? ». Ce sont des questions normales,
naturelles…
Derrière chaque
action, il doit y avoir un but. Derrière chaque vie il doit y avoir un but.
C’est une façon rationnelle de penser. Mâ était née, elle vivait… il devait y
avoir un but. On peut nommer n’importe quelle grande âme (mahâtma), vous
découvrirez que son existence a ou avait un but défini.
La Bhagavadgîta est supposée être dictée par une des
incarnations du Seigneur. Le Seigneur Krishna lui-même à déclaré :
« Quand l’humanité est en train de se détériorer, pour lui donner un nouvel
élan, Je m’incarne. » C’est le cas de tous les grands maîtres spirituels.
Ils viennent pour nettoyer les squames déposées dans l’esprit des hommes… pour
« nettoyer les poubelles ! »
C’était le but de
qui ? Le sien ou de « Celui qui fait ? ». C’est un sujet
compliqué que nous abordons ; si quelqu’un me demande quel est le but de
ma naissance, je n’ai pas de réponse parce que c’est le seul incident dans ma
vie où je ne suis pas « Celui qui fait » (doer).
Votre venue,
questionnez le Créateur, Lui seul peut répondre ! Cherchez Le. Si vous
faites cette recherche sérieusement, c’est un chemin de réalisation.
Qu’est ce que
j’appelle la vie humaine ?
Quelques séquences d’actions ? Elle est définie dans un cadre de temps. Il
y a un point d’origine … et un point final. La naissance est le point de
départ ; peut être avant la naissance ? C’est au docteur (un
participant) de répondre. Il y a un point ou cela s’arrête. C’est ça la vie,
c’est vrai pour moi et pour vous.
Il y a une autre
conception que nous véhiculons dans notre esprit : toute action dans ma
vie, je la prends en considérant que j’en suis l’auteur. Je dis aussi :
« mon sang circule, mon coeur bat, comme si on en était l’auteur
(le « propulseur ») ? […]
Qui a fait ? La
réponse pourrait être : les parents ; ils voulaient un enfant. Avant
ma naissance, ma mère ne savait pas qu’elle allait donner naissance à un
garçon. Elle n’a pas eu le choix.
Il faut questionner
celui (Cela ?) qui en est l’auteur pour connaître le but. Les parents
voulaient un enfant, bien ! Ce n’est toutefois pas la totalité du but. […]
J’ai pris les deux
extrémités de ma vie, je ne trouve pas d’auteur de qui je pourrais obtenir une
réponse satisfaisante. Et malheureusement, au moment du départ, je n’aurai
l’opportunité de poser la question à quiconque parce que je n’y serai
plus ! Chacun sera le témoin de ma mort, sauf moi ! Et pourtant, on
demande à Mâ : « Pourquoi es tu née ? ». Pauvre femme, elle
devait répondre… parce qu’elle avait des enfants intelligents (comme
moi !) qu’elle devait satisfaire.
Elle disait :
« Vous avez voulu et vous l’avez eu ».
Est-ce que c’est une réponse ? Pas du tout ! Si vous
me demandez : « Swamiji, pourquoi êtes vous venu ? »,
j’aurais une réponse très simple : « J’ai été invité par Claude
Portal pour cette retraite, et je suis venu. » Ou bien je peux dire :
« Claude a voulu, et je suis venu ». Mâ aurait pu dire :
« Vous demandiez, et je suis venue ».
Qu’est ce que le
« le », « cela » (it) ? Est-ce une réponse ?
C’est comme si quelqu’un vous demandait : « Où allez
vous ? » et que vous répondiez : « Je suis en train de
manger ! »… Ce n’est pas une réponse.
Essayons de
comprendre ce que Mâ a dit. Le temps utilisé était un temps du passé. La
question est par contre posée au présent, à propos d’une chose se référant au
passé.
Qui voulait ? Il y a une
réponse si vous regardez la vie de Mâ. Sa grand-mère désirait un enfant,
un garçon. Elle a été dans un temple à proximité pour prier la déesse Kâli, de
façon à ce que son fils Bipin ait un fils. Dans sa prière, elle a oublié le
fils et a prié pour l’obtention d’une petite fille ! Je connais au moins
une personne qui souhaitait que son fils ait une fille. Cette dame est morte
avant que le monde sache que la fille serait Mâ Anandamayi. Elle a eu sa petite
fille, c’est vrai, mais ce n’était pas Anandamayi à ce moment là !
Examinons le cas des
personnes qui voulaient la naissance de cet enfant. Voyons donc d’abord le cas
des parents : Bipin et Mokshada. Ils voulaient un enfant ; ils ne
savaient pas si ce serait un garçon ou une fille… peut être un garçon, parce
qu’avant la naissance de Mâ, un garçon était né et était mort ? Peut être
avaient ils envie de remplacer ce fils mort ? Quoiqu’il en soit, nous
connaissons deux autres personnes qui désiraient la naissance d’un enfant, et
ils l’ont eu. Peut être que quelques parents ou amis le désiraient pour ce
couple ? C’est donc un petit groupe de personnes qui voulaient un enfant
et qui l’ont eu. Mais quand la question fut posée, ils n’avaient pas voulu qu’un enfant naisse de ce couple
en particulier, cela est sûr.
Comment est-ce que Mâ
peut répondre : « Vous avez voulu
et vous l’avez eu » ? Tous
les gens assis en face d’Elle étaient tous plus jeunes qu’elle. Tous les gens
plus âgés, on peut comprendre qu’ils aient voulu ;
les gens plus jeunes, ils l’ont eue,
mais ils ne l’ont jamais voulue !
De plus, en anglais on dit « vous », (sous entendu au singulier
s’adressant à une personne particulière), mais en bengali, Mâ utilisait le
pluriel pour répondre. La question était posée par une personne particulière,
et Mâ répondait en s’adressant à toute l’assemblée. Le pluriel signifie
l’ensemble des gens qui sont là ! Elle dit : « … Vous l’avez eu(e) » ! Qu’est ce que la
congrégation dans son ensemble voulait, et qu’a-t-elle obtenu ?
Peut-être voulaient
ils une mère et ils l’ont eue ! Beaucoup de gens l’ont vue alors qu’elle
s’appelait encore Nirmala ; eux aussi pouvaient dire : « Nous
avons eu Nirmala dans notre cœur ! ». Beaucoup de ces gens sont morts
avant que Nirmala devienne Anandamayi Mâ. Qu’ont-ils eu ? Mâ a quitté son
corps il y a 22 ans (en 1982), il y a encore beaucoup de gens de par le monde
qui l’ont aimée en l’absence de son corps physique et qui disent qu’ils ont
trouvé une personne à aimer, bien que n’ayant pas vu Mâ.
Il y a des exemples
de gens qui n’ont jamais entendu le nom de Mâ ; ils l’ont rencontrée ou
vue par « accident », et ils sont avec elle. Comment est il possible
qu’ils l’aient sans la vouloir ? Si je dis :
« J’ai obtenu Mâ dans ma vie » ; il est sûr que je ne l’ai jamais voulue avant de la voir. La première
fois où j’ai vu une photo d’elle, j’ai été attiré. Le deuxième jour, j’ai été
la voir et je me suis dit : « Oui, je l’ai obtenue ».
Qu’est ce que cela
(it) que nous souhaitons tous ?
Cela
(it) signifie quelque chose d’inanimé. Ce « l’ » de l’avez eu
est une chose inanimée. Qu’est ce que cela
en Elle qui ne peut être animé ? Ce « vous » de « vous
l’avez eu » n’est pas un « vous »
du passé, du présent, ni du futur ; ce « vous », c’est l’humanité.
Ce « vous » transcende le temps. Vous lisez dans la bible que Jésus s’adresse
à ses disciple : « Aime ton prochain… ».
Sentez qu’il s’adresse à vous, à
toute l’humanité ; cela a été dit il y a 2000 ans. Quand vous le lisez
maintenant, vous sentez que Jésus le dit à vous-même.
Ainsi, c’est le même
« vous », pas le « vous » exclusivement du passé, du
présent ou du futur. C’est pour l’humanité au sens très large.
Pour ce qui est du
« voulu », « désiré », le temps utilisé est un
temps du passé, un passé indéfini. Qu’est ce que toute l’humanité
désirait ? Cela demande à être examiné ! Quelle est cette demande
universelle ?
Soyez en certain,
vous ne pouvez pas désirer quelque chose qui vous est inconnu ! Vous ne
pouvez désirer que lorsque vous manquez de quelque chose. Manquer signifie que
vous aviez avant et que maintenant
vous n’avez plus. C’est un
fait ! Donc je veux quelque chose pour laquelle j’ai une sensation de
manque. Qu’est ce qui me manque ?
Cherchez, engagez le
moteur de recherche « Google » ... et trouvez ! ...
Que (re)cherchons
nous et comment ?
Pas avec
« Google » ; « Google » est uniquement le cerveau, pas
l’esprit ! C’est une machine, une intelligence mécanique. S’il vous manque
quelque chose dans le cerveau, il va sûrement pouvoir vous répondre ! S’il
vous manque quelque chose dans le cœur, votre cœur seul pourra répondre. De
quoi manquons nous ?
Intervention : « d’une plénitude d’amour… »
Réponse :
Vous avez raison, mais à cause de mes limites, je ne comprends pas tout à fait
le terme « plénitude ». Pourquoi est ce que je dis cela ? Disons
que j’ai un petit verre ; vous en avez un plus grand, je verse de l’eau
dans les deux jusqu’à les remplir. Dans le petit verre j’ai plénitude ;
dans le grand j’ai plénitude. Puis je dire qu’une plénitude est plus grande que
l’autre ? Ainsi la définition qui utilise le terme plénitude est
applicable à l’amour, mais elle n’est pas… définitive ! C’est un exemple
concret. Ces plénitudes ne sont pas égales entre elles. Vous avez raison,
seulement l’amour ! L’amour non qualifié, l’amour non quantifié. C’est ça
que vous voulez. Pouvez vous dire quelle quantité d’amour donnera la
plénitude ? Vous ne pouvez pas quantifier l’amour ! On dit toujours :
« Je vous aime beaucoup ! » Si je vous demande :
« Combien ? » Il n’y
aura pas de réponse… cette quantité ci, ou celle là ! Combien de
kilogrammes d’amour ? Est-ce que vous pouvez quantifier quelque chose qui
est abstrait ? Même s’il est possible de quantifier l’espace – je peux
quantifier l’espace qui est dans cette pièce- mais comment voulez vous
quantifier l’amour ? Beaucoup … ! Nous disons cela toute notre
vie sans en comprendre la signification ! Portez attention à ce que vous
dites ! Cela vous donnera la capacité de descendre de plus en plus
profondément en vous-même. Ainsi vous atteindrez le but ultime. Vous trouverez
votre existence.
C’est une chose
insignifiante à contempler pour un homme intelligent comme moi ! Mais ici
se trouve la lacune de ma vie ; accorder des degrés d’importance aux
objets créés. Nous sommes toujours hésitants à entrer dans la
comparaison ; nous voulons aller au-delà du comparable ; est ce
possible ? Nous savons très bien que l’absolu n’entre pas dans le
« monde comparatif », et inversément. Merci pour votre réponse
« plénitude d’amour ». Est ce qu’il vous en manque ? Non !
Quelques fois les
gens ne m’aiment pas, je suis d’accord et il est possible qu’à ce moment, cet
amour me manque ! Mais comment puis je dire que l’amour me manque ?
Si l’amour me manquait, il n’y aurait pas un sourire dans le monde. Il n’y
aurait que des gens qui pleurent ! Je vois parmi ce petit groupe des gens
sourire. C’est une indication que l’amour ne vous manque pas. C’est à vous de
savoir si l’amour vous manque ou non, mais c’est vrai que vous désirez
l’amour ! C’est encore un
paradoxe. Descendez profondément ; peut être est ce quelque chose qui
manque dans l’amour ! Vous ne manquez pas d’amour, mais quelque chose
manque dans l’amour que j’ai. Qu’est ce que c’est ? Vous y
réfléchissez ; je vais y réfléchir de mon côté !... On trouvera le
lien qui manque, et à notre façon. Nous ne nous appuyons pas sur quelque
philosophie et religion que ce soit.
Je suis sûr que,
continuant comme cela, on peut trouver la vérité, sortir la vérité de nous
même. Au moins, nous connaissons le langage du plus grand des livres. Quel est
ce plus grand livre ? Je vous l’ai dit : notre vie ! Soyez
certain que je ne peux lire votre livre ; le livre de chacun est écrit
dans un langage spécifique. Personne ne peut le lire ; même si j’en avais
le mot de passe, je ne pourrais pas le lire parce qu’il n’y a pas de mot de passe. Il n’y a donc pas
besoin de « sécurité ». C’est un livre ouvert, mais personne ne peut
le lire, excepté vous !
Merci, Jay Mâ !
Les 108 noms de Mâ
Pourquoi chanter les
108 noms de Mâ ? […] « Pourquoi devrions nous faire la pûjâ de
Mâ ? Pourquoi adorer une personne ? Cela peut être une question pour
certains, mais sûrement pas pour ceux qui aiment Mâ ! Une personne a un
nom. Pourquoi ais-je besoin d’un nom ? Pour connaître la personne d’une
façon particulière. Si je dis « vous », cela veut dire quelque chose
et cela ne veut rien dire ! Si je dis : « Bernard »
cela veut dire quelque chose, mais est ce que ce nom dit tout de Bernard ?
Non ! Bernard est médecin, si je suis malade je vais l’appeler et de ce
fait préciser un aspect particulier de lui. Ceci montre que le nom ne veut rien
dire ; c’est une particularité très limitée d’un être humain.
En Orient, chaque nom
désigne quelqu’un et en même temps le qualifie. Ici, en Occident, tellement de
dames s’appellent par exemple Isabelle, mais sont elles toutes comme
elle ? Non, il faut spécifier. En Inde, si vous lisez les noms, dans
chacun, un attribut humain est spécifié, quelque chose comme « Bernard le
docteur ». Nirgunananda est un homme mais si vous le spécifiez « avec
cette robe », c’est un moine.
Ainsi les 108 noms ne
spécifient pas seulement Mâ Anandamayi ; cela peut être n’importe qui,
cela pourrait être vous, mais comment ? Vous pouvez lire sur le côté droit
de la page (issue d’un fascicule
permettant de suivre les chants durant la retraite) les qualificatifs des
108 noms de Mâ. Vous les comprendrez tous. Si je dis : C’est un homme
bon ; comment puis-je savoir s’il en est ainsi si cette bonté n’est pas en moi ?
La perception de la
bonté est en moi, et c’est seulement à partir de cela que j’arrive à la
conclusion que cet homme est bon. Quelque fois j’oublie ma propre bonté, je
fais donc la pûjâ de quelqu’un d’autre en la ou le louant. Nécessairement cette
pûjâ est dirigée vers moi-même parce que je reconnais la bonté qui est en moi.
La pûjâ n’est donc pas uniquement une suite de rituels, c’est une affaire
d’introspection, de lecture du livre de sa propre vie. Elle n’est donc pas
uniquement pour les dévots, elle est aussi pour celles et ceux qui suivent la
voie de la connaissance (jnânin).
Quand il y a
réalisation que « je suis la vérité ultime », Brahmâsmi, ils ne sont
pas en train « d’injecter » le brahman en eux-mêmes, ils reconnaissent
la présence de la vérité omni pénétrante en eux. Je pourrais l’appeler
« Pûjâ-introspection » (en angl.) ! Si vous comprenez
véritablement sa signification, il n’est pas nécessaire d’être sceptique au
sujet de la Pûjâ. Cependant, nous avons besoin d’un objet pour y projeter notre
bonté.
C’est bien si vous
pouvez chanter les 108 noms de Mâ avec moi ; c’est mieux si vous lisez en
même temps le sens traduit dans la colonne de droite. Si vous comprenez ce qui y est écrit, soyez sûrs
que ces attributs sont en vous ; vous les avez reconnus. […]
Q. : A propos des 108 noms de Mâ, comment puis je
être la femme de Bolonath, la fille de Bipin…
R. : Bolonath
est un autre nom du Seigneur Shiva ; Bolonath n’est pas le nom de la
personne incarnée dans le mari de Mâ. Son nom était Ramani ( ?)
Chakravarti. Bolanath est le nom donné par Mâ à son mari. Le nom de Bipin
signifie « le firmament dans le ciel ». Ainsi nous sommes protégés ou
soutenus dans l’espace. L’espace nous protège. Vous êtes ainsi la fille de
Bipin, de l’espace. Effectivement, il faut en expliquer la terminologie. Mais
vous représentez, non seulement Brigitte (qui a posé la question) mais aussi le
monde féminin dans sa totalité, la féminité absolue. Et votre part masculine
est le seigneur suprême. Son nom est Bolanath.
Aucun nom n’a été
donné par moi (c’est Swani Nirgunananda qui a rassemblé par écrit les 108
noms de Mâ). Les 63 premiers noms viennent d’une prière quotidienne :
« Jay hridaya vasinî ». Cette prière a été écrite par Bhaiji. Tout le
crédit lui en revient. Quand je faisais la pûjâ sur le Samâdhi de Mâ, j’ai eu
le souhait de rendre l’ « archana » (l’hommage) avec différents
noms de Mâ. Les gens mettent souvent en parallèle Mâ, Kali ou Durga… J’ai
emprunté ces noms pour la Pûjâ. De plus, pourquoi irais je chercher dans
d’autres écritures puisque dans la prière de Bhaiji, il y a tant de noms ?
J’ai pris aussi quelques noms dans le pranam mantra. Il y a aussi une
méditation sur Mâ, le premier chant du matin : « Om dhrita sahaja Samâdhi… ».
J’y ai pris quelques noms également. Les autres noms sont issus de l’ouvrage
« Matri Darshan » de Bhaiji. Il se trouve qu’aujourd’hui c’est, selon
le calendrier lunaire, le jour anniversaire du « Maha Samâdhi » de
Bhaiji et, selon le calendrier solaire, le jour du « Maha Samâdhi »
de Mâ. Suit le chant des 108 noms de Mâ.
Q. : Quand on
récite les 108 noms de Mâ, est il important de les prononcer à la
perfection ?
R. : Oui et non,
mais quoique vous prononciez, il est
nécessaire de le faire avec amour.
C’est cela qui est nécessaire. Même si tu essayes, tu ne peux prononcer le
sanskrit tel que moi. Ce n’est pas ta langue maternelle ; ce n’est donc
pas nécessaire. Tu peux cependant le dire avec amour, c’est cela qui est
important.
L’Oblation accomplie
pour l’amour du Soi est appelée Pûjâ.
Quand nous sommes en relation d’amour avec quelqu’un, nous offrons quelque
chose ; cela arrive dans nos vies. Ce que vous offrez ne fait rien. Cela
n’a pas de valeur objective. C’est un témoignage d’amour. Ici aussi (lors de la
pûjâ), nous offrons quelque chose à Mâ, objectivement la Mère, subjectivement
la mère qui est en moi. Nous allons donner (cette offrande) sous la forme d’un
rituel. Après avoir chanté chaque nom, bien sûr avec amour, nous allons offrir
un témoignage de cet amour. En Inde, nous considérons le riz comme un des
objets sacrés de notre vie. Ces grains de riz soutiennent notre vie, n’est ce
pas ? On ne peut imaginer se sustenter sans cet aliment. C’est une des
choses que nous aimons dans la vie. Nous offrons quelques grains en même temps
que nous chantons les noms de Mâ. Si vous offrez des fleurs à quelqu’un, vous
ne les lui jetez pas ! Vous les lui donnez d’une manière décente, avec,
pour ainsi dire, le langage du corps adéquat ! C’est pour cela que ce geste
d’offrande s’appelle Mudra. Le Mudra
est un langage particulier qui est plaisant à regarder à la fois par le
pratiquant et par la personne à laquelle il est destiné. Vous pratiquez votre
offrande comme si l’amour s’était matérialisé dans les grains de riz.
Suit le rituel
accompagné du chant des 108 noms de Mâ…
3 états
Je suis à nouveau
assis sur ce podium et vous allez demander : « Et bien, Monsieur
Swami, vous avez dit que toutes ces qualités et attributs étaient miens !
Comment ajusteriez vous ces qualités ? Par exemple, comment puis je être
Celle qui donne naissance, Celle qui soutient, Celle qui détruit ? Ca ne
peut pas s’appliquer à moi ! Il est sûr que je ne suis ni le créateur, ni
le sustentateur, ni le destructeur de l’univers… Comment puis je mettre ces 3
qualités en relation avec ma propre vie ? »
Je parle en votre nom
et je mets ce Swami au pied du mur ! Tous les jours, je suis le créateur
de l’univers. Qu’était l’univers pour moi lorsque j’étais en sommeil
profond ? Où était il ? Et d’où vient il lorsque je me
réveille ?
Au moment où j’émerge
du sommeil profond, l’univers vient… Il était à l’état de graine en moi, et je
ne le savais pas ! Quand je suis à l’état d’éveil, il vient ; mais
d’où vient il ?
Les théories
scientifiques disent qu’à chaque instant les choses que vous voyez naissent de
vous. C’est un des aspects du bouddhisme. Ainsi, chaque jour, vous êtes celui
ou celle qui donne naissance au monde ; vous portez l’univers en vous.
Où ? Dans votre esprit. Vous êtes aussi « Vishva » (de Vaishvânara, l’état de veille de tout
homme en général).
Vous êtes aussi le
destructeur lorsque vous plongez dans le sommeil profond. Cela signifie qu’il
n’y a plus de monde, d’univers devant vous. En vous, il n’a pas d’existence, il
s’est dissout. Vous l’avez détruit dans votre sommeil profond.
J’ai évité de parler
de l’état de rêve parce que dans notre vie, ces séquences « création -
soutient – dissolution » ne s’ajustent pas exactement avec les séquences
« veille – rêve – sommeil profond ».
Imaginez l’état de
rêve… non, ne l’imaginez pas, pensez y. En vérité, vous ne rêvez pas,
le rêve vient à vous ! Vous ne pouvez pas rêver volontairement. Si vous
dites : « Le rêve est mon action », alors vous devez avoir un
contrôle sur lui. Avez-vous un contrôle sur vos rêves… non ! Alors,
comment pouvez vous dire : « Je rêve ! » ;
dites : « Le rêve est venu à moi ! »
Q. : Et le rêve éveillé ?
R. : Je parle
seulement de l’état de rêve. Oui, le
rêve éveillé existe, mais ce n’est que le jeu de l’imagination. Mais dans
l’état de rêve, que se passe t il ?
Vous existez et votre existence est dans le monde du rêve, pas
exactement dans le monde réel. D’où est venu ce monde ? Vous ne le voyez
pas, vous ne l’entendez pas, vous ne le goûtez pas ni ne le sentez. Dans le
rêve, vous pouvez manger des plats délicieux, voir des couleurs, entendre des
mélodies… Vous ressentez le toucher de votre bien aimée, de votre bien aimé.
D’où est venu tout ceci ? Il doit y avoir… un créateur de rêves !
Il y a 2
possibilités : ou vous croyez en Dieu, et Dieu est le créateur ; si
vous n’y croyez pas, une seule réponse est possible : le créateur, c’est
vous ! Vous êtes le créateur du
rêve d’un « monde du rêve ». L’état de rêve le confirme, mais vous ne
le savez pas. Les séquences sont quelque peu différentes : vous créez dans
l’état de rêve, vous soutenez dans l’état de veille et vous dissolvez dans
l’état de sommeil profond. Si vous
considérez l’état de sommeil profond, là aussi vous pouvez dire de ce point de
vue : avant, pendant et après le sommeil profond. Après, vous êtes
éveillés ; la séquence est perturbée.
Aspects de la méditation
Même si certain des
aspects dont je vais vous parler sont théoriques, ils pourront vous aider dans
la méditation. Tout action, parole, effort peuvent avoir de bons résultats,
pour autant que nous le planifions correctement. C’est notre expérience dans la
vie courante. On peut également appliquer cette logique dans le cas de la
méditation. Elle n’est pas quelque chose hors du monde. Par définition
« Dhyâna » est l’état sans effort. Les écritures disent :
« l’état sans objet ». Mâ disait : « l’état sans
pensées ».
Toutes nos autres
actions sont orientées objectivement, que l’on en soit conscient ou non. Les
actions involontaires qui sont aussi une part de notre vie, ou plutôt du
processus de vie sont également orientées objectivement. Peut-être sommes nous
oublieux de cet objectif ? Mais par définition, Dhyâna c’est donc l’état
sans objet et sans effort d’être.
Bien que ces
différences soient subtiles « je suis » et mon existence sont deux
choses différentes. Mon existence est comparative et l’état d’être n’est pas
comparatif, c’est un état unique. Quelle est la définition
d’« unique » ? C’est l’un sans second. Il n’y a donc pas de
deuxième terme. Je n’ose pas prononcer le mot « absolu ». Notre
conception de l’absolu est aussi quelque chose de comparatif. Dans un monde
relatif avec un processus de pensée relatif, si je cherche à définir quelque
chose d’absolu, jusqu’où puis je aller dans cette définition? Réfléchissez-y
avec votre propre logique, pas une logique « supérieure. »
Je reviens maintenant
à l’état de méditation. Les écritures et les voyants disent (c’est l’expérience
de tous les saints à travers le monde) : la méditation est un état sans
effort. Est il possible d’atteindre cet
état ?
Intellectuellement
oui, pratiquement, non ! Pourquoi tous les grands maîtres nous demandent
ils d’aller vers Dhyâna ? (Pour faciliter la compréhension, je vais
considérer maintenant dhyâna et méditation comme synonymes) Ils ont
prescrit des méthodes pour cela. Quelles sont les préparations nécessaires pour
entamer la méditation ? Ils ont dû trouver quelque chose ! L’état
sans effort est l’état sans action. Pour être plus précis, un état sans action
consciente. L’état sans action est l’état de mort, personne ne la demande. Je
suis toujours dans un état d’action.
Mon but est d’atteindre « quelque chose » qui est cet état sans
action. Théoriquement, nous avons un point de départ, l’état avec action, le but étant un état sans action. Le point de départ et le
but étant fixés, on a besoin d’un chemin.
Pourquoi aurais je
besoin de ce but « théorique » ? Pour les débutants, c’est
un but théorique ; pour moi, ce ne l’est pas ! Pourquoi ai-je besoin
de cet état ? Pourquoi est ce que j’aspire à cet état ? Parce que je
ne suis pas satisfait de mon état présent, c’est aussi simple que ça !
Qu’est ce qui ne va pas dans l’état actuel ? Il ne me donne pas le
bonheur. J’utilise le terme « bonheur » pour désigner cela ; je
ne parle pas de béatitude, ni de félicité ; je parle de notre vie
courante. Pourquoi est ce que je désire ce bonheur ? Parce que je ne l’ai
pas, ce qui veut dire que je suis malheureux. Si je me demande :
« Suis-je vraiment malheureux ? » La réponse est oui et non !
Je ne peux pas dire que je suis malheureux, j’ai touché des instants de bonheur
dans ma vie.
Maintenant, je suis
en face de vous, je vous parle et j’en suis heureux. Certains de vous peuvent
être heureux de m’écouter, d’autres pas… « Qu’est ce qu’il raconte ce
moine ? »
Donc vous ne pouvez
pas dire que vous êtes malheureux, maintenant. Mais je ne peux pas dire que
vous soyez heureux. Si, pendant mon discours, (un doute quel qu’il soit vient) quel
que doute que ce soit vienne à votre esprit, c’est l’expression du non bonheur.
Le doute est l’expression du fait de se sentir malheureux, de non satisfaction.
Je veux stopper cette oscillation et me retrouver dans un état
de « non oscillation ».
L’action c’est
l’oscillation. Est-ce que je veux donc un état sans action ?... Non !
Est-ce que je veux rejoindre l’état de sommeil profond toute ma vie ?...
non ! C’est un état (mental, bien sûr) sans action. Je ne veux pas de cet
état non plus ! Je ne souhaite ni cet état qui me donne à la fois du
bonheur et du malheur ni cet état sans action qu’est le sommeil profond.
Qu’est ce que je veux
vraiment ?
Il faut commencer par
définir cet état idéal. Oui, je veux un état (le but étant fixé théoriquement)
tel de non action quand je reste conscient de cet état sans action.
Au moins, mon intelligence doit avoir un rôle dans cet
état. Une autre cause de mon sentiment d’absence de bonheur, non satisfaction
dans ma vie présente est que je n’ai pas de bonheur
fixe. Et je ne suis même pas capable de définir ce qu’est le bonheur. C’est
une autre difficulté dans ma vie. Quand Jean chante, j’ai plaisir à l’écouter.
Maintenant, je suis heureux de vous parler. S’il commençait à chanter pendant
que je parle, je ne serais pas heureux. Ce qui m’avait réjoui quelques instants
auparavant, maintenant a entravé mon bonheur.
Quelle est donc ma
définition de ce sentiment de bonheur – non bonheur ? Je ne vais pas le
définir, vous le définirez vous-même parce que votre traduction du bonheur et
la mienne sont et doivent être différentes. Chaque individu a sa propre
définition. Si vous comprenez ce caractère unique, avec un peu d’intelligence,
tous vos sentiments de non bonheur vont s’évanouir. Vous n’aurez donc plus
besoin de définitions…
Chaque individu est
unique, c’est un fait. Théoriquement et philosophiquement je peux le prouver. Une
fois que vous avez éprouvé ce caractère unique de l’être, votre sentiment de
bonheur ainsi que de non bonheur s’en ira. Alors, vous n’aurez plus le désir
intense de « trouver » le bonheur. Vous serez libre de « ce
qu’on aime » et de ce « qu’on aime pas ». [conc. Le caractère
unique de l’être, voir les 108 noms de Mâ]. Pour comprendre théoriquement et
pratiquement cet état unique de l’être, on a besoin d’un peu d’intelligence…
nous en avons. Nous avons besoin d’un peu d’effort pour appliquer notre intelligence,
notre discrimination. Le nom de cet effort se nomme méditation.
La Mère
Swamiji chante un extrait de la Chandî, qui décrit,
également sous d’autres appellations, la Mère Divine considérée comme l’Ultime
Réalité. Ce chant fait partie des « Shakta-Tantra ».
Le premier shloka est
dédié à la Mère ; ici, elle est appelée « prâna shakti », notre
énergie vitale. En moi, mon énergie vitale est aussi ma mère, ce qui signifie
« la Mère à l’intérieur de moi ». Il est aussi, bien entendu, une
salutation à Mâ. Je vais vous donner un exemple dont j’ai été témoin pendant
que j’étais auprès de Mâ :
Une famille qui
représentait 3 générations est venue voir Mâ : un homme âgé avec sa femme,
leur fils avec sa femme, et un adolescent. Le couple âgé s’adressa à Mâ en tant
que « Mère ». Le couple plus jeune s’adressa également à Elle en tant
que « Mère ». Leur enfant fit de même. C’est une scène normale, n’est
ce pas ? Cela m’apporta néanmoins une grande contradiction dans mon
esprit. Je n’avais pas d’explication. Hier je vous disais que lorsque je
m’adresse à quelqu’un, d’abord j’établis une relation, ensuite commence la
communication. J’établis cette relation selon ma convenance. Ici, je représente
les gens en général. Aussi bien la dame âgée que son mari s’adressait à Mâ en
disant « Mère ». C’est compréhensible, ils sont suffisamment âgés
pour que leurs parents soient morts. Du fond de leur cœur, ils ressentent
naturellement le besoin d’une mère. Que dire des autres générations qui
l’appelaient « Mère » également ?
Ils l’appelaient
« mère » avec amour. L’homme de la 2ème génération était
avec sa mère biologique ! La 2ème et la 3ème
génération n’avaient donc pas besoin d’un substitut de mère !…
Maintenant, je vais
poser une question aux mères qui sont ici : en tant que mère, pouvez vous
tolérer que votre enfant s’adresse à une dame inconnue en l’appelant
« mère » en face de vous ?
Le cœur d’une mère ne
peut tolérer cela, qu’elle soit orientale ou occidentale. Ici nous voyons le
contraire ; dans cette scène il y a deux mères avec leur enfant. En face
de leurs deux mères, les deux enfants s’adressent à Mâ en disant
« mère » ! Les mères biologiques n’en étaient pas malheureuses.
Puis je conclure que nous avons besoin d’une « Mère », bien que nous
ayons une mère biologique ? Est-ce que vous me permettriez de conclure
cela ?
Avant de La
rencontrer, je faisais partie du peu de bengalis « bien éduqués » qui
ne connaissaient pas Mâ Anandamayi ; je n’étais pas intéressé par les
choses spirituelles. Incidemment je vis une de ses photographies et
immédiatement, ma réaction fut : « C’est ma mère ! ».
A cette époque, j’avais deux « épicentres » : l’un
était ma mère biologique et l’autre, ma vie scientifique. Je vis donc la
photographie d’une dame de 50 ans. Cette photo m’attira. Dès ce moment,
j’oubliai un des « centres » de ma vie : ma mère biologique. J’allai
voir cette dame de 50 ans et j’eu la même impression : « C’est ma
mère ! ».
Si je me
demandais : « As-tu besoin d’une mère de substitution ? »
La réponse était : « Non ! » Mais pourtant je ressentais le
besoin d’une mère ! Si je me demandais : « Est ce que quelque
chose n’allait pas avec ma propre mère ? » La réponse était
« non ! » Alors pourquoi avais je besoin d’une autre mère et
pourquoi ais je reconnu une dame inconnue comme ma mère ?
Ici, « Mère »
signifie « amour ». Est-ce que ma propre mère ne me donnait pas
d’amour ? J’avais l’amour d’une mère. Qu’y a-t-il de particulier dans Son
amour (Mâ) et dans l’amour de ma mère ?
Est-ce que je demande
une forme spéciale d’amour dans ma vie ? J’avais une sorte particulière
d’amour, pas l’amour « normal ». Avec un regard « spécial »
nous voyons les choses « normales » comme étant
« spéciales ». J’étais supposé voir normalement sans mes lunettes ;
ma vue est devenue déficiente. Elle est donc devenue particulière. Si
particulière que je ne peux vous voir clairement ! J’ai donc besoin d’un
« gadget » particulier. En le mettant je vois les choses
« normalement ». En anglais on dit que quelqu’un qui a la jaunisse voit
tout en jaune. Si vous avez une hépatite, vous voyez en jaune. Est-ce une
vision normale ? Celui qui a la jaunisse dira la vérité en disant
« c’est jaune » !
D’une certaine
manière la vision de ma propre mère est devenue « spéciale » dans le
processus de la vie. Je cherche toujours maintenant les choses
« normales ». Pourquoi ? Est-ce que je sais ce qui est
normal ?
Bien sûr, si je veux
quelque chose, je dois en avoir eu l’empreinte, l’impression en moi avant, nous
avons établi ce fait. J’ai l’impression d’un amour « normal » en moi.
Comment, où et quand ? D’où, quand, et de qui me vient cette impression
d’amour normal ? Il n’y a pas de réponse venant de ce monde sensible… La
seule réponse est que cette impression,
je l’ai reçue de ma mère biologique. J’ai goûté l’amour « normal »,
venant de ma mère biologique, sans attente de réciprocité. Quand ? Avant
ma naissance… Avant de voir la lumière du monde.
Maintenant, ce que
nous appelons « amour », c’est de l’amour placé dans un cadre ;
pour aimer quelqu’un ou quelque chose, nous avons besoin d’un cadre, d’un nom.
Je ne peux pas aller au delà de ce cadre sans me sentir en insécurité. On
ne peut pas imaginer diriger notre amour vers quelque chose sans nom ni forme.
Je ne prends pas en considération les pensées abstraites. Pour l’instant,
laissons bien reposer nos pieds sur la terre ferme. Je parle d’une période où
ce qui est la pensée n’était pas dans ma pensée… La pensée est le résultat de
l’intelligence, quand je suis né, je n’avais pas d’intelligence, elle devait
encore être développée. Elle était cachée dans les cellules de mon cerveau. Il
y a un endroit dans notre corps où les cellules ne croissent jamais : le
cerveau. Je suis né avec toutes ces cellules intactes. Elles croissent en
volume, non en nombre. J’en parle avec autorité : j’étais un scientifique
en biologie.
J’en reviens au
sujet : nous ne pouvons penser à quelque chose sans nom ni forme. C’est un
fait de vie. Nom et forme sont retreints à un cadre. L’amour est mis en
cage ; à cause de ce nom et de cette forme, il n’y a pas de liberté dans
l’amour.
Le nom et la forme
conditionnent l’amour ; cependant, dans le cœur de mon cœur, je ne veux
pas ce conditionnement. Je veux la liberté. Comment donc ais je goûté cet amour
inconditionnel ?
Maintenant j’en viens
à la biologie. Quand ma mère me portait, avec toutes les difficultés
habituelles, on peut dire qu’elle m’aimait. Si cela n’avait pas été le cas,
peut être se serait elle fait avorter ? Quel était mon nom, quelle
était ma forme pendant ces longs 9 mois ?
Y a-t-il un doute sur
le fait qu’elle m’aimait ? Comme une personne « intelligente »
je dis encore : « Bien, Monsieur Nirgunananda, l’amour est impossible
sans nom ni forme ! » Pourtant c’est possible ! C’est possible
pour une mère.
Lors de la grossesse,
quand elle dit : « J’aime mon enfant », elle exprime en fait
« Je m’aime moi-même ! » Ce n’est pas quelque chose de différent
d’elle du point de vue physiologique ; est ce que ce doigt est différent
de moi ? Je prends de la nourriture, le bout de mon doigt touche la
nourriture ; je respire de l’oxygène, j’inspire et le bout de mon doigt
reçoit de l’oxygène. Si je dis : « J’aime mon doigt », je
dis : « Je m’aime moi-même ! ». Ces cheveux, ces ongles
sont des tissus morts, cependant nous les aimons.
Quand la mère porte
son enfant, c’est l’amour d’elle-même. La mère prend de la nourriture et
l’enfant est nourri. Son cœur bat, la circulation se fait dans le fœtus. La
mère respire de l’oxygène, le fœtus en reçoit aussi. C’est un autre membre du
corps de la mère. L’enfant n’est pas quelque chose de différent d’elle, il est
elle.
Ce que nous voulons,
c’est l’amour sans nom et sans forme, l’amour qui ne soit pas mis en cage.
Est-ce donc possible
d’aimer quelque chose sans nom ni forme ? Mon intelligence dira :
« Non ! » Mon expérience dira : « Oui ! »
Pouvez vous nier que vous vous aimez vous-même ? Je ne nie pas que je
m’aime moi-même ! Est-ce que j’aime Nirgunananda ; ais je besoin d’un
nom pour m’aimer ? Vous avez besoin du nom « Nirgunananda » pour
l’aimer ! Alors comment puis je dire que l’amour sans nom est
impossible ? Est-ce que je m’aime uniquement lorsque je suis devant un
miroir ? Est-ce que vous vous aimez uniquement lorsque vous êtes devant un
miroir ? Les gens ont besoin de votre forme pour vous aimer ! Vous
n’avez pas besoin d’une forme pour aimer. Alors pourquoi dites vous :
« Il est impossible d’aimer quelqu’un ou quelque chose sans nom ni
forme ? » Parce que nous ne voulons pas voir les faits de la vie. Nous
ne voulons pas expliquer les actions que nous accomplissons au long de notre
vie. Alors il est possible d’aimer sans nom ni forme quand l’amour n’est pas objectif.
Nous avons goûté
l’amour subjectif, depuis le début de notre vie fœtale. Depuis ce début, j’ai
goûté cet amour subjectif. Dès que je suis né, ma mère a commencé à aimer son
fils ! Dans la tradition indienne on donne le nom à l’enfant 6 jours après
sa naissance. Si j’avais une forme, il y avait seulement un cadre ;
pendant 6 jours, j’ai goûté à l’amour sans nom (sans avoir un nom…). Le 6ème
jour, un autre cadre : on m’a donné un nom !
Ma mère a commencé à
aimer son fils pourvu d’un nom. Je ne dis pas que son amour a décru ou
augmenté, il est resté le même mais je suis devenu un objet d’amour pour ma mère. Avant, le je était elle-même. Et
j’ai goûté le même amour en tant que fœtus. C’était un amour subjectif :
ma mère s’aimait elle-même. C’est cela qui nous manque toute notre vie…
C’est un monde
transitoire, tous les objets changent ; ainsi on ne peut fixer son amour sur quoi que ce soit. On
ne peut ressentir l’essence perpétuelle de l’amour. Non seulement l’objet a
changé mais moi aussi j’ai changé. L’objet et le sujet changent. Comment puis
je goûter l’essence perpétuelle de l’amour qui est subjectif ?
Après, j’ai commencé
à parler. Ma mère voulait entendre ma voix et aimait beaucoup m’entendre
dire : « Maman, je t’aime ». Si je ne lui faisais pas cette
déclaration, elle ne se sentait pas bien ! Quand vous portez votre bébé,
vous lui parlez n’est ce pas ? Il ne vous répond pas pour autant,
vous ne vous en sentez pas plus mal !
Je parle du cœur
d’une mère que vous avez. S’il vous plaît, dites moi la vérité en tant que
mère. Si votre enfant ne vous dit pas : « Maman je t’aime »,
vous êtes malheureuse. Avant c’était un amour « unidirectionnel »,
c’est devenu un amour « bidirectionnel » qui induit des attentes. Ce
que nous voulons, c’est l’amour sans attente de réciprocité.
C’est le besoin
universel.
Généralement, je
pense que je vis dans l’amour de Mâ. J’aime parler de l’amour maternel aussi
bien que de l’amour de Mâ. En général les gens me demandent :
« Swamiji, quel chemin spirituel suivez vous ? » Quelques fois
je parle du Vedânta, quelques fois du Yoga, mais principalement je parle de
l’amour de la Mère. Certains me demandent parfois : « Swami, suivez
vous le chemin de la dévotion ? » Ma réponse est très simple :
« Non ! Je suis le chemin de l’amour. »
Il y a une différence
entre le chemin de la dévotion et le chemin de l’amour. Les gens me demandent
si je suis disciple de Anandamayi Mâ. Je dis : « Non ! » Un
gourou a un disciple, Dieu a ses dévots et une Mère a ses enfants. Là, je suis
l’enfant de la Mère ; n’amenez pas de philosophie dans le sujet ! La
relation gourou-disciple est bien connue, la relation Mère-disciple, ça ne
« colle » pas très bien !... La relation Mère-enfant convient
mieux !
Les gens
disent : « Le chemin de l’amour –prema- est le chemin de la
dévotion ». Je leur demanderais : « Connaissez vous une seule
personne qui ne suive le chemin de l’amour, dans toute l’histoire spirituelle
de l’humanité ? Sans parler des personnes spirituelles, pouvez vous citer
un seul intellectuel, un seul philosophe qui n’ait jamais suivi le chemin de
l’amour, toutes branches confondues ? »
Je vais nommer une
personne : Shankaracharya qui proposa la voie de la discrimination, le
monisme non dualiste (advaïta Vedânta). Il y a tant de penseurs, de philosophes
contemporains qui aussi ont écarté le chemin de la dévotion. Mais eux aussi ont
pratiqué le chemin de l’amour. Qu’a fait Shankaracharya ? Au 8ème
siècle, en Inde, il y avait beaucoup de philosophies spirituelles. Je parle de
Shankaracharya parce que le Vedânta, le monisme non dualiste est très populaire
en occident, parce qu’il est très proche du raisonnement logique de l’homme.
C’est une nourriture délicieuse pour la pensée. A la suite de Vivekananda,
c’est une pensée qui s’est beaucoup répandue. Shankaracharya a pris le
contre-pied des philosophies en cours à son époque, et établi ce monisme non
dualiste. Il l’a appelé jnana Yoga, voie de la connaissance, de la discrimination.
Il a nié le chemin de
la dévotion. Je dirais pourtant qu’il a suivi le chemin de l’amour. N’est ce
pas contradictoire ?
Non, ce ne l’est
pas ! Le chemin de l’amour est aussi le chemin vers la Mère. L’amour
trouve sa perfection dans la Mère et nulle part ailleurs. Je vais le
prouver !
Voulez vous entendre
ce que Shankaracharya a dit dans une de ses prières malgré le fait qu’il
ait pris les positions que je viens d’énoncer ?
J’en traduis quelques
lignes :
« Ô Mère, je n’aspire pas à la libération,
je n’aspire pas aux richesses des trois mondes,
je ne veux pas atteindre le but suprême en suivant la
voie du détachement,
Mère, je veux être avec Toi ! »
N’est ce pas
l’expression de l’amour pour la Mère ?
Vous pouvez me
demander : « Swamiji, comment pouvez vous savoir que cela a été écrit
par Shankaracharya lui-même ? Avez-vous le manuscrit qui le
prouve ? »
J’ai la preuve
directe qu’il a suivi le chemin de l’amour, ne parlons pas de la
dévotion ! C’est si simple ! Je vais prendre Bernard pour cible… Si,
au lieu d’être docteur tu pouvais être un professeur ? Pourquoi as-tu
choisi cette voie de la médecine ? Parce que tu aimais ce chemin, n’est ce pas ?
Il y avait tellement
de philosophies prépondérantes à l’époque de Shankaracharya ; je lui
aurais demandé en toute humilité : « Pourquoi as-tu choisi spécifiquement
la voie de la discrimination ? »
Il aurait eu
l’honnêteté de répondre « parce que de tous les chemins, c’est celui que
je préfère, c’est pour cela que je le suis »
Peut être n’aimait il
pas le chemin de la dévotion ou le chemin de l’amour, c’est possible, mais il
aimait le chemin qu’il suivait ! Quelle est cette plateforme ? Je ne
suis pas en train de jongler avec les
mots, je dis les faits de la vie. En ce qui me concerne, j’ai eu tellement de
choix ; j’aurais pu être un scientifique dans le domaine de la physique ou
de la chimie. J’ai choisi la biochimie parce que j’aime la biochimie !
C’est la même chose pour Shankaracharya. Il pouvait ne pas aimer la voie de
l’amour, mais il aimait la voie qu’il suivait.
Marx et Engels
étaient contre la spiritualité. Pourquoi ont-ils établi la philosophie du
communisme ? Parce qu’il aimaient cette philosophie !
Il n’y a pas d’être
humain sous le soleil dont la base ne soit pas l’amour.
Notre base est
l’amour.
Nous avons besoin de
savoir quel est cet amour. Nous avons à redéfinir l’amour dans nos vies, de
façon pratique, concrète, et pour définir l’amour, nous n’avons besoin ni de
Platon ni de Socrate ! Dans les Dialogues de Platon, vous trouverez
beaucoup de choses sur l’amour. Il n’y a pas besoin d’emprunter une définition
de l’amour pour vos vies. C’est ce que nous essayons de faire : chercher
une définition correcte de l’amour, afin de découvrir notre existence réelle
dans le processus de ce monde.
Jay Mâ !
Pratique de la méditation.
Je vais présenter
quelques aspects pratiques de la méditation. Je commencerai par quelques
paroles de Mâ : « La pratique spirituelle est simple et c’est une faculté
innée de l’être humain ». C’est ma façon de traduire les paroles de Mâ en
anglais. D’autres personnes ont traduit par : « La pratique
spirituelle est aisée et simple ». Notre expérience nous montre plutôt le
contraire. Ce n’est pas si facile, physiquement et mentalement ! C’est
notre expérience. Si vous prenez la traduction conventionnelle : « …
aisée et simple »… Une contradiction de plus ! Je ne peux pas dire
que mon expérience soit fausse, et en même temps, comment puis je affirmer que
Mâ a dit quelque chose de faux ? Nous avons besoin d’une
« réconciliation ».
Que vous parliez de
méditation en français et de dhyâna en sanskrit, prenons pour l’instant cette
équivalence (bien que je ne sois pas d’accord). Nous avons donné
de « dhyâna » une description selon les écritures, une
définition donnée par Mâ. Je vous la rappelle, les écritures disent :
« Le mental sans objet ». Cette définition est un peu difficile à
comprendre parce que le mental sera là, mais sans objet. Le mental existe s’il
y a objet. Ceci soulève une question : « Quand les écritures parlent
du mental, est ce un mental différent de celui auquel nous pensons ? Oui,
ce n’est pas le mental de la psychologie. Ce mental est appelé « être
intérieur », mon existence intérieure.
Un autre mot en
sanskrit désigne le mental : « antahkarana » qui est
« nirvishaya » et signifie « instrument interne sans objet
». Si vous le prenez comme cela, il n’y a pas de contradictions. Mâ était très
claire : l’état sans pensée est l’état de « dhyâna ». Nous
essayons de voir si l’on peut atteindre intellectuellement un état sans pensées.
Le concept même de « sans pensées » est une pensée, un objet !
Je suis en train de « penser à l’état sans pensées ». N’est ce pas un
paradoxe ? Oui bien sûr : ici « sans pensée » signifie
« diminuer la sphère de pensée ». Il est possible d’approcher un état
sans pensées. Je prends l’image d’un tireur à l’arc : voyant la cible, il voit des cercles
concentriques. Le centre n’est pas un cercle mais un point, l’objectif est
d’atteindre ce point. A partir des cercles périphériques, il tente d’approcher
ce point central. Cette image met en lumière l’approche de l’état méditatif.
Nous sommes dans un
état objectif aussi bien que subjectif. Par exemple, Nirgunananda dit :
« Je suis, je m’exprime donc ainsi », il y a une relation
sujet-objet. Tant que nous sommes dans ce monde objectif, toutes nos actions et
pensées sont orientées objectivement, il n’y a pas de doutes. Passer d’un coup
du subjectif à l’objectif est apparemment impossible. Ce n’est pas tout à fait
le cas. Par exemple, commençons par porter notre attention sur le cercle
extérieur de la cible. Puis concentrons nous sur le cercle intérieur et
rapprochons nous, nous arriverons au point central. Dans ce point central il y
a, comparativement, moins d’objets de pensée.
Cela me rappelle une
histoire de notre mythologie ; si vous en comprenez le sens, vous verrez
que la méditation devient facile, et souvenez vous que la méditation est un
exercice mental. C’est quelque chose qui est relié très intimement avec notre
état physique. Vous fixez le but intérieur mentalement, vous ne pouvez pas dire
à la flèche : « Vas y, fonce vers la cible ! » Il va
falloir envoyer la flèche physiquement. Seulement alors, vous aurez droit à la
médaille d’or ! Il faut se souvenir de cette relation étroite entre ces
deux aspects.
L’entraînement du
mental n’est pas prioritaire. La chose la plus importante est l’entraînement de
votre corps physique. C’est par les 8 étapes (lit. 8 membres, ashtânga) du Yoga, qu’il faut
commencer. Les 4 premières étapes sont des préparations physiques. C’est à
partir de la 5ème que l’on entre dans le mental. Bien sûr, celui qui
est préparé et peut « sauter plus loin », peut ignorer ces étapes. En
fait, généralement, on souhaite sauter par dessus toutes ces étapes. Je ne dis
pas que ce soit impossible, certains peuvent sauter à un mètre, d’autres à
trois mètres ! Mais cela demande de la pratique.
Je reviens à mon
histoire.
- Un maître de tir à
l’arc, après l’entraînement, voulu mettre à l’épreuve ses disciples. Il plaça
une cible, un oiseau en bois, sur la branche d’un arbre. Sous l’arbre, il
déposa un miroir. Il fut demandé à chaque disciple, un à un, de toucher l’œil
droit de l’oiseau après l’avoir visé en regardant dans le miroir ! Ce
maître était un expert dans cet art. Un disciple après l’autre se présenta. Le
maître demanda : « Vois tu cet oiseau ? » - « Oui
maître ! » - « Que vois tu ? » - Le premier a
répondu : « Je vois l’oiseau assis sur une branche » -
« Peux tu tirer en regardant l’image ? » - « Oui, je le
peux ! » - « Va t’en. »
Il appela le disciple
suivant : - « Est ce que tu vois l’objectif ? » -
« Oui, maître ! » - « Qu’est ce que tu vois ? » -
« Je vois l’oiseau. » - « Quelle est la couleur de
l’oiseau ? » - « Elle est brune, maître ! » - « Peux
tu le tirer ? » - « Oui ! » - « Va t’en… disqualifié ! »
Arjuna, le plus grand
des archers arriva. - « Que vas-tu tirer, mon garçon ? » -
« L’œil droit de l’oiseau ! » -« Regarde le miroir, vois tu
l’arbre ? » -« Non ! » - « Vois tu l’oiseau ? »
- « Non ! » - « Que vas-tu tirer ? »
-« Seulement l’œil, maître ! » - « Tire ! ... »
Cela, on peut le
faire. On commence avec une certaine objectivité, on se rapproche petit à
petit ; on n’a pas besoin de transcender l’objectivité, elle le sera
automatiquement. Je vais vous donner un autre exemple que vous pouvez essayer.
Sans vouloir intervenir sur votre propre pratique, je vais vous donner quelques
préliminaires que nous évitons la plupart du temps, et nous essayons de
« sauter » directement sur la cible. Même pour sauter, vous avez
besoin d’une plateforme solide. Je vous en parlerai demain…
Jay Mâ !
Parlant de la
méditation, j’ai évoqué hier la comparaison entre la cible et la sphère
mentale. Comment effectuer ce rapprochement ? Prenons la cible, la
contemplation objective ; avec l’attention juste, on peut atteindre l’état
sans objet. Essayons théoriquement : regardons cette photo. Quand je me
demande : « Que vois tu ? » La réponse est : « Le
visage d’une femme ». Naturellement quand je vois cette photo, je vois aussi
les lumières, les rideaux, les fleurs ; ces choses viennent à mes yeux.
Ils ont une image inversée sur ma rétine, qui envoie les signaux vers mon
cerveau. Le processus de vision a lieu. Quand je dis : « Je vois le
visage de Mâ », mon attention est focalisée sur le visage. Bien
que mes yeux ne soient pas déficients et que ma vue soit bonne, toutes les
choses alentour ne sont pas clairement visibles. Le parallèle exprimé hier
(cible, cercle, point), montre qu’on ne voit que le point. Quand je dis :
« Je vois le visage de Mâ », c’est à la fois une vraie et une fausse
affirmation. Ne voyez vous pas la serviette qu’elle porte autour du cou ?
Vous verrez le visage de Mâ ; la serviette n’est pas son visage. Votre
attention est focalisée uniquement sur le visage, pas sur la serviette !
Je reviens à cette
juste attention du mental. Selon le bouddhisme Theravada, c’est le seul moyen
pour atteindre le Nirvana. Ils n’ont pas tort ; beaucoup de moines et de
saints l’ont atteint ainsi. Je n’emprunte pas ceci d’une philosophie
bouddhiste, c’est simplement mentionné dans nos écritures. Les bouddhistes en
ont eu une approche peut être plus scientifique. Maintenant, je vois le
visage ; est ce la seule chose ?
De quoi est il composé ? […] Lorsque je dis : « J’aime le
regard », je me concentre sur les yeux seulement. Maintenant si je
détaille les yeux, que j’enregistre ce que je vois sur la photo, je verrai
tellement de choses ! Je m’approche de plus en plus ; j’arrive à la
pupille, c’est aussi un cercle qui a une surface qui est composée de points. Se
rapprochant en se centrant encore, on va finir par un point. Qu’est la
définition du point ? Il n’a pas de longueur ni de largeur ! Il
a bien une existence, mais pas objective. C’est pourquoi, en mathématique, le
point est une supposition ! Si
vous placez votre plume sur un papier et dites « point ! », ce
n’est pas du tout un point, cela représente
un point. Lorsque votre attention est totalement centrée sur le
« point », vous avez atteint l’état sans objet. C’est le point qui va
transcender votre mental. Il n’y a pas de mal à commencer la contemplation en
se concentrant sur un objet, si vous connaissez votre but. Vous pouvez vous en
rapprocher, vous centrer.
Jay Mâ !
Je ne vous donne pas
une méthode de méditation ; ceci sont des choses communes que nous pouvons
partager. Je ne souhaite pas que vous changiez votre méthode de méditation. Si
vous commencez par ces préliminaires, cela sera plus facile. Alors vous
comprendrez pourquoi Mâ disait : « Vous avez la faculté innée
(sahâja) de vous engager sur le chemin de la spiritualité. Ce chemin est droit
et simple. Sachez ce que vous faites.
Ceci est peut être
notre dernière discussion sur la méditation. Elle portait hier sur le
« rapprochement du centre de la cible, de l’objet » pendant la
méditation. Hier, nous nous sommes rapprochés de l’objet de la méditation ; aujourd’hui, nous allons nous
rapprocher du sujet de la méditation.
J’espère que vous
vous souvenez de ce que j’ai dit durant les 5 derniers jours ; je
dis : « J’espère », parce que j’ai quelques doutes. Je ne doute pas
de votre sincérité ; le doute porte sur un autre aspect. Comme je dis
toujours, notre vie doit porter sur nos besoins, pas sur nos désirs. J’ai peut
être dit des choses dont vous n’aviez pas besoin. Vous n’avez pas besoin de
vous souvenir de tout ça. Connaissant la méditation selon les livres, nous
allons d’abord essayer de la définir sous son aspect pratique. Ensuite nous
discuterons à propos des termes « dhyâna » et
« méditation ». Nous allons aussi parler de l’ « ashtanga
yoga » et la place qu’y trouve la méditation.
Lorsque vous placez
la méditation dans le cadre de l’ashtanga yoga et qu’en même temps vous
affirmez que vous méditez, la situation est un peu frustrante. La méditation et
le Samâdhi sont très proches dans cette discipline, on peut même parfois les
confondre. En pratiquant la méditation, sommes nous à ce point proches du Samâdhi ?
Si oui, c’est très bien ! Si la réponse est négative, c’est un peu
frustrant, n’est ce pas ? Pratiquant, vous connaissez mieux que moi la
réponse pour ce qui vous concerne. Très souvent lorsque j’étais près de Mâ,
j’ai vu venir des gens se plaindre « Mâ, je me sens tellement
distrait quand je fais la méditation, je n’arrive pas à stabiliser mon
mental ! » C’est une plainte très fréquente chez les chercheurs. Nous
avons discuté ce point : au plus nous essayons et nous nous obstinons...
Nous avons compris un
petit peu le fait que le mental est instable, sans le connaître. Nous faisons
l’expérience du mouvement d’une chose sans connaître la chose elle-même. Nous
parlons toujours du mental, mais lorsque nous devons le définir, nous avons
besoin de consulter un livre de psychologie. Ce n’est pas mauvais en soi. C’est
vrai que nous sommes perturbés ; ce sont les organes des sens qui
induisent ces distractions. Ils essayent de nous tirer vers l’extérieur ou ils « colorent » les objets avant de les
réintégrer. Par exemple : à une certaine distance vous voyez un
objet ; vous dites que votre vue va jusqu’à cet objet, ce qui n’est pas le
cas. C’est en fait la lumière de cet objet qui vient à vous et entre par les
yeux ; les organes des sens ne vont pas vers l’extérieur. Mon oreille ne
sort pas pour entendre quelque chose ! Rien ne sort de moi pour aller vers
l’extérieur, c’est le monde extérieur entre en
moi par les organes des sens.
Autre chose : quand
nos sens réagissent aux stimuli extérieurs, nous les reconnaissons.
Regardons ce panneau
lumineux « sortie » ; comment est ce que je sais qu’il comporte
la mention « sortie » : la lumière de cet objet entre en moi.
Avant cela, je ne peux pas le reconnaître, c’est seulement quand
cette chose entre en moi que je peux l’identifier. Vous dites que
vous m’entendez ; je suis à l’extérieur de vous. Les faits sont inverses.
Quand vous reconnaissez que Nirgunananda est en train de parler, c’est qu’il
est entré en vous. La lumière de Nirgunananda est entrée par vos yeux sous la
forme d’une image inversée sur la rétine. Cette image a été transmise au
cerveau dont les cellules engagent la recherche pour l’identifier. Elles la
comparent avec les impressions enregistrées auparavant, et finalement concluent
que c’est bien lui !
Ce processus est vrai
pour tous nos organes des sens. La méditation nous aide à l’introspection (pas
du tout à l’intérieur du corps !) Si vous
fermez les yeux, vous ne voyez pas la pièce, vous ne voyez rien du tout. Par
les yeux de votre mental, l’image est là. Où est cette image ? A
l’intérieur de votre corps ? Cela ne peut être parce qu’un tel espace ne
peut être comprimé et entrer dans votre corps.
Je parle de choses très
sérieuses sur la méditation. Si nous pouvons les comprendre, nous ne serons
plus distraits, parce qu’en fait, nous ne savons pas ce que nous faisons !
Nous n’essayons pas d’adapter notre vision hypothétique à notre expérience
pratique de vie. Quand je ferme les yeux, je vous vois tous ainsi que l’espace,
de manière très précise. Il n’est pas possible à un tel espace d’entrer dans ce
corps ! Est-ce que je peux dire cela ? Quand un saint dit :
« Allez à l’intérieur ». On commence à chercher à l’intérieur. La
première chose disponible, c’est le corps. Quand je ferme les yeux, je vous
vois tous par mon mental, et là aussi, je trouve une existence séparée par
rapport à l’objet. Quand j’ouvre les yeux, je vois une existence séparée de
l’objet, physiquement ; de même lorsque je ferme les yeux, je ressens la
même séparation. Mais il y a une différence de perception avec les yeux ouverts et les yeux fermés. Quand je ferme
les yeux, je ne vous vois pas ; quand je les ouvre, je vous vois. L’objet
est différent, mais qu’en est il du sujet ? Avec les yeux ouverts je ne me
vois pas moi-même, et je ne me vois pas plus avec les yeux fermés. Ceci
reste inchangé.
Être un témoin, quoi
que l’on voie, c’est ce que Mâ avait l’habitude de dire (Shakshîbhâva). Ceci est la compréhension de base du témoin
intérieur. Sachez que, à l’intérieur, vous êtes témoin. Que se passe t il ? Avec les yeux fermés, je vois cet
espace, je vous vois tous. Les objets visibles, pour ainsi dire, ne sont ni
miniaturisés, ni grossis. Ainsi, avec les yeux fermés je ne vois pas les objets
physiques, mais j’ai (en ai) leurs impressions.
Maintenant, sans mentionner le mental, ces impressions sont en
« antahkarana », à l’intérieur. Ainsi, naturellement, elles ne
peuvent pas être à l’intérieur de ce corps, dans le sens physique. L’espace
extérieur ne reste plus l’espace à l’extérieur parce que je m’expose moi-même à
l’espace extérieur. Il ne reste plus rien à l’extérieur, je deviens l’espace
lui-même. Je deviens une partie de cet espace, avec vous tous.
L’introspection
pourrait signifier que vous êtes en train d’exclure le monde
extérieur ? Non, à l’intérieur, le
monde extérieur devient une partie de vous. Là aussi nous avons besoin de nous
« rapprocher », de nous concentrer. Quand je ferme les yeux, et que
je pense aux impressions que j’ai de vous tous (supposons que je porte mon
attention sur Jean). J’exclus la partie gauche de l’assemblée et je me focalise
sur la partie droite. Je ne m’intéresse ni à l’harmonium qui est au premier
plan, ni à la première rangée. Progressivement, je me rapproche de la
« cible » ; je ne suis pas intéressé par la photo de Mâ, à
gauche de Jean. Toutes les impressions sont là, mais je me rapproche ;
quand je concentre mon attention sur Jean, je le vois clairement. Le monde
extérieur n’est plus une distraction, et si je le sens comme tel, il est
préférable de se concentrer sur elle. Je parle de la méditation
objective ; supposons que, étant assis ici, je veuille concentrer mon
attention sur le visage de Mâ. Toutes les choses environnantes vont apparaître
dans mon mental et vont me distraire. Si je connais la technique, je ne me
sentirai pas mal pour autant. J’essaye de me rapprocher de Jean, qui est la
cible. Je vais dévier un peu par sa gauche, et derrière lui, je pourrai voir Mâ !
Dans la méditation bouddhiste, ils parlent de cette technique de façon précise.
Elle existe aussi dans notre tradition. Durant vos méditations, laissez les
perturbations mêmes devenir votre objet de méditation. Un objectif de la
méditation est de connaître le mental, lui donner une forme, l’objectif ultime
étant de libérer le mental. Cet objectif sera atteint si vous pouvez connaître
le mental et lui donner une forme.
Il y a des gens qui
n’aiment pas la méditation avec objet. Ils disent : « Nous aimons
méditer sur des abstractions. » C’est très bien ; les bouddhistes
appellent cela méditer sur le vide, la vacuité « Shûnyatâ ». Le vide
existe pour moi parce que j’existe. La question est : Suis-je un témoin du
vide, ou le vide lui-même ? Si je suis quelque chose de différent du vide,
alors le vide est un objet ; c’est donc une autre forme de méditation
objective ! Si on sent son existence, une avec le vide, c’est alors
l’existence de la conscience omnipénétrante. Il n’y a plus de notion
d’individualité. Dans les vedas, on appelle cela « shunyâ pramatha »,
le « connaissant du vide ». Le connaissant et le connu sont
différents ; ceci est la dualité. Les gens disent que la méditation est le
chemin de la dualité. Ils ont peut être des arguments, mais moi, je ne les comprends
pas ! Quand vous essayez de placer cela dans le cadre de notre expérience,
cela devient très difficile.
Kâma – Prema
Swamiji : Je reviens à la
question de Bernard : « Pouvez vous m’expliquer le fait qu’il y ait
plusieurs termes pour définir l’amour, notamment « Prema » en
sanskrit ?
R. : En Sanskrit, Prema est spécifiquement « amour ». En
anglais, love (je ne connais pas le français !) est un mot qui a un sens
un peu différent, à la fois « amour » et un objet.
« Prema », en sanskrit n’est pas un verbe (aimer) ; en anglais,
« love » est à la foi un verbe et un nom. C’est un verbe transitif
(qui a donc un complément d’objet direct).
Les anglais sont très pratiques, c’est aussi un nom, c’est pourquoi il
y a tellement de confusions ! En sanskrit, c’est clair, ce n’est pas un
verbe. Si on utilise « Prema » comme tel, cela devient
« kâma », c'est-à-dire « désir ». Parfois l’amour devient
non ambroisie, mais poison !
Quelle est la différence entre « kâma » et
« prema » ? Si vous
traduisez votre amour en action, il n’y a rien de mal à cela ; pourquoi
agissez vous ? Pour votre propre satisfaction (je ne dis pas bonheur), si
vous agissez (par amour) pour la satisfaction de votre bien aimé(e), c’est
« prema ». En « prema », l’entrée est interdite à
Freud ! ... Freud est pour nous, les humains. Pour les êtres célestes, pas
d’entrée pour Cupidon !
Dans la mythologie indienne, Krishna joue avec les gopis à Vrindâvan.
On appelle cela « le Grand Jeu ». Ceci pour montrer quelle est la
place de Cupidon dans l’amour « prema ». Le Seigneur était engagé
dans son Grand Jeu, à la pleine lune d’automne, (qui est aussi le dernier jour
du Samyam Saptah à l’ashram de Mâ, en Inde).
Sur les berges de la Yamuna, le seul homme était Krishna. Il y avait
des femmes par milliers. N’oubliez pas qu’à cette époque, Krishna avait 11 ans.
Vous allez peut être changer d’opinion à son sujet ! Ce qui s’engage,
c’est le jeu de l’amour, pas le jeu du plaisir. Tous les dieux se demandaient
ce qui se passait, ils avaient tous envie de se joindre au grand jeu !
Tout le monde est arrivé, ainsi que Kâma le dieu de l’amour (Kâma deva). S’il
avait été un dieu dans le sens de « prema », il eût été
bienvenu ! Krishna lui a dit : « Reste dehors ! ».
Freud ne l’aurait pas compris !
Silence - Mauna
Q. : Personnellement, je
verrais quelque chose qui sous tend toutes les religions et toutes les
spiritualités du monde, ce serait le silence. Peut on faire un parallèle entre
l’amour et le silence ?
R. : Le silence, si c’était un état mental ou un état d’être,
oui ! Le but ultime de la spiritualité est le silence. Non pas
« sentir » le silence. Lorsque vous dites : « Je sens le
silence », cela veut dire que dans le fond, il y a du bruit, « un
bruit de fond ! »
C’est une question très pertinente. Mâ dit du silence « absence de
son », « avâk ». Le
silence est aussi le Yoga. Si le silence et moi sommes en union, il n’y aura
plus de « je » pour « écouter le silence ». On pourrait
tout aussi bien dire « je » que « silence ». Les mots ne
peuvent pas exprimer ceci. Mais il y a une différence entre l’union du silence et
moi. Chaque jour ou chaque nuit de notre vie, en sommeil profond, il y a cette
union. A ces moments là, je ne suis pas conscient. Lorsque le « je »
et le silence se fondent, il faut que la conscience soit là (dans le
sens : il faut être conscient). En ce qui concerne le
« ressenti » du silence, je dois admettre qu’il y a présence du
mental. Tant que le mental est actif, ce n’est pas le silence dans sa pure
essence, celui que vous recherchez fondamentalement.
Dans l’amour, vous ressentez le silence ; vous n’avez pas besoin
de parler. C’est le silence ultime, que vous l’appeliez Samâdhi, yoga ou amour, que nous recherchons
désespérément. Ais je eu l’expérience de ce silence dans ma vie ? En ais
je eu une impression ? « J’avais des oreilles mais je n’entendais
pas ! » A ce moment, ni le silence ni les sons n’avaient de
signification pour moi. Le silence est rendu silencieux par l’amour ;
l’amour sans attente de réciprocité. C’est le but ultime de la vie. C’était le
thème de Krisnamurti, il fut un temps mon « héros ».
Q. : Pouvez vous parler de votre vœu de silence
lorsque vous étiez au service de Mâ ?
R. : Avant de
répondre, je voudrais supprimer l’expression « votre vœu de
silence » ! Ce n’était pas mon vœu, cela m’a été demandé. Cela m’a
beaucoup aidé parce que de cette manière j’ai pu éviter beaucoup de
perturbations extérieures qui, au début, sont des obstacles pour la pratique
spirituelle. Ce n’était pas, pour ainsi dire, le silence total. Je n’étais autorisé
à parler qu’à Mâ. Dans ses derniers jours, je ne ressentais pas non plus la
nécessité de lui parler. Le devoir de tous ces organes des sens, et de
collecter toutes les informations venant de l’extérieur. ??? Vous voyez ou entendez quelque chose à l’extérieur
et vous l’emmagasinez à l’intérieur.
Emmagasiner n’est pas
si dangereux ; le problème survient quand on doit
« déstocker » ! Vous voulez donner ; le seul organe qui
projette les détritus vers l’extérieur, c’est la parole. Vous pouvez dire des
choses agréables ou amères. Exprimer est inné à chaque être humain. Quelques
fois nous exprimons avec le langage du corps ; la plupart du temps nous
essayons d’exprimer ce qu’il y a en nous par la parole. Notre parole n’est pas
uniquement basée sur le besoin ; peut être que la majeure partie de notre
discours n’est pas nécessaire. Si vous pouvez le contrôler et en faire un usage
utile, vous conservez l’énergie, c’est un fait scientifique. Nous donnons
beaucoup d’énergie en parlant. Vous parlez de ce que vous voyez et
entendez ; si vous contrôlez un organe, automatiquement, tous les autres
vont suivre.
Vous vous sentirez
moins perturbé, et cela vous aidera pour votre introspection et votre
concentration. Cela m’a aidé. Ce n’est pas que le fait de garder le silence qui
est important, c’est aussi le fait de s’isoler. Si vous faites vœu de silence
et que vous restez parmi les gens, ils ne vous épargneront pas :
« Alors, vous avez fait un voeu de silence, pourquoi ? ... »
J’ai traversé tout cela. Même si je ne parle pas, mon mental va commencer à
répondre. C’est pour cela que l’isolement est aussi nécessaire. Pendant ces
trois années, la plupart du temps, j’étais dans la chambre de Mâ, j’avais moins
d’interactions avec les autres. J’étais réticent à les voir. C’est dans la
nature humaine de dire lorsqu’on rencontre quelqu’un : « Comment
vas-tu ? ». J’ai cette obligation à Dhaulcchina où je vis depuis 18
ans. Obligatoirement, j’y suis en silence : je n’ai personne à qui parler
(je ne vais tout de même pas parler avec le léopard !), mais je n’en suis
pas malheureux.
Q. Parfois, vous sentez vous trop seul ?
R. : Quand je
suis dans l’état de sommeil profond, je suis seul mais je ne le sens pas. La
plupart du temps, je suis dans ma chambre ; quelque fois, quelqu’un vient.
J’aime penser à Mâ : je ne me sens pas seul. Comment le pourrais
je ? Je cite Mâ : « Où
que vous soyez, le regard de ce corps est sur vous ». J’y crois, enfin,
j’essaie d’y croire. Mentalement, cela m’aide à être en compagnie de Mâ. Cela
m’aide aussi à réfréner mes actes mauvais. Je suis un être humain ; je
peux avoir des tentations. Ces mots de Mâ sont un avertissement : « …
je vous regarde » Mon mental ne peut pas penser autrement ; je ne
suis pas seul. Si quelqu’un examine les paroles de Mâ, de nouvelles choses
apparaissent toujours. Vous avez l’espace pour plonger plus profondément dans
le livre de votre vie... avec les bouteilles d’oxygène que sont les paroles de
Mâ. En ce qui concerne le silence, laissez moi vous dire autre chose ; je
cite Mâ : « Essayez d’être en silence à la fois dans le cœur et dans
l’âme ».
Le vœu de silence,
c’est l’observance du silence physique. Cela aide, et avec cette pratique on
peut espérer avoir le silence mental : c’est cela qui est requis. Le
silence du mental est l’objectif principal. En sanskrit, on appelle ce silence
« mauna ». Le réel état de « mauna » est l’état de samâdhi.
Lorsque vous vous parlez, c’est aussi le silence. Je cite Mâ : « Ce
corps ne parle à personne », « Ce corps ne va nulle part »,
« Ce corps ne prend rien à personne » ; toute sa vie, elle s’est
déplacée, ce fut son activité principale. C’était une « India
Trotter ! » Quelques fois elle était en silence mais tout le temps
les gens venaient à elle et elle devait leur parler. Les gens disaient
cependant qu’elle était en état de Samâdhi perpétuel. A qui parlait elle ?
Quelle serait la réponse ? Je la cite : « Je suis
vous ! » Par notre intelligence, nous voyons ces contradictions. Pour
nous en débarrasser, nous avons besoin de notre intelligence aussi. La foi joue
un rôle important et plus que la foi, si vous avez de l’amour pour elle (ou
pour qui que ce soit) vous obtiendrez la résolution de toutes vos
contradictions, pour vous-même.
Mauna, dans le sens
de contrôle ou limitation de la parole, qui apporte le « silence du
mental » et qui a comme effet bénéfique de conserver l’énergie. Le silence
signifie aussi l’absence de bruits du monde extérieur.
Le silence extérieur
incluant également la restriction de la parole, aident au silence du mental. Sa
première utilité est de m’abstenir de parler sans nécessité et conserver mon
énergie. Le silence extérieur va pour ainsi dire aider mon mental à ne pas être
perturbé par les organes de l’ouïe. Je redonne cet exemple : je vous parle
et vous m’entendez ; si vous aimez cela, et que Jean commence à chanter,
bien que son chant soit agréable, vous allez le ressentir comme une
perturbation.
Si vous n’aimez pas
mon discours, vous trouverez son chant intéressant ! Ainsi le silence
extérieur est utile pour contrôler les distractions.
Je reviens maintenant
à un autre silence en m’inspirant d’un autre verset de Shankara. Il propose
cette question : « imagine cette image : sous l’arbre banyan, un
jeune guru est assis et regarde en face de lui un vieux disciple. Que font
ils ? Le guru discourt uniquement pour le disciple. Quel est le
sujet ? Ni l’un ni l’autre ne le savent ! Pourquoi ? Le guru
donne un discours en silence ! Bien sur il y a aussi le silence extérieur
(cela se passe dans la forêt) et de ce fait, le guru donne un discours en silence dans le silence !
Ceci est la signification de
« mauna ».
Mental – Manas
Q. : Je n’ai pas bien
compris ce que vous avez dit à propos du mental, « manas » et
« antahkarana ».
R. :
« Antahkarana » veut dire « instrument interne ». Nous avons
5 organes d’action et 5 organes des sens. J’ai une part grossière, le corps
avec toute sa machinerie, les écrous et les boulons ; une autre est la
partie subtile. Ces deux parties ensemble, sont le « moi » avec
lequel je peux œuvrer dans la vie. Ces deux choses communes ne peuvent
fonctionner que s’il y a une plateforme commune de conscience. Pour faciliter
les choses, j’utilise le mot « conscience » de façon objective. Les
parties grossières, je les connais. Pour ce qui est de la partie subtile, elle
fonctionne aussi. L’être intérieur, l’être subtil, c’est ce qu’on appelle
antahkarana. Le mental, qu’on peut appeler aussi
« intelligence » en fait partie. Une autre fois, on parlera de
l’ « ego » ou « mémoire ». Ces choses ne sont pas
compartimentées. Quand l’être intérieur est « oscillant »,
indéterminé, il est en état de pensée contrasté : action ou non-action.
C’est l’état que l’on appelle « mental ». Si je suis déterminé je vais faire cela, cela s’appelle
« buddhi ». C’est l’expression de l’être intérieur dans une situation
particulière. Qui est le sujet ? Ce n’est pas le corps qui est celui qui
fait ? Tous ceci sont les instruments du « faire ». Pendant que
je vous parle, j’utilise ces instruments, mais qui est celui qui fait ?
Qui fait que ce corps parle ? C’est cet être interne que j’appelle
« ego ». Cet ego n’est ni égoïsme, ni égotisme. Ces termes sont
parfois compris comme synonyme, ce qui amène de la confusion.
Maintenant je suis
dans un autre état, décidant de faire ou de ne pas faire. Mon intelligence me
dit : « Je fais ». Comment faire ? En relation avec une
partie « enregistrée » en moi, là où toutes les impressions
précédentes ont été enregistrées. Ceci est aussi une partie de l’être interne
qu’on appelle la mémoire. Le mental, l’intelligence, l’ego et la mémoire sont
les 4 constituants (lesquels) de l’être interne,
entre lesquels on ne peut tracer une ligne de démarcation très nette. Parfois,
lorsque nous nous exprimons, il arrive que nous remplacions un mot par l’autre.
Q. : Une question me vient portant sur le mental
sans objet. J’ai cru comprendre que si on prend « manas », on ne peut
pas le concevoir ; si on prend une autre définition, on peut le concevoir.
R. : Ce matin,
j’ai pris la définition de Mâ qui est plus proche de notre compréhension :
nirvishayamanah », le
« mental sans objet » qui est quelque chose de très difficile à
concevoir, « acintâ » (litt., le fait de ne pas penser à quelque
chose) ou « acintya » (litt., inconcevable). A partir de là, notre
mental n’a pas de confusion avec le mot « mental ». C’est là l’état
de « dhyâna ». Il n’y a pas tellement de différence entre ces deux
définitions. Le mental n’existe que s’il y a objet. Pas un objet en dehors du
monde, un objet dans la mémoire elle-même. Ainsi le mental a besoin d’un objet
pour qu’il puisse s’exprimer. Cela peut être un objet extérieur ou intérieur,
autrement comment pourriez vous rêver (entendu que vous ne rêvez pas, le rêve
vient à vous) ?
D’où sont issus ces
objets qui viennent dans le rêve ? Ils viennent de l’intérieur, vous les
créez. Je souhaite que cette confusion persiste, dans le mental de
chacun ! Savez vous pourquoi ? Ceci est le chemin direct pour la
méditation. Je veux que cette confusion persiste : Qu’est ce que le
mental ?
Un des disciples de Lao-Tseu
avait pour lui une si grande affection qu’il passait tout son temps à le
servir. Il ne s’intéressait pas aux pratiques spirituelles, cela suffisait de
servir son maître. Il avait une femme et naturellement cela n’allait pas très
bien entre eux puisqu’il passait le plus clair de son temps aux pieds de son
gourou ! Il ne rentrait chez lui que pour y dormir. Une nuit, les choses
s’empirèrent. Il arriva le matin chez son gourou avec une mine triste. Le
maître l’interrogea : « Qu’est ce qui ne va pas avec
toi ? » « Il n’y a rien qui va ! » « Racontes
moi, pourquoi as-tu l’air si malheureux ? » « Mon mental est
malade ! » « Tu es un de mes plus proche disciple, je suis ici
pour soigner le mental de tous les êtres, c’est mon devoir. Tu me dis que ton
mental est malade » « Oui, c’est pour cela que je souffre encore
plus. Je suis très malheureux parce que je me suis querellé avec ma femme, mais
plus encore parce que je suis ton disciple. Je ne sors pas de cette
souffrance ! »
« Bien, mon
garçon, ne te fais pas de soucis, en un instant, je vais te soigner »
« Maître, s’il te plaît, fais le ! » « Amène le
patient ! » « Que me réponds tu ? Je suis là, devant
toi ! » « Mon garçon, ton mental est malade, pas toi. Apporte
donc le mental (angl. Mind) ! »
Dans ce cas ci, il
faut peut être traduire « mind » par « esprit », et non
« mental ».
« Je suis très
perturbé par mon mental lorsque je médite » Oui, c’est vrai, je suis
d’accord. Mais juste pour une fois, avant de dire « mon mental me donne du
souci », essayez de le « tracer », de le suivre. Ce sera la plus
haute des pratiques spirituelles.
Pour en revenir à mon
histoire, le disciple dit : « Mais oui, où est il, mon
mental ? » Il s’est assis là, a commencé à chercher son mental, cela
ne prit qu’un instant pour qu’il fut réalisé.
Il est bon pour
chacun de nous d’avoir à l’esprit « regarder avant de sauter ! »
Moi je vous dis : « Penser avant de parler ! » Dès à
présent, soyez prudents avant de dire : « Mon mental me donne des
soucis ».
Kundalinî
Q. : Dans les chants du matin, on évoque l’éveil
de la Kundalini. J’ai deux questions, la première : Est ce que cet éveil
est un passage obligatoire sur le chemin de la réalisation et y a-t-il des
conseils relatifs à l’expérience de Gopi Krishna ?
R. : Gopi
Krishna, très bien ! Merci de me rappeler cette grande âme. Je vais y
venir. J’ai eu la chance de rencontrer ce vieil homme lorsqu’il avait 83 ans.
Bien que je ne fusse pas contre, je n’avais pas d’intérêt pour la spiritualité
avant ma rencontre avec Mâ. Ma propre mère en est responsable. C’était une
femme orientée spirituellement, elle avait un guru et elle pratiquait. Comme
j’aimais beaucoup ma mère, comme tout le monde d’ailleurs, je n’ai jamais osé
dire quelque chose contre la spiritualité. J’étais un lecteur vorace ; je
lisais tout ce qui me passait dans les mains !
Un jour, au bord de
la route, j’ai acheté un livre qui s’appelait « Kundalinî » qui avait
été écrit par ce Gopi Krishna. Le mot lui-même « Kundalinî » était
étrange pour moi ; il signifie « enroulée ». Qu’est ce que cet « enroulement »
à l’intérieur de moi ? C’est l’énergie vitale qui est latente dans la
forme d’un serpent enroulé, à la base de la colonne vertébrale. Cet endroit est
appelé le « mûlâdhâra chakra ». Je me suis plongé dans un livre de
physiologie, mais les physiologistes ne l’avaient pas trouvé ! Pourtant
après avoir lu le livre de Gopi Krishna, je ne pouvais pas douter. J’ai donc lu
ce livre comme je lisais les journaux, et puis je l’ai oublié. En fait, on
n’oublie jamais rien. Le chapitre « Kundalinî » était donc clos,
jusqu’à ce que je rencontre Mâ.
C’était en 1980,
j’étais à l’ashram de Dehra Dun et, par bonheur à cette époque, je ne
parlais à personne sauf à Mâ. J’étais assis et le Satsang était en cours ;
quelques swamis, dont Swami Bhaskarananda, étaient là. Un monsieur dévot de Mâ
est arrivé, et a invité mes aînés à visiter une personne qui résidait quelques
maisons plus loin. Ce monsieur nous dit : Son nom est Gopi Krishna, et on
dit que c’est une âme réalisée ». Les aînés se sont mis d’accord pour s’y
rendre et par compassion, ils ont dit en me désignant : « Ce pauvre
garçon, on va l’emmener aussi ! ». Nous sommes allé voir Gopi
Krishna ; à ce moment là il avait 83 ou 84 ans, c’était un brahmine
Kashmiri. Il nous reçu avec beaucoup d’humilité ; c’était un homme très
doux et sa femme l’était encore plus ! Mes aînés se sont mis à
discuter avec lui, à propos de sujets inintelligibles pour moi ! J’étais
une nouvelle « recrue » dans le domaine de la spiritualité. J’ai pu
quand même ressentir que c’était un grand homme. Il m’a demandé :
« As-tu des questions ? » Livide, je l’ai regardé d’un air
embarrassé : j’étais supposé ne parler à personne ! Il était un peu
interloqué ; il s’adressait à moi très gentiment, et moi, je le regardais
d’un air étrange ! Mes aînés expliquèrent que j’étais supposé garder le
silence, sauf envers Mâ. Par chance j’avais emporté un cahier et un crayon et
je me dis : « Pourquoi rater cette opportunité ? » Mon état
à moi et le sien étant comme « la terre et le ciel », je lui rédigeai
la question suivante : « Est ce que vous voyez le monde comme je le
vois ? » Il était très gentil
et me répondit : « Oui ! » J’étais très content parce je
voyais une grande similarité entre moi et ce grand homme ! Tout de suite
après, il a dit : « Non ! »
Il voit le monde
comme je le vois et en même temps, il ne le voit pas comme je le vois. La
question était très simple mais pour moi la réponse était très difficile à
digérer ! Grâce à Mâ j’étais en silence où alors je lui aurais sauté
dessus ! Je ne sais pas si la Kundalinî est cachée là, comme un serpent
enroulé. Quoi qu’il en soit, je n’expliquerai pas les termes techniques qui y
sont relatifs. S’il y a quelque chose comme « éveil de la
Kundalinî », je peux facilement imaginer l’effet de son éveil. Cela peut
ouvrir « l’oeil intérieur ». Je ne nie pas la théorie de la
Kundalinî, mais dans ce monde je ne suis déjà pas « clair » avec ce
que je vois avec mes yeux « extérieurs ».
Je vais d’abord
essayer de clarifier ma vision du monde avec ces yeux là. Après cela, si j’ai
encore un peu de temps, je pourrai peut être penser que la Kundalinî a une
quelconque utilité ! Soyez sûrs que si vous avez la vision claire du monde
dans sa perfection, alors automatiquement la Kundalinî sera éveillée. Le but
ultime de toutes les pratiques spirituelles, oublions les pratiques tantriques,
il n’y a pas de référence à la Kundalinî dans les vedas, la base de la
spiritualité indienne.
Après le
« plancher » on monte au niveau des « plinthes » et on y
trouve les « purânas », le moyen intelligible de faire comprendre la
vérité des vedas. Dans les purânas non plus (je n’ai-je
n’ai pas trouvé pas non plus) trouvé de références à la Kundalinî (avec
une note d’excuse : je n’ai pas lu tous les purânas !). Les
références à la Kundalinî sont assez récentes ; vous les trouverez dans
les « Tantra ». Beaucoup de grands maîtres ont pratiqué avec la
Kundalinî et leurs expériences se trouvent dans certains textes. Si un
pratiquant spirituel dit : « Je veux éveiller ma Kundalinî »,
cela ne se passera jamais. C’est une notion fausse de la Kundalini que nous
affectionnons.
Cela me rappelle une
anecdote, un fait dont j’ai été le témoin en présence de Mâ : Il y avait
un grand saint en Inde, contemporain de Mâ. Son nom était Sitarâm Das
Omkarnanda. En Inde, il avait des millions d’adeptes. Chaque fois que ce saint
venait visiter Mâ, il se prosternait devant elle. Les gens qui le suivaient
étaient un peu ennuyés de le voir se comporter ainsi… « Notre maître, se
prosterner (dans la tradition indienne, se mettre à plat ventre) devant
quelqu’un d’autre ! ... ». Je ne sais pas si c’est bien ou non mais
c’est une réaction tout à fait naturelle : le maître est considéré comme
le dieu suprême ! Quand je vois « mon but ultime » s’abandonner
(surrend) devant quelqu’un d’autre, ça me fait un choc ! J’ai aussi vu
Swami Chidananda, un des grands saints du monde contemporain, se prosterner
devant Mâ.
Il y avait un
Satsang ; Sitarâm Das Omkarnanda était dans l’assemblée (comme à
l’habitude suivi par une centaine de personnes) et nous, enfants de Mâ,
essayions de nous asseoir aussi tout près de Mâ. C’était une grande rencontre
entre deux Grands Êtres. La discussion portait sur la Kundalinî. Le nom même
« Omkarnanda » venait de l’éveil de la kundalinî. Tandis qu’il
pratiquait des austérités et des pénitences sur les bords de la rivière
Narmada, à Omkareshwar où il avait un petit ashram, la kundalinî s’est
manifestée dans tout son corps par le son OMKAR (selon les écritures, la forme
sonore « Shabdabrahma » de la réalité ultime). Ceux et celles
familiers de l’ashtanga Yoga de Patanjali, connaissent la
formule : « La réalité ultime est appelée OM ».
Sitarâm a dit à
Mâ : « ma kundalinî s’est éveillée » ; je vous rappelle que
c’était un grand saint, ce n’était pas Nirgunanada ! Donc, le visage de
tous ceux qui l’accompagnaient rayonnaient de plaisir en entendant cela !
« Oui, la kundalinî de notre maître s’est éveillée… » C’est une
tendance naturelle de vouloir voir son bien aimé sous le meilleur des jours.
Nous étions très attentifs de savoir ce que Mâ allait dire… Elle dit :
« Pitâji, ma kundalinî ne s’est jamais éveillée ! » Imaginez nos
têtes ! C’était en quelque sorte comme un affrontement entre « les
enfants de Mâ et les « disciples de Omkarnanda » ; ceux-ci nous
regardaient en souriant !... Mâ a ensuite donné des explications. Voilà
comment les Grands Êtres communiquent. Elle n’aurait jamais dit :
« Vous avez tort ! », sachant très bien que ce que cet homme a
dit était faux !
Il y a une autre
anecdote surprenante à propos de la vie de Mâ ; ces mots :
« Vous avez tort ! » ne sont jamais sortis de sa bouche tout au
long de ses 87 années de vie. Cela voulait il dire qu’elle pensait que tout le
monde avait raison ? Qu’elle n’avait aucune discrimination entre vrai et
faux ? Non ! Vous dites quelque chose qui me semble faux, qui pour
vous semble juste. Si vous considérez l’unicité de l’être, il n’y a pas de
raison de vouloir démontrer à quelqu’un qu’il a tort. C’est une autre
expression de l’amour, un autre moyen d’être heureux. Si par l’argumentation
vous arrivez à prouver à quelqu’un qu’il a tort, vous serez heureux. Mais en
arrière fond, vous n’aurez pas le sentiment d’un bonheur complet !
Le bonheur ne devrait
pas avoir un arrière fond d’insatisfaction, de bonheur non complet. Vous dites
quelque chose qui ne correspond pas à mon cadre mental ; j’aurai
naturellement un choc. Ce choc est une expression de non bonheur et
immédiatement je réagirai en donnant mes arguments. Si je peux prouver ce que
je dis, je serai heureux mais en moi, l’insatisfaction naîtra également. C’est
donc la manière dont communique les Grands Êtres : « Pitâji, ma
kundalinî ne s’est jamais éveillée ! »
Devons nous penser que la kundalinî de Mâ ne s’est jamais éveillée ? Oui, la kundalinî de Mâ ne s’est jamais éveillée. Un autre nom pour désigner la kundalinî : la
conscience universelle. Elle n’est pas votre propriété ! Ce que Mâ voulait
dire, c’est que tant que vous avez des notions de « mien », de
« moi », cela peut être la manifestation d’un état élevé, mais ce ne
peut être la kundalinî. Ma (dans le sens de « la mienne ») kundalinî
ne peut jamais s’éveiller !
Advaita - Bhakti - Prema
Q. : Swamiji, pensez vous que le concept
d’advaita est contradictoire avec le chemin de la dévotion ?
R. : En ce qui
concerne le but ultime, il n’y a pas de contradiction ; il y en a pour ce
qui concerne les chemins. Le but ultime de l’advaita vedanta est « para
jnâna », la connaissance absolue (j’utilise le terme « absolu »
avec un peu de réticence, je dirais plutôt « ultime »). Le but ultime
de la dévotion est « para bhakti », la dévotion suprême. Quelqu’un
qui veut atteindre le sommet de l’Everest, peut envisager l’ascension à partir
de plusieurs endroits différents, sont but reste le même.
Intervention : différence ne veut pas dire
contradiction !
R. : Prenons
l’advaita vedanta de Shankara. Il est exclusif. Il considère « nâma »
et « rûpa » (le nom et la forme) comme non réels et sur le chemin de
la dévotion, on ne peut pas envisager la notion de « sans nom » et « sans
forme ». Appelez ceci différence ou contradiction, comme vous voulez. Dans
le chemin de la dévotion, tout est inclusif. Je cite le commentaire de
Shankara, l’essence de l’advaita vedanta : « Brahmâ satya jagat
mithyâ jîva Brahmâ eva kevala » : Brahmâ est le réel, satya est la
vérité et jagat mita, le monde irréel. La vérité, c’est que l’individu et la
réalité ultime sont un. « Jivâ » signifie le soi individuel, le
Brahman, le Soi Omnipénétrant. Jagat, le monde, c’est le nom et la forme.
Shankara le considère
comme non réel « mithyâ » (litt. le sens contraire « de ce qui
convient »), et dans la voie de la dévotion, on ne peut progresser sans
forme et sans nom. Pour ce qui concerne la contradiction, comme vous dites,
pour un chercheur spirituel, il ne devrait pas y en avoir. Comment cela ?
Si vous suivez le chemin de la dévotion, et ceci est très important pour le
chemin d’un chercheur spirituel, si vous suivez la voie de la bhakti, quelle
est pour vous l’utilité de celle de jnâna ? Pourquoi imposer à votre cerveau
et à votre mental quelque chose dont vous n’avez pas besoin ? Ca, c’est
pour le chercheur ; un enseignant par contre, doit connaître les deux
voies, Jnâna et bhakti. Si vous êtes un chercheur spirituel, faites ce que
votre guide vous dit, et rien d’autre ! Mâ disait : « Ekâgra »
(litt. concentration de toute l’attention sur un seul point) « Un en
face de vous », c’est cela le chemin d’un chercheur. Si on suit ce chemin,
on ne doit pas penser aux contradictions.
Si vous voulez
atteindre votre but par le hata yoga, allez y ! Si vous souhaitez suivre
la voie de la connaissance, allez y ! Mais dans ces cas, vous n’avez pas
besoin de savoir toutes ces choses. C’est comme quand vous pilotez une voiture,
pour vous orienter vous avez besoin d’une carte routière. Pour aller de Paris à
Epernon, vous n’avez besoin que du plan de la route qui y mène !
Naturellement, sur la carte, vous aurez toutes les routes de France. Vous
n’aurez besoin que d’une seule information : comment rejoindre Epernon
depuis Paris.
Swamiji montre une carte routière à l’assemblée : « voici le chemin d’un
chercheur ! » Donc, il n’y a pas de contradictions. S’il y en a,
l’aspirant ne doit pas y penser. Je vais vous raconter une autre expérience
personnelle : la nuit dernière, nous avons lu un extrait du livre
« Matri Darshan » ; Bhaiji y indiquait qu’un grand nombre de
chercheurs venus d’horizons différents étaient venus voir Mâ. Si je me
demande : « Quelle voie suivait Mâ, qu’est ce qui lui est
spécifique ? »
C’est Swami Paramânanda,
il a été mon maître dans le domaine du vedânta, qui a construit tous les
temples dans les 36 ashrams de Mâ. Ils abritent de nombreuses déités qui on
toutes été consacrées. C’était lui qui supervisait tous les détails par le
choix des statues, l’organisation des pûjâ, la décoration des temples…
Cependant personne ne l’a jamais vu entrer dans un temple et se prosterner
devant une déité ! Il n’avait aucun besoin de cela, le vedânta était sa
voie. C’était un vedânta qui était encore plus strict que celui de
Shankara ! Ce Swami n’avait en lui aucune contradiction. Il disait :
« Pourquoi m’encombrer avec le chemin de la dévotion alors que ce n’est
pas le mien ! » Je connais un autre de mes aînés, Swami Svarûpânanda.
Dans la lignée des moines de notre ordre, c’est le premier sannyâsin qui a été
ordonné. Il a aussi étudié le vedânta avec un enseignant illustre dans ce
domaine ; il n’a cependant jamais suivi cette voie, il pratiquait la voie
de la bhakti. Un jour, je lui ai demandé : « Tu es vedantin, pourquoi
ne parles tu pas du vedânta ? » Il m’a répondu : « Je n’en
ai pas besoin, ma voie, c’est la bhakti ». Ca, c’est le chemin d’un
aspirant spirituel ; il y en a deux, le
chemin de l’aspirant et le chemin de l’enseignant. Pour l’aspirant, il est
nécessaire d’être « Ekâgra »
(Eka = un), avoir un seul but. Je
vais escalader l’Himalaya ; à mi chemin, je ne vais pas prendre la
décision de me diriger vers l’Annapurna, sinon je manque mon but et je perds
mon énergie. Ceci est un petit Samyam Saptah pour les aspirants, pas pour les
enseignants. Donc, pas de contradiction pour le but ultime, mais il y a des
différences sur le chemin.
Intervention : c’est pour cela que j’ai
dit que les différences n’étaient pas des contradictions !
R. : Les
différences dépendent des individus ; pour ce qui me concerne, je ne pense
pas aux contradictions. Je ne suis pas le chemin de la dévotion, je suis le
chemin de l’amour. Quelqu’un me dira : « Swamiji, le chemin de la
dévotion et le chemin de l’amour sont identiques ! » C’est son point
de vue, pas le mien. Le chemin de la dévotion est quelque chose de différent du
chemin de l’amour. Pour moi même, le chemin du vedânta n’est pas une
contradiction. Je répète ma conviction intime, à savoir que, pour moi, Shankara suivait le chemin de l’amour, pas
celui de la dévotion. Pourquoi a t il
choisi ce chemin du discernement, de la connaissance ? La philosophie du
« Karma Kânda » (rituels, sacrifices, cérémonies), la philosophie
bouddhiste et le shivaïsme Kashmiri prévalaient à cette époque. La seule
réponse possible est qu’il aimait ce chemin. Peut être n’aimait il aucun autre chemin ;
mais il aimait le chemin de la
connaissance. Donc, l’amour vient
avant. Cet amour est traduit comme chemin de la dévotion ; il peut être
traduit dans le chemin de la connaissance ou dans tout autre chemin tel que
celui du yoga. Donc pour moi, il n’y a pas de contradiction.
La plateforme de
Shankara est aussi l’amour, qui est l’amour pour sa voie, la voie de la
connaissance. Tout dévot fait de même. Ce chemin là, c’est le chemin de l’amour
pour le Soi. Je reviens au veda qui est considéré comme le fondement de notre
spiritualité. Je fais une différence entre le chemin de l’amour et le chemin de
la dévotion, et j’ai une base pour cela : le chemin de l’amour est le
chemin de l’amour pour le soi. Dans le yajurveda il y a une upanishad majeure,
la brihadâranyaka upanishad. Dans celle-ci, à deux reprises, il y a une
conversation entre Maitrî et Yâjnavalkya ; ils prennent un exemple de vie
pratique à propos de l’amour. En substance, ils disent que un père ou une mère
aiment leur enfant, non pas à cause de l’enfant, mais parce qu’ils aiment aimer leur enfant. Essayez de
comprendre cela. C’est l’amour du Soi. Maintenant ils parlent de la relation
mari et femme ; prenant l’exemple de la femme, ils disent que ce n’est pas
qu’elle ait de l’amour pour son mari, mais elle aime l’aimer. Ne soyez pas choquées, mais vous aimez aimer votre
mari ! A travers cet amour là, c’est l’amour du Soi qui s’exprime. Je ne
peux qu’ajouter une ligne à « mon veda » : vous aimez un
principe, parce que vous aimez aimer ce principe. Shankara a répandu sa voie
non dualiste de manière soi disant irréfutable, je dirais que c’est parce qu’il
aimait faire ça.
Q. : Swamiji, n’a-t-il pas changé de direction à
un moment donné, ne s’est il pas mis à faire le dévot ?...
R. : Avec ce que
vient de dire Christopher, je suis encore plus convaincu de mon point de vue.
Dans son texte
« Nirvânashatkam » : « Je ne suis ni… » Outre nom et forme il niait tout. Il
confirmait ainsi le bien fondé de la réalité ultime et l’irréalité du nom et de
la forme. Dans ses prières adressées à Shiva ainsi que dans une de ses
compositions adressées à la Mère Divine, nous pouvons trouver ce qui en
apparence, sont des contradictions. D’un côté, c’est le plus grand des dévots,
et d’un autre côté, il a tout écarté quand il propageait sa théorie non
dualiste ! L’ashtanga yoga de Patanjali est une branche de cette
philosophie.
Shankara a également
écarté ce principe qui est inclus dans l’école du « Sânkhya ».
Malgré ses
contradictions apparentes, et le fait qu’il ait aimé faire certaines choses à
un moment, et d’autres choses à d’autres moments, il faut y voir une base
commune : l’amour ! Les chemins peuvent être différents ; chacun est
libre de choisir le sien, mais l’amour pour le chemin est une obligation. Il
faut aussi avoir l’amour pour le principe (tattva), mais à la base de cet amour
pour le principe, il y a l’amour du Soi… pas de contradiction. A certains
moments je peux dire que Shankara est un maître incontesté du vedanta, et à
d’autres que c’est un des plus grands bhakta de la Mère Divine.
Q. : Swamiji, une question : j’aime Shiva et
j’aime aussi la Mère Divine. Sachant intellectuellement que tout est un,
j’ai néanmoins des difficultés dans ma
pratique de choisir et d’établir des liens de manière à sentir cette unité.
R. : Tu n’as pas
besoin de pratique parce que tu sais que tout est un ; c’est ce que
nous faisons toute notre vie. Réfléchis y, je ne plaisante pas ! Si tu
sais, pourquoi avoir une vie spirituelle, pour connaître la vérité ?
Tu sais que tout est
un, alors pourquoi l’utilité d’une pratique spirituelle ? « Mais je
ne le réalise pas vraiment, … » Dis plutôt cela ! Sois très
claire quand tu t’exprimes. Je veux parler d’une de mes expériences, avec un esprit
indien, ne m’en voulez pas ! C’était peut être la 4ème année
que j’étais à Dhaulcchina avec Swami Bhaskarananda. Un jeune couple, dévots de
Mâ depuis l’enfance, comme l’étaient leurs parents, avait l’intention de se
marier.
Mâ n’était pas là,
physiquement, et ils ont demandé à Swamiji de les bénir. Je raconte cette
histoire en rapport avec ta question. Nous avons eu un Satsang avec
Swamiji ; le couple est venu pour une journée, le lendemain ils allaient à
Haridwar pour célébrer leur mariage. Durant le Satsang, Swami Bhaskarananda
racontait quelque chose à propos de Mâ ; à un moment, la jeune femme
intervint pour dire : « Swamiji, dans ma vie, Mâ est tout pour
moi ! » De la part d’une dévote, une expression d’une telle honnêteté,
montrait qu’elle donnait son cœur en disant cela !... « Mâ est
tout dans ma vie ! ». Il y a 15 ans, il y avait un Nirgunananda
différent. J’étais plutôt intolérant. J’ai sursauté ; avec brutalité,
je lui ai dit : « Arrêtez de dire des bêtises, que racontez vous ?
Maintenant je vais quitter Mâ et je vais vous prendre comme Guru ! » La
jeune femme était embarrassée.
Moi-même, j’étais ici
à Dhaulcchina sans confort et entouré de bêtes sauvages qui voulaient me
manger, uniquement pour comprendre « Mâ est tout dans ma
vie !... » et demain, vous,
vous allez vous marier, quitter votre famille et vivre votre vie de
femme mariée. Et vous êtes en train de dire : « Mâ est tout dans ma
vie ». Vous devez donc être mon Guru, je serai votre disciple. Swamiji
était très fâché contre moi. Il m’a dit : « Arrête, est ce une façon
de parler à une jeune dame ? »
Je lui ai demandé
pardon, et lui ai dit : « Excusez moi, je n’ai pas pu digérer vos
paroles ». J’essaye vraiment d’atteindre cette compréhension que Mâ est
tout dans ma vie ; malgré tous mes efforts sincères, j’échoue tout le
temps. Elle, elle va vivre sa vie dans le monde, avoir des enfants, et vous
avez déjà compris que Mâ est tout pour vous ?
Nous avons changé de
sujet ! Néanmoins la question continuait à tourner dans ma tête. A un
moment, je me suis dit : « Est ce qu’elle pense vraiment ce qu’elle dit,
j’ai envie de clarifier tout ça ! » Une discussion sérieuse n’aurait mené
à rien ; désignant son mari, je lui ai donc demandé en plaisantant :
« Qui est il ? » « Est ce que vous vous moquez,
Swamiji ? » « Oui, mais je veux l’entendre de vos lèvres »
« C’est mon mari » « Et bien, c’est le seul type de relation au
monde que je ne comprends pas, parce que je n’ai jamais eu ce type de relation.
Voulez vous m’expliquer ce que signifie un mari ? (Je sous entendais pour
une femme, dans un contexte indien) » « Swamiji, est ce une question à
poser ? Vous savez et je le sais aussi, mon mari, c’est tout dans ma
vie ! » « Nous y sommes ; dites moi vraiment ce qui est
dans votre cœur : est ce Mâ ou votre mari qui est tout dans votre
vie ? Vous l’avez exprimé avec beaucoup de sincérité, mais je n’accepte
pas la réponse Mâ et mon mari, c’est pareil » A ce moment, c’était une contradiction pour moi. Ce n’est
plus le cas maintenant, je ne poserai plus jamais cette question et vous
savez pourquoi : l’expression est différente, la plateforme est la
même ; je ne le comprenais pas.
Karma Yoga
Q. : Ce matin, on a beaucoup parlé des
différentes voies, mais que disait Mâ à propos du karma yoga et qu’en pensez
vous vous-même ? Si j’observe les disciples de Mâ et ceux d’autres
familles (spirituelles), ils suivent beaucoup la voie de l’action. Dernier
commentaire : Dans le texte de Bhaiji, traduit par Caroline, on peut lire
« nous obtiendrons plus facilement la grâce de Mâ par la prière et la
méditation que par le service et l’attention qu’on lui porte ».
R. : Le karma
yoga a une définition très large ; quoique vous fassiez, ce peut être
un yoga. Le service aux autres, la philanthropie, bien sûr, c’est du karma
yoga. Mâ disait : « Quoique vous fassiez, essayez de le faire à la
perfection et avec amour ». Yoga veut dire « chemin vers l’union à la
réalité ultime ».
J’explique comment
j’ai compris cela, d’une manière enfantine : j’épluchais des pommes de
terre et Mâ a dit : « Ta pûjâ a commencé ! » Cela veut dire
que c’est du yoga. Qui va être d’accord avec ce point de vue ? Cela dépend
de quelle manière le yoga est défini. Quoique vous fassiez, vous pouvez en
faire un yoga, c'est-à-dire à la perfection. Généralement quand je prends ma
nourriture, je prie. Mâ disait une chose très simple : « Prendre de la
nourriture peut devenir un yoga » et, « Quoique vous mangiez, vous
nourrissez aussi ce corps » (en se désignant). J’ai faim donc je
mange ; c’est un fait. Quand j’ai terminé, je suis satisfait, ma faim a
disparu. Je sais que Mâ est à l’intérieur de moi. La satisfaction est à la fois
physique et mentale. Je suis satisfait que Mâ soit satisfaite. Je fais ce que
j’ai à faire, mais je pense : « Oui, en mangeant, je nourris aussi Mâ
à l’intérieur ». Ceci est du karma yoga.
Chaque travail,
chaque action, peut être un yoga. Vous n’avez pas à changer l’action, vous
pouvez par contre changer votre attitude envers cette action.
Réalisation
Q. : Pouvez vous reconnaître un être réalisé ?
R. : Je vous
pose une autre question : un chercheur spirituel ardent m’a demandé, ici,
en occident, « Swamiji, pouvez vous citer un être réalisé vivant,
actuellement en Inde ? » Ma réponse a été : « Je n’en
connais pas non plus qui soit mort ! » Ce que je dis est purement
théorique ; quand Mâ a dit : « La mort doit mourir » et
vous cherchez une personne réalisée… dans la réalisation, la mort meurt. Et
nous cherchons une personne réalisée qui soit… vivante ?! C’est très difficile.
La réalisation est dans les livres, et aussi longtemps qu’elle y est, des gens
meurent et naissent. Lisez le deuxième chapitre de la Bhagavadgîta ; il y
est donné. Il est relatif à l’état de Stitha Prajna ; après cela, vous
pouvez demander si une personne réalisée est morte ou vivante.
J’ai commencé à lire
un livre, écrit par un être réalisé. C’est un livre très populaire en occident.
La première ligne était : « Quand j’ai obtenu la réalisation il
y a 26 ans… ». Aussitôt, j’ai refermé le livre ! Il vit dans le temps, et
la réalisation, théoriquement, transcende le temps. Maintenant il est réalisé
et il se souvient du temps où il ne l’était pas ! Donc, pour cette
personne, l’état de non réalisation est à l’arrière plan de son état réalisé.
Mâ a dit : « Quand n’étais je pas ? » et aussi :
« Ce corps reste le même qu’il était et qu’il sera » ; où est
donc le temps ? Mais pour l’exprimer, elle a utilisé le présent, le passé
et le futur, uniquement pour notre compréhension. Le temps ne devrait pas être
considéré comme tel, mais sous l’angle de la continuité, le « fil
intérieur ininterrompu ».
Je ne sais pas ce
qu’est la réalisation ; les écritures disent : « La
connaissance, le connaissant et le connu fusionnent » . Si j’énonce cela,
intellectuellement, je pense que j’ai tort. Il est très difficile de dire ce
qu’est la réalisation et la non réalisation. J’essaie simplement de comprendre
les paroles de Mâ : « Où n’étais je pas ?… » J’essaie de
contempler : « Ce corps est le même qu’il était et qu’il sera ».
J’essaie de comprendre ce que cela signifie.
Dieu
J’en viens maintenant
à Dieu ; je demande au Swami qui est assis sur l’estrade « pourquoi
si peu de références à Dieu dans vos discours ? » Ce n’est pas un
homme sans Dieu ; pourquoi n’en parle t il donc pas ? Une raison est
qu’il a peur et une autre en est que le premier jour, le Swami a dit qu’il
n’était pas là pour enseigner mais pour apprendre quelque chose de nouveau et
partager, non son savoir, mais son expérience.
Il a essayé d’être
honnête dans son discours. Il se souvient que le troisième ou le quatrième jour
auprès de Mâ, alors qu’il était tout frais dans le domaine de la spiritualité
il est resté avec Mâ, non pas pour un développement spirituel quelconque mais
que la seule chose qui comptait c’était son amour pour Elle. Il ne pouvait pas
la quitter.
Je vous raconte un
incident : beaucoup de grands
saints et gurus de l’Inde venaient fréquemment assister au darshan de Mâ et
parler avec Elle. Ils ont aussi été « capturés » par l’amour de Mâ. J’ai vu Mâ accueillir avec beaucoup de
révérence un saint (qui m’a enseigné et à ce titre à été également mon guru).
Il se présenta avec beaucoup d’humilité. Dans notre ashram, il y a une
procédure spécifique pour accueillir un saint : on lui offre un siège, on
lui enduit le front avec un peu de pâte de santal, on lui pose une guirlande
autour du cou (c’étaient mes tâches) et on lui offre un panier de fruits. Ce
Saint connaissait tous les aînés de notre ashram de Kankhal. Voyant un garçon,
debout près de Mâ (à 36 ans, j’avais encore l’air d’un garçon) il demanda
« Mâ, il semble que ce soit un nouveau ? »
Mâ lui répondit en me
désignant « oui, pitâji, Dieu est venu à ce corps sous cette forme ».
Ce fut un grand choc pour moi ! Je me disais « comment peut elle dire
des choses pareilles, elle me considère comme une des plus hautes personnes
spirituelles de l’Inde ».
Certes, je n’étais
pas un criminel, mais je n’avais jamais voulu Dieu dans ma vie. Une personne
spirituelle est supposée connaître Dieu, et elle m’appelle Dieu ! Est-ce
que Dieu est aussi mauvais que je le suis ? » J’étais conscient de
mes limites et de mes faiblesses.
C’était donc un grand choc, que j’aie raison en pensant que je n’étais
pas Dieu et que Mâ avait raison en pensant que j’étais Dieu. Bien sur, après
cela, j’ai acquis une connaissance théorique de Dieu en lisant beaucoup. Je
suis là pour faire l’expérience
finale de Dieu, pour savoir enfin que ce que Mâ a dit est vrai dans ma vie.
Je vous ai dit que je
voulais partager mon expérience avec vous, non pas mon savoir. Si je dis quoi
que ce soit à propos de Dieu, ce sera mon savoir qui parlera, pas mon
expérience. Pour être honnête avec moi-même, je ne fais pas référence à Dieu
très souvent. Je ne suis donc pas pour autant un homme sans Dieu…
Aime t il lire et
entendre parler de Dieu ?
Oui !
Quelle est la place
de Dieu dans sa vie ? C’est une question sérieuse ! Ce que je dis me
concerne exclusivement. Un jour je me suis dit : « je ne peux pas
faire sans Dieu… » Pourquoi ? Parce que Dieu est devenu une partie de
mon être, non pas à travers une expérience mais par le biais de mon
intelligence. Je ne peux pas nier cela. J’ai lu et entendu parler à propos de
Dieu ; d’une façon ou d’une autre Il est entré dans ma mémoire, et la
mémoire est une partie de moi-même.
La réponse à la
question : « quelle était la place de Dieu dans ma vie ? » pourrait être : ma mémoire…
Un jour, ce Swami a
eu un dialogue avec lui-même à propos de problèmes complexes relatifs à sa
vie : lui même, Mâ et Dieu ! Il y avait un problème (n.d.r. : dilemme ?)
avec son amour : il a toujours entendu dire, en particulier avec le
domaine de la spiritualité : « aime Dieu, aime Dieu,… » Les
écritures, Mâ, les saints disent tous la même chose. Il devait donc lui-même
aimer Dieu puisqu’il était dans l’ordre des sannyasins, mais il avait Mâ en
face de lui ! Il pense vraiment qu’il aime Mâ, et il veut être honnête
dans la relation qu’il a avec Elle.
Ce swami, après le départ physique de Mâ, il y a 16 ou 18 ans, a eu un dilemme : dans sa mémoire, il avait à s’occuper à la fois de l’amour pour Mâ et de l’amour pour Dieu ! Ce furent des jours très douloureux : je pouvais encore supporter l’absence physique de Mâ, mais le problème de l’amour était plus aigu. Un jour je me dis : « ou je règle ce problème, ou je règle le problème de ma vie ; tu as des problèmes avec Mâ et Dieu, sois honnête avec toi-même, tu n’as pas besoin d’en parler avec le monde ! » Etant un être humain, il avait envie de quantifier cet amour, ce qui n’avait pas de sens
: « Aimes
tu Mâ plus que Dieu ? »
La réponse fut
« oui ! »
Le problème ne fut
pas résolu ; parce que Dieu ne veut pas le laisser tout seul, advint une
autre question :
« Est-ce que tu
as besoin de Dieu pour aimer Mâ ? »
La réponse fut
« non ! »
« Est-ce que tu
as besoin de Mâ pour aimer Dieu ? »
La réponse fut
« oui ! »
Il s’est remis à lire
son « livre de vie ». Quand Dieu est il entré dans votre vie ?
Quand vous avez
commencé à comprendre les mots du monde. Votre mère, votre père vous ont parlé
de Dieu, le prêtre vous a parlé de Dieu. Par des mots sous la forme de sons, en
lisant des textes, Dieu est entré en vous. Un autre vous a dit : « ceci
est une représentation, une image de Dieu » (en tout cas dans ma tradition
indienne), et dans ce cas là vous avez eu une « interaction
visuelle » avec Dieu. Avec le développement de votre intelligence vous
avez essayé d’en savoir de plus en plus au sujet de Dieu (ou de moins en
moins !)
Vous pouvez
L’accepter ou L’éviter, mais de toute façon il est là, à l’intérieur de vous.
Mais qu’y avait il
donc avant l’arrivée de
Dieu dans votre vie ? Comment avez-vous vécu jusque là ?
Vous viviez dans
l’amour de votre mère, Dieu était une entité inconnue à ce
moment là ! Vous étiez heureux : vous étiez dans un rapport
d’amour exclusif avec elle. Le monde était inconnu de vous. Le monde vous a été
présenté par votre mère. Quand l’amour est exclusif, vous flottez dans un océan
de félicité. Quand l’amour devient inclusif, on flotte… non dans la béatitude,
mais dans la douleur. Le Bouddha a dit : « sarvam duhkam …….. »
« tout est douleur » ; ce n’est pas pour les enfants, parce que
pour eux tout est inclusif, mais pour les adultes. Ils vont d’un objet à
l’autre, pour être débarrassés de ces tourments, toujours à la recherche de
l’amour. Ils ne le trouvent nulle part !
Que fait un
enfant ?
Il ne va nulle part à
la recherche de l’amour ; il sait que l’endroit le plus sûr pour lui est
sa mère. Nous prions Dieu : « aides moi, sauves moi ! » Le
petit enfant se dit en permanence : « Mâ, sauves
moi ! »
A la moindre
difficulté il va pleurer ; il ne sait pas encore appeler
« maman ! ». Tout simplement, il pleure ; savez vous
pourquoi ? Il appelle sa mère !
Donc, avez-vous
besoin de Dieu pour aimer Mâ ? La réponse est « oui » pour moi
et pour toutes et tous.
Personnellement je pense
que, dans cet état, nous sommes tous sur la même base.
A Dhaulcchina il y a
un petit temple (c’est la plus belle pièce) où je pratique la pûjâ ; les
gens me demande : « pourquoi pratiquer la pûjâ ? »
Ma réponse est
simple : « Mâ m’a demandé de le faire et j’aime Mâ ! » J’aime obéir à ses injonctions.
Pour être honnête, je
fais la pûjâ, non par amour de Dieu, mais parce que Mâ me l’a demandé !
Dans ce sens là, je ne heurte personne. En d’autres termes, je dirais aux gens
sceptiques (pas à vous) que c’est un passe temps
« honnête ! »
Sur 8 questions
initiales, ce Swami a donné 4 réponses. Les autres questions ont été
« déracinées »… C’est le seul moyen de vous débarrasser de vos
doutes. Le doute appelle le doute. Si vous cherchez une solution, vous la trouverez.
Mais cette solution là induira un nouveau doute ! C’est donc mieux d’être
débarrassé des doutes, déracinez les : plus de doutes, plus de
questions/solutions…
C’est ce que j’ai
appris de Mâ, questionner la question : la réponse sera là.
Une dévote de Krishna
lui demanda : « Mâ, où est Kanhai (Krishna) ? » Mâ lui
répondit par une autre question, qui est un jeu de mots :
« Kahânay ? », ce qui signifie presque littéralement
« Où n’est il
pas ? ».
Jay Mâ